Chez l’auteur & Ledoyen & Mansart (p. 8-10).

CHAPITRE II.


Origine du cimetière de l’Est, plus connu sous le nom de Père-Lachaise. — Terrain primitif. — Anciens propriétaires. — Les Jésuites. — Le Père Lachaise, confesseur de Louis XIV. — Mont-Louis. — Folie-Regnault. — Champ-Lévêque.


En exécution du décret du 12 juillet 1804, dont on vient de rapporter le texte, l’autorité municipale de Paris rechercha les emplacements convenables à l’établissement des nouveaux cimetières ; elle choisit, à l’est de la ville, le terrain si connu aujourd’hui sous le nom de Père-Lachaise, en lui donnant officiellement le nom de cimetière de l’Est.

Le terrain primitivement acquis était exactement l’enclos existant au temps du père Lachaise ; il était situé en partie sur la paroisse de Charonne, et en partie sur celle de Sainte-Marguerite. Sa contenance était d’environ vingt-six hectares, qui coûtèrent à la Ville 160,000 fr.

Ce furent MM. Baron-Desfontaines, dont l’un a été conseiller au Châtelet de Paris[1], qui consentirent cette vente à l’autorité municipale.

Ils avaient acquis ce domaine en 1765, lors de la vente des biens des Jésuites qui fut ordonnée parle Parlement de Paris, afin de payer les Lioncy, leurs créanciers pour plusieurs millions de lettres de change.

Pendant la possession de MM. Baron-Desfontaines, le voisinage conserva à cet endroit le nom de maison du Père-Lachaise, et cette dénomination était tellement connue que le nom officiel donné au cimetière par l’administration n’a pu prévaloir, et, aujourd’hui, c’est le nom sous lequel la France et l’étranger connaissent ce lieu devenu célèbre, tant par la multiplicité et la beauté de ses monuments que par les illustres dépouilles mortelles qu’il renferme.

Dans le principe, les Jésuites, dont la maison professe était située rue Saint-Antoine, ne possédèrent là qu’une maison de campagne et un vaste jardin, où ils se retiraient lorsqu’ils voulaient pratiquer la retraite. On connaissait alors ces lieux sous le nom de Folie-Regnault.

Ce nom venait, sans doute, de ce que cette maison, qui était très-agréablement située, avait appartenu à un épicier du nom de Sire-Regnault, qui en faisait sa maison de campagne[2].

Ce fut à la mort de cet épicier, vers l’année 1615, que les Jésuites, ou plutôt une femme dévote, en leur nom, achetèrent le lieu de Folie-Regnault.

Le 2 juillet 1652, se livra, dans le faubourg Saint-Antoine, un combat entre Turenne et le grand Condé, les Jésuites, qui savaient tirer parti de toutes les occasions favorables, mirent leur maison des champs à la disposition de Louis XIV, encore enfant. De cet endroit, le roi put suivre une grande partie des manœvres, sans courir le moindre danger.

Les Jésuites demandèrent au roi de changer le nom primitif de leur maison en celui de Mont Louis ; ce qui leur fut accordé ; mais longtemps après, le peuple l’appela encore la Folie.

Ce même roi Louis XIV, devenu vieux, choisit pour confesseur l’un de ces jésuites.

Pendant que les Jésuites pratiquaient la retraite, la porte de leur maison devait rester fermée pour tout le monde indistinctement.

Une nuit où les moines se trouvaient en retraite, le roi désira parler à son confesseur pour affaire urgente. Un messager fut de suite dépêché vers le monastère ; mais ce fut inutilement qu’il fit connