Le Poulailler/Chapitre16

Librairie agricole de la Maison rustique (p. 144-162).

CHAPITRE VI

Races de la Flèche.

COQ.
PROPORTIONS ET CARACTÈRES GÉNÉRAUX.

Corps bien établi, bien charpenté, fièrement posé sur des jambes et sur des pattes longues et nerveuses, et paraissant moins gros qu’il ne l’est en réalité, parce que les plumes sont collantes ; toutes les parties musculaires bien développées ; plumage noir.

De tous les coqs français, le coq de la Flèche est le plus élevé, il a beaucoup de rapport avec l’espagnol, dont je le crois issu par suite de croisements avec le crèvecœur. D’autres personnes croient que cette race descend du bréda avec lequel elle a, du reste, certains points de ressemblance (grav. 67).


Grav. 67. — Coq de la Flèche.

Peau blanche, fine, transparente et extensible ; chair courte, juteuse, délicate et très-apte à prendre la graisse.

POIDS, DIMENSIONS ET CARACTÈRES PARTICULIERS.

Poids. — À l’âge adulte, de 3 kilogrammes 1/2 à 4 kilogrammes ; chair extrêmement fine et abondante, os légers ; huitième du poids environ.

Taille. — De la partie supérieure de la tête sous les pattes, 0m.55. Dans la position fière, 0m.65 ; du dos sous les pattes, 0m.42.

Corps. — Circonférence prise au milieu, sous les ailes, à l’endroit où les cuisses s’articulent, 0m.57.

Longueur du corps. — De la naissance du cou au bout du croupion, 0m.28 ; largeur des épaules, 0m.20.
Grav. 68. — Tête du coq de la Flèche.

Tête (grav. 68). — Longueur, 0m.08 ; joues à peu près nues du bec à l’oreillon.

Huppe. — Un petit épi de plumes tantôt courtes et droites, tantôt un peu plus longues et retombantes, est placé sur le front en arrière de la crête.

Crête (grav. 69). — De 0m.03 à 0m.05, transversale, double, en forme de cornes infléchies en avant, réunies à leurs bases, écartées au sommet, tantôt unies et pointues, tantôt accompagnés à l’intérieur de quelques ramifications. Un petit crétillon double, qui sort de la partie supérieure des narines, est placé en avant de plus d’un centimètre, et, quoique à peine aussi gros qu’un pois, ce crétillon, qui surmonte une espèce de monticule formé par le renflement des narines, concourt à l’aspect tout particulier de la tête.
Grav. 69. — Crête du coq de la Flèche.

Barbillons. — Pendants et très-allongés, de 0m.06 à 0m.08.

Oreillons. — Très grands, occupant un large espace et se repliant sous le cou ; d’un beau blanc mat surtout à l’époque de l’amour. C’est, parmi les oreillons qui affectent la couleur blanche, le plus grand après celui de l’espagnol. Le bouquet de petites plumes qui couvre le conduit auditif est noir.

Narines. — Très-ouvertes et d’une figure toute particulière ; elles forment à leur commissure le monticule d’où sort le crétillon.

Bec. — Fort, légèrement recourbé, de couleur gris sombre jaunissant à l’extrémité. Longueur, 0m.03.

Iris. — Rouge-brique plus ou moins foncé.

Pupille. — Noire.

Physionomie de la tête. — Le la flèche a une physionomie qui lui est bien propre et qui est déterminée surtout par le monticule saillant que forment ses narines surmontées d’un crétillon. Cette proéminence espacée de la crête semble augmenter encore la dépression caractéristique de son bec, et lui donne quelques points de ressemblance avec le rhinocéros. Sa crête en cornes rappelle le crèvecœur, et son large oreillon blanc rappelle l’espagnol.

Patte. — Canon de la patte très-fort, très-nerveux. Circonférence, 0m.06. Doigts forts et bien onglés ; médius, 0m.08 ; interne et externe, 0m.06 ; postérieur, 0m.03.

Couleur de la patte. — Bleu ardoisé plus ou moins foncé suivant l’âge, tournant au gris plombé foncé en vieillissant.

Poids du poulet. — Le poulet peut être mangé vers l’âge de cinq mois ; mais ordinairement on ne livre ces animaux à l’engraissement que vers sept à huit mois, moment où ils sont à peu près arrivés à leur dernier point de croissance ; le mâle prend alors le nom de coq vierge, et lorsque son traitement, qui doit durer d’un mois à six semaines, est terminé, il atteint 5 kilogrammes et plus. Un coq vierge non engraissé, à l’âge de huit mois, donne un poids brut de 3 kilogrammes 1/2 à 4 kilogrammes, poids égal à celui d’un coq adulte cocheur en bon état. Le poids de la chair est naturellement de proportions variables, selon l’état d’engraissement, et, si celui des os est d’un huitième à l’état normal, il est de beaucoup au-dessous à l’état de graisse.

DESCRIPTION DU PLUMAGE.

Le plumage de la flèche est entièrement noir, à l’exception de quelques petites plumes blanches qu’on aperçoit quelquefois dans l’épi qui est sur la tête. Les plumes du cou, longues, fines et fournies, sont à reflets verts et violets, ainsi que les plumes du plastron, de l’aile, du recouvrement de la queue, les caudales, les externes du bras, les grandes de l’avant-bras et les externes du vol ; les plumes des cuisses et les externes de l’avant-bras sont noires ; les plumes de l’abdomen et du flanc sont d’un noir grisâtre ; parmi les grandes du vol, qui sont d’un noir violet à reflets verts, il s’en présente quelques-unes de blanches avant la première mue.


POULE.
PROPORTIONS ET CARACTÈRES GÉNÉRAUX.

D’une apparence un peu moins volumineuse que le coq de la même espèce. Démarche ferme et assurée, œil vif et hardi. Corps élancé, arrondi, supporté par des pattes de moyenne longueur, fortes et nerveuses ; toutes les parties musculaires bien développées ; chair fine et abondante ; tête forte ; bec fort, plumes de l’abdomen bien fournies, mais peu épanouies ; plumage noir (grav. 70).

POIDS, DIMENSIONS ET CARACTÈRES PARTICULIERS.

Poids. — À l’âge adulte, 3 kilogrammes et quelquefois 3 kilogrammes 1/2 ; à l’état de poularde, 4 kilogrammes à 4 kilogrammes 1/2.

Taille. — De la partie supérieure de la tête sous les pattes, dans la position ordinaire, 0m.45 ; du dos sous les pattes, 0m.36.

Tête. — Longue, forte, ayant tous les caractères de celle du coq, mais réduits à de petites proportions.


Grav. 70. — Poule de la Flèche.

Crête. — En cornes très-petites, mais très-apparentes par leur position inclinée en avant.

Barbillons. — Bien arrondis, longs de 0m.03.

Oreillons. — Blancs et très-apparents par leur couleur tranchée et le large espace qu’ils occupent.

Narines. — Comme celles du coq.

Bec. — Fort et long.

Œil. — De la même couleur que chez le coq.

Physionomie de la tête. — Très-fine, très-éveillée, ayant beaucoup de rapports avec celle du coq. Sa crête, en forme de cornes, lui a fait donner, dans le pays, le nom de Poule cornette.

Patte, canon de la patte. — Fort, de longueur moyenne doigts solides et longs.

DESCRIPTION DU PLUMAGE.

Plumes assez abondantes et serrées au corps ; cul-d’artichaut moyennement développé ; toutes les plumes du corps lisses, d’un noir violet à reflets verdâtres, à l’exception de celles de l’abdomen, d’un noir grisonnant ; plumes des jambes, noir brun mat.

Ponte. — Bonne et précoce ; œufs d’un volume remarquable.

Incubation. — Nulle.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR L’ESPÈCE.

La poule de la Flèche de grande race, ou poule cornette, est une espèce toute particulière au pays du Maine ; son type est resté toujours pur, surtout dans les environs de la Flèche, contrée où l’on pratique le mode d’engraissement qui lui est propre.

