Le Siècle (série 45p. 294-301).
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IV

LA DAME ET L’ENFANT AUX MARRONS

Quinze jours s’étaient passés, et la grève durait encore mais on pouvait en prévoir déjà la fin prochaine. Selon les errements passés, présents et encore futurs assimilent au forçat en rupture de banc, l’ouvrier en grève, un bataillon avait été caserné à R…, et, sous la menace de ces baïonnettes luisantes et de ces fusils, les femmes épouvantées et ces pauvres hommes encore peu conscients de leur droit se sentaient vaincus d’avance, Brassard, Vigneroux, Robert, et quelques autres avaient été mis en prison. À cette époque, la grève était un crime puni par la loi et contre lequel on instruisait. Les ressources résultant de la paye faite le soir même de la grève avaient été promptement épuisées, et voici pourquoi :

Autour de l’usine, outre la population ouvrière et le personnel dirigeant, existe un troisième élément, celui des fournisseurs de tout ordre ; l’élément nécessaire assurément, surtout dans les conditions de travail qui interdisent aux femmes les soins du ménage, mais qui, sous l’empire de la loi économique actuelle, achève par son exploitation la misère de l’ouvrier. Que l’on s’entende ou non sur les moyens proposés, un fait existe, incontestable : c’est que, dans les conditions actuelles, le crédit, ce prétendu bienfait, cette prétendue source de prospérité publique, est une sorte de lasso qui saisit celui sur lequel il tombe, le traîne, et le plus souvent ne l’abandonne qu’à l’état de cadavre. Le crédit entretient dans l’oisiveté ou dans une activité improductive la classe des prêteurs ; rarement il sauve celui qui emprunte. Ainsi l’ouvrier des fabriques, obligé de recourir au crédit des fournisseurs, est mal nourri, mal vêtu, pour un prix plus élevé que celui auquel se vendent au comptant les mêmes objets de qualité supérieure. Exagérée de la sorte au-dessus des possibilités du salaire, la dette s’accroît sans cesse et devient inextinguible ; sa seule garantie, le salaire, est saisi d’avance par le fournisseur entre les mains du patron, et dès lors, entre ces deux forces unies qui s’entendent pour le broyer, le travailleur a perdu toute indépendance, tout usage de sa volonté, de son droit. Contraint de tout subir sans murmurer, rivé à l’usine par sa double dette envers le patron et le fournisseur, ce n’est plus un être humain, c’est une chose, c’est un rouage. La paye, qu’il ne reçoit ordinairement qu’au bout du mois, est réduite par les retenues à un chiffre dérisoire et le force à vivre de nouvelles avances jusqu’au mois suivant. Dans une situation pareille, la grève n’est qu’un acte de désespoir, semblable à celui du cétacé qui fuit, le harpon au ventre, ou de l’oiseau qui fatigue son aile contre les mailles du filet. D’avance le résultat est certain : ni le patron ni le fournisseur n’en doute. En même temps que l’usine, se ferment la gargotte, l’épicerie, les magasins de mercerie et de confection ; le gréviste et sa famille restent seuls entre quatre murailles, bien étroites, presques vides, et ces murailles même ne sont point à eux ; l’impitoyable créance y pénètre encore, y surprend les pleurs des enfants, les reproches des femmes, le dénûment, les craintes, accroît les hésitations, les presse, menace de jeter ces malheureux, nus, pantelants, au froid de la place publique, et les ramène affaiblis par la faim et par la peur, sous l’insupportable joug.

Telle est, hors les cas exceptionnels, l’histoire de toutes les grèves. Telle fut celle dont nous parlons. Privés de leurs chefs, abandonnés à tous les énervements d’une misère qui devenait chaque jour plus douloureuse et plus menaçante, inquiets, ignorants, indécis, esclaves de la faim, voyant bien la partie trop inégale, au bout de ces quinze jours, un à un, les ouvriers reprirent l’ouvrage aux conditions premières, et quelques ateliers rentrèrent en activité. Celui de Brafort, encore désert, devait probablement se repeupler le dernier, à cause de la sévérité particulière et des minuties vexatoires du règlement imaginé par son directeur. Quelques ouvriers célibataires avaient quitté le pays pour aller chercher fortune ailleurs, et c’était là le seul résultat économique de la grève, la diminution de l’offre pouvant influer sur le taux du salaire. Mais les patrons ne doutaient point que cette perte ne fût comblée par de nouveaux arrivants. Sachant bien que la misère est la condition sociale de plus grand nombre ailleurs qu’à R…, et se fiant aux sages lois d’équilibre ordonnancées par le Créateur, ils attendaient que le vide fait dans leurs fabriques attirât le trop plein de quelque autre lieu, et que tout allât comme auparavant dans le meilleur des ordres de choses possibles. Seulement Brassard et les autres, mais surtout Brassard, ce terrible orateur qui savait traduire en principes et en arguments les besoins des prolétaires, celui-là devait payer pour le dommage fait aux revenus des patrons et recevoir une leçon qui lui ôtât l’envie de recommencer. On instruisit donc ardemment l’affaire, et en attendant, selon les étranges procédés de cette institution d’ordre extrêmement relatif qui ose usurper le nom même de la justice, les accusés habitèrent les prisons de Lille.

Depuis le commencement de la grève, Jean éprouvait un désir ardent de voir Brassard. Absorbé jusque-là par ses études, il n’avait pu que rêver de ces frères déshérités, auxquels, dans le secret de son cœur, il avait voué son indépendance future et ses forces d’homme : s’échappant un jour, il courut à Lille, formula sa demande, et sous un prétexte, obtint de pouvoir visiter le prisonnier. En entrant dans la cellule, plein d’émotion, il s’excusa, sollicitant la permission de Brassard lui-même…

— Votre nom ? demanda l’ouvrier ?

— Jean Brafort.

— Le fils de mon accusateur ?

— Non, son neveu ; mais avant tout votre frère.

Malgré l’impression favorable que lui causait la douce et noble figure de ce visiteur, Brassard attacha sur lui un regard défiant.

— Mon frère ? dites-vous ; au nom de quel dogme ?

— Au nom de l’égalité, qui est la justice.

Brassard tendit brusquement sa main et serra celle de Jean de toutes ses forces.

— Voilà le mot de passe, le langage d’un homme ! s’écria-t-il ; c’est bon ! Je vous connais ; vous êtes mon frère, puisque vous parlez ainsi. Et comment l’êtes-vous devenu, vous qui êtes nés parmi nos ennemis ?

Jean lui raconta la vie et la mort de ses parents, leçon ineffaçable, qu’avaient secondée son horreur innée de l’injuste, la solitude de son enfance, qui l’avait porté à la réflexion, les enseignements de son ami. La brune et rude figure de Brassard exprimait une vive émotion.

— Bien ça ! Vous êtes né peuple ; mais vous pouviez passer aux bourgeois, et vous ne l’avez pas fait ; ça me rapatrie avec notre espèce ; autrement, voyez-vous, j’en étais las.

Il se plaignit amèrement des ouvriers qui abandonnaient la grève, « des persécutions dont il était l’objet depuis qu’il avait commencé d’élever la voix pour le droit et la vérité ; » signalé de toutes parts, traqué, poursuivi, accablé de condamnations successives.

