et Georges Spitzmuller
Le Matin (p. 89-91).

IX

ELLE ?

Le soir même, le comte Georges Iraschko quittait le couvent des moines de Narwald, radieux de l’espoir entrevu. Il laissa l’austère robe que les religieux l’avaient prié d’endosser pendant sa convalescence, et reprit avec joie ses vêtements et son allure d’homme du monde. Il arriva à Kronitz à la tombée du jour. Rapidement, il expédia à Arétow un télégramme sollicitant de l’empereur Alexis une audience pour le lendemain.

La réponse lui parvint dans la soirée.

« Je t’attends » disait l’empereur dans son bref et laconique langage habituel.

Et le train de nuit emporta le jeune homme dans la capitale d’Alaxa.

Il y débarqua par un radieux soleil qui se jouait sur les faïences et les dorures des églises et des palais. La ville quittée naguère avec tant de tristesse et de lassitude au cœur, lui paraissait maintenant lumineuse et triomphale…

Ô puissance de la divine espérance, qui illumine toute chose de joie et de beauté !

Au palais impérial, Georges Iraschko attendit peu. Le page de service l’introduisit immédiatement auprès de l’empereur.

— Eh bien ? demanda Alexis de sa voix autoritaire et froide.

— Un événement capital, sire…

— Parle…

Georges, très sûr et très maître de lui, raconta alors, avec émotion, mais avec précision, son séjour au couvent, et sa conversation avec les frères Mark et Josef.

Attentivement, l’empereur l’écoutait, les sourcils froncés.

Il dit, d’une voix grave, lorsque Georges eût fini :

— Les moines dont tu parles sont Kouraniens… et dévoués aux Romalewsky.

— En effet..

— Double et sérieuse raison de se défier de leurs paroles ?

— Pourtant, quel intérêt ?

— Le sais-je ?… Mais tout cela est étrange, Invraisemblable… Tu t’emballes sur des chimères, mon pauvre garçon… Moi je ne crois pas à la prétendue puissance que tu attribues à Fédor et à ses frères. Ton histoire de résurrection ou de léthargie est ridicule. Je t’en veux de m’avoir bercé un instant.

De nouveau, le découragement émoussa l’âme du comte. L’empereur ne le croirait donc jamais ?… Il ne voulait point partager sa confiance et sa foi ?… Il ne l’aiderait pas, lui dont le bonheur était en jeu ?

Mais Georges réagit.

— Sire, je vous en supplie, essayez cette suprême expérience du tombeau de Saint-Rome… Ensuite, vous pourrez douter de moi, m’accuser de folie et…

— Ne troublons pas la paix des morts, ne commettons pas ce sacrilège. Je m’y refuse. Est-ce tout ce que tu avais à me dire ?

— Alors, laissez-moi encore rechercher Roma Sarepta, la pupille du prince Fédor. Vous m’avez dit il y a quelque temps de vous l’amener, sire…

— Eh bien ?

— Vous savez que je n’ai pas pu retrouver ses traces. Les Romalewsky cachent bien leur prisonnière… Mais je vais recommencer mes recherches avec plus de courage que jamais. Le trouble des moines a changé mes doutes en réalité : je suis sûr, maintenant… Votre Majesté m’autorise-t-elle ?

— Essaie.

— Et si je réussis, si je retrouve cette femme, si semblable à l’impératrice, me promettez-vous alors, sire, de descendre dans la crypte de Saint-Rome pour lever vos derniers doutes ?

— Peut-être.

— J’ai un espoir assez fondé de découvrir Mme Sarepta dans la colonie de Michel Romaleswsky, en Afrique, dans l’Angola. Elle n’est point aux Îles Siamos. Ils ne peuvent l’avoir exilée que là-bas, pour l’isoler plus complètement de tous ceux qui auraient chance de la reconnaitre… Je partirai pour l’Angola.

— Va, jeune intrépide. Mais j’aime ton audace. Je mets à ta disposition un de mes yachts. Tu pourras partir dès demain.

Georges s’inclina pour se retirer. Il était heureux, malgré tout.

