Le Siècle (série 45p. 255-259).
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VIII

JUILLET.

Au milieu de toutes ces préoccupations, Brafort ne trouvait plus le temps de lire les journaux et avait parfaitement abandonné le souci des affaires publiques. Il professait même, — car il a toujours aimé à formuler en aphorismes ses goûts et ses habitudes, — qu’un bon commerçant doit se renfermer dans sa partie et n’a pas besoin de politique.

— Chacun son métier, ajoutait-il ; les vaches seront mieux gardées.

Par une étouffante après-midi de juillet, le 26, il prit une voiture pour se rendre chez son notaire, où il devait signer un traité concernant un emprunt de cinquante mille francs. Il trouva l’étude presque abandonnée ; le patron était absent, et deux ou trois clercs, au lieu de travailler, causaient d’un air agité. L’un d’eux répondit à Brafort, d’un ton distrait, qu’il était impossible de traiter aucune affaire, et qu’il voulut bien repasser, Brafort se plaignit, se fâcha même, et n’obtint en réponse que des quolibets qu’il ne comprit pas. S’en revenant à pied, il remarqua une agitation inaccoutumée : des gens qui semblaient surexcités couraient çà et là, d’autres s’abordaient d’un air sombre ou d’un visage effaré. Brafort s’approcha d’un passant de bonne mine qui, à la manière dont il observait, semblait au fait, et lui adressant la parole :

— Qu’y a-t-il donc, monsieur ? Serait ce un incendie ou bien…

— Précisément, monsieur, répondit l’inconnu ; vous avez deviné, c’est un incendie. Le roi lui-même a daigné fournir le brandon et les gens que vous voyez là courir sont occupés à souffler dessus.

Brafort demeura tout ébahi, ne comprenant rien à cette explication bizarre. Comme il se trouvait à peu de distance du Courrier français, dont Maxime depuis quelque temps était devenu l’un des rédacteurs assidus, il imagina de s’y rendre ; mais, dès les premiers pas qu’il fit dans la rue, il vit, au milieu d’un groupe arrêté sur le trottoir, Maxime qui parlait fort vivement :

— Être ou ne pas être, s’écriait-il, voilà la question qui nous est posée, et c’est à nous de la résoudre pour ou contre nous. Quant à moi, qui n’aime pas plus qu’un autre à me compromettre, je suis bien décidé à jouer le tout pour le tout.

— La force est contre nous, dit un des interlocuteurs de Maxime.

— Il faut la mettre pour nous, soulever le peuple…

— Y pensez-vous ?

— Parbleu ! ce n’est pas dangereux comme vous le croyez. N’avez-vous jamais vu de lions fouettés par leur dompteurs ? Si le peuple est une bête féroce, c’est précisément pour cela qu’il se laisse museler, parce que, de même que les lions, il ignore sa force et ne sait pas diriger sa volonté.

— Soit, mais une fois la muselière ôtée…

— On la lui remettra quand il sera temps.

— Si l’on peut.

— Rien de plus facile. Une ou deux bonnes lois et, au hesoin, des canons… La force morale, quoi qu’on a pense, est tout en ce monde ; tant que le peuple sera ignorant, il sera gouvernable et gouverné.

— Vous oubliez 93.

— 93 eut des chefs nobles et bourgeois. Mais la noblesse n’est plus, et il s’agit, non de conquérir nos priviléges, mais de les défendre aujourd’hui contre le roi, par le peuple ; demain, s’il le faut, contre le peuple, par un autre roi.

À ce moment, les regards de Maxime tombèrent sur Brafort, qui se tenait à quelques pas, bouche béante. Il s’approcha de lui.

— Eh bien ! tu sais, Jean-Baptiste, on veut nous ramener à l’ancien régime.

— Quoi ? Pas possible ? balbutia Brafort,

— Parfaitement. Le roi Charles X n’est-il pas le frère de Louis XVI et le petit-fils de Louis XV ? Les nobles ne rêvent que cela. Ils veulent nous remettre sous le bâton. Aujourd’hui c’est la suppression de la presse et de la tribune, demain ce serait le rétablissement du droit d’ainesse et de la corvée. La liberté détruite, le commerce anéanti…

— Le commerce ! dit Brafort éperdu.

— Nous défendrons nos droits, reprit Maxime avec un geste théâtral. Que tous les bons citoyens s’arment. Il y va du salut de la France !

— Se révolter contre le gouvernement ! murmura Brafort avec épouvante.

— Il a violé la charte ; l’ordre et la légalité sont de notre côté.

Après avoir dit ces mots, soit que, devant la mine éperdue de Brafort, Maxime craignit de perdre ses paroles, soit qu’il jugeât le moment précieux, il tourna ses talons et, rejoignant ses amis, il s’éloigna avec eux.