— Et cependant c’est plus fort de moi, voyez-vous, quand je vois cette race moutonnière tendre docilement le cou au boucher, il faut que je lui crie ce qu’elle devrait faire.

Il peignit à grands traits, avec une émotion communicative, les souffrances des prolétaires ; avec une énergie sombre et haineuse, les exigences, l’insensibilité, le despotisme odieux ou fantasque des patrons. Sur le terrain des principes, ils causèrent ou plutôt s’épanchèrent dans la joie d’un échange facile. Mais l’âme tendre de Jean fut oppressée par la haine ardente que révélaient toutes les paroles de Brassard, haine qui confondait les hommes et les choses et se promettait la vengeance. Pour lui, élevé parmi ceux que l’ouvrier nommait ses ennemis, il avait pu démêler combien d’irréflexion, de bonne foi aveugle entraient dans ces actes qualifiés de crimes ; quels nuages épais les préjugés et le plus fort des préjugés, l’habitude, répandaient sur les yeux de ces privilégiés, myopes, comme d’ailleurs la plupart des êtres humains, par droit de naissance et d’éducation. Il essaya de faire comprendre ces choses à son nouvel ami, mais ne put qu’entrevoir quels indéchiffrables malentendus créent entre les hommes les inégalités de situation, d’intérêt, d’éducation, d’habitudes, et quelle différence immense existe entre les deux faces du même acte, suivant qu’on le cause ou qu’on en reçoit l’effet. Il en fut saisi d’effroi et de tristesse ; mais sa sympathie et son admiration n’en restèrent pas moins acquises à ce noble et généreux lutteur qui, presque sans armes, au prix d’efforts surhumains et de malheurs assurés, combattait pour la grande cause. Il se promit de le secourir de tout son pouvoir dans l’épreuve actuelle, et ils se séparèrent, le cœur plein réciproquement du sentiment délicieux d’une amitié nouvelle.

Parmi les passions, celle de la justice est peut-être la moins commune, et pourtant il n’en est pas dont les jouissances soient plus profondes. Car c’est dans l’intensité du sentiment, bien plus que dans le fait simple de la joie ou de la souffrance, que l’être humain trouve non le but, sans cesse reculé, mais l’essor, qui est la loi et par conséquent son bien suprême. Agité de prévisions pénibles, le cœur chargé des misères et des égoïsmes de ce monde, impuissant et pauvre, Jean, au sortir de cette prison, n’en éprouvait pas moins une ivresse plus haute, mais analogue à celle de l’amant qui vient de se fiancer à celle qu’il aime. Ne venait-il pas de faire alliance avec l’objet de sa passion à lui, les déshérités ? Il commençait enfin sa vie d’homme, et il marchait la tête haute vers les épreuves à venir, avec le joyeux orgueil de la force honnête. Que ferait-il ? Il n’en savait rien encore ; mais il voulait bien faire, et d’avance était sûr que l’action ne manquerait pas à sa volonté.

Le souvenir de Brassard lui rendit plus vif celui de Baptistine, et il eut dans sa candeur une sorte de remords de n’avoir pas cherché à la revoir. Dès le lendemain, il se rendit à l’atelier de son oncle pour y demander l’adresse de cette jeune fille, mais il apprit qu’elle s’y trouvait elle-même, en compagnie de cinq ou six autres ouvrières, auxquelles on avait pu donner quelque ouvrage en attendant la reprise des travaux. Avec ou sans raison, la malignité publique remarquait que ces ouvrières étaient toutes plus ou moins jolies, sauf une ou deux pauvres veuves qui avaient obtenu cette faveur à cause d’une extrême misère.

C’était dans une pièce qui précédait le grand atelier que ces femmes étaient rassemblées, et l’on entendait leurs voix animées, qu’on eût dit emportées du même mouvement que leurs doigts agiles. À l’entrée de Jean, leur babillage s’arrêta, et elles se mirent à le considérer avec cette curiosité peu bienveillante et souvent railleuse qui anime si facilement les groupes. Une seule baissa des yeux brillant d’une douce surprise : c’était Baptistine. Un moment hésitante, elle s’avança bientôt au-devant du jeune homme.

— Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur ? lui demanda-t-elle d’un son de voix si doux qu’il en était presque tendre.

Sous ces regards demi-curieux, demi-malveillants, attachés sur lui, et devant l’émotion, explicable pour lui seul, de la belle fille, Jean sentit le besoin de quelque prudence. Il répondit :

— Je viens pour examiner les machines. J’aurai besoin d’un peu d’aide. Voulez-vous venir avec moi ?

Baptistine se dirigea du côté de l’atelier, et il la suivit ; à peine eurent-ils quitté la chambre, que du groupe des ouvrières s’élevèrent des ricanements.

— Avez-vous vu comme elle court au-devant des jeunes messieurs ? Est-elle intrigante ? C’est pas assez de l’oncle, il lui faut encore le neveu ! Comme s’il ne pouvait pas voir les machines tout seul. En v’là une de raison !

Et elles se livrèrent à d’interminables gloses et commentaires, herbes folles, productions naturelles de ces esprits incultes, champs abandonnés que rien de fructueux n’ensemence.

Jean et Baptistine, marchant côte à côte en silence, étaient arrivés au fond de l’atelier. Jean avait cette timidité particulière aux natures sensibles et profondes ; venu tout simplement pour parler à l’ouvrière, il n’osait le lui dire, il trouvait maintenant sa démarche un peu insolite et cependant, trop franc pour jouer un rôle vis-à-vis d’elle sur le prétexte qu’il avait pris, il ne s’occupait nullement des machines et se sentait embarrassé. Pour la jeune fille, elle se tenait près de lui dans une attitude humble et douce, et quand elle relevait sur Jean ses grands yeux, on y voyait une expression d’attendrissement et de joie timide. Lorsque, à moins de retourner sur leurs pas, ils n’eurent plus d’espace devant eux, Jean s’appuya contre une des machines inactives, et elle s’arrêta de même à côté de lui.

— Je vois avec plaisir, lui dit-il, que vous avec quelque ouvrage. En ce moment, c’est malheureusement un privilége. Vous êtes sans doute une des meilleures ouvrières ?

Baptistine rougit et baissa les yeux.

— Oh ! dit-elle, il faut bien vivre !

Et ces mots furent suivis d’un long soupir.

Jean attribua cette tristesse à une sorte de honte qu’elle éprouvait d’être plus favorisée que ses compagnes. Ils parlèrent de la grève.

— Ça va finir, dit Baptistine ; la semaine prochaine, ils vont tous rentrer.

— Sans conditions ?

— Puisque les patrons ne veulent pas.

— Ce n’aura été dès lors qu’un mal inutile, que des misères de plus.

— Oui, ils auraient mieux fait de rester tranquilles.

— Eh quoi ! vous condamnez la résistance ? Mais peuvent-ils se soumettre à tout ? S’abandonner ?

— Je ne dis pas, seulement vous voyez qui arrive. Et ça ne peut pas être autrement. La grève fait du tort aux patrons, en ce qu’ils sont un peu moins riches ; mais tout de même ils ne manquent de rien, tandis que l’ouvrier, lui, ça le tue !