L’accueil de l’empereur avait été plus cordial que d’ordinaire… Peut-être que, même à son insu, l’intérêt pour l’exilée se glissait dans le cœur d’Alexis… Peut-être que, sans vouloir l’avouer, lui aussi, désirait voir cette créature étrangement semblable à la morte adorée que sans cesse réclamait Rorick.

Maintenant, Georges Iraschko aurait tous les courages. Un souffle ardent soulevait son âme, le rendait plus confiant, plus fort… il se sentait capable de vaincre tous les obstacles, de triompher de tous les dangers pour ramener Roma à Arétow.

Il retrouverait la jeune femme : un pressentiment secret lui disait qu’elle devait être auprès de Michel Romalewsky, là-bas, dans l’Afrique lointaine.

Sans penser aux difficultés, ni aux fatigues de ce long voyage, qu’aggraverait le reste de faiblesse de la blessure récente, le jeune comte s’embarqua dès le lendemain sur le Brise-Lames, le yacht que l’empereur mettait à sa disposition.

Des ordres spéciaux et formels avaient été donnés ; le capitaine et l’équipage, admirablement stylés, adoucirent la traversée.

Elle fut longue, néanmoins, et fertile en incidents, qui l’allongèrent encore, en retardant la marche du navire : avaries de machines, tempêtes, etc.

Le jeune homme frémissait d’impatience de ces retards, de ces obstacles, il avait tant hâte de revoir Roma, l’adorable jeune femme qu’il aimait d’un amour assez parfait, assez pur, pour se sacrifier entièrement à son bonheur à elle !

Comme il lui tardait de se jeter aux pieds de l’étrange et adorable créature, de réveiller son âme incertaine, hésitante, d’éclairer d’une lumière son passé, d’ouvrir devant elle le splendide horizon de son avenir !…

Comme Georges se sentait fort, maintenant, pour lutter contre la puissance terrible des Romalewsky !… Fédor ne serait plus là, d’ailleurs, lui le plus redoutable des trois frères, ces savants, ces alchimistes, aux armes mystérieuses, terrifiantes, occultes…

Georges pourrait approcher de Roma, Michel, sans défiance, d’ailleurs, ne connaissait pas celui qui était son beau-frère, devant la loi de Dieu et celle des hommes… celui qui était le maudit pour la famille des victimes de Narwald… celui que Boris avait dû tuer mortellement en duel, puisque, lui avait-on dit, sa croix s’élevait maintenant au Campo-Santo, à l’ombre miséricordieuse du mausolée de marbre blanc.

La pensée de Georges Iraschko franchissait les distances, devançant le bateau, trop lent au gré de l’impatient officier.

Enfin, la vigie du Brise-Lames signala la terre africaine. Bientôt, on arriva à la baie des Tigres.

Le débarquement s’opéra, rapide.

Le comte Iraschko, accompagné de quatre matelots courageux et résolus, d’un dévouement éprouvé, irait à travers le continent noir jusqu’à ce qu’il trouvât la plantation de Michel Romalewsky. Les marins lui seraient une fidèle escorte.

Le yacht s’installa dans le port, où, reposant sur ses amarres, il attendrait le retour de la petite troupe.

Il fallut à celle-ci le secours de deux guides indigènes pour s’aventurer dans ce pays étrange, aux forêts épaisses, aux marais enlizants et perfides, aux brousses inextricables, aux chemins souvent inaccessibles et praticables seulement à des chariots attelés de bœufs ou de vaches, comme les voitures des Boers.

Ces guides, des mulâtres, conduisirent Georges Iraschko parmi des détours sans nombre, jusqu’au Kouméné.

Là il fallut trouver une pirogue pour traverser le torrent grossi par les pluies récentes. Cette circonstance servait la rapidité du voyage, expliqua l’un des mulâtres.

— Pour gagner la plantation du prince Romalewsky, dit-il, il faudrait deux mois par la voie de terre, tandis qu’en nous servant du Rio, nous y serons dans un mois.

Il put découvrir dans le petit village indigène, tout proche, un chaland bien primitif, il est vrai, mais assez fort pour la traversée. Son fond plat permettait les sauts des obstacles qui barraient la rivière.

— Je force ma vitesse tant que je peux, ajouta le mulâtre à Georges Iraschko, tandis qu’on naviguait dans la direction de l’intérieur. Nous marchons jour et nuit à la vapeur.