M.  Letrône, à qui je dois une partie des renseignements qui ont servi à cet article, croit que l’origine des fléchoises est inconnue. « Leur renommée, dit-il, peut cependant prendre date vers le quinzième siècle, selon les rapports de quelques vieux historiens ; je pense néanmoins qu’elle doit avoir une origine plus ancienne. C’est au Mans qu’on faisait ces belles poulardes tout primitivement, puis à Mézeray, puis à la Flèche. Aussi désigne-t-on indifféremment ces sortes de produits sous des dénominations différentes. Cette industrie a depuis longtemps cessé au Mans ; elle déchoit à Mézeray et ne s’est bien conservée qu’à la Flèche et dans les communes qui l’avoisinent. »

Les volailles de la Flèche, si propres à l’engraissement, sont encore très-robustes et rarement malades. Elles s’acclimatent en quelque contrée qu’on les transporte, et leur pureté se conserve facilement, pourvu qu’on évite la promiscuité, c’est-à-dire qu’on renouvelle le sang de temps en temps. Elles s’habituent à toutes les nourritures possibles dès qu’elles ont atteint un certain âge ; mais on doit, dans les commencements, les nourrir avec des aliments au moins analogues à ceux qu’elles reçoivent dans leur pays. Élevées en liberté, elles ne s’écartent pas trop, surtout si elles sont pourvues de verdure.

La race de la Flèche peut être mise au nombre des deux ou trois plus belles races françaises. Quoique son plumage soit uniformément noir, il est extrêmement riche à cause de son brillant et de ses beaux reflets verts et violacés. Sa crête et ses barbillons, d’un rouge vif, — ainsi que son large oreillon, d’un blanc très-apparent, forment avec le plumage un contraste aussi remarquable que dans la race espagnole. La finesse, la délicatesse et le goût exceptionnel de sa chair sont déjà très-sensibles à l’état maigre et complètement déterminés par l’engraissement, épreuve à laquelle sont indistinctement soumis les poulettes et les jeunes coqs de sept à huit mois. Ces derniers sont mis à l’écart aussitôt qu’on le juge nécessaire, afin qu’ils n’aient aucun commerce avec les poules, et c’est de là qu’on les a nommés coqs vierges. On a reconnu qu’en cet état de réserve ils sont beaucoup mieux disposés à se faire au traitement, sans qu’il soit besoin de les chaponner.

Les poules sont également livrées à l’engraissement avant qu’elles aient pondu, et donnent ce qu’on appelle les poulardes. C’est, dans toutes les races, parmi les coqs de la Flèche que se trouvent les pièces les plus volumineuses qui soient destinées à la table.

La grande race, celle que je viens de décrire, met de neuf à onze mois pour arriver à son état de perfection, ce qui prouve qu’elle n’est pas d’une grande précocité ; mais on tire de cet inconvénient un grand avantage, car les poulets, étant fort longs à devenir adultes et ne poursuivant les poules que fort tard, continuent de se développer pendant l’hiver, et donnent au printemps, à cette époque où les bonnes volailles deviennent très-rares, de magnifiques et délicieux produits que se disputent à prix d’or les tables somptueuses. Aussi conseillé-je fortement de ne jamais croiser cette race, dont la destination est toute particulière, et j’insiste pour qu’on remarque et utilise cette propriété spéciale.

Il existe une variété exactement semblable, pour la forme et les résultats, à la race principale, excepté que la crête, qui est volumineuse, d’un seul lobe assez rond, aplati par-dessus et formant une pointe en arrière, est remplie de granulations à la partie supérieure, et rentre dans la classe de celles qu’on nomme frisées.

C’est ordinairement surtout celle à crête frisée qu’on désigne sous le nom de poule du Mans.

Ces deux variétés ont encore leurs similaires dans les tailles moyennes ; elles possèdent les mêmes qualités, sont également propres à l’engraissement, et les sujets donnent, en proportion du poids où ils atteignent, un bon profil à l’engraisseur, parce qu’ils sont plus précoces que dans les grandes variétés.