Une révolution ! La tête tournait à Brafort. Se pouvait-il que le gouvernement, ce tuteur de la société, cette clef de voûte de l’ordre social, fût, ainsi que venait de le dire Maxime, une cause de désordre, un violateur des lois ? Cette idée monstrueuse avait bien de la peine à se loger dans la tête du fils du garde champêtre, à pénétrer dans les convictions de l’ancien maréchal des logis. Il avait été carbonaro, c’est vrai, mais sans jamais avoir bien su pourquoi. Pour son excursion au saint-simonisme, ce n’était qu’une flânerie, et les deux choses étaient dues à la mauvaise influence de Jacques. Brafort n’en était revenu que plus détaché des velléités de changement, que plus défiant de ce qu’il appelait dédaigneusement les théories, Toutefois la parole de Maxime était un oracle pour lui ; aussi finit-il par incliner de ce côté, se disant qu’il fallait pourtant combattre l’insolence des nobles, que le roi sans doute était égaré par eux. La chambre supprimée !… Était-ce assez grave !… Et la presse, donc !

Tout cela cependant lui passait un peu sur la tête, à lui Brafort, et regardait surtout ces messieurs de la haute bourgeoise, écrivains et députés. Mais aussi Maxime avait dit que ce n’était qu’un commencement, qu’on voulait revenir à l’ancien régime… « Ah ! pour cela, non, Brafort ne voulait pas le souffrir. Ce serait beau que les nobles en revinssent à tout posséder. Non, non ! sacrebleu ! Il a encore son fusil d’ordonnance, et… »

Arrivé en face de son magasin, Brafort fut saisi d’une pensée terrible : il n’avait pas conclu son emprunt ! Ce qui demandaient l’activité ordinaire des transactions, délai pouvait tout perdre. Et ces affaires commencées, c’est-à-dire la sécurité publique pour réussir, pour ne pas changer toutes ces espérances… en ruines !… Brafort se sentit défaillir ; il entra chez lui et se jeta sur une chaise, tout pale…

— Qu’y a-t-il ? demanda Eugénie.

— Il y a… ne m’en parle pas. Ces gens-là sont fous, plus que fous… des brigands, des scélérats !

— Eh ! qui donc, bon Dieu ?

— Qui ? Le roi tout le premier, les nobles, les députés, tout le monde… Maxime lui-même ! Dieu lui pardonne. Oui, ce sont tous des fous, des forcenés qui veulent ma ruine.

— Tais-toi, pour l’amour de Dieu ! s’écria Eugénie. Heureusement il n’y a personne ici.

— Personne, hélas ! Oui, sans doute. Qu’as-tu vendu aujourd’hui ?

— Presque rien. Il n’est pas venu d’acheteurs, je ne sais pourquoi.

— Voilà ! voilà ! s’écria Brafort en levant les mains au ciel, voilà déjà le résultat de toutes ces belles choses ! Je le savais bien. Malédiction sur ceux qui trament de pareilles folies ! Et qu’est-ce que ça me fait à moi la chartre, les députés, la presse et le reste. Fariboles que tout cela ! Est-ce la charte qui me fait vendre mes fers ? Non, mais elle m’empêchera… Faut-il qu’il y ait des gens qui s’amusent à faire dépendre les choses sérieuses de toutes ces idées en l’air ! Qu’est-ce que je veux, moi ? Faire mes affaires. Eh bien, n’est-ce pas honnête et légitime ? Qui est-ce qui a le droit de m’en empêcher ? Mais non ; on ne peut pas laisser la paix aux honnêtes gens, et il faut que ceux qui n’ont rien à faire, les beaux parleurs, les braillards, les mauvaises têtes, aidés par les sans-le-sou et les va-nu-pieds, viennent tout brouiller, mettre des bâtons dans les roues, arrêter la vente et le crédit ! Mais c’est criminel, cela ! Mais ces gens-là mériteraient les galères ! Ah ! le grand Napoléon avait bien raison ! Il ne voulait pas d’idéologues. Si j’étais le gouvernement, moi, je les chasserais tous ; je ne voudrais plus dans l’État que des commerçants. Il n’y a qu’eux pour constituer une société bien ordonnée et où rien ne bouge. Je me moque pas mal de la charte, moi ; je veux gagner de l’argent, établir mes enfants convenablement, me faire dans mes vieux jours une douce existence. Qu’est-ce qu’on peut vouloir de plus, je vous le demande ?… Ah !… les fous ! les misérables ! les assassins !…

Il frappait des poings, il pleurait, il ne se connaissait plus. Sa femme, terrifiée, l’entraîna dans l’arrière-boutique, et vint à bout de le calmer en lui faisant craindre de se compromettre par de si imprudentes paroles, qui enveloppaient dans la même réprobation et l’opposition et le pouvoir. En effet, dans ce moment-là, Brafort n’était ni pour l’un ni pour l’autre ; il n’était que pour sa boutique. Ses tendances bourgeoises l’eussent poussé du côté de l’opposition, dans cette partie qui mettait en jeu, comme l’avait très-bien compris Max ne, les intérêts de la classe moyenne, financière et lettrée, contre l’ancienne aristocratie. Mais, en se faisant commerçant, Brafort avait porté tous ses désirs, toute son activité, vers un but unique : gagner de l’argent, et tout ce qui le détournait de ce but lui devenait ennemi. Que voulez-vous ? le monde n’est pas peuplé de héros. Et encore, héroïque pourquoi ? Brafort ne l’eût pas su. Il faut certainement compter au nombre des causes les plus influentes de l’histoire politique moderne, l’ardeur subite pour le commerce et l’extension immodérée de la classe des commerçants.