Il avait suspendu pour Georges un hamac à une vergue, car il n’existait aucune cabine dans ce chaland plat, à part une case en bois d’acajou où l’on pouvait s’abriter.

Trois nègres suffisaient à la manœuvre : un à la petite machine, deux à l’avant munis de gaffes pour écarter les branches et les arbres abattus qui dérivaient et auraient entravé la marche.

Le mulâtre manœuvrait le gouvernail.

Le Kounéné est un fleuve capricieux, souvent étalé sur des hectomètres de large, d’autres fois encaissé dans les cordillières de la Chella. La navigation en est difficile.

L’aspect des rives offrait une admirable végétation : des ramures épaisses se courbaient vers l’eau.

Les fruits rouges des nocheiras pendaient en grappes tentatrices que les matins arrachaient avec leurs gaffes. De temps à autre un hippopotame montrait son dos luisant au soleil, à demi enfoui dans le sable. Puis, c’étaient des paons, des outardes, des pintades qui s’envolaient au bruit.

Pendant les nuits claires où des constellations que l’Européen n’avait jamais vues sur son ciel, resplendissaient, radieuses, il apercevait, venant au bord du fleuve, de leur pas lourd, la masse des éléphants ou l’étrange et grêle silhouette des girafes, des zèbres, des buffles qui venaient boire.

À part les bêtes, aucun mouvement ne se produisait sur les rives du grand fleuve. Aucune pirogue. C’était la solitude absolue.

L’homme pouvait se croire réellement roi de la création, agir à son gré, sans crainte et sans reproche, libre sur une terre vierge !

Les nerfs surexcités du jeune comte s’apaisaient dans ce calme, dans cette immensité.

Pour tromper son désir d’arriver vite, il interrogeait tes deux mulâtres sur la plantation de Michel, qu’ils connaissaient tous deux, pour avoir aidé souvent les marins et les serviteurs du prince à charrier les marchandises, que le Stentor amenait dans la baie des Tigres.

— Il y a plusieurs blancs à la plantation ? demandait-il à l’un d’eux.

— Un seul : le maître.

— Il est marié ?

— Non.

— Alors, il n’y a pas de femmes blanches ?

— Si, plusieurs.

— Âgées ?

— Point. Et de belles créatures ! L’une blanche d’un bout à l’autre, des cheveux couleur de la mousse de vin de palme ; une autre plus vieille, puis une jeune personne qui doit épouser un capitaine de vaisseau du prince. Enfin une famille : la mère et deux petites filles.

Georges n’écoutait plus. Une joie immense venait d’inonder son cœur.

Il ne s’était pas trompé… Roma était bien là, en Angola… Il allait la retrouver…

Enfin, le bateau tourna dans les eaux du Rio d’Yrès.

Le petit cours d’eau sinueux, encaissé, avec d’immenses bordures d’arbres dont parfois les ramures se rejoignaient, jetant sur les navigateurs quantité de moustiques n’offrait pas l’agrément du Kounéné, découvert ou, à perte de vue, l’horizon splendide s’ouvrait devant le navigateur.

À présent, les passagers, sans cesse attentifs à l’observation des rives n’avaient plus, ni jour ni nuit, la sécurité passée. Ils n’osaient souvent allumer leurs feux pour ne pas donner l’éveil aux Cuangaris, peuplade féroce, cruelle et très différente des autres nègres dont l’allure est généralement pacifiques.

Une nuit, les voyageurs furent réveillés par une violente secousse.

Le chaland venait de s’ensabler.

Il était complètement échoué.

Le jour vint éclairer cette situation désastreuse, sans que l’on prévoie la possibilité d’en sortir.

— Il n’y a qu’à se résigner, fit le mulâtre qui servait de pilote. Nous allons ranger le chaland au bord, l’amarrer solidement afin qu’il ne détale pas dans le sens du courant, puis nous filerons à pied jusqu’au prochain poste, au blockhaus.

Après avoir mis tout en ordre à bord et laissé deux hommes bien armés à la garde du chargement, l’un des mulâtres, Georges et un nègre partirent, le fusil sur l’épaule, prêts à riposter à toute attaque des naturels.