La nourriture habituelle des poules de la Flèche consiste, dans le pays, à leur donner trois fois par jour du blé encore enveloppé de la balle (blé blanc), On les rationne, parce qu’elles sont très-voraces et qu’à certaines époques elles tourneraient trop à la graisse. On donne aux poussins et à la mère, après la nourriture particulière des premiers jours, de la pâtée de son et de remoulage, et cela pendant les six premiers mois. Plus on va cependant, plus on augmente la ration de son, et plus on diminue celle de farine.

Herbages toujours abondants.

ENGRAISSEMENT DES COQS VIERGES ET DES POULARDES.

Je ne crois pas pouvoir faire mieux que de donner, sans y rien changer, le remarquable et consciencieux travail de M.  Letrône sur ce sujet.

« Le procédé pour l’engraissement des volailles n’est point un secret dans la contrée où l’on obtient ces poulardes si estimées, dites du Mans ; cette industrie, toute particulière par ses résultats surprenants et tant appréciés avec raison par les plus fins gourmets, se circonscrit dans les communes suivantes : Mézeray, qui jadis avait toute la supériorité sur ses voisines, et qui maintenant en est quelque peu déchue ; Malicorne, Arthézé, Courcelles, Bousse, Vilaines, qui tient le premier rang pour les beaux produits et le nombre de nourrisseurs ; Crosnière et Veron, où l’industrie ne languit pas ; Bailleul, Saint-Germain-du-Val, Sainte-Colombe, la Flèche, Cré-sur-Loir et Bazouges. C’est à l’arrondissement de la Flèche qu’appartiennent ces communes : c’est dans la ville chef-lieu que tous les nourrisseurs viennent apporter leurs produits les jours de marché, où l’on en voit en étalage par centaines à la fois. Ce commerce de première main, d’un produit spécialement local, ne devrait-il pas plus justement faire désigner ces poulardes comme étant de la Flèche plutôt que du Mans ?

« On paraît avoir oublié dans le pays vers quels temps a commencé cette industrie de l’engraissement des poulardes, et à qui l’on doit attribuer l’initiative de cette entreprise ; quelques gastronomes érudits pourraient peut-être éclaircir cette question, que je laisse de côté, à défaut de connaissances sur la matière.

« Le travail spécial de l’engraissement appartient principalement à des marchands de la campagne et à quelques petits cultivateurs que l’on nomme poulaillers. Les uns et les autres achètent, dans les marchés ou chez leurs voisins, les poulettes qu’ils nomment gelines, et qui paraissent les plus belles et les plus aptes à s’engraisser. C’est vers l’âge de sept à huit mois qu’elles sont réputées assez avancées dans leur croissance pour être mises à la graisse. Pour faire ces belles pièces, non moins estimées, que l’on désigne sous le nom de coqs vierges, ce sont de jeunes coqs de l’année, n’ayant pas encore servi à la reproduction, que l’on traite de la même manière que les gelines, sans qu’on leur fasse subir aucun genre de mutilation ; leur engraissement demande un peu plus de temps et de nourriture.

« Les plus belles poulardes peuvent atteindre le poids de 4 kilogrammes, et les coqs vierges celui de 6 kilogrammes ; on en voit quelquefois dépassant ce poids.

« Les poulaillers traitent depuis cinquante, quatre-vingts et même jusqu’à cent volailles à la fois. Ce travail commence en octobre et se poursuit jusqu’à l’époque du carnaval le plus ordinairement. Pour cela, on commence à établir tout alentour et sur le sol d’une chambre, ou d’un autre local disponible, de petites loges, faites simplement avec des pieux en bois brut, des croûtes ou relèves à la scie, et même enfin avec le bois le plus défectueux et de moindre valeur, qui pourra servir pour l’entourage et les divisions à claire-voie. On recouvre une partie de ces loges à demeure, et l’autre reste mobile, afin qu’on puisse y introduire les volailles et les en retirer. Ces constructions grossières sont faites par les poulaillers, et ne coûtent pour ainsi dire que le temps employé à les faire et l’achat de quelques clous. La hauteur de ces loges doit être de 0m.50 à 0m.60 de hauteur, et la longueur est arbitraire ; cependant les plus grandes ne doivent pas contenir plus de six poules réunies, et doivent ne fournir que l’espace nécessaire à chaque animal pour qu’il puisse y être à l’aise sans pouvoir néanmoins circuler.