Le lendemain, 27 juillet 1830, après une nuit d’inquiétudes, Brafort, muni d’un pistolet sous sa redingote, parcourut Paris. Il y régnait une agitation plus sourde et plus sinistre que la veille ; la nouvelle s’était répandue, la colère avait monté. On sentait dans l’air des odeurs de poudre et sur les visages, dans un trouble immense, l’indignation et l’inquiétude luttaient. On rencontrait à chaque pas des rassemblements ; des ouvriers passaient en courant, chargés des journaux interdits, qu’ils allaient porter dans les cafés ou qu’ils distribuaient aux passants ; des jeunes gens, montés sur des bornes, lisaient à la foule groupée autour d’eux la protestation des journalistes ; on entendait retentir les cris de Vive la Charte ! et çà et là, quelques cris de : Vive l’empereur ! Des bandes d’ouvriers imprimeurs, congédiés la veille, erraient, sombres, mécontents, cherchant d’où partirait le signal. Pas une figure calme.

Tourmenté par ces craintes, Brafort voulut aller de nouveau faire une tentative chez son notaire ; il s’engagea dans la rue de Richelieu et s’arrêta comme les autres à un rassemblement formé devant une porte cochère, ouverte sur une vaste cour. Des deux côtés de cette porte, il y avait des gendarmes à cheval ; dans la cour, deux longues rangées d’hommes qui semblaient être des ouvriers, et entre lesquels se tenait un personnage de haute taille, d’aspect rude et puissant, et dont la physionomie respirait en ce moment une énergie toute particulière. Au fond, des ateliers fermés. Dans les groupes, on disait : — C’est l’imprimerie du Temps. On veut saisir les presses ; ils résistent. Bravo ! — Le grand là-bas, au milieu, c’est monsieur Baude. Ah ! voici le commissaire ! Monsieur Baude va lui parler. Écoutez.

« C’est en vertu des ordonnances, monsieur, que vous venez briser nos presses, » dit la voix forte et solennelle du journaliste. « Eh bien ! c’est au nom de la loi que je vous somme de les respecter. »[1].

Des bravos éclatent. Le commissaire envoie requérir un serrurier ; mais à cet homme, déjà ébranlé par les dispositions évidentes de la foule, monsieur Baude, le code en main, lit l’article qui punit des travaux forcés le vol avec effraction. Le serrurier se retire, aux acclamations des assistants. Un autre est appelé, et cette étrange lutte se continue…

Pauvre Brafort ! il ne pouvait s’empêcher d’être ému et s’irritait de l’être ; il s’enfuit.

Mais il emportait au cœur une atteinte importune, et se sentait agité malgré lui de bouillonnements généreux. En dehors des hallucinations de l’intérêt, quelle âme humaine est insensible à cette lutte sublime et qui semble, hélas ! éternelle, du droit contre la force ? Qui fera sentir à quelle pauvreté se réduit celui qui n’a pour but que la richesse ?

L’étude du notaire était fermée. Brafort revenait par la rue Saint-Honoré, pensif et la tête baissée, quand, au lieu de l’espace vide où il pensait porter ses pas, quelque chose de haut, de sombre, lui barre le passage. Il lève les yeux, effaré ; le cri de « Qui vive ? » retentit à ses oreilles ; c’est une barricade. Il recule, mais on lui crie : Passez, citoyen ! Et l’un des insurgés, souriant, lui tend la main pour l’aider à franchir l’obstacle. Que faites-vous ? dit Brafort. Mes amis, pas de révolution ! Laissons agir la chambre, elle sait mieux que nous…

Des rires lui répondent.

— Taisez-vous donc, farceur. Vous ne savez pas que nos députés ont la colique ? Ils n’ont pas encore pu lâcher une parole depuis hier. Ça viendra, quand nous nous serons battus.

— Ah ! les casse-cous ! les fous ! les enragés ! s’écriait Brafort en lui-même, en s’éloignant à grands pas. On en viendra bien sûr à piller les boutiques. Ah ! le roi est bien coupable ! Mais encore eût-il mieux valu céder que de s’exposer à de tels périls.

Rentré chez lui, il ferma son magasin, le barricada, et s’efforça de rassurer sa femme éplorée :

— Tout cela ne peut pas durer ; le roi a de bonnes troupes ; il fera tout rentrer dans l’ordre… Car enfin il n’est pas permis de troubler ainsi la tranquillité. On peut bien s’entendre sans coups de fusil. Ah ! si j’étais encore soldat ! C’est moi qui leur montrerais le bon chemin à la pointe de la baïonnette !