L’officier portait en outre un revolver et un couteau de chasse. Mais il lui devint bientôt pénible de marcher sous bois, à travers ces sentiers touffus, inextricables, à peine tracés par les pas des éléphants et des animaux sauvages.

Il eut bientôt les pieds en sang.

— Il faut vous reposer un peu, lui dit le mulâtre, pendant que je ferai rôtir le déjeuner. Ensuite, je vous fabriquerai une paire de guêtres.

— Ma foi, je veux bien, mais avec quoi ?

— Avec de l’écorce de mopane ; c’est très souple et parfaitement solide. Je vais vous tailler cela en plein drap.

Ce disant, l’indigène traça sur une branche de la grosseur de sa jambe deux coupures circulaires à vingt centimètres de distance. Après, il frotta avec le manche de son couteau l’écorce lisse et rougeâtre, jusqu’à ce qu’elle glissât sur le bois comme un bracelet autour du bras. Il fit alors une entaille dans le sens long, sortit l’écorce et se trouva en possession d’une magnifique jambière, blanche et douce à l’intérieur.

Il fit quelques trous au bord, y passa des lanières tressées d’alpha et offrit au jeune comte d’excellents et rustiques houzeaux.

Émerveillé, Georges regardait l’adresse de ce mulâtre, auquel la vie sauvage avait appris l’art de se tirer d’affaire.

L’Africain venait de tuer un lièvre qui maintenant était en train de rôtir. Avec la peau de ce lièvre, il fabriqua une sorte de souliers grossiers, mais résistants et doux. Ensuite, ce fut un chapeau fait avec des feuilles de nocheira entrelacées, qui fournit à Georges Iraschko le meilleur des casques.

Il eut un sourire, en se voyant ainsi équipé. Si ses amis d’Arétow ou de Paris l’apercevaient ainsi, combien ils le trouveraient ridicule…

Mais qu’importe d’être grotesque ou ridicule à l’homme qui risque sa vie à travers de pareilles difficultés ! Combien d’autres soucis plus hauts et plus sacrés occupent et angoissent son cœur !

L’officier mangea d’un excellent appétit le rôti préparé par le mulâtre. Puis, celui-ci le précédant dans la brousse, ils marchèrent longtemps encore.

Lorsque la nuit vint, Georges éprouva une impression d’isolement… de doute…

Mais ce fut court. Son âme fut enveloppée soudain d’une étrange et délicieuse émotion… Là, devant lui, dans la brousse, il croyait voir flotter une forme blanche, imprécise, lui indiquant le chemin…

Lorsque la brume du soir se leva des herbes, quand les derniers rayons du couchant eurent frappé obliquement les troncs des arbres pour les rougir d’un reflet sanglant, le comte ne se demanda plus avec l’angoisse de tout à l’heure, où il passerait la nuit.

Il se sentait fort, maintenant. Il se figurait avoir un guide occulte, mystérieux et doux, pour l’aider à l’accomplissement de sa mission… Il avait la foi et l’ardente espérance… Il ne craignait plus rien…

Il laissa le débrouillard indigène organiser le campement de nuit, sans se soucier de ce qui pouvait arriver.

Et pourtant, dans le désert, tout est danger… tout est piège… L’homme est le principal ennemi de l’homme.

S’endormir à terre, c’eût été une imprudence, à cause des bêtes sauvages… Allumer du feu pour les éloigner, c’eût été dénoncer la présence des voyageurs aux peuplades voisines, aussi féroces peut-être.

Le mulâtre eut une idée.

— Grimpons dans cet arbre, dit-il. Nous nous coucherons dans les branches.

C’était le seul parti possible, et les deux voyageurs l’exécutèrent sur heure.

Embrassant le tronc d’un oranger sauvage, Georges s’éleva avec la facilité d’un gymnaste de belle allure, ses armes et son sac bien assujettis sur son dos.

Aux premières fourches du bois, il se reposa, une ramure épaisse lui offrant un abri presque confortable. Le mulâtre l’avait suivi. Il tira de son sac une corde, avec laquelle il s’attacha, ainsi que son compagnon, très solidement.

Georges prit dans ses bras une branche lisse, y appuya sa tête et, bercé doucement par le vent, il s’endormit avec une insouciante confiance.

Un contact insolite l’éveilla avant le jour. Il sentait contre son visage un souffle chaud. Il étendit la main et rencontra un museau poilu.

— Tiens, se dit-il, voici un étrange compagnon de chambre ! Il paraît inoffensif, mais je voudrais le voir.

Cependant il alluma une allumette et éclaira les gros yeux ronds d’une superbe girafe, dont le long cou se tendait. Il ne put s’empêcher de rire, la haute silhouette disparut d’un bond, effrayée de la lueur fugitive du soufre.

— Nous avons choisi notre étage trop bas, dit le comte au mulâtre, que la lumière brusque avait aussi réveillé. Il faudra nous mettre hors d’atteinte, car nous sommes aussi la portée d’une trompe d’éléphant… et on ne peut jamais prévoir à quel degré l’amicale curiosité de nos compagnons de chambre peut s’étendre.

Ils ne se rendormirent pas. La forêt s’emplissait d’un assourdissant vacarme. À l’approche du jour, les animaux hurlaient, barissaient, mugissaient. C’était une cacophonie surprenante, mais horrifiante pour de pauvrets voyageurs à peine armés, perdus dans un arbre.

Mais le mulâtre riait de ses dents blanches. Il connaissait tout cela et ne s’en étonnait point.

Enfin, Georges vit l’aurore avec un réel soulagement. Les nuances rosés de l’Orient se projetèrent sur les cimes environnantes. Le calme revenait. Peu à peu, les galopades furieuses et bruyantes cessèrent, et ce fut seulement le chant des oiseaux qui salua l’apparition du soleil.

Les voyageurs descendirent de l’arbre. En posant le pied sur la terre baignée de l’exquise rosée matinale qui, brouillard léger comme unie mousseline, se drapait sur les frondaisons et les cimes, Georges éprouva de nouveau la troublante commotion de la veille : la forme transparente et floue glissait devant lui, dans l’éther, paraissant lui montrer le chemin.

Le mulâtre n’osa pas tirer un coup de fusil, pour composer le repas d’un rôti quelconque.

— Les Cuangaris ne doivent pas être loin d’ici, expliqua-t-il à Georges. C’est une peuplade intraitable… Évitons-les.

Ils marchèrent longtemps. L’épuisement gagnait l’Européen, peu habitué à de telles fatigues. Mais il allait toujours… Comme dans un mirage, il voyait de mieux en mieux, devant lui, la silhouette-guide.

Soudain, il trébucha contre un obstacle qui l’obligea à regarder à ses pieds au lieu de marcher dans l’extase.

Il vit des pierres noircies, un tas de cendres et encore des tisons fumants.

— Ah ! dit le mulâtre, quelqu’un a campé là, cette nuit.

Ils s’assirent, rapprochèrent les tisons et découvrirent sous la cendre quelques ignames parfaitement cuits.

Ce leur fut une joie immense. Ils dévorèrent la douce et nourrissante racine.

— Mais qui donc a mis le couvert ? se demandait l’indigène avec inquiétude.

L’herbe était foulée aux alentours. Il y avait trace de plusieurs passants ; des chevaux même marquaient leurs pieds sur la mousse non encore relevée.

Un objet brillait dans l’herbe, Georges Iraschko s’en empara. C’était une petite broche d’or, avec une initiale de diamant : R.

— Mon Dieu ! soupira le jeune homme extrêmement ému, celle que je cherche a dû passer par ici… Ce bijou, je le reconnais… Elle le portait le jour du passage du prince Rorick, sur le balcon de l’hôtel des Romalewsky, faubourg Saint-Honoré… Je me souviens… Et cet R… C’est Roma… Mais est-ce bien elle qui a foulé cette herbe ?… Ce joyau a pu lui être volé par une négresse, une servante infidèle ?… Mon Dieu ! Si c’était elle !

Georges baisa pieusement la jolie broche d’or et la mit dans son portefeuille, sur son cœur.

Il fit un bond de joie, oubliant la fatigue, la soif qui le torturait, et repartit bravement, suivant les traces visibles dans les herbes foulées.