« On intercepte toute lumière venant directement du dehors, on calfeutre les portes et les fenêtres du local, afin que l’air extérieur ne s’y introduise pas trop librement.

« Pour habituer les poules au régime de nourriture et de réclusion forcées auquel on va les assujettir, pendant les huit premiers jours on les renferme dans un lieu un peu sombre, et on ne leur donne pour toute nourriture qu’une pâte délayée, un peu épaisse, faite avec la même farine qui sert à la composition des pâtons, et mélangée soit avec un tiers, soit avec moitié de son. Pendant la durée de cette première épreuve on leur donne à boire et on les laisse manger à volonté.

« La mouture qui sert à la composition des pâtons se fait ordinairement dans les proportions suivantes : moitié de blé noir, un tiers d’orge et un sixième d’avoine ; on en retire le gros son. Tous les jours on détrempe de cette farine dans du lait doux ou tourné, la quantité nécessaire pour deux repas, celui du soir et celui du lendemain. Quelques-uns ajoutent à la composition de cette pâle un peu de saindoux, surtout vers la fin du traitement ; et cette pâte, qui ne doit être ni trop ferme ni trop molle, est roulée de suite en pâtons ayant la forme d’une olive de 0m.015 de diamètre, et une longueur de 0m.06.

« Le poulailler ou nourrisseur, à l’heure des repas, qui doivent être bien réglés, prend trois poules à la fois, les lie toutes trois ensemble par les pattes, les pose sur ses genoux, et, éclairé d’une lampe, il commence, pour unique fois, à leur faire avaler une cuillerée d’eau ou de petit-lait ; quelques-uns ne donnent pas à boire ; puis il introduit un pâton tour à tour dans le bec de chacune de ces poules ; et, pour faciliter l’introduction immédiate de ce pâton, il exerce une pression légère avec le pouce et les deux premiers doigts, en faisant glisser la main le long du col de l’animal jusqu’à sa poche ; on évite ainsi le rejet du pâton. En soignant de la sorte trois poules à la fois, on leur donne le temps suffisant pour la déglutition, et elles sont empansées à leur degré dans un prompt et égal intervalle.

« Dès les premiers jours du pâtonnement, on se contente de faiblement remplir la poche de chaque volaille, et on augmente par degrés la dose des pâtons. C’est ainsi que l’on arrive à en donner à chaque repas douze, et même jusqu’à quinze. Il est essentiel de plonger les pâtons dans un vase plein d’eau avant de les faire avaler, cela facilite leur introduction.

« Le temps déterminé pour l’engraissement n’est pas fixé, il se subordonne à la plus ou moins bonne disposition de l’animal et à son degré de force. Quelques poulardes ne peuvent être conduites au complet engraissement sans danger d’accidents ; le nourrisseur expérimenté sait le moment où il doit arrêter son travail. Nuls ne sont à l’abri de subir des pertes : il y a, disent-ils, malgré leur savoir et leur attention, de la bonne et de la mauvaise chance, des années plus ou moins favorables, sans qu’ils puissent s’en expliquer les causes. Tels, après avoir pratiqué pendant plusieurs années avec bonheur dans une localité, quoiqu’en agissant de même ailleurs, éprouvent des pertes sensibles, par l’impossibilité d’un complet achèvement d’éducation de leurs poulardes.

« Quelques volailles sont grasses à point au bout de six semaines, d’autres au bout de deux mois. Quelquefois, si la poularde paraît être encore disposée à prendre bien sa nourriture, on continue de la lui donner le plus longtemps possible, et l’on arrive à obtenir des phénomènes de poids.

« On calcule que certaines poules dépensent 20 litres de farine, d’autres peuvent aller jusqu’à en absorber 30 litres.