— Ah ? s’écria le jeune homme avec un geste de douleur.

Une expression poignante passa sur ses traits ; il baissa le front et se tut. Mais au travers de ce silence et de cette immobilité se devinait un grand tumulte intérieur, une protestation ardente. La jeune fille le regardait ainsi absorbé dans cette douleur dont elle devinait la cause ; elle le regardait avec une sorte d’adoration naïve et pieuse qui prit se prolongeant un caractère presque extatique, si bien que Jean, levant les yeux tout à coup. et la voyant ainsi comme prosternée devant lui, d’expression, sinon d’attitude, s’écria surpris :

— Qu’est-ce ? Que voulez-vous ?

Elle tressaillit et devint confuse. Il se remit lui-même et dit :

— Je croyais que vous me demandiez quelque chose.

— Non, dit-elle, je sais à quoi vous pensez ; j’aurais seulement voulu vous entendre.

— Vous savez à quoi je pense, Baptistine ?

— Oui, depuis l’autre jour, je vous connais. Vous souffrez du mal des autres, vous. Vous ne ressemblez à aucun autre que j’aie jamais vu.

Elle joignit les mains ; sa voix tremblait et ses yeux. étaient pleins de larmes.

— Heureusement, dit Jean, je ne suis pas le seul à penser ainsi ; mais ils sont rares, en effet, ceux qui se préoccupent de justice. Les mots que vous m’avez dits tout à l’heure : « La grève fait tort au patron, elle tue l’ouvrier, » m’ont fait sentir plus fortement la pesanteur de cette chaîne dont tant de gens prétentent nier l’existence. Je regardais l’histoire, ce spectacle désolant de l’homme toujours opprimé par l’homme, et je comparais les temps. L’esclave participait à l’abondance du maître ; il était nourri, logé, ménagé comme une valeur. L’ouvrier, en échange de sa misère, a-t-il du moins la possession de son âme ? Non, hélas ! la misère est de toutes les chaînes la plus sûre et la plus hypocrite, puisqu’elle se cache sous le vêtement de la liberté. L’esclave d’aujourd’hui ne craint plus les verges, mais la mort les remplace.

En achevant ces mots, le jeune homme frémit, et le même frémissement sembla parcourir le corps de Baptistine, qui, toute vibrante, tenait les yeux attachés sur lui.

— Vous connaissez tout ce qui s’est passé dans le monde autrefois ? demanda-t-elle d’une voix entrecoupée.

— Généralement, oui.

— Nous ne savons rien, nous. Ah ! que je voudrais étudier !

Elle dit cela d’une ardeur si sérieuse et avec un tel regard, que Jean en fut saisi. Il s’écria :

— Je vous prêterai des livres.

Mais la jeune fille baissa les yeux tristement :

— Je ne sais pas lire.

— Pauvre !… pauvre enfant ! murmura-t-il.

Et ne sachant comment lui témoigner la tendre et respectueuse pitié qui en ce moment lui remplit le cœur, il prit la petite main rude et rouge de l’ouvrière et, s’inclinant, y posa les lèvres. Quand il releva la tête, leurs regards se confondirent, et ils demeurèrent un instant sans se parler. Qui les eût vus aurait cru sûrement à une scène d’amour : ils n’y pensaient pas. Cette marque de respect était la première que Baptistine eût reçue. Deux larmes coulèrent sur ses joues, et un tremblement nerveux la saisit. Jean pensa qu’il devait partir ; mais il voulait revoir Baptistine, lui être utile, et il le lui dit simplement en lui demandant où ils pourraient se rencontrer. Elle parut indécise.

— Oh ! dit-elle, pas où je loge, c’est trop vilain. Ici ?… non plus à cause des autres… Mon Dieu !… C’est que je suis toute seule, voyez-vous ; et je n’ai pas même… Tenez, le dimanche, quelquefois, je vais sur la route, après trois heures, à côté de chez votre oncle… Mais s’il nous rencontrait ! s’écria-t-elle avec terreur.

Quand ils rentrèrent dans le premier atelier, sous les regards ironiques, effrontés, moqueurs qui les saisirent. dès le seuil, Jean, si candide fût-il, rougit et sentit amèrement la crainte de compromettre cette pauvre fille. Il revint chez son oncle en songeant à cette misère, à ces facultés enfouies, à cette nature élevée, enthousiaste, si cruellement étouffée, et il se sentait un besoin ardent de l’aider à prendre quelque essor, à goûter un peu de bonheur. Au travers de ce désir, la pensée que de bas soupçons s’attachaient à leur jeunesse, à leur enthousiasme même, l’importunait péniblement. Et cependant, malgré la douleur que lui causaient ces douleurs humaines, qu’il découvrait chaque jour plus vastes et plus profondes, et dont la misère de cette jeune fille n’était qu’une bien faible part, une joie pure, intime, secrète, l’animait, le rendait plus léger, plus fort et donnait à sa démarche de l’alacrité. Jamais encore, malgré tout, il ne s’était senti au cœur tant d’émotion vive et tant d’espoir.

Il eut bientôt formé un plan qui, en écartant les interprétations fâcheuses, lui permettrait d’être utile à Baptistine et à quelques-unes de ses compagnes. C’était de fonder chez son oncle même une classe d’adultes. pour les ouvrières, dont Maximilie serait la directrice et lui professeur-adjoint. Il ne doutait pas de la bonne volonté. de sa cousine, et se hâta, dès qu’ils furent seuls, de lui peindre l’ignorance de ces pauvres filles, leur désir de savoir. Il organisait l’école à grands traits, quand ses regards tombèrent sur le visage adorablement étonné, doucement railleur de Maximilie.

— Bon Dieu ! s’écria-t-elle en riant, Johann, quelles idées étranges tu as toujours ! Comment ! tu veux me faire maîtresse d’école, moi ! de ces ouvrières ? Ce serait bien drôle !

— Et pourquoi ?

— Dame ! je ne sais pas, moi ; mais je l’assure que ça paraîtrait bien étonnant.

— Pourquoi ? répéta-t-il.

— Parce que… ça ne se fait pas. Que ne vont-elles tout bonnement à l’école primaire ?

Jean alors dut expliquer à cette jeune fille, qui gaspillait en chiffons des milliers de francs, qu’une pièce de cinq francs par mois, de trois francs même, pouvait constituer une barrière infranchissable entre la science et le pauvre. Il essaya de lui faire comprendre la valeur de leçons intelligentes et bien données, s’efforça de lui faire sentir qu’elle devait à ces sœurs malheureuses plus que de l’argent… Il ne vit point disparaître du visage de Maximilie cette expression de surprise et de répugnances qui s’y était marquée dès l’abord.

— Mais, mon cher ami, objectait la gentille enfant, à quoi bon apprendre quelque chose à ces pauvres filles ? Cela ne peut leur servir à rien. Dans cette classe-là, on n’a pas besoin d’instruction.