Dans la soirée, le bruit de la fusillade se fit entendre. Brafort passa une nuit terrible. Il voyait tous ses plans bouleversés, détruits, ses échéances protestées. Il voyait succéder sous ses yeux, aux éblouissantes visions de la fortune, les hideux aspects de la ruine et, ce qui était pour lui encore plus amer, les hontes de la faillite. Incapable de rester couché, il allait et venait dans sa chambre, aux pâles clartés de cette nuit d’été, ouvrait la fenêtre, tendait l’oreille, et, sursautant à chaque bruit, s’écriait qu’il n’était, lui, ni pour le roi Charles X ni pour la chambre ; qu’il ne voulait que la paix, et pour l’obtenir qu’il tuerait plutôt tout le monde. Eugénie pleurait, et l’enfant, agité par le trouble de sa mère, criait.

Brafort, qui nommait la révolution de Juillet l’époque de sa ruine, a souvent raconté cette nuit d’angoisses, et lui donnait volontiers des traits épiques. En effet, quel que soit l’objet de la passion, elle soulève toujours dans l’âme humaine, à telle ou telle octave, ces orages, ces révoltes, ces gémissements dont l’humanité compose le spectacle qu’elle s’offre éternellement à elle-même. Et quelle Enéide ou quelle Iliade toucherait le cœur des Brafort autant qu’une épopée de douleurs commerciales ? Jean-Baptiste n’entendait jamais raconter pareil désastre sans s’écrier : Non ignara mali… À quoi il ajoutait immédiatement, pour le vulgaire : Qui ne sait compatir, etc.

Le lendemain, 28, le canon gronda, la bataille révolutionnaire emplit de sang les rues et l’atmosphère d’héroïsme. Pour un vague espoir de liberté, le peuple donnait sa vie, tandis que, effrayés, plus que satisfaits de cette alliance, les chefs de la bourgeoisie, pour la plupart, hésitaient encore et attendaient l’événement. Brafort, comme eux, rêva de pillage, d’assignats, de guillotine, et, saisissant son fusil, malgré les pleurs de sa femme, il sortit, mais sans parti pris et pour savoir seulement ce qui se passait.

Il vit d’admirables traits d’audace et de dévouement, le drapeau tricolore flottant, la troupe hésitante. Une foule ivre d’enthousiasme le roula dans ses flots et faillit l’entraîner à la bataille ; mais, se souvenant d’avoir été soldat sous le drapeau blanc, et se rappelant son respect pour l’ordre établi, il s’arracha à ces excitations et rentra chez lui, plein d’appréhensions et de tristesse. Il avait vu des femmes se mêler au mouvement, distribuer des balles et des cartouches, et jeter des pavés sur les soldats. Des femmes !…

— Je te tuerais ! disait-il à Eugénie, tout tremblant encore d’indignation, si tu étais capable d’en faire autant.

Eugénie n’avait garde. Elle avait arrangé dans la cave une cachette, où elle avait porté la caisse, des provisions et une couchette pour l’enfant. Elle tremblait au moindre bruit, priait, gémissait. En entendant pousser dans la rue le cri : Vive la République ! elle tomba à genoux, les bras au ciel.

— Nous allons tous être guillotinés ! s’écria-t-elle.

Car on lui avait soigneusement appris au couvent à confondre ces deux choses. Brafort lui-même n’en savait guère plus. Dans le jour blafard de cette boutique, solidement barricadée, les terreurs de sa femme l’énervaient. Le soir, aussi bien qu’elle, il se crut perdu, quand il entendit un grand coup frappé à sa porte. Il saisit son fusil en demandant :

— Qui va là ?

— Moi ! répondit la voix franche et joyeuse de Jacques.

Dans la boutique, l’air et le jour entrèrent avec lui. Il avait un fusil en bandoulière, les vêtements en désordre, la figure illuminée.

— Pourquoi vous barricader ainsi ? Il n’y a rien à craindre : la troupe fraternise avec le peuple. Demain nous sommes vainqueurs. Ah ! quel bonheur ! Enfin les voici revenus, les grands jours de la liberté !

— La liberté, demanda Brafort d’un ton dogmatique et sévère, laquelle ?

— Il n’y en a qu’une, la vraie, celle qui est pour tous.

— La liberté coiffée du bonnet rouge ? Non ! non ! il y a encore des honnêtes gens, et nous ne souffrirons pas…

— Avec ou sans bonnet, mon vieux, ne te fâche point. Le bonnet, va, ne fait rien à l’affaire. Ne montre donc pas comme ça les dents à la joie du peuple. Tout va bien. J’étais venu pour vous rassurer et vous demander en passant un morceau de pain. Je n’ai pas mangé depuis hier.

Eugénie le servit. Il mangea rapidement ; une joie immense le transfigurait, et des paroles ardentes s’exhalaient de ses lèvres.