« Ces volailles, étroitement emprisonnées dans une obscurité constante, n’ont pas de litière sous elles et ne sont jamais nettoyées de leur fumier pendant la durée du traitement. Si les émanations azotées, abondantes dans le local, sont nécessaires pour aider à l’engraissement, elles sont toutefois nuisibles à la santé des nourrisseurs, qui en souffrent d’autant plus qu’ils ont une nombreuse collection de poules à la graisse ; quatre-vingts ou cent poules à la fois nécessitent à ceux-ci de passer les journées presque entières et une partie des nuits dans ces foyers d’infection. Quand le premier repas a commencé à quatre heures le matin, à peine se termine-t-il à midi, et le second, commencé vers trois heures du soir, ne finit que vers onze heures.

« Enfin, lorsque le poulailler retire ses poulardes de l’engraissement, il se charge lui-même de les saigner et de les plumer, et, avant qu’elles refroidissent, il les place, appuyées sur le dos, sur une tablette ou un banc étroit, et leur fait prendre la forme que l’on connaît en se servant de calets en bois ou en pierre pour les maintenir dans cette position ; puis il étend sur toute la partie du corps en saillie un petit linge mouillé, afin de donner un grain plus fin à la graisse.

« Le mode de pratiquer l’engraissement des poulardes se résume donc à ces conditions principales :

« 1o  Choisir l’espèce la plus belle parmi les jeunes coqs et les poulettes nés dans l’année, et annonçant toutes les qualités ci-dessus indiquées ;

« 2o  Ne leur faire subir aucune mutilation, comme cela se pratique pour les chapons et même pour les poules que l’on engraisse ailleurs ;

« 3o  Préparer un local obscur, où l’air soit le moins renouvelé et où les poules soient parquées dans des loges étroites, sans y être trop gênées ;

« 4o  Ne pas nettoyer ni enlever les fumiers pendant toute la durée de l’engraissement ;

« 5o  Préparer les poules à la nourriture forcée pendant huit à dix jours avant le régime des pâtons ;

« 6o  Pratiquer avec adresse et promptitude en leur faisant avaler ces pâtons ;

« 7o  Leur donner deux repas dans les vingt-quatre heures et à des heures régulières ;

« 8o  Ne pas tenir à leur faire avaler absolument un nombre égal de pâtons ; s’en tenir pour cela à l’examen de la capacité de la poche, qui, dans les premiers jours, doit être modérément garnie, et plus tard complètement, mais sans excès ;

« 9o  S’en tenir à la seule nourriture indiquée, sans y apporter le moindre changement, sauf, dès le principe, à modifier le dosage des mêmes ingrédients, si on le juge convenable ;

« 10o  Savoir discerner le point de maturité de l’engraissement et surveiller celles des volailles qui doivent être retirées avant ce terme lorsqu’elles menacent de mal faire ou de périr.

« Toutes ces conditions étant bien observées, on obtiendra de bons résultats.

« Afin de se rendre compte des dépenses de l’engraissement, il s’agit d’établir une moyenne générale sur un certain nombre de volailles ; ainsi, supposons qu’il faille pour chaque poularde, pendant quarante jours de traitement, une dépense de 30 litres de mouture ainsi composée :

3 doubles décalitres de blé noir, à 3 fr. 9f.00c.

2 - — d’orge, à 3 fr 6 00

1 double décalitre d’avoine, à 1 fr. 50. 1 50

TOTAL. .... 16f. 50

« Ce déboursé de 16 fr. 50 c. pour 120 litres de cette mouture suffira à la nourriture de 4 volailles, ce qui fait pour une seule 4 fr. 1250, laquelle somme étant alors multipliée par 50 volailles, on aura un total de 206 f. 25

Report. 206f. 25c.