Maximilie en ceci était logique ou du moins fidèle à toute son éducation. Et ce n’était point de sa faute, en vérité, si elle trouvait son cousin bizarre. Elle eût pu le trouver inconvenant. Elle avait reçu l’instruction au même titre qu’elle lui avait été donnée, comme une convenance de situation. Elle ne faisait que répéter en ceci la pensée de son père, de sa mère, de ses institutrices même, et comme, de cette instruction superficielle et sans but, toute application, toute utilité avait été soigneusement extraite, la jeune fille ne pouvait en effet la considérer que comme une pure formalité de bonne compagnie. À ce point de vue, non-seulement elle ne voyait pas qu’il fat utile d’instruire des ouvrières, mais cela devait lui paraître une choquante excentricité. Jean put mesurer en cette occasion tout ce que renferme d’ignorance et d’irréflexion l’égoïsme des femmes heureuses. Désespérant de vaincre par ses propres arguments. Il invoqua l’autorité de Georges.

Quoi ! vraiment ? lui aussi, Georges eût désiré cela ? Elle n’hésita plus.

En face de cette conversion subite, c’eût été l’occasion, pour un moraliste de nos jours, de s’écrier : La femme n’est qu’amour ! Cela prouvait simplement qu’en l’absence d’une conviction raisonnée, dont la société actuelle refuse les éléments à la femme aussi bien qu’au peuple, c’est l’amour seul, foi aveugle, qui peut agir.

Mais il fallait encore permission de monsieur et madame Brafort. Maximilie la demanda, de son ton mutin, plus curieuse qu’inquiète de la réponse. Du côté de madame Brafort, ce fut une surprise glacée. Quoi ! Mademoiselle Brafort se mêler à ces ouvrières ? Y pensait-on ? Ce n’était pas convenable. Même objection encore : ces femmes-là n’avaient pas besoin de savoir lire.

Assurément Eugénie avait complètement oublié le cinquième étage de la rue des Ursulines ou la caserne de la rue Mouffetard, quand, épouse du garde municipal, elle grimpait haletante les escaliers, chargée des provisions du ménage, d’un paquet de linge ou d’un seau d’eau. Y avait-il donc si loin alors de madame Brafort à ces ouvrières ? et l’avenir de Maximilie n’était-il pas alors le travail ?

Mais c’étaient là de ces souvenirs qu’on met à la porte dans ce triage naïf que fait l’homme des éléments de sa propre vie. Confiant ceux-ci, anéantissant ceux-là, Jean-Baptiste Brafort, disons-le, n’avait pas été tout à fait ingrat à l’égard de ses buffleteries. Non, il se rappelait toujours de quel sacerdoce elles l’avaient investi, et combien son cœur avait battu, sous ses nobles lanières ; aussi les conservait-il soigneusement au fond d’une armoire. Mais, il faut l’avouer, ce pieux souvenir n’était pas exempt de faiblesse : l’armoire servait de cachette autant que d’asile, et il avait été soigneusement interdit aux deux enfants, dans les premiers temps, de parler du grand sabre et du bonnet à poil de papa.

L’homme est ainsi fait que dans la fortune, il oublie ses abaissements passés, et que dans l’abaissement, il ne se souvient que de sa fortune.

La réponse d’Eugénie à la proposition de Jean, fut donc à la fois négative et dédaigneuse ; celle de Brafort fut un cri d’horreur. — Quoi donc ! des rapports entre sa fille, sa fille à lui, et ces… ces filles qui… qui étaient aussi à lui, et précisément pour cela !… Quelle profanation ! Il en bondit au plafond, et jamais on n’eut pu croire que la chasteté avait de tels ressorts dans cet homme ; car c’était de son respect pour la chasteté que venait surtout son indignation. Comment ! sa fille, une perle d’innocence, elle ne pouvait être autrement, et ces drôlesses, que mieux que personne il connaissait bien ! Il n’exprima ces pensées qu’avec réticence ; mais, fixant sur son neveu des yeux flamboyants, il déclara qu’une pareille idée ne pouvait être sortie que d’un cerveau fêlé par les théories. Ah ! les théories ! Depuis la grève, elles en voyaient de rudes chaque jour ! C’en était à conclure que l’action provenait assurément d’une autre source que la conception intellectuelle, puisque cette invention maudite, la théorie, ne pouvait aboutir qu’à des non-sens, puisque ces deux choses, la pratique et la théorie, se trouvaient, au moins dans les discours de Brafort, en antagonisme constant ! n’était pas le seul d’ailleurs.

C’était une conviction générale parmi les manufacturiers de R…, comme chez les bourgeois de bien d’autres lieux, que la théorie et la pratique étaient deux principes opposés, comme l’eau et le feu, l’Ormuzd et l’Ahriman des choses de ce monde : Ahriman la théorie, Ormuzd la pratique, la bonne et commode pratique, lit ouaté de la routine, où l’on dort si bien, quand on a su s’y bien arranger.

Il fallut donc que Jean renonçât à son projet, et ce ne fut pas sans tristesse ; il revoyait toujours l’œil ardent et rêveur de Baptistine s’écriant : Je voudrais savoir !… Ne pourrait-il donc l’aider, cette pauvre enfant, à remonter du fond de l’abîme vers les hauteurs où la poussait son instinct ? Il s’affligeait à ce sujet de l’insouciance de Maximilie. Certes, elle n’y avait pas mis de mauvaise volonté et le faisait bien valoir ; mais au fond, elle ne semblait pas fâchée de rester quitte d’un tel souci, avec le bénéfice des bonnes intentions.

— Quand elle sera la femme de Georges, se disait Jean, il lui fera mieux que moi comprendre et aimer la vérité.

En attendant, il supportait avec une indulgence paternelle, tristement toutefois, ces défauts que l’éducation et l’entourage avaient donnés à sa cousine, cette frivolité, cette coquetterie, qu’il s’étonnait de lui voir encore, après qu’elle s’était engagée avec son ami. Aux yeux de Jean, la femme de Georges avait pour obligation d’être parfaite ; mais il aimait trop Maximilie pour ne pas croire qu’elle pouvait le devenir. Dès qu’ils étaient seuls ensemble, ils mettaient à parler de Georges un empressement égal, et l’expression du visage de la jeune fille, sa rougeur, son émotion, montraient assez qu’elle aimait éperdûment, sincèrement, le jeune et bel exilé. Mais, en même temps, comment pouvait-elle recevoir avec tant d’intérêt, de bonne grâce, les hommages d’autres jeunes gens, et surtout de ce monsieur de Labroie, lion impertinent et fané, qui, depuis sa première visite, régnait véritablement dans la maison, tant Brafort avait pour lui d’empressement obséquieux ; madame Brafort, d’attention et de prévenances, et Maximilie d’amabilité ? On l’appelait monsieur le baron ; il venait dîner deux fois par semaine, et chantait avec Maximilie des duos d’amour.

— Toutes ces demoiselles en font autant, répondait-elle souriante aux observations de son cousin.

— Quoi ! ce mot : je t’aime, que tu n’as pas dit à Georges, peut-être tu le dis à ce monsieur.

— Je le lui chante, répliquait-elle en riant.

— Mais il te fait la cour, mon enfant, il me semble, et je ne serais pas surpris qu’il te demandât en mariage.

— Tu crois ? Oh ! que je le voudrais ! Songe donc un baron !

— Petite folle, et si ton père l’acceptait…

— Georges aussi est noble, dit-elle en hochant sa tête blonde avec orgueil.

