Le Poulailler/Chapitre30

Librairie agricole de la Maison rustique (p. 281-286).

CHAPITRE II

Engraissement par entonnage.


Il y a trois sortes d’engraissement : la première, naturelle, consiste dans la nourriture donnée à des animaux libres, dans l’absorption volontaire d’une nourriture particulièrement propre à produire cet effet, comme le maïs cuit, le riz, le sarrasin, etc. Il faut encore que l’animal soit d’une santé, d’une nature et surtout d’un âge qui le portent à la graisse, car, chez les poulets non adultes, la nourriture tourne presque toute au développement des os et des muscles.

Ce n’est que chez les poules faites et dans les espèces comme le crèvecœur, le dorking, le houdan, etc., que ce phénomène a lieu, si l’on ne rationne pas et surtout si l’on n’écarte pas certaines nourritures.

La seconde sorte d’engraissement se fait par absorption et consiste dans l’empâtement, intromission forcée à heures fixes de pâtons composés de farineux. Ce mode d’engraissement est décrit avec soin à l’article la Flèche.

La troisième sorte est l’entonnage, intromission forcée, au moyen d’un entonnoir, de farineux à l’état liquide. C’est ce dernier mode qui finira par prévaloir partout, tant il est simple, facile et rapide.

Voici comme on le pratique :

Celui qui veut engraisser des poulets se munit de farine d’orge et non d’orge cassé, car il ne faut pas que la farine soit accompagnée de son ; elle doit, au contraire, être convenablement tamisée au moulin. On prend de la farine que l’on délaye sans grumelots dans un liquide composé de lait et d’eau coupés par parties égales. Ce brouet doit avoir l’épaisseur d’une bouillie claire qui commence à cuire, et, je le répète, il ne doit pas y entrer plus de lait que par moitié, car l’expérience a démontré que, dans le cas contraire, l’engraissement s’arrêtait au bout de quelques jours, et que le sujet finissait par décroître et mourir.

On se procure en outre un entonnoir en fer-blanc, dont la capacité puisse contenir ce qu’il faut donner par repas à chaque sorte de volaille (grav. 108, 109, 110).

L’ouverture supérieure de l’entonnoir a 0m.10 de largeur et 0m.06 de profondeur en mesurant son axe. Le tuyau ou goulot mesure 0m.09 de longueur. La partie supérieure du tuyau ou goulot, celle qui tient au récipient, a 0m.025 de large extérieurement, et le bout inférieur à 0m.015 extérieurement. Ce bout, destiné à entrer dans le gosier des animaux, est coupé en diagonale et retroussé de façon à former un petit rebord arrondi. Ce rebord est en outre bien adouci par une petite couche d’étain habilement fixée au fer à souder.

Au bord supérieur de l’entonnoir est fixé un petit anneau destiné à recevoir l’index de la main droite, mais la place de cet anneau est loin d’être indifférente, car il faut que, tenant d’une main la tête de la volaille, on puisse de l’autre entrer l’entonnoir dans un sens voulu, ce qui se fait naturellement quand l’anneau est convenablement placé.
Grav. 114. 115. et 116. — Entonnoir.

L’orifice du bout inférieur de l’entonnoir (qui, comme nous l’avons dit, est coupé en diagonale) doit être tourné du côté de celui qui opère, c’est pourquoi l’anneau en question est soudé sur le bord supérieur de l’entonnoir, à 0m.05 à droite de la direction de l’orifice inférieur du goulot.

Les personnes qui ont une grande habitude se servent de l’entonnoir sans aucun danger, mais celles qui n’en font pas continuellement usage risquent d’érailler les parois du gosier ; aussi est-il excellent d’en entourer l’extrémité d’un bout en caoutchouc qui en augmente le moins possible le volume, et cette précaution évitera les accidents pouvant déterminer des maladies.

Tout cela est très-simple, et je ne m’étends longuement sur cette opération que pour la faire bien comprendre, et parce qu’elle est de la dernière importance.