« S’il faut 1,200 pâtons à raison de 24 par tête pour les deux repas, on n’emploiera pas pour détremper la farine beaucoup plus de 50 centimes de lait écrémé ou de petit-lait par jour, soit pour 40 jours 20 00

« 40 journées de travail à 3 fr. l’une, 1/4 de journée de femme à 80 centimes pour fabriquer les pâtons, soit pour 40 jours 128 00

« 2k.5 de saindoux pour les 10 derniers jours, soit 25 décagrammes par pâtée à 1 fr. 60 le kilogr. 4 00

« L’achat ou le prix de chaque poulet à l’état maigre étant porté à 1 fr. 50, on aura, pour 50 un déboursé de 75 00

« Le local servant une grande partie de l’année de resserre, et le prix de la construction des loges étant très-minime, ainsi que les frais de mouture, on peut contre-balancer avec avantage ce prix fictif par le produit de la plume et le gros son retiré de la farine ; ci, pour mémoire. ... 0 00

Et pour premier total 433 25

« Résultat complet de la dépense à faire pour nourrir et soigner 50 poulardes. Divisant ensuite cette somme par le chiffre 50, on trouvera que chaque pièce revient à 8 fr. 26 c. ; et, comme il faut admettre encore, et c’est beaucoup, que l’on éprouvera 1/16 de perte, chaque poularde reviendra à 9 fr. environ ; soit, pour toute l’entreprise, à ajouter en perte par prévision 25 00

On aura une dépense de. 458f.25

« Maintenant, si, en moyenne toujours, on peut accorder aux poulardes le poids de 3 kilogrammes par pièce, on aura pour les 50 poulardes 150 kilogrammes. La poularde étant estimée se vendre à l’ordinaire, au prix de 3 fr. 60 c.[1] le kilogramme, on arrivera à une recette de 540 00

« Et, en soustrayant la somme des déboursés, qui est de… 458 25

On ne trouvera qu’un bénéfice de 81 f 75


« Cette somme de 81 fr. 75 serait une bien faible rémunération pour le nourrisseur, si l’on ne prenait pas en considération la différence qui existe entre les appointements qui lui sont concédés dans ce compte des dépenses avec le prix de son temps employé à des travaux ordinaires de la campagne, qui, dans la saison d’hiver, quand il n’y a pas de chômage, ne se payent ordinairement que 1 fr. par jour : il faudra donc nécessairement, pour que ce compte soit rationnel, retrancher les deux tiers de sa journée, portée à 3 fr., et reporter cet excédant dans les profits de l’entrepreneur ; donc, pour les 40 jours de durée, on trouvera 80 fr. à réunir aux 81 fr. 75 obtenus dans le compte ci-dessus établi, ce qui fera réellement 161 fr. 75 de profit sur l’engraissement de cinquante poulardes.

« Il faudrait convenir, malgré cela, que ce ne serait pas trop encourageant si l’on ne s’en tenait qu’à ce nombre de pièces ; mais, dans l’espace de cinq mois que doivent durer ces travaux sans discontinuer, un actif poulailler peut engraisser non-seulement un plus grand nombre de volailles à la fois, mais encore faire succéder, sans interruption, de nouvelles volailles à celles qu’il aura retirées et vendues. Tous ces industriels sont fort à l’aise, et quelques-uns ont su se faire une petite fortune.

« Comme ce travail résulte d’informations prises le plus régulièrement qu’il m’a été possible, en voyant faire, en consultant et en écoutant successivement plusieurs éleveurs, qui tous ont montré de la complaisance et ont répondu avec un accord parfait à toutes mes questions, je ne puis penser avoir été trompé intentionnellement sur le mode d’engraissement, qui, après tout, je l’ai déjà dit, n’est un secret pour personne dans le pays. »

Nous ajouterons aux renseignements fournis par M.  Letrône que les volailles de la Flèche peuvent être comme toutes les autres, engraissées au moyen de l’entonnage (voir le chapitre Entonnage). Il est probable que l’on n’obtient pas avec ce procédé des pièces aussi considérables que par l’empâtement ; mais nous croyons que la chair doit contracter un goût plus délicat et plus parfumé.



  1. Le prix maintenant est de 4 fr. le kilogr., et l’on voit que M.  Letrône a affecté un trop petit poids à chaque volaille.