Éditions Albert Lévesque (p. 107-110).


XI




À CAUSE de sa faible population, le village ne possédait pas encore de prêtre résident. Un missionnaire, de temps à autre, y venait confesser, faire communier les fidèles, y dire la messe.

La grande salle de l’hôtel servait alors de chapelle. Le prêtre déposait sur une table la pierre bénie, la pierre d’autel, revêtait ses ornements, et l’office commençait. Un silence recueilli succédait aux conversations.

Aux grandes fêtes, on faisait du chant ; Mariette accompagnait les voix sur un harmonium essoufflé.

Pour le service, on manda le curé de Valdaur.

Un menuisier avait fabriqué la bière : une simple boîte de bois recouverte de drap noir.

D’ornements, de tentures, point. Les murs de papier jaune pour tout décor.

Par les fenêtres sans rideaux, le soleil, rieur, narquois, faisait jouer des rayons où, infimes points blancs des atômes innombrables s’agitaient.

Dans ce jour cru, la flamme aux cierges qui veillaient, semblait falote et pâle.

Au dehors, tout était blanc, lilas ou mauve, selon les jeux de la lumière.

Rien de tragique, rien de triste, rien de lugubre. Plutôt, oui. Ce contraste violent entre la nature claire et le deuil des âmes avait quelque chose de déchirant et de tragique. Agenouillée par terre, les deux mains appuyées sur le dossier d’une chaise, la mère Lambert sanglotait, statue vivante de la maternelle douleur ; monsieur Lambert retenait avec peine les larmes qui lui obscurcissaient la vue ; Mariette, pâle dans sa robe noire, tenait les yeux fixés sur la boîte sombre où tant de jeunesse vigoureuse et saine ne serait plus dans quelques jours qu’une charogne putride ; et Jacques Bernier, appuyé au mur, regardait à la fois, la jeune fille et la tombe, souffrant doublement dans son amitié pour Joseph et son amour pour Mariette, parce qu’il savait sa souffrance.

Le prêtre entonna la messe des morts.

Des chantres improvisés répondirent, des amis du défunt pour la plupart.

Ils écorchaient le texte ; ils écorchaient la mesure, n’ayant personne pour les accompagner ni les guider. Mais les voix étaient belles et graves et le chant gardait, dans sa simplicité, un caractère émouvant.

L’office terminé, l’animation reprit.

Un seul devoir restait à accomplir : le dernier.

Quelques arpents seulement séparaient du cimetière dont Joseph Lambert devait être le premier occupant. Il voisinait l’emplacement de la future église.

Ce matin, on avait pelleté la neige et creusé la terre gelée. La fosse était prête : elle attendait.

Quatre vigoureux gaillards soulevèrent le cercueil à la force de leurs poignets, le hissèrent sur leurs épaules et le cortège se mit en marche, pêle-mêle.

Dans l’embrasure de la porte, Madame Lambert le regarda passer. Jamais plus Joseph ne reviendrait, jamais plus il ne franchirait ce seuil.

Jacques Bernier à ses côtés, Mariette suivait. Elle était courageuse et stoïque ; mais quand elle entendit le bruit des mottes de terre sur les parois du coffre, son courage faiblit. Elle s’abandonna dans les bras de Jacques et, la tête appuyée sur son épaule, en silence, elle pleura.

Puis, la fosse comblée, les groupes se disloquèrent, le vide se fit.

La vie recommençait.

Une croix rustique indiqua seulement qu’il y avait là, les débris de ce qui fut un homme, de ce qui pensait, parlait, avait un cerveau, un cœur, une âme.