— Oui, la sainte liberté, l’épanouissement de ce monde, la séve joyeuse et pleine ! Il n’y a plus de roi en France. Le vieux passé de mensonge et de servitude est mort !

— La liberté pour tous, dit sentencieusement Brafort, est un rêve impossible. C’est l’anarchie.

— Malheureux, tais-toi, tu blasphèmes ! Et de quel droit retirer à aucun de nos frères la sainte mamelle nourricière ? Qui donc, à moins d’avoir perdu la raison, peut s’effrayer d’être libre ?

— Ce n’est pas ma liberté que je crains, dit Brafort ; mais celle des autres.

Jacques sauta en l’air.

— Bravo ! bien trouvé ! Oui, c’est cela ! Voilà bien le fond de nos monarchies. Ah ! malheureux ! que me rappelles-tu ? Mon ivresse m’a-t-elle trompé ? n’y a-t-il pas des élans qui sauvent et qui renouvellent le monde ?

— Tu vis comme toujours dans tes illusions, reprit Brafort. Vous êtes une poignée de généreux insensés, qui vous nourrissez de rêves et croyez pouvoir changer l’humanité. L’humanité ne change pas. Vous ne ferez que nous livrer aux hasards de l’anarchie, des mauvaises passions, aux saturnales révolutionnaires. Comme les hommes de 89, vous périrez dans l’incendie que vous aurez vous-mêmes allumé. La révolution, comme Saturne…

— Nous échouerions encore, s’écria Jacques avec des regards étincelants, que notre sacrifice ne serait pas vain. Car nous aurions donné une édition de plus de cet Évangile en action, le plus grand de tous les livres, et que, à force de le voir imprimer en lettres de sang, les hommes finiront par comprendre. Nous serions l’affiche sans cesse déchirée qui revient sans cesse placarder aux murs son appel. Mais laisse-moi ; je ne veux pas de tes doutes. Tu nies la lumière et la chaleur dans Paris en feu. Je te plains de rester à part de ce grand élan !

Il partait quand son frère l’arrêta pour lui demander si l’on ne songeait point à l’empire… Le duc de Reischtadt…

— Ceux qui savent mourir pour la liberté, répondit Jacques impétueusement, ne cherchent pas de maîtres ; ils abandonnent ce soin à ceux qui se cachent aujourd’hui, et qui sortiront demain pour s’emparer de notre victoire.

Jacques s’arrêta, son regard devint sombre et fixe, et sur le seuil, immobile, il oubliait de partir.

— Ah ! murmurait-il avec une expression navrée en portant la main à son front, je les avais oubliés ! Oui, mais ils se retrouveront ; oui, demain… Et alors, nous qui donnons aujourd’hui tout le sang de nos veines et tout l’espoir de nos âmes… Oh ! ce serait horrible ! Il baissait la tête, et toute cette illumination de force, d’espoir, de confiance, qui, lorsqu’il était entré, transfigurait son visage, avait disparu. Le contact de son frère, en lui montrant tout un côté oublié de l’humanité, l’arrachait brutalement au rêve héroïque qu’en ce moment même il essayait de forger au feu de la bataille. Mais bientôt un éclair jaillit de ses yeux ; son visage exprima une résolution nouvelle, quoique plus sombre, et, sans ajouter un mot, il s’élança dans la rue et disparut.

— Pauvre tête ! s’écria Brafort après son départ. Pauvre tête ! répéta-t-il encore en assujettissant les barres et les verrous qui fermaient la boutique à l’intérieur. Hélas ! dit-il en revenant, c’est à de vaines théories qu’on sacrifie l’avenir de cette enfant.

Ce fut la première marque d’intérêt que Brafort donna à sa fille, et cette parole mêla quelque douceur pour Eugénie aux angoisses de cette journée.

Après la victoire, le soir du 29, Brafort fut un des premiers à s’offrir à l’autorité « pour maintenir l’ordre et la conservation des propriétés, » qui n’étaient nulle part menacées. Le peuple, il est vrai, avait brisé des statues aux Tuileries, avait déchiré les oripeaux, et s’était assis sur le trône, licence odieuse ! Cela ne pouvait durer. Cependant comme on avail craint davantage, on glorifia la probité de ce peuple par des louanges, où l’étonnement mêlait quelque insulte. Plus d’un beau trait fut célébré qui mit des larmes dans l’œil de Brafort. Des va-nu-pieds, des artisans noirs de poudre avaient porté à la préfecture des objets précieux, des sacs d’argent. À la bonne heure ! ce peuple, maître de tout, ne touchait à rien. Il ne savait pas seulement mourir, il savait vivre.

On répétait aussi avec attendrissement le mot vrai ou faux d’un homme du peuple : L’égalité devant la loi, bien ; mais l’égalité de fortune, c’est impossible[2] !

