Le Peuple vosgien/n°2 du 22 décembre 1849/Chronique locale

Chronique locale.

Scrutin sur la question de savoir si lassemblée passera à la discussion des articles du projet de loi relatif à l’impôt des boissons.

Nombre de votants… 964

Majorité absolue… 333

Pour… 445

Contre… 220

Ont voté pour : MM. Aubry, Huot, Perreau, Febvrel, Buffet, Houel, Ravinel, Resal.

Contre : M. Forel


Grâce à M. Bonaparte et à son préfet M. Eugène Dépercy, la dissolution de la garde nationale d’Épinal est une œuvre consommée. Les armes ont été rendues en meilleur état qu’elles n’avaient été livrées.

Les écritures étaient tenues avec tant d’ordre par le commandant, aidé de ses deux adjudants, que le désarmement s’est fait avec une régularité remarquable… Le pouvoir a donc ses armes… il ne lui manque plus que les cœurs…

Par son calme, sa modération et sa prudence, la population d’Épinal a enlevé tout prétexte de répression aux agents réactionnaires, si désireux d’empoigner les gens, qu’ils ont plutôt l’air de vivre en pays ennemi qu’en terre libre de France.

Un seul moment nous avons craint que l’indignation n’allât trop loin, c’est lors de l’entrée dans la ville des trois compagnies de la ligne. Tout le monde sait, en effet, que la musique de la ville qui s’était portée au devant, suivant l’usage, a été refusée par le chef du détachement, que nous sommes loin d’accuser, car nous n’ignorons pas qu’un officieu l’ayant prévenu, avait jeté le doute dans son esprit… Nos craintes, cependant, n’ont pas tardé à disparaître dans l’enthousiasme général, lorsque nous avons vu la musique, conduite par son jeune chef, qui a fait preuve de tact et de fermeté, rentrer en ville en faisant retentir les rues de nos airs patriotiques… Plus de deux mille voix l’accompagnèrent jusqu’au pied de l’arbre de la Liberté, et les dernières notes de la Marseillaise furent suivies d’un immense cri de : Vive la République ! qui alla percer comme un poignard le cœur de ceux qui, après avoir tout fait pour rendre la République impossible, voudraient aujourd’hui faire croire que la République seule est la cause des misères du peuple…

Cette conduite ferme et intelligente de la population d’Épinal a suffi pour couvrir de ridicule tout ce luxe de précautions inutiles, qui ont été regardées plutôt comme une insulte que comme une mesure préventive.

À propos de ce désarmement, on nous a communiqué un document assez curieux, dont nul n’oserait récuser l’authenticité, puisqu’il est extrait des pièces officielles. Nos lecteurs y verront avec plaisir que M. Dépercy doit être expert en fait de désarmement, car ce n’est pas le premier auquel il a participé.

« Des détachements partis d’Arbois, et porteurs d’ordres donnés par l’inculpé Dépercy, tentaient de s’emparer des armes dans les communes rurales.

» Au maire de Vilette. « Je vous invite à livrer à Remi Treuvey les dix fusils de votre garde nationale ; au cas de refus de votre part, vous assumez une grande responsabilité sur votre personne, mais votre patriotisme m’est garant que vous obtempérez, à ma demande.

» Salut et fraternité.

{{droite|Signé Eug. Dépercy »

Extrait de la déposition du maire du Groson :

« Le 14 avril, environ les trois heures de l’après-midi, l’instituteur vint me dire que des particuliers d’Arbois venaient d’arriver dans la commune et s’étaient déjà emparés des 16 fusils de la garde nationale, et que, dans ce même moment, ils se disposaient à enfoncer les portes de l’église pour sonner le tocsin… Je demandai à ces particuliers pourquoi ils étaient venus désarmer les gardes nationaux de Groson. L’un d’eux me dit qu’ils étaient venus sur les ordres du maire d’Arbois, et il me remit à l’instant même une réquisition écrite, datée d’Arbois le 14 avril 1834, signé Eug. Dépercy, pour le maire empêché, par laquelle j’étais invité à remettre à ces gens-là 20 fusils.

» Voici cette réquisition : « Le maire de la commune de Groson est requis de remettre au chef commandant le détachement, porteur du présent, les 20 fusils qui sont en votre pouvoir.

» Arbois, le 14 avril 1834.