— Que t’importe ? L’aimerais-tu moins, s’il portait un autre nom ?

— Je l’aimerais autant ; mais je suis bien aise qu’il soit noble, et je voudrais qu’il fût comte, marquis, duc, afin d’être supérieur en tout à monsieur de Labroie.

— Enfant ! Mais à ta place je découragerais ce baron ; car, si ton père…

— Bah ! je dirais à papa que je ne l’aime pas, voilà tout.

Et Maximilie paraissait si insoucieuse des suites d’un pareil incident que Jean, lui aussi, se rassurait. Bientôt ces espérances furent exaltées par une excellente nouvelle : Georges venait d’être nommé ingénieur en chef du chemin de fer de Lyon-Mediterrannée. C’était une place de dix mille francs. Il le devait à l’un des administrateurs de la compagnie, ancien ami de son père. Ivre de joie, Georges annonçait son prochain retour à R…, où il voulait solliciter lui-même la main de Maximilie et préparer la démarche officielle de sa mère.

Il vint, fut reçu cordialement par Brafort et, sur l’annonce de sa position, avec une considération toute nouvelle. Après un rapide, mais délicieux tête-à-tête des deux amants, Georges risqua sa demande. Brafort parut embarrassé, indécis ; il remercia de l’honneur…, protesta de ses sympathies pour Georges, exprima gauchement le regret qu’il n’eût pas avec sa place une fortune toute faite, et finalement déclara que sa fille était bien jeune. et qu’il ne pouvait encore… Enfin un refus poli. Ce fut vainement que Georges insista. Au travers des réticences de Brafort, il lui sembla démêler des visées secrètes, encore incertaines. Désespéré, au sortir de cet entretien, le jeune amant, sous prétexte d’aller prendre congé de madame Brafort, courut près d’elle dans le fol espoir de trouver en elle un appui. Aux premiers mots de sa confidence, Eugénie se trouva mal. Georges appela Maximilie, qui faisait semblant d’étudier son piano dans la pièce voisine, accourut.

— Votre père a refusé, lui jeta Georges, tout pâle. Elle poussa un cri, lui laissa sa mère entre les bras, et courut trouver son père, qu’elle rencontra dans le corridor.

— Papa, s’écria-t-elle, j’aime monsieur Georges d’Eriblac, et je mourrai de chagrin, si je ne suis pas sa femme.

Brafort faillit suffoquer.

— Mademoiselle, dit-il avec majesté, montez à votre chambre, et restez-y jusqu’à ce que je vous permette d’en descendre.

Et comme elle n’obéissait pas à cet ordre, pleurant, suppliant, répétant qu’elle aimait Georges et ne serait jamais la femme d’aucun autre, son père, enflammé de colère, la prit par le bras, lui fit monter l’escalier, et la renferma dans sa chambre, dont il prit la clef. Quand il redescendit, Eugénie reprenait ses sens. La présence des domestiques empêcha Brafort d’éclater en reproches à l’égard de Georges, et presque aussitôt, le jeune homme au désespoir dut partir.

On devinerait difficilement peut-être la cause de la pâmoison de madame Brafort, si elle-même ne s’était hâtée de l’expliquer à son mari, dès que, — après avoir versé d’abondantes larmes, — elle fut en état de parler. C’était un saisissement causé par l’affection maternelle, à l’idée que sa fille pouvait déjà se séparer d’elle et porter ailleurs sa tendresse. L’âme des femmes inoccupées a de ces violences de sentiment bien respectables ! Eugénie cependant resta fidèle à ses habitudes de rêverie solitaire et à son rôle effacé, pendant toute la crise dont cet épisode ne fut que le début. On la vit pleurer silencieusement, elle eut même la fièvre et garda la chambre ; mais on ne la vit point embrasser sa fille et rechercher ses confidences, ni s’efforcer de la consoler ou de la ramener à d’autres résolutions. Elle sentait sans doute son peu d’influence ; les enfants, — individus ou nations, — se rangent toujours instinctivement du côté de la force, et Maximilie accordait bien à sa mère son affection, mais sa confiance nullement. Favorite de son père, elle avait même beaucoup contribué, sans y penser, à abaisser de plus en plus le rôle de sa mère, et c’était elle qui, dans la plupart des cas, gouvernait par délégation, selon la logique des monarchies, comme tout favori de roi.

Madame Brafort, quel que fût son motif, laissa donc aux prises ces deux pouvoirs, sans essayer de s’entremettre dans leurs discussions. Jean fit de même dans l’intérêt des deux amants, car il savait bien qu’en plaidant leur cause il l’eût perdue. Il obtint même de Georges qu’il retournât immédiatement à Paris. C’était Maximilie qui devait soutenir la lutte, elle seule pouvait le faire avec avantage. Elle y était résolue, et put, grâce à l’entremise de Jean, envoyer à Georges les assurances répétées d’un amour éternel.

Il s’agissait maintenant de savoir qui l’emporterait de cette enfant gâtée, mais jusque-là soumise, ou de ce père, aussi pénétré que le fut oncques patriarche, du sentiment de son droit absolu. Maximilie pour elle avait l’amour ; mais Brafort avait la foi, et, l’histoire de toutes les religions l’atteste, le dogme est l’adversaire presque toujours triomphant du sentiment. Maximilie, grâce à la tendresse que son père avait pour elle, pouvait, il est vrai, le faire souffrir, et, sentant cela comme tous les enfants, elle n’avait garde d’y vouloir manquer ; mais Brafort d’autre part, avait son héroïsme, et une fois déjà il avait montré qu’il pouvait tout sacrifier pour l’honneur. Or, comme père, son honneur était de ne point céder ; comme industriel et comme parvenu, son désir, son orgueil, étaient de marier sa fille à un millionnaire titré.

L’un et l’autre s’engagèrent dans la lutte résolûment, avec une tension d’autant plus ardente qu’au fond tous deux la redoutaient. Maximilie se confina volontairement dans la chambre où son père l’avait renfermée, refusa sa liberté, renvoya les aliments qu’on lui fit porter, et ne répondit aux reproches, aux menaces et aux objurgations de son père que par la déclaration répétée de son amour éternel pour Georges. Brafort fut sublime :

— Et moi, je t’ordonne de ne plus l’aimer !

— Tu ne peux rien sur mon cœur, répondit-elle.

Rien n’irrite le despotisme plus qu’un tel défi, qui touche le point vulnérable. C’est alors qu’il frappe, furieux, le corps palpable et sensible, espérant atteindre la flamme secrète qui brûle dans ses profondeurs. Tout despote contient un brutal. Maximilie sentit la main paternelle, si douce auparavant, la briser et la meurtrir. Il s’ensuivit une scène d’une violence extrême, où furent échangées des paroles cruelles.

— Je la tuerais ! s’écria Brafort en s’enfuyant, et l’enfant demeura brisée, aveuglée de larmes, suffoquée de sanglots, se disant, ce qu’on dit si facilement quand on est jeune, qu’elle voulait mourir.