Qui donc le répéta plus que Brafort ! Il eût voulu connaître cet homme pour le presser sur son cœur, et honorer en lui un bon sens si admirable ! Du moment que l’ordre établi était du moins respecté dans les choses sociales, que l’on n’attaquait pas le cœur du système ; que chacun pouvait, comme auparavant, faire ses affaires et augmenter son bien, ma foi, tant pis pour le roi et à bas les Polignac ! Tout était bien. On criait même : « Vive le peuple ! » car c’était le moins qu’on lui fit des politesses, lui à qui l’on devait tout et qui ne demandait rien.

Toutefois Brafort ne respira largement que lorsqu’il lut l’arrêté de la commission municipale, portant que les députés présents à Paris ont dû se réunir pour remédier aux graves dangers qui menacent la sûreté des personnes et des propriétés, une commission a été nommée pour veiller aux intérêts de tous, en l’absence de toute organisation régulière.

Ah ! Une organisation régulière, des gens honorables, distingués, à la bonne heure ! Brafort, de ce moment, rentra chez lui, posa son fusil et se plongea dans ses calculs. On venait de rendre un décret qui retardait de dix jours les échéances ; mais après ?

Hélas ! non-seulement l’emprunt n’était plus possible, mais on n’achetait plus. Pas un chaland depuis ces journées terribles. Les ménagères, qui toutes, en passant, d’ordinaire jetaient un coup d’œil d’envie sur les articles de ménage étalés à la devanture, et souvent entraient marchander, maintenant, mornes, inquiètes, filaient leur chemin, sans regarder à droite ni à gauche ; et ni les artisans, menuisiers, serruriers, jardiniers, qui faisaient chez Brafort leurs provisions, ni les dames et les messieurs, qu’intéressaient les frais articles de coutellerie et les ustensiles coûteux, ne se montraient plus. On mangeait encore, il le fallait bien ; mais on ne travaillait pas, on n’achetait pas. Les grandes maisons du quartier Saint-Germain qui restaient encore habitées, se vidaient chaque jour. Les ouvriers étaient sans travail, partant sans pain ; le commerce était aux abois.

D’où venait cela ? Quoi ! De ce que Charles X (un vieil imbécile, entre nous) était parti ? Mais on n’en voulait plus, on le méprisait ! On l’avait chassé ! Et le peuple. français se réjouissait de la victoire. Non ce ne pouvait être le départ de Charles X.

Pourtant les gens sages disaient d’un air profond que sans un roi, les affaires ne pourraient reprendre. Et Brafort était de ceux-là. Sur quoi se fondait cet avis ? Quel rapport pouvait-il y avoir entre ce roi et toutes ces affaires de particuliers ? Ce sont les génies de l’air et des eaux qui font tourner la roue des usines et des moulins ; ce sont les maçons qui bâtissent et les forgerons qui forgent, les mineurs qui creusent et les agriculteurs qui fécondent la terre ; mais un roi ? Mettrait-il de l’or dans les coffres ? Non, il en prendrait. Que signifie donc ce mystère ? Brafort ne le savait point ; mais n’en était pas moins persuadé qu’il fallait un roi.

Aussi n’est-il pas besoin de dire avec quel transport, il accueillit la nomination du duc d’Orléans au poste de roi de la bourgeoisie française. Il embrassa pour la première fois sa petite et se jeta dans les bras de sa femme en criant :

— Nous sommes sauvés !

Il illumina. On n’entendit plus sortir de sa bouche que le mot fameux : « Une charte sera désormais une vérité, » et l’éloge d’un prince, qui se déclarant exempt d’ambition et faisant violence à ses sentiments par dévouement pour la nation, « jurait de ne gouverner que par les lois et selon les lois, et de n’agir en toutes choses que dans la seule vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. » Était-il rien de plus touchant ? N’y avait-il pas là de quoi pleurer de tendresse ? Et Brafort en pleurait vraiment, tandis que d’autres larmes, rares et brûlantes celles-là, rougissaient les yeux de son frère, morne et désespéré, cloué sur son lit par une blessure, hélas ! inutile. — Mais qu’importaient ces incorrigibles ? On s’occupait bien de cela ! Il s’agissait du grand Lafayette, du grand Laffite et de Béranger, d’honnêtes gens assurément, et qui, plus instruits que Brafort et sachant ce que c’est qu’une antinomie, pensaient comme lui pourtant à l’égard des rois ; tous les trois répondant du prince patriote, dont on vantait la bonhomie, la simplicité, les vertus privées et bourgeoises, l’économie, l’amour de l’ordre, de la liberté, de la paix ! Et puis, n’avait on pas le drapeau tricolore ? C’était une conquête cela ! Et la chambre votait des choses libérales, dont le roi se montrait ravi ; on inventait la fiction constitutionnelle, on déclarait, Louis-Philippe et ses descendants rois de France à perpétuité ! C’étaient des mamours à l’infini. Les fictions, les déclarations, les congratulations et les compromis pleuvaient. La bourgeoisie etait en liesse, Brafort était ivre.

