Une femme à la fenêtre un carrosse sort son bras. Une femme portant un enfant sur son dos baise la main. Un autre enfant se tient à son côté. Deux enfants sont dans le carrosse.
Une femme à la fenêtre un carrosse sort son bras. Une femme portant un enfant sur son dos baise la main. Un autre enfant se tient à son côté. Deux enfants sont dans le carrosse.
Axinia vint baiser en pleurant les mains de la comtesse.


CHAPITRE IX

LE DÉPART POUR LA MOULDAIA. — AXINIA ET SES DEUX PETITS PIGEONS. UNE REVANCHE ROYALE.


Le lendemain, malgré sa promesse, Axinia ne se présenta point à la maison Alénitsine. Ce fut en vain qu’Arkadi alla s informer d’elle jusque dans la loge du dvornik (portier). Le soir, comme la veille, la comtesse s’enferma chez elle, nais Stéphane ne l’y suivit pas et gratifia M. Carlstone et Suzanne de sa présence au dîner et au thé, qui fut servi dans le petit salon de Mlle Mertaud.

Celle-ci, quoique fort perplexe, ne désespérait pas du cœur de son élève, et, à sa demande, elle fit les frais de la soirée en contant des traits d’histoire qu’elle eut soin d : choisir parmi ceux qui exaltent la générosité d’âme et la noblesse des procédés. Il montra du goût pour ces récits et lorsque Arkadi, dont la verve avait été fort éteinte, prit congé de Mlle Mertaud en lui baisant la main, Stéphane prit à son tour la main de sa gouvernante, l’éleva à la hauteur de sa poitrine par un geste spontané, puis la laissa retomber après l’avoir serrée en lui disant :

« Bonsoir, mademoiselle ; si vous rêvez cette nuit, que ce ne soit pas à mon cœur de loup ; cela vous donnerait des cauchemars. »

Le lendemain matin, dès sept heures, six voitures attelées attendaient dans la cour, et l’on entassait les bagages dans les fourgons. À huit heures, après un déjeuner sommaire, la comtesse montait dans sa calèche, où elle invitait Suzanne à prendre place avec ses deux élèves et M. Carlstone.

C’était une de ces vastes voitures, antiques de forme, dont les nobles ne se servent plus à Moscou, mais dont ils usent encore pour se rendre dans leurs biens seigneuriaux. On y peut loger assez de voyageurs pour qu’une famille tout entière y tienne et que ce voyage en commun rende le trajet moins long.

Quand tous les hôtes de la calèche y eurent pris place, le cocher rangea la voiture hors de la vérandah, et la comtesse nomma à haute voix ceux de ses gens qui devaient prendre place dans la seconde. C’étaient les plus qualifiés de la domesticité : la dame de compagnie, le maître d’hôtel, les deux premiers valets de chambre. Quand vint le tour de la troisième voiture, le premier appel de la comtesse fit tressaillir Suzanne et Arkadi. La bonne comtesse toussa avant de parler, et les regarda tous les deux en accentuant presque gaiement deux on trois de ces exclamations qui émaillent les discours de tous les vrais Russes ; puis elle dit avec un accent à la fois attendri et malin :

« Axinia et ses deux petits pigeons ! »

Axinia, qui s’était dérobée jusqu’alors derrière les battants d’une porte des communs, s’avança vers la calèche et vint baiser en pleurant les mains de la comtesse. Mais c’étaient cette fois des larmes de joie.

Stéphane triomphait gravement, sans mot dire ; il tenait ses yeux brillants fixés sur Suzanne et leur regard la remerciait d’avoir eu un peu de confiance en son cœur.

« Quoi ! te voilà !  ! dit Arkadi, et pourquoi as-tu donc manqué à ta parole ?

Mon jeune père Stéphane Paulowiteh l’avait voulu ; mais il a été bon pour moi comme le seigneur Dieu. Il a parlé à un général, à un sénateur, et en un jour, l’affaire de Dorothéi, qui n’avait pu s’arranger en trois mois, a été réglée. Mon mari fera deux mois de prison, mais à l’hôpital où il sera doucement traité, le pauvre ami. Et je l’ai embrassé hier, et Praskovia Stépanovna veut que j’aille à la Mouldaïa pour refaire la santé de ces deux chers petits. »

Ce fut sur cette émotion que la caravane quitta Moscou. Lorsque la voiture fila sur la grande route qui mène à la montagne des Moineaux, Arkadi tira son toquet en s’inclinant devant Stéphane, et lui dit :

« Je dois réparation d’honneur à Votre Majesté. Je désavoue le « cœur de loup » et j’atteste qu’elle sait prendre de ses erreurs des revanches vraiment royales.

Après quoi, il saisit la main de Stéphane et attirant son cousin dans ses bras, il l’embrassa cordialement sur les deux joues.

Le petit roi reçut ce brusque hommage avec une grâce un peu hautaine. Mais les rois ne sont peut-être pas tous parfaits.