Comme un autre terrain, l’instinct humain fournit, selon la semence, telle ou telle végétation. La dépendance y produit la ruse, comme ailleurs de l’humidité naît la moisissure. On accuse la femme d’être rusée ; elle ne saurait ne pas l’être ; mais, à moins de dispositions spéciales cependant, les ruses de la jeune fille sont naïves comme elle, et aussi peu expérimentées. Maximilie à l’ordinaire savait à merveille, par ses caresses et ses boutades, dérider le front de son père, lui arracher un consentement, réaliser, ébaucher du moins cet idéal de domination par la grâce et par l’attrait, offert à la femme. Dans l’amour dans la confiance, cela lui était facile, et, à l’égard de l’autorité paternelle, au fond si tendre, presque naturel ; mais, quand elle se vit si rudement frappée dans son amour, dans sa personnalité, elle n’éprouva plus que ressentiment, indignation, et n’imagina rien, dans l’exaltation de ses sentiments, que de l’emporter de haute lutte.

C’était faire fausse route absolument, vu le caractère de son père. Il ne se fût jamais permis d’humilier son autorité, l’eût-il désiré ardemment, aussi longtemps qu’il l’eût vue bravée.

Cette lutte âpre et cruelle se prolongea donc pendant plusieurs jours sans issue. La nature heureusement en fournit une : la jeune fille tomba malade. Le médecin exagéra le danger, par habitude, sans se douter de la bonne action qu’il commettait, et Brafort put sans honte. et sans faiblesse venir s’asseoir au chevet de sa fille, la veiller et la soigner, disputant ce rôle à la nerveuse et dolente Eugénie. Cela ne put durer longtemps sans que le père et la fille se trouvassent pleurant dans les bras l’un de l’autre. La situation était sauvée : Maximilie ne tarda pas à se rétablir.

Maintenant elle pouvait combattre par ses moyens ordinaires, les seuls admis dans le royaume, caresses, pleurs discrets, douces insinuations, pression lente, mais continue. Brafort avait au fond toute la tendresse d’un bon père, et il avait racheté, par de vifs remords intérieurs, sa violence envers sa fille. Il ne fût jamais excusé, mais son bonheur d’être pardonné fut profond.

Tout cela pourtant n’allait point jusqu’à vouloir Georges pour gendre, et il interrogea même sa fille « adroitement » au sujet des assiduités de monsieur de Labroie, qui venait ou envoyait prendre tous les jours des nouvelles de mademoiselle Brafort. La réponse énergique et dédaigneuse de Maximilie sembla sur ce point anéantir tout espoir, et d’ailleurs monsieur de Labroie n’avait pas jusque-là formulé ses intentions, et l’on pouvait hésiter à croire. que le descendant d’une si grande maison voulût épouser la petite-fille d’un garde champêtre, ancien hallebardier d’un de ses cousins.

Une autre considération augmenta les chances heureuses des deux amants. Si les intentions de monsieur de Labroie étaient douteuses, celles de madame Brafort ne l’étaient pas. Dans une de ces conversations avec sa femme où Brafort daignait s’épancher quelquefois, Eugénie se prononça vivement contre Georges d’Eriblac. Pourquoi ? — Il ne lui plaisait pas. C’est tout ce qu’elle put alléguer d’un ton ému, avec des joues empourprées par la vivacité de son impression. Caprice de femme ! Et c’était de ces choses que Brafort aimait à dominer de son omnipotence. Sans doute, il n’aurait pas choisi un prétendant par le seul motif qu’il ne plaisait pas à sa femme ; mais la perspective d’un conflit de ce genre, où il eût triomphé par les droits que la loi donne au père seul, ne lui eût certes pas déplu, et, toujours par suite de ce sentiment secret, l’appui de madame Brafort n’aurait pu être que défavorable. Enfin, n’éprouvons-nous pas tous, plus ou moins, le besoin de réagir contre le jugement d’autrui ? Brafort ne put s’empêcher, en y réfléchissant, de trouver que sa femme était injuste pour Georges. N’était ce pas un beau garçon, bien bâti, robuste, franc d’allures, aimable et gai ? N’avait-il pas à on nom cette particule, objet à la fois de courroux et d’envie pour la vanité bourgeoise ? N’était-il pas le protégé d’un grand personnage et par conséquent riche d’avenir ? Maximilie fit si bien valoir ces deux derniers points, qu’après huit jours de maladie et huit jours de convalescence, la situation avait fort changé.

La fillette n’eut garde de se rétablir trop tôt ; elle eut même le courage, pour conserver l’intéressante pâleur qui touchait son père, de résister aux sollicitations de son estomac et de comprimer la vie qui reprenait en elle son essor avec la fougue de dix-huit printemps. Enfin, après bien des soupirs, des larmes versées à propos, des mots étouffés et même quelques pâmoisons (rien de plus dangereux pour le mari que l’éducation donnée par de tels pères), le grand mot fut lâché :

— Je ne suis pas un père barbare, et s’il m’est prouvé que tu ne peux être heureuse qu’avec monsieur d’Eriblac…

Le reste de la phrase fut étouffée de baisers. Le moyen de reprendre ensuite ce demi-consentement ? Un mois environ après son départ, Georges reçut de son ami une lettre qui le rappelait et qui invitait madame d’Eriblac à venir faire la demande officielle.

Il était bien heureux, Jean, d’un tel succès ; mais précédemment que de tristesses l’avaient accablé. D’abord Brassard et ses compagnons avaient été condamnés à plusieurs mois de prison, condamnés pour avoir défendu leur propre droit, sans aucune sérieuse violence, condamnés par haine et non par justice. D’un autre côté, maintenant que Brafort était amplement rassuré sur les sentiments réciproques de sa fille et de son neveu, il désirait plus que jamais garder Jean dans son usine pour y diriger de grandes améliorations ; mais il prétendait en même temps faire du jeune homme l’agent de son impérieuse domination sur les ouvriers, le vice-roi de sa monarchie, l’engager enfin dans des conditions morales inacceptables pour lui. De là des discussions irritantes, des scènes emportées, des reproches odieux. Jean eût désiré, de tout son pouvoir, être utile à son oncle : son orgueil, encore plus que son cœur, en avait besoin ; mais, sans prétendre changer les décisions du fabricant, il ne pouvait s’en rendre solidaire, et accepter ce rôle d’alter ego que, suivant Brafort, tout neveu bien. né devait naturellement remplir.

Toutefois, dans l’accord et la joie qui succédèrent au consentement accordé, ces dissidences furent suspendues. Maximilie rayonnait de bonheur et témoignait à son père une ardente reconnaissance ; Brafort, touché de cette joie, de ces caresses, laissait peu à peu s’évaporer ses derniers regrets, et, avec cette facilité qu’a l’esprit humain de trouver divers avantages en des conditions diverses, il pensait à part lui qu’un mariage d’amour n’apporte point de difficultés au contrat, qu’il pourrait par conséquent ne donner à sa fille qu’une faible dot et tenir le jeune ménage dans la dépendance de ses largesses. Ainsi la vanité ne cédait qu’au profit de l’avarice.

C’est de nos défauts surtout que le mot est vrai : Rien ne se perd.