Songez donc ! le roi voulait un trône entouré d’institutions républicaines : fictions de plus en plus profondes, où s’abimait Brafort dans une admiration extatique.

— Enfin ! s’écria-t-il, d’une voix altérée par l’émotion, nous avons un roi honnête homme ! L’ordre est à jamais fondé ! L’hydre des révolutions est étouffée ! etc., etc.

Ce fut avec enthousiasme que Brafort s’enrôla dans la garde nationale, autre fiction qui portait au comble son délire, Car ses anciens services militaires lui valurent le grade de lieutenant et la joie inexprimable de porter un uniforme et de traîner dans les fêtes publiques un beau sabre inoffensif. Avec quelle fierté il regardait la colonne, tout en promettant à l’Europe une paix éternelle !

Il avait besoin d’aussi grandes satisfactions pour tempérer un peu ses inquiétudes financières et l’entretenir d’espérances. Mais, en dépit de l’intronisation de Louis-Philippe, le commerce ne reprenait point, le crédit ne se relevait pas. D’autres capitaux que ceux d’Eugénie avaient pris le chemin des caves et s’obstinaient à y demeurer. L’or et l’argent, ces habitants nés des cavernes, tendent toujours à se renfouir au moindre bruit. Les ateliers fermés se rouvraient lentement et ne recevaient alors même que le dixième ou le huitième de leurs ouvriers, dont le salaire tombait de quatre ou cinq francs à vingt-cinq ou trente sous par jour[3]. Des maisons de banque s’évanouissaient ou faisaient semblant, les faillites se succédaient, les protêts jonchaient la place. La banqué de France restreignait ses escomptes. On parlait de guerre ; mais la guerre, bien qu’elle soit amoureuse du fer, n’avait que faire des honnêtes ferrailles de Brafort, créées au point de vue du ménage et de la civilisation. Ainsi, parce qu’un gouvernement détesté, coupable, était renversé, la vie sociale se trouvait comme suspendue ! Quels fils secrets avait donc emporté, dans sa main débile, ce vieux roi, débris d’un passé mort ? Quoi ! l’activité de la France, délivrée et rajeunie, dépendait de cet homme au cerveau étroit, aux pas tremblants ? Ces héros populaires, brillants d’enthousiasme, de force et de jeunesse, qui viennent de briser le trône, auraient besoin pour vivre de ce vieillard ? Et cependant, lorsqu’après avoir déposé les armes et lavé les traces sanglantes du combat, il avait reprit le chemin de l’atelier… plus d’ouvrage ! Pourquoi ? — On ne sait, mais c’est ainsi. — De sorte que là, en pleine vigueur, en pleine expansion des forces et des facultés de l’être, sous le soleil splendide et sur le sol couvert de fruits et de fleurs, ils se trouvent réduits à l’impuissance et dévorés par la faim. Ils manquent de nourriture, de vêtements, d’abri. Ils savent créer ces choses ; la terre n’a point changé, sa fécondité est la même ; rien n’a été retranche de l’ensemble des richesses humaines : et cependant ces hommes ne peuvent ni se bâtir un toit, ni produire leurs aliments, ni tisser les étoffes dont ils ont besoin !

Encore une fois, d’où vient cette situation étrange ? — On répond : La confiance n’est pas rétablie, le crédit manque. C’est tout. L’ennemi est invisible et insaisissable, mais ses coups n’en sont que plus sûrs et plus mortels. Il y a des gens toutefois qui disent savoir le fin mot de l’affaire, et voici ce qu’ils révèlent : Les choses sont telles, parce qu’elles sont ainsi. Vous souffrez et mourez selon des lois régulières et sages. Il n’y a rien à faire à cela.

Lois mystérieuses, à part les simples lumières du jour et de l’esprit. Mais quel est donc le chaînon secret qui les unit à toutes les vieilles causes, ou plutôt à la cause générale de tout despotisme ? Toujours étrangères aux nobles ivresses, pour elles, la liberté n’a point de crédit, l’Égalité fait la baisse, et la Fraternité ne représente pas un sou ; un peuple fibre est un bandit qu’elles garrottent et condamnent à mourir de faim. En juillet 1830, bien qu’adoucies par une royauté nouvelle, cependant, le duc d’Orléans, jurant la Charte, ne pouvait à leurs yeux valoir Charles X la violant. Ce fut plus tard seulement, quand Louis-Philippe corrompit les âmes et trahit la liberté, que les faveurs de ces lois honnêtes lui revinrent et qu’elles le vengèrent à son tour sur ses vainqueurs. Admirable et sacré mystère que ce gouvernement occulte des choses de l’esprit par des lois irresponsables, inconnues du vulgaire, insaisissables, et qui détient de feu de l’émeute, aussi bien que les décrets des républiques ; pouvoir dont la royauté même n’est plus que l’agent et le plastron ; saint des saints dont l’obscurité fait prestige, et que Brafort, l’adorant sans le comprendre, tout écrasé de ses coups, eût encore défendu, les armes à la main.

