Le Poulailler/Chapitre32

Librairie agricole de la Maison rustique (p. 293-301).

QUATRIÈME PARTIE

UTILISATION DES PRODUITS. — INCUBATION ARTIFICIELLE

CHAPITRE PREMIER

Sacrifice et préparation des volailles.

Ce n’est pas par un massacre qu’il faut terminer la carrière de ces beaux animaux qui nous auront donné tant de peine à élever, et que nous aurons vus tant de fois accourir au son de notre voix amie. Les animaux que nous tuons doivent mourir noblement, et j’ai un grand respect pour l’intention des juifs qui les font immoler par un sacrificateur. L’action de donner la mort à un être admirablement constitué et plein de vie à quelque chose de si terrible, et répond à une nécessité si cruelle, que nous ne devrions accomplir cet acte qu’avec dignité, et, de plus, avec une conscience scrupuleuse, c’est-à-dire en employant les moyens et les outils les plus propres à abréger l’horrible agonie de ces pauvres êtres.

Que de souffrances atroces et inutiles ! que d’indifférence, et, j’oserais dire, que de mépris pour toutes ces destructions !

Je ne trouve rien de plus ridicule que la sentimentalité ; mais l’idée humaine qui a guidé les fondateurs de la Société protectrice des animaux est, à mon avis, bien plus noble, bien plus religieuse que tant de grandes et fastueuses conceptions.

Nous dirons donc, pour en venir à notre sujet : l’humanité exige qu’on prenne les ménagements nécessaires pour ne pas soumettre à des tortures préalables les malheureux poulets voués à la mort, de ne pas les attacher, par exemple, par bottes, comme des salsifis qu’on envoie au marché, de ne pas les laisser tourmenter par les enfants, etc., etc., enfin de ne pas s’en tenir à cette fameuse raison que donnent des idiots cruels et ignorants : C’est pour tuer ! Comme si avant de tuer, il fallait nécessairement faire souffrir !

L’humanité commande, en outre, que les instruments destinés à donner la mort soient parfaitement affilés et établis de la façon la plus propre à opérer rapidement, à coup sûr, et aussi que les personnes qui sont chargées de tuer soient enseignées par des opérateurs instruits.

Nous osons espérer qu’un jour viendra où des gens exercés sous les yeux de vétérinaires habiles auront seuls le droit de tuer ces êtres, qui meurent tous les jours par milliers pour entretenir notre existence, et qu’on ne verra plus sur les marchés cet horrible spectacle d’une vieille femme égorgeant lentement un malheureux animal, dont un vieux couteau, démanché et sans tranchant, ne peut venir à bout de décoller la tête.

Écoutons les préceptes donnés à cette occasion par MM.  Allibert et Mariot-Didieux, tous deux vétérinaires.

M.  Allibert s’exprime ainsi :

MANIÈRE DE TUER ET DE PRÉPARER POUR LA VENTE LES VOLAILLES GRASSES.

« Comme les animaux de boucherie, les volailles grasses ne doivent être tuées qu’après un jeûne d’environ vingt-quatre heures, qui permette au jabot et aux intestins de se vider. L’extraction de ces derniers est alors plus facile. On tue les volailles maigres ou demi-grasses en les égorgeant, c’est-à-dire en leur coupant les troncs veineux près de la tête et les tenant ensuite suspendues par les pattes, afin de faciliter l’écoulement du sang, et ainsi de donner plus de blancheur à la viande. Mais les volailles de prix réclament plus de soins et sont tuées à l’aide d’un couteau effilé ou de la lame aiguë d’une paire de ciseaux que l’on enfonce par le palais jusque dans le cerveau, puis en coupant en dedans de la gorge les grosses veines du cou sans entamer la peau ; on fait ensuite saigner complètement en suspendant l’animal par les pattes, après quoi on lave le bec.

« Aussitôt après la mort, on extrait les intestins par le cloaque ; à cet effet, on introduit le doigt par cette ouverture jusque dans le rectum, que l’on renverse en le ramenant au dehors ; alors on coupe cette partie circulairement autour du doigt, en ayant soin de retenir le bout de l’intestin ; puis, tirant ensuite sur l’intestin avec précaution, on le ramène entièrement au dehors et on le coupe à son origine, près du gésier. Le foie et le gésier doivent rester dans l’abdomen. Ce vidage est indispensable : car, si l’intestin séjournait pendant quelque temps dans l’animal mort, l’odeur et la saveur des matières stercorales se transmettraient à la viande, la rendraient détestable, et de plus faciliteraient sa décomposition. Le vide laissé par l’enlèvement des intestins est comblé à l’aide de boulettes de papier gris que l’on introduit par le cloaque ; ce remplissage maintient le volume et conserve la forme de la pièce.