En réponse à la lettre de Jean, ce fut Georges qui vint lui-même. Il délirait de joie, et son effusion déconcerta l’accueil un peu rogue de Brafort ; tandis qu’Eugénie, en recevant de lui le nom de mère, ne put retenir de nouvelles larmes. Cependant elle paraissait résignée au mariage de sa fille et accablait celle-ci de tendresses mêlées à de longs soupirs.

— Monsieur, dit Brafort, — et cette fois Georges, vivement ému, le trouva solennel pour tout de bon, — monsieur, j’ai un reproche sérieux à vous faire : vous deviez, avant de parler à ma fille, vous assurer de mes propres intentions ; cependant je sais ce qu’il faut pardonner à la jeunesse, et ma fille a gagné votre cause. J’avoue que j’avais rêvé pour elle un parti plus avantageux sous le rapport de la fortune ; mais, d’après tout ce que je sais de vous depuis votre liaison avec mon neveu, vous êtes un garçon de talent et d’avenir ; vous avez un nom, des protections. Enfin j’espère que vous tiendrez à honneur de justifier ma confiance. J’ai fait une fortune rapide, monsieur ; je suis fils de mes œuvres et je n’en rougis pas. Je veux que ma fille soit heureuse et riche ; je continuerai de travailler pour elle. Vous, vous serez chargé de son bonheur.

Cette dernière phrase avait été trouvée d’avance ; le tout fut débité avec un mélange de bonhomie et de majesté qui émut Brafort lui-même.

Qui eût pu douter du bonheur de Maximilie et de la sincérité de Georges à l’accent dont il déclare qu’il acceptait cette tâche ?

— Et maintenant, reprit Brafort en redoublant de solennité, vous avez pu autrefois, je le vois bien, avoir des entretiens avec ma fille en dehors de notre surveillance ; l’intimité de la campagne a pu permettre cette imprudence, quand je ne me doutais nullement de vos intentions. Mais à présent, monsieur, que vous êtes le fiancé de Maximilie, je pense que vous comprendrez que vous ne devez avoir aucune conversation ensemble que sous mes yeux ou ceux de madame Brafort.

Georges resta interdit.

— Je pensais, monsieur, qu’au contraire… un pareil titre m’autorisait…

— Allons donc ! monsieur, allons donc ! Et les convenances ? Quand j’ai mené à l’autel madame Brafort, je ne lui avais jamais parlé que devant son père, et encore si peu que je connaissais à peine le son de sa voix. C’est ainsi, monsieur, qu’on respecte l’honneur de sa fiancée ; vous aurez assez le temps de causer quand vous serez mariés.

Ce n’était pas le moment d’une discussion : Georges s’inclina. Heureusement ils avaient eu déjà le temps de s’entendre, et les beaux yeux humides et rayonnants de Maximilie, d’un seul regard, en disaient bien long. Puis Brafort n’était pas toujours là, et madame Brafort, quand ils jouaient devant elle ce jeu timide et charmant des amoureux surveillés, paroles entrecoupées, réticences comprises, regards voilés, serrements de mains furtifs, poussait parfois l’indulgence jusqu’à se lever et sortir ; et alors Georges, dont les idées sur ce point étaient précisément opposées à celles de son futur beau-père, et qui, fort de ses droits de fiancé, abdiquait sa loyale réserve des premiers temps, Georges laissait éclater sa passion en paroles ardentes, en baisers brûlants. N’était-elle pas à lui deux fois, cette charmante fille qu’il adorait, et pour lui avoir donné son cœur et pour avoir triomphé de la volonté contraire de ses parents ?

Ce temps fut court d’ailleurs ; Georges n’avait précédé sa mère que de trois ou quatre jours. Cette mère, sans doute aussi naïve que son fils, ignorait combien l’empressement nuit vis-à-vis de certains calculs. Brafort, qui, dans son rêve de faire Maximilie baronne de Labroie, s’était demandé avec inquiétude si deux cent mille francs de dot seraient bien à la hauteur d’une telle alliance, du premier coup, avait pour Georges réduit ce chiffre à cent mille. En apprenant avec quelle promptitude madame d’Eriblac suivait son fils, il se dit que ces gens-là ne demandaient qu’à conclure, et retrancha dix mille francs. Finalement, il convint avec lui-même que quatre-vingt mille francs suffiraient.

Le jour fixé pour l’arrivée de madame d’Eriblac, Georges et Jean l’allèrent chercher à la gare. On l’attendait dans le grand salon, où le feu avait été allumé, car on entrait en novembre, et, pour cette solennité, les housses avaient été enlevées, ainsi que les gazes de la pendule et des vases ; les fleurs de la serre s’épanouissaient sur la cheminée et dans la jardinière. Maximilie, gracieusement parée, demi-rose d’amour et demi-pâle d’émotion, attendait, le cœur palpitant, cette nouvelle maman que Georges déjà lui avait fait aimer. Madame Brafort, épanouie de fraîcheur et d’embonpoint, soupirait sous ses dentelles ; Braford, en habit, le ruban rouge à la boutonnière et les mains derrière le dos, allait et venait, passant toutes choses en revue et regardant la pendule fréquemment. Enfin, le roulement de la voiture se fit entendre, la grille s’ouvrit, et Brafort courut recevoir la visiteuse au bas du perron.

Il vit descendre une femme vêtue de noir, dont un voile cachait en partie les traits, et qui, saluant, lui dit d’un ton noble et simple :

— Vous savez déjà, monsieur, que je suis heureuse de pouvoir vous serrer la main.

Brafort s’embrouilla dans sa réponse ; la voix, l’air et la tournure de cette femme lui causaient une impression étrange, et remuaient il ne savait plus quels souvenirs. Il l’introduisit dans le salon et lui présenta sa femme et sa fille. Madame d’Eriblac demanda tendrement à Maximilie la permission de l’embrasser ; puis on fit asseoir la visiteuse dans un fauteuil, au coin du feu. Le jour des deux fenêtres tombait sur son visage ; elle avait relevé son voile, et Brafort, placé en face d’elle, la considérait d’un air étrangement agité.

On parla de Paris, de R…, du Midi et du Nord, avec cette sorte de pudeur qui fait que nous n’abordons les questions qui nous touchent le plus que par une pente : insensible ou une transition accidentelle ; on se taisait encore sur le grand objet de la préoccupation générale. En examinant la future belle-mère de sa fille, madame Brafort se disait : « C’est une femme distinguée, » et, dans ce cœur ulcéré déjà, une amertume jalouse entrait en lutte avec la vanité satisfaite.

Depuis un moment, Brafort, muet, rouge, les yeux roulants, semblait étouffer. Était-ce l’émotion ou la chaleur ?

— Madame, s’écria-t-il tout à coup, vous ressemblez étrangement à une personne que j’ai… rencontrée dans ma vie… Tu sais, Eugénie, rue des Ursulines. Je me demandais… Oh !… c’est étonnant.

Il soupira bruyamment, comme s’il venait de monter une côte, et rougit encore davantage en attendant la réponse de madame d’Eriblac.

— C’est vrai, dit à son tour Eugénie ; je me rappelle à présent.

— Nous avons en effet habité rue des Ursulines, répondit madame d’Eriblac d’un ton calme et indifférent. C’était en… 1831, je pense. Mon fils avait alors huit ans à peu près… peu de temps après la mort de mon mari, ajouta-t-elle en soupirant.