Pour le maire empêché, Eug. Dépercy. »

» … Peu de temps après, Eugène-Regnauld Dépercy s’est fait jour à travers la foule qui encombrait les portes de l’Hôtel-de-Ville, et après avoir pénétré dans le vestibule, a dit d’une voix forte et élevée en levant sa canne au-dessus de sa tête : « L’insurrection est proclamée, il nous faut des armes, M. le maire ; je vous somme, au nom de l’insurrection, de me livrer les armes qui sont à l’Hôtel-de-Ville. » Des cris aux armes ! aux armes ! se sont fait entendre alors de toutes parts. »

Nous demanderons à nos lecteurs si ce document ne remplit pas leur âme de tristesse… N’est-il pas douloureux en effet de voir le même homme qui a proclamé l’insurrection républicaine de 1834, provoquer, sous la République, le désarmement de la garde nationale d’Épinal, dissoute sans autre motif connu que le refus des officiers d’aller à une messe du Saint-Esprit à laquelle ils étaient invités… Grands de ce monde, que la vanité et les préjugés monarchiques affublent encore d’habits brodés, de tricornes et de chapeaux à panaches… venez donc encore déblatérer contre l’immoralité du peuple !!!

Dans notre prochain numéro, nous publierons un exposé complet de toute cette affaire ; ce ne sera ni un plaidoyer, ni un pamphlet, ce sera de l’histoire.


à monsieur le rédacteur-gérant du journal le Peuple Vosgien.

 « Monsieur,

» En face d’une accusation anonyme, et qui ne m’a pas même été adressée, ainsi que l’exigeait la plus vulgaire loyauté, j’aurais pu, j’aurais dû peut-être me taire ; mais je ne suis pas seul attaqué ; mon honorable confrère, M. le docteur Drappier est placé sous la même inculpation que moi, je dois, des lors, m’empresser de déclarer qu’il est ici hors de cause ; le fait en question s’étant passé dans mon service, j’en dois réclamer pour moi seul toute la responsabilité, ce que je fais hautement.

» Ceci posé, j’aborde la question, et j’affirme que votre article contient autant d’erreurs que de mots : Non, Thérèse Hatton n’était point atteinte de hernie étranglée ; quand elle a été admise à l’hôpital, il a été reconnu qu’elle portait, à la région inguinale droite, une énorme tumeur déjà fluctuante, et dont l’ouverture, pratiquée quelques jours après, a donné issue à près d’un litre de pus.

» Quant au prétendu anus anormal, dont fait grand bruit votre correspondant anonyme, cela se réduit à une très-petite plaie fistuleuse, résultat purement accidentel de l’action trop énergique du caustique de Vienne, dont j’ai cru devoir me servir, pour ouvrir la tumeur et que j’ai dû porter un peu haut, à cause de l’énorme étendue de l’abcès, et dans la prévision d’un décollement ultérieure.

» Voilà monsieur, l’exacte vérité, voilà ce que pourraient au besoin attester ceux de mes confrères qui ont été appelés à voir la maladie. Quant au reste de votre article, c’est de la calomnie, et à la calomnie on n’oppose que le mépris. L’opinion publique qui, en définitive, sera juge entre celui qui attaque en se cachant, et celui qui se défend au grand jour, comprendra que je ne puis accepter le débat qu’on me pose, et qu’il y a des choses qui ne doivent pas franchir le seuil d’un hôpital ; je ne reconnais d’ailleurs à personne le droit de m’interroger sur ce qui se passe dans un service qui m’est confié. Qu’il me suffise de dire que Thérèse Hatton, la fille du prolétaire, comme dit la phraséologie ridiculement pathétique de votre correspondant, celle dont on nous accuse d’avoir voulu flétrir l’honneur, ne savait quels termes employer, lorsque, le jour de sa sortie, elle témoignait sa reconnaissance pour les soins dont elle n’a cessé d’être l’objet pendant les deux mois qu’elle a passés dans l’établissement.

» Je n’ignore pas, monsieur, qu’en vertu de certaine loi, j’ai le droit d’exiger de vous l’insertion textuelle de cette lettre dans votre prochain No, ce droit, je l’invoque aujourd’hui, mais ne craignez pas que j’en abuse ; on ne descend pas deux fois à de pareilles saletés. Désormais vous pouvez vous donner carrière ; je m’engage formellement à ne répondre à celui qui n’ose pas même se nommer, qu’en lui clouant au front l’épithète de calomniateur.

» Agréez mes salutations.

 » Haxo, chirurgien de l’hôpital d’Épinal. »
d. m. p.

Épinal, le 20 décembre 1849.

En ce qui nous concerne, nous déclarons au docteur Haxo ; 1o que c’est par erreur que le numéro de notre journal dans lequel il était interpellé, ne lui a pas été adressé, ainsi qu’à son confrère Drappier que nous avions mis en cause ; 2o que les questions que nous lui avions posées provenaient d’une note communiquée, et que le gérant, alors même qu’il n’invoquerait pas les usages de la presse, en avait la responsabilité ; 3o que nous n’acceptons pas que M. Haxo ou tout autre, alors qu’il remplit un service public, vienne déclarer qu’il ne reconnaît à personne le droit de l’interroger sur ce qui se passe dans un service qui lui est confié. — Ce n’est pas que nous désirions des polémiques de personnes, bien au contraire, nous ferons tout pour les éviter. Mais dans cette circonstance, il nous a paru qu’il y avait urgence.

Nous avons fait part au docteur Pierre, auteur de la note communiquée, de la lettre de son collègue Haxo, afin qu’une réponse de sa part terminât ce différent médical, qui, par l’emploi des expressions qu’il nécessite, conviendrait mieux sous un certain rapport à un journal spécial. Sans autres commentaires nous reproduisons l’autre lettre.

À M. le docteur Haxo, chirurgien de l’hôpital Saint-Maurice d’Épinal.

Monsieur,

J’ai sous les yeux votre missive à M. le Rédacteur du Peuple Vosgien. Je n’y vois que des gros mots ; vous vous fâchez tout rouge. Après cinq jours de réflexion, distiller tant de bile, c’est à ne pas y croire. Écoutez, je ne vous suivrai pas sur le terrain des injures, ce n’est pas ma manière, et puis vous me dépasseriez de beaucoup. Vous criez ; je vais faire une meilleur besogne.

Mais d’abord, j’ai besoin de dire au public que si j’ai provoqué une explication dans cette affaire, c’est qu’indépendamment de son caractère moral, mon honneur de médecin y était engagé. J’avais dit à M. B… que sa fille, Thérèse Hatton, avait une hernie étranglée. MM. Haxo et Drappier avaient déclaré à l’hôpital, qu’elle avait une maladie syphilitique. De là naturellement, grande surprise chez plusieurs de mes clients qui étaient informés de l’affaire, et nécessité pour moi de rétablir la vérité. Cela dit, M. Haxo, je reprends votre lettre.

Je passerai vite, monsieur, sur vos reproches d’accusation anonyme et d’indélicatesse. Bavardage que tout cela, bavardage ! on ne vous a pas même attaqué, à plus forte raison calomnié ; on vous a posé deux questions, et vous êtes encore à répondre à l’une d’elles. La signature provisoire du gérant était pour cela, plus que suffisante.

Vous faites de la rhétorique, monsieur, quand, pour intéresser le public à votre cause, vous mettez de côté votre honorable confrère Drappier. C’est bien de faire ainsi le chevalier d’honneur, le Donquichotte de la Manche ; mais moi, j’ai d’autres allures, d’autres principes. À chacun selon ses œuvres, et c’est pour cela que je viens faire la part de M. Drappier, et que je déclare, ce qui est facile à prouver, que Thérèse Hatton est tombée dans son service, qu’il l’a traitée pendant deux ou trois jours, et que c’est lui enfin qui, le premier, après tout ce temps d’hésitation, a pris sa hernie pour une tumeur syphilitique, et l’a envoyée dans une salle spéciale où sont retenues les filles publiques. Il est d’autant moins excusable qu’à ce moment l’erreur n’était réellement pas possible.

Thérèse Hatton n’avait pas de hernie étranglée, dites-vous ? Mais déjà M. Simonin, de Nancy, l’avait traitée pour cela à l’hôpital Saint-Charles. Les personnages qui l’ont assistée vous diront qu’elle avait un bandage. Et maintenant existe-t-elle cette hernie ? et puis qu’est-ce donc qu’une tumeur qui se montre subitement à l’aine avec douleur, constipation d’abord, sueurs froides, coliques, hoquets, nausées, et de l’aveu même de la sœur qui l’assistait, vomissement de matières stercorales, signe indubitable pathognomique des hernies, entendez-vous bien MM. Haxo et Drappier ?

Quand elle a été admise à l’hôpital, dites-vous encore, elle portait un abcès déjà fluctuant. Mensonge, monsieur ; quelqu’en soit la cause, un abcès ne se forme pas en deux ou trois jours de maladie, surtout quand on parle d’un litre de pus. Plusieurs personnes l’ont assistée, et toutes déclareront qu’alors la tumeur avait tout au plus le volume d’un œuf. Je pourrais, à ce sujet, étendre mes réflexions, mais allons, M. Haxo, allons toujours et parlons du prétendu anus anormal qui n’est, dites-vous, qu’une fistule. Vous n’avez oublié qu’un mot, loyal confrère, c’est que la fistule est stercorale, c’est-à-dire qu’une hernie seule peut l’avoir produite, Dupuytren vous le dira ; c’est-à-dire que les pois, les choux, les haricots que vous faisiez donner à la malade passaient et passeraient encore, si elle était toujours à votre excellent régime, à travers la fistule stercorale, qui ne diffère de l’anus contre nature que par son étendue. Mais voici qui est plus curieux. Oui, dites-vous, la fistule stercorale existe, mais elle n’est pas la conséquence d’une hernie, c’est moi qui l’ai faite par ma maladresse. Comment, monsieur, vous osez tenir un pareil langage ! Pour excuser une première erreur, vous allez en commettre une plus lourde.

Vous n’osez dire, n’est-ce pas, qu’il s’agissait d’un abcès syphilitique ? vous feriez rire après vous, et pourtant vous l’avez dit en d’autre lieu. Vous avez fait passer cette femme de la salle des fiévreux dans la salle des vênériens, et puis, quand après votre opération le doute n’a plus été permis, vite vous la faites passer aux blessés ; c’est qu’alors, monsieur, votre erreur n’était plus possible : votre mauvaise foi commence là.

Après avoir si bien plaidé votre cause, vous revenez à vos injures. Encore une fois, je vous fais grâce de ce côté. Le public jugera si vos épithètes ne vous qualifieraient pas mieux que moi. Puisqu’il paraît que vous n’aimez pas la discussion, je vous propose, pour couper court, de prendre chacun deux ou trois arbitres qui auront qualité pour juger impartialement. Si vous n’acceptez pas, c’est que vous avez peur ; si vous avez peur, c’est que vous êtes coupable, et tout coupable doit être châtié. J’aurai fait une partie de la besogne.

Encore un mot. Vous vous posez dans votre hôpital comme un pacha qui a droit de vie et de mort. Vous refusez à quiconque le droit de contrôler vos actes. Êtes-vous fonctionnaire public ? Êtes-vous responsable ? En vérité ce serait odieux si cela n’était ridicule.

Quant à votre épithète de calomniateur qui termine votre factum, je vous la renvoie, certain qu’elle tiendra mieux sur votre front que sur le mien.

Agréez mes salutations,

Dr Pierre.

Une souscription est ouverte au bureau du journal le Peuple Vosgien, et chez nos correspondants, en faveur des familles de nos frères détenus politiques. Nous avons déjà reçu une somme de 18 fr. 50 c.


Remiremont. — Pendant la cession de novembre, en formant le budget pour l’exercice 1850, le conseil municipal a voté l’instruction primaire gratuite, pour les écoles des garçons ; voulant faire jouir, ceux-ci, de l’avantage dès longtemps accordé aux jeunes filles.


Un concert vocal et instrumental a été donné le 10 décembre dernier à Remiremont, par M. Noirot, violoniste, et Mme Querm, cantatrice.

Les principaux morceaux exécutés par M. Noirot, Souvenirs de Bellini et le trémolo de Beriot, l’ont fait vivement applaudir.

Mme Querm a chanté l’air de la Muette, et le grand air de Lucie. La force de sa voix de soprano jointe à une grande souplesse, dans l’exécution des vocalis de ces deux morceaux, écueils de bien des chanteurs, ont fait apprécier, à la ville de Remiremont, la valeur du talent de cette artiste.

À la demande générale, un second concert aura lieu dimanche prochain à Remiremont, à la salle de la mairie.

Nous pouvons aussi annoncer que M. Noirot et Mme Querm se feront entendre jeudi prochain à Épinal.