Car Jean-Baptiste Brafort, qui ne l’avait pas mérité, fut une des victimes de cette paralysie subite infligée au corps social après toute révolution dans le sens de la liberté. Il ne put obtenir l’emprunt sur lequel il avait compté, il ne put satisfaire à ses échéances ; la faillite d’une maison de banque lui fit perdre vingt mille francs ; ses traites lui revinrent protestées ; grâce enfin d’une part à ses débiteurs, et de l’autre à ses créanciers, il se vit perdu. Son beau-père, très-gêné lui-même, ne put lui venir en aide ; puis, s’il faut tout dire, ce digne monsieur Leblanc, si fort jusque-là avec ses gouvernantes, en avait à la fin trouvé une qui vengeait les autres, le menant haut la main et rondement. Cette habile personne, après avoir protesté de sa tendresse pour Eugénie et de sa compassion pour le malheur du jeune ménage, prouva clairement à monsieur Leblanc que c’était le plus grand tort qu’il pût faire à sa fille que de se ruiner pour elle et de se mettre hors d’état de lui être utile un jour… plus tard. Brafort trouva donc nul appui de ce côté. Le dernier coup lui fut porté par monsieur Ravel, son ancien associé, que la peur des révolutions faisait fuir en province, et qui exigea tout l’échu de sa créance. Il fallut donc, après des efforts désespérés, se résigner à une liquidation que l’état général des affaires rendait exceptionnellement désastreuse, et cette liquidation accomplie, il resta d’un côté, la dot de madame Brafort, garantie par son contrat ; l’autre, une dette presque égale, et qui entraînait la faillite, si madame Brafort usait de ses droits.

Notre héros a ses faiblesses. Qui n’en a pas ?? Mais ce moment de la vie les rachète peut-être. Il nous montre aussi que toute la conduite d’un homme dépend de sa conception du juste, plus ou moins étendue, plus ou moins vraie. Si Brafort profita dans le cours de sa vie, du bénéfice de maints avantages légaux, que des consciences plus éclairées déclarent illicites, c’est qu’il ne les jugea point tels. À ses yeux d’ailleurs, admettre que le législateur pût se tromper fut toujours une hérésie. Il y a toujours, presque toujours un droit dans le fait ; mais, pour Brafort, le fait, c’était le droit même. Le fait et la loi, deux vérités consacrées l’une par l’autre, faisaient un dogme. C’est l’opinion de bien des gens ; il y en a beaucoup moins qui, dans la contradiction des faits, ayant à choisir, prononcent à leur désavantage en faveur du droit d’autrui, Brafort eut cet héroïsme. Depuis des années, il avait tourné toutes ses aspirations vers la poursuite de la fortune ; il y avait employé toutes ses forces et subordonné tous ses sentiments. À force d’en rêver, il avait déjà vécu de ses espérances ; elles lui étaient chères, comme nous le sont nos plus intimes créations, œuvres, enfants, rêves. Avec la dot de sa femme, il pouvait recommencer un nouvel établissement et, par un labeur nouveau, réédifier le plan détruit. Il ne vit qu’une chose, c’est qu’il allait manquer à ses engagements, ruiner ceux qui s’étaient fiés à sa signature ; il vit son nom sur la liste des faillis… Son désespoir fut immense. Dans ses idées sur l’honneur de la famille et la responsabilité absolue du chef, sa femme et sa fille faisaient partie de lui-même et ne pouvaient loyalement séparer leurs intérêts du sien. Obligé pourtant, par son contrat, de tenir compte des droits et de la volonté d’Eugénie, lui si fier de son rôle de maître, si jaloux de sa dignité, il se mit aux pieds de sa femme pour obtenir qu’elle abandonnât sa dot et consommât ainsi leur ruine entière.

Eugénie consentit. Elle était habituée déjà à plier sous l’ascendant de son mari ; en outre, cette humilité inaccoutumée la toucha profondément. Elle eut peur aussi d’un suicide. Brafort avait murmuré : « Je ne survivrai pas à mon honneur. »

Cette décision courageuse acheva de brouiller madame Brafort avec son père ; mais à l’union de rencontre et de convention de ces deux époux, elle donna le lien que crée toujours une commune épreuve noblement supportée. À partir de ce moment, ils s’estimèrent ; Jean-Baptiste garda toujours une profonde reconnaissance à sa femme du sacrifice qu’elle lui avait fait. S’il ne composa pas plus qu’auparavant avec l’exercice du pouvoir marital, c’est qu’un sacerdoce ne se résigne point ; mais du moins ce souvenir réprima bien des impatiences, bien des rudesses, et valut plus tard à madame Brafort la satisfaction de beaucoup de ses fantaisies.

  1. Louis Blanc. — Histoire de dix ans.
  2. Louis Blanc. — Histoire de dix ans.
  3. Louis Blanc. — Histoire de dix ans.