— La mansarde, s’écria Georges, où nous avions en face de nous ce bonhomme ridicule à qui je causais des rages si bouffonnes par mes espiégleries d’écolier.

Il se tourna en riant vers Maximilie, qui, toute prête à trouver l’histoire charmante, lui souriait, quand ils virent se dresser devant eux Brafort, blême, les yeux injectés de sang, formidable et menaçant, comme serait une masse près de vous écraser.

Instinctivement, madame d’Eriblac poussa un cri étouffé.

— C’est donc vous cet indigne petit drôle, qui vous appeliez alors Georges Vanier ! cria Brafort d’une voix terrible. Ainsi, vous preniez un faux nom pour me tromper.

— Père ! gémit d’une voix faible Maximilie, qui, foudroyée, porta la main à son cœur.

— C’est aussi mon nom, monsieur, et nous ne portions alors que celui-là parce que… Recevez, monsieur, mes excuses…

— Ah !… je suis bien aise de vous retrouver, ah ! ah !… mon petit monsieur ! rira bien qui rira le dernier maintenant… Ah ! ah !…

— Monsieur, s’écria madame d’Eriblac en se levant. très-émue, vous ne pouvez attacher à ces enfantillages aucune importance… Georges était alors un enfant, il est maintenant un homme, et son respect pour vous… Elle attachait sur cet homme qui tenait le bonheur de son fils un regard suppliant, et forçait ses lèvres à un sourire que démentait sa pâleur.

— Ah ! vous croyez, mugit Brafort, vous croyez que je donnerai ma fille au fils d’une saint-simonienne, à un polisson dressé par vous à insulter les honnêtes gens, à piller les propriétés publiques, et certainement infatué des théories… Non ! non ! ma fille n’aura jamais pour belle-mère une femme qu’on a rencontrée dans des assemblées d’utopistes. Et vous, monsieur Georges Vanier, le bonhomme ridicule a bien l’honneur de vous saluer.

Madame Brafort, pétrifiée, gardait un silence pénible ; Georges était atterré. Un cri déchirant se fit entendre, et Maximilie, qui se levait, les mains étendues vers son père, tomba évanouie dans les bras de Jean. Seule, madame d’Eriblac luttait pour son fils avec le dévouement passionné d’une mère.

— Vous pouvez, monsieur, prendre des informations sur ma conduite, dit-elle avec douceur ; elle a toujours été sans reproches. J’allais à ces réunions avec mon mari ; vous ne pouvez me faire un crime d’avoir eu des croyances sincères et qui depuis d’ailleurs se sont modifiées… Ah ! c’est vrai, monsieur, Georges était un garçon bien turbulent autrefois, et je l’ai grondé beaucoup de ses folies, surtout en cette occasion-là… Mais on ne peut juger un homme sur ses étourderies d’enfant ; et maintenant, monsieur, vous le savez, c’est un garçon distingué, plein d’honneur, et que tout le monde estime, on a dû vous le dire. Ah ! monsieur Brafort, regardez-le, vous êtes bien vengé ! Vous lui avez fait beaucoup de mal, lui qui maintenant vous aime, vous honore…

— Oui ! monsieur, je suis désespéré ! dit Georges en s’adressant à Brafort, et veuillez accepter, je vous en supplie…

— Désespéré ? je le crois, monsieur, je le crois, répéta Brafort, pour des amateurs de théories sociales, c’était une jolie dot ; oui, vous devez être désespéré. Mais nous sommes des gens trop pratiques pour vous, monsieur, et ma fille n’aura pas l’honneur d’enrichir des gens de votre sorte. Ah ! ah ! ah ! Une belle affaire ! la femme et l’enfant aux marrons ! Dans quel guet-apens j’étais tombé, et comme je bénis la Providence !

Les paroles qui pour d’honnêtes gens closent tout débat venaient d’être prononcées. Le fils et la mère se regardèrent douloureusement, et, du même mouvement, se dirigèrent vers la porte. En passant près du groupe que formaient Maximilie, toujours évanouie, Jean et madame Brafort, ils saluèrent légèrement celle-ci, tendirent la main à Jean, et appuyèrent sur la jeune fille un regard navré, déchirant comme un adieu.

— C’est impossible ! s’écria Jean, c’est impossible ! Ne partez pas, mon oncle ne peut vouloir sacrifier ainsi…

Il abandonna Maximilie pour aller se jeter à genoux devant son oncle.

— Ne voyez-vous pas votre fille ? Vous la tuez, vous brisez ici deux vies, vous nous désespérez tous ! Vous souffrirez vous-même… Et pourquoi ? Est-il digne de vous ? Pour des motifs aussi misérables !… Oh ! rappelez-les, rappelez-les, je vous en conjure.

Il parla plus longtemps, invoquant, avec des accents pleins de force et de vérité, l’amour, la jeunesse, la douleur de ces deux êtres sacrifiés à un misérable orgueil ; il vit même un instant dans l’œil de son oncle le trouble de l’hésitation et de l’attendrissement ; mais Georges et madame d’Eriblac étaient sortis. En voyant sa fille rouvrir les yeux, Brafort se mit à pleurer : réaction d’une trop vive colère.

— Ma petite, lui dit-il, nous venons d’échapper à un grand danger. Tu as failli épouser l’insulteur de ton père ! Mais la jeune fille referma les yeux en écartant son père de la main. Alors il se remit à marcher dans le salon, se répandant en lamentations sur le malheur dont ils avaient failli être victimes, sur le danger de se fixer aux amitiés d’un jeune fou au cerveau plein d’extravagances, et jurant qu’il préférerait donner pour belle-mère à sa fille une prostituée plutôt qu’une femme qui allait, dans des assemblées d’hommes, se livrer à des théories insensées.

On emporta Maximilie dans sa chambre, où madame Brafort lui donna ses soins ; tandis que Jean courait sur les pas de ses amis et que Brafort allait refroidir ses sens dans le jardin. Au bout d’une heure de tours et de détours dans les allées, il se sentit en effet plus calme et finit par se féliciter complétement de ce qui s’était passé.

Car je m’étais laissé entraîner à une sottise, se dit-il, et je l’échappe belle, grâce à Dieu ! Moi, m’allier aux perturbateurs de l’ordre public, à des fauteurs d’idées !… Bah ! la petite se consolera. Nous attendrons un peu ; Je doublerai ma fortune et je la marierai à un pair de France.

Puis il pensa que, voulant un gendre conservateur, le meilleur moyen était d’allier la richesse à un grand nom, car ces choses et ces opinions se tiennent par un accord naturel, et croissent d’intensité en rapport à peu près égal, heureux effet des harmonies de ce monde. Il réfléchit que, ce projet de mariage n’ayant pas encore transpiré, la rupture n’aurait par conséquent aucun fâcheux effet dans le monde. Il se réjouit de sa prudence et termina ce soliloque en convenant qu’il eût bien mieux fait de ne pas se rendre aux instances de sa fille et de suivre son premier mouvement. Il avait toujours incliné à penser que ce premier mouvement était supérieur chez lui en sagesse et en prévisions secrètes à celui des autres. Il n’en douta plus, et se promit de toujours le suivre désormais.