« Les volailles doivent être plumées lorsqu’elles sont encore chaudes. Dans cette opération, il faut éviter avec le plus grand soin les déchirures de la peau, qui dépareraient la pièce et nuiraient à sa vente. Après avoir été plumée, la pièce est mise à refroidir dans l’eau fraîche si l’air est chaud, sinon on se contente de la laver, de l’essuyer et de l’envelopper dans un linge. Les femmes de la Bresse cousent leurs volailles de prix dans un linge fin en leur donnant la forme ovale, ensuite elles imbibent le linge avec du lait, dans le but de donner plus de blancheur et de souplesse à la peau.

« On ne doit emballer ces produits qu’après leur complet refroidissement : chaque pièce est enveloppée dans du papier gris ; on les expédie ordinairement dans des bourriches.

« Les volailles que l’on expédie vivantes dans des cages dites à poulets doivent être placées sur un bon lit de paille ou de foin, si l’on veut éviter qu’elles s’écorchent le dessous de la poitrine. »

Voici maintenant ce qu’ajoute M.  Mariot-Didieux :


SAIGNÉE POUR DONNER LA MORT.

« On tue la plus grande partie des volailles qui sont destinées à la vente au loin. Ceci dépend un peu de l’usage des localités.

« La volaille bien saignée est plus propre, plus marchande et se conserve plus longtemps.

« Cette saignée se pratique le plus ordinairement avec des ciseaux pointus des deux branches et bien tranchants.

« C’est au fond de la bouche, derrière le palais, qu’on va pratiquer la section complète des deux artères carotides. Quand le sang est écoulé complètement, on enlève les caillots qui peuvent rester au bec et au fond de la bouche. On lave cette partie avec du vinaigre. Cette saignée artérielle donne lieu à l’écoulement complet du sang sans laisser de traces visibles au dehors.

« Presque toutes les volailles, qui arrivent sur les marchés de Paris sont saignées différemment.

« Ces saignées se font en leur coupant le cou à moitié à la base de la tête. Cette plaie rouge, d’un vilain aspect, salie de sang, est non-seulement désagréable à la vue, mais, frappée par l’air, la putréfaction s’en empare, elle dégage une mauvaise odeur, et souvent l’acheteur refuse d’en faire l’acquisition pour ce seul motif. Pratiquée comme nous venons de le dire, nous répétons que le cadavre est plus propre, plus marchand, et se conserve plus longtemps ; ce qui est d’une grande importance pour les expéditions lointaines.


PRÉPARATION DES PRODUITS.

« Les produits engraissés et tués doivent subir une certaine préparation pour être livrés avec plus d’avantage au commerce.

« C’est à l’éleveur à connaître les goûts des localités où il vend.

« Dans certains pays, les consommateurs aiment à rencontrer des volailles aux formes rondes et allongées, comme les formes naturelles du canard ; dans d’autres pays, on aime les formes aplaties, et dont la saillie du bréchet ait, pour ainsi dire, disparu ; chez d’autres encore, on aime les formes courtes, rondes, trapues, carrées du derrière.

« Toutes ces petites circonstances de goût doivent être prises en sérieuse considération par les engraisseurs, et, si les volailles qu’ils vendent pour la consommation n’ont pas les formes recherchées, un grand nombre d’entre eux savent les leur donner aussitôt qu’elles sont tuées.

« Presque toutes les volailles vendues à Paris ont les formes aplaties. L’engraisseur ou le vendeur leur donnent cette forme en les pressant fortement sur la poitrine, et en brisant, pour ainsi dire, l’os qui fait saillie en dehors.

« Après cette préparation, on les met à la presse en les couchant sur le dos et en les surchargeant d’un poids proportionné. Cet aplatissement se fait quand l’animal est encore chaud, en refroidissant, le corps se durcit et conserve la forme donnée. Sous le poids qui surcharge l’animal, on place un linge, plus ou moins grossier, qui s’imprime sur la graisse, et lui donne un aspect de chagrin qui plaît à la vue.

« En Bresse, dit M.  Chanel de Bourg, on ne s’imagine pas, hors du pays, tous les soins que prend la fermière qui engraisse la volaille pour la tuer proprement en la saignant au palais, sans qu’elle porte de marque, puis pour la plumer sans faire d’écorchures, ce qui devient une tare qui lui ôte de sa valeur vénale ; après quoi elle l’enveloppe, toute chaude encore, dans un linge bien fin trempé dans du lait, et qu’elle coud un peu ferme pour lui donner une forme ovale, allongée, flatteuse à l’œil, et conséquemment avantageuse à la vente. »

« Le linge fin trempé dans le lait par les fermières de la Bresse, pour servir de bandage propre à allonger les formes de volailles, donne de la blancheur à la peau, et en même temps, un aspect chagriné qui semble caractériser la finesse de la chair.

« Les volailles grasses, envoyées dans les villes éloignées, sont ordinairement plumées, excepté la tête, le bout des ailes et la queue. Elles sont également vidées, c’est-à-dire qu’on retire par l’anus les intestins et le foie. Le vidage des volailles doit être pratiqué sans ouvrir le ventre ni agrandir l’anus, dans le but de conserver l’aspect naturel de l’animal. Le foie ne doit pas rester dans l’intérieur du corps, parce que le fiel, qui est abondant dans la vésicule, s’absorbe et communique aux chairs un goût amer et désagréable.