La pâtée préparée est placée dans un vase où elle puisse être facilement puisée avec un récipient en forme de cuiller à pot profonde ; puis, quand tout est prêt, on saisit l’animal par les ailes près des épaules, et on le place la tête en avant entre les genoux, de façon à le tenir sans le blesser ni l’étouffer. Il fait quelques contorsions les premières fois, mais il s’habitue bientôt. Lorsqu’il est bien calme, on passe l’index de la main droite dans l’anneau de l’entonnoir, on saisit la tête du poulet de la main gauche, et, allongeant bien son cou, on lui ouvre le bec en s’aidant de la main droite, toujours armée de l’entonnoir.

Quand le bec est convenablement ouvert, on s’arrange de façon à le maintenir un instant dans cette position en employant seulement la main gauche, et l’on introduit rapidement l’entonnoir de tout le goulot, en ayant soin de ne pas offenser l’intérieur du gosier.

La main gauche tient tout aisément, la tête du poulet dans la paume de la main et les trois derniers doigts, l’entonnoir soutenu par le pouce et l’index.

On prend alors la pâtée, dont on verse plein l’entonnoir, sans que ce soit trop au bord et maintenant toujours le cou convenablement allongé. On remet la cuiller qui a servi à prendre la pâtée, et de la main droite on soutient le jabot du poulet jusqu’à ce qu’on le sente s’emplir, ce à quoi ou peut l’aider par quelques maniements. Alors on remet la volaille entonnée, et l’on passe à une autre.

La quantité de pâtée que doit contenir l’entonnoir et absorber le poulet est d’environ un huitième de litre, mais on n’en donne que la moitié au premier repas, et l’on n’arrive à donner la ration complète que le troisième jour, encore faut-il avoir soin de l’augmenter ou la diminuer, suivant la force de l’animal.

Les repas se font régulièrement trois fois chaque vingt-quatre heures, et à huit heures de distance ; à six heures du matin, à deux heures de l’après-midi et à dix heures du soir dans les maisons bourgeoises ; à quatre heures du matin, à midi et à huit heures du soir dans les fermes.

Pour faciliter l’opération de l’entonnage, et pour éviter des accidents d’oubli ou des recherches qui fatiguent et effarouchent les poulets, il faut avoir une organisation convenable qui consiste, suivant le nombre des animaux à engraisser, en deux, trois ou quatre caisses à claire-voie très-serrée, dans lesquelles ils ne doivent pas être plus de dix ensemble.

Ces caisses, isolées de terre, sont placées à un endroit calme, dans une écurie ou tout autre lieu tempéré, à l’abri des courants d’air, et l’on doit toujours en avoir en plus une qui reste vide.

Quand tout est bien préparé, on garnit le fond des caisses de paille fraîche, et l’on procède ensuite à l’entonnage en passant chaque poulet, après qu’il est entonné, dans la caisse restée vide. On continue ainsi jusqu’à ce que toutes aient été transvidées l’une dans l’autre, et le changement de paille, qui a lieu tous les jours, se fait au fur et à mesure qu’une d’elles se trouve débarrassée.

La paille, ai-je dit, doit être changée tous les jours, parce que les bons éleveurs, et surtout ceux qui élèvent pour eux, n’adoptent jamais le système de laisser les animaux sur leur fiente, ce qui leur communique toujours un mauvais goût.

Il faut suivre attentivement le progrès de l’opération, et, si l’on s’aperçoit qu’un animal reste stationnaire, on doit le tuer.

Il faut même ne choisir, pour les soumettre au traitement, que des animaux en bon état et d’une bonne santé, car on agirait en vain sur des poulets faibles, qui, au lieu de s’engraisser, tomberaient malades et périraient sans aucun profit pour l’éleveur.

La durée de l’engraissement est de quinze à vingt jours, suivant les sujets et les races ; une plus longue durée ne servirait qu’à faire maigrir les animaux engraissés.