Éditions Albert Lévesque (p. 152-157).


XVI




TOUT concourait à rendre la découverte avantageuse : sa situation topographique, la largeur de la veine principale, les facilités de la prospection.

Comme beaucoup de gens qui vont chercher au loin ce qu’ils ont à portée de la main, il avait négligé d’explorer les alentours de son campement.

C’est par un pur hasard, comme il arrive dans la plupart des cas, qu’il avait réussi.

Un après-midi, comme il canotait sur le lac, dans l’intention d’atteindre son extrémité ouest et de recommencer dans cette direction ses expériences infructueuses effectuées à l’est, son attention se porta sur la rive où une masse noire paraissait se mouvoir et grouiller.

L’éloignement l’empêchait d’en distinguer la forme, mais cela lui parut ressembler à un ours.

L’importance du coup de fusil à tirer le fit dévier de sa course.

C’était bien un ours ; il le reconnut à son trot disgracieux et pesant.

Il tira la pince de son canot sur la berge, et, sa carabine à la main, inspecta l’orée de la forêt par où l’animal s’était sauvé.

Il examina les pistes, et, tout à coup, il tressaillit.

Une veine d’une largeur inusitée, une maîtresse veine à n’en pas douter, sortait de l’eau, s’étalait sur le sol sur une distance d’une quarantaine de pieds pour s’enfoncer dans la terre et disparaître.

Ce jour-là, il n’alla pas plus loin. Il avait de la besogne devant lui, et pour longtemps. Selon toute apparence, ses pérégrinations étaient finies.

Le shiste et le porphyre par endroits étaient tout oxydés. La largeur du quartz entre les murs pouvait être de soixante pieds.

Il y fit plusieurs lignes parallèles, et, à l’aide du marteau et du pic, il échantillonna. Il aperçut, dans l’un des morceaux recueillis de l’or libre parfaitement visible.

Il alla chercher son enclume, son plat, ses outils. Il déposa le quartz sur l’enclume. Le lourd marteau s’éleva dans l’air, retomba avec un bruit sourd, concassant, pulvérisant. Puis il mit la poussière ainsi obtenue dans le plat, l’emplit d’eau, et, le pannage commença.

À mesure que le plat tournait, le quartz plus léger surnageait.

Il l’enlevait, recommençait.

Entre ses doigts fiévreux, le plat tournait, tournait, à la surface le quartz remontait.

Anxieux, retenant son souffle, il se pencha pour voir.

Dans le fond, une, deux, trois, quatre pépites d’or, brillèrent, puis d’autres.

Dans un mouvement irraisonné d’exubérance, il lança le plat par-dessus lui, et à tue-tête, comme s’il voulait prendre la nature entière à témoin de sa bonne fortune, il s’écria :

— Ça panne !… Ça panne !…

Il était riche.

Il se tailla à même un jeune cèdre un piquet qu’il ficha en terre, grava dessus avec son canif, son nom, le numéro de son permis de mineur et la date présente.

Il localisa la situation du « claim » et partit, au travers bois, « piqueter » les quatre extrémités du terrain qu’il se réservait.

Le lendemain, il sauta dans son canot, le cœur gai, l’âme en fête et se dirigea sur Amos faire recorder sa découverte.

Il avait une raison d’être : l’exploitation de son bien. Sous le miroitement des possibilités réalisables, l’ambition était venue. Elle grandissait, s’emparait de lui.

Il serait, il était par la fortune et l’argent une puissance avec qui, désormais, il faudrait compter.

Des sourires étranges erraient sur ses lèvres, des lueurs où il y avait de la férocité, traversaient ses prunelles.

Il pourrait lutter contre la société. Il la ferait s’incliner devant lui, lécher ses semelles pour la volupté âcre de la mépriser plus profondément encore.

Depuis deux ans, il n’était sorti de sa retraite que lorsque l’obligation commandait d’aller chercher des vêtements et des vivres. Il n’apportait que les plus élémentaires : de la farine, du sel, du sucre, du thé ; la chasse et la pêche lui fournissaient le reste.

On chuchotait bien à Amos et ailleurs parmi les prospecteurs et les gens de mine, qu’il possédait probablement la concession la plus riche du pays. Ce n’était que des ouï-dire. Personne ne pénétrait dans son intimité. Il vivait en ermite, en reclus et, quand, par hasard un voyageur abordait dans ses parages, il lui intimait l’ordre d’aller camper ailleurs.

Ses travaux progressaient. Déjà une grande partie du terrain était défrichée ; il avait réussi à rejoindre la veine dans son enfouissement sous terre. Par des tranchées çà et là, il en localisait l’exacte position.

Une cabane, où chaque objet, lit, table, chaises, provenaient du travail de ses mains, lui offrait un confort plus grand que la tente des débuts. Dans un coin s’entassaient les morceaux de quartz où l’on voyait les traces d’or libre. Il en avait déjà une provision assez considérable, et, dans un coffre, il déposait les lingots à l’état nature.

Malheur à qui l’aurait voulu dévaliser ! Il possédait un chien mi-loup mi-chien, qu’il tenait en liberté, et qui, durant ses absences montait la garde autour de la cabane. La nuit, un revolver pendait à son chevet à portée de la main.

Jacques Bernier était heureux, si l’absence de souffrances et de soucis peut être du bonheur.

Il avait réussi à apprivoiser quelques animaux sauvages. C’étaient ses amis. Ils remplaçaient les hommes et avantageusement. D’eux, il ne craignait ni la trahison, ni l’abandon.

Le soir, il parlait à son chien comme à un être humain, et, celui-ci, assis sur son derrière, lui répondait à sa façon par des hurlements prolongés.

Il avait des livres, qu’il lisait et relisait. La lecture empêchait son cerveau de se rouiller et il emmagasinait ainsi des connaissances et des sensations qui lui servaient d’Aliments intellectuels.