« On doit aussi faire dégorger les aliments contenus dans le jabot ; leur séjour dans ce premier estomac les fait aigrir, ce qui communique à la viande une odeur également désagréable.

« Ainsi préparée, chaque pièce de volaille est enveloppée, excepté la tête et les pattes, d’une feuille de papier blanc, puis ficelée et emballée dans des paniers à mailles peu serrées et non dans des boîtes fermées de toutes parts. Dans les paniers l’air frais pénètre, circule ; la viande se conserve mieux et plus longtemps.

« La consommation des volailles est immense en France, et le producteur, par la facilité et la rapidité des communications, est en quelque sorte assuré du débit de ses produits. Paris seul en achète annuellement pour plusieurs millions, et il est facile de les expédier de loin sans dérangement pour le vendeur.

« Les paniers de volailles, préparés comme nous l’avons dit, sont expédiés au grand marché de la Vallée[1], à l’adresse d’un facteur qui vend les pièces en gros et aux enchères publiques. Le produit de la vente est envoyé au vendeur.

« Quand la vente a lieu à ce marché, les droits d’octroi en sont perçus sur le prix de vente, au lieu de l’être aux barrières ; mais à taux réduit. »

Enfin, ce que dit madame Millet-Robinet à cet égard peut servir de complément aux deux citations précédentes :

« On ne doit jamais tuer une volaille que lorsque la digestion est complètement achevée : le matin convient donc le mieux, et, si l’on veut tuer dans la journée ou le soir, il faut laisser jeûner au moins huit ou dix heures la bête. C’est ainsi qu’on agit avec tous les animaux de boucherie ; on les laisse même jeûner jusqu’à ce que les intestins soient à peu près vidés. Je pense donc que huit à dix heures de jeûne seraient suffisantes pour les volailles, qui digèrent avec une grande rapidité.

« On peut tuer les volailles, soit en leur coupant la jugulaire dans le bec avec des ciseaux, soit en coupant la gorge avec un couteau bien tranchant après avoir arraché les plumes, afin de moins faire souffrir le pauvre animal. Dans l’un et l’autre cas, il faut tenir la bête par les pattes, la tête en bas, afin que le sang s’égoutte bien, car de cette opération bien faite dépend en grande partie la blancheur de la chair : elle doit donc être faite avec soin.

« Aussitôt que la bête est morte et qu’elle a cessé de saigner, il faut procéder à l’extraction des intestins, soin qu’on ne prend pas dans les pays où le commerce des volailles n’est pas une industrie spéciale, et cependant qui est absolument nécessaire ; car la présence prolongée des intestins dans l’animal lui donne un goût détestable. Au Mans et dans les pays où l’on a poussé l’engraissement à la perfection, aussitôt que les intestins sont ôtés, on introduit à leur place du papier gris assez fin, qui contribue à la conservation de la bête et qui lui donne une belle tournure, parce que l’extraction des intestins aplatit ses flancs. Voici comment on procède : dès que la bête est morte, on introduit le doigt dans le fondement, on tourne immédiatement sur le côté et on saisit le gros boyau ; on le tire doucement en dehors, et tous les intestins suivent. Si cette opération est faite avec adresse, et elle est très-facile, les intestins ne se rompront pas ; il faut aller très-doucement. S’ils se rompent, on cherche de nouveau le bout et on parvient facilement à le retrouver. Lorsque tous les intestins sont extraits, il ne reste dans le corps de l’animal que le foie et le gésier, qui ne nuisent point à la conservation ; ces organes s’emploient en cuisine. La cuisinière les retire lorsqu’elle prépare la volaille pour la faire cuire.

« Il faut plumer les volailles aussitôt qu’elles sont mortes ; lorsqu’elles sont refroidies, elles se plument beaucoup moins bien. On doit prendre très-peu de plumes à la fois, afin de ne pas écorcher la peau, ce qui ôte à la volaille une grande valeur pour la vente, et la bonne mine pour la table. »

Madame Millet ajoute ailleurs :

« On tue les poulardes en leur introduisant dans le bec un couteau très-pointu, et en poussant la pointe jusque dans la cervelle. On les laisse saigner jusqu’à ce qu’il ne tombe plus de sang. Aussitôt qu’une poularde est morte, on lui extrait les intestins, comme il a été indiqué plus haut, puis on met à la place du papier gris. On plume la bête ensuite avec le plus grand soin pour éviter de déchirer la peau, ce qui la dépare beaucoup ; s’il fait chaud, on plonge la bête dans un bain d’eau froide, jusqu’à parfait refroidissement ; on la tire de l’eau et on l’essuie avec soin. En hiver, on se borne à la laver avec un linge trempé dans de l’eau froide, et on l’enveloppe dans ce linge jusqu’à ce qu’elle soit froide. Il faut bien se garder d’emballer les poulardes avant qu’elles soient parfaitement froides. Pour les expédier, on les enveloppe dans du papier gris, et on les place dans une bourriche garnie de paille. »


  1. Ce marché va être transféré aux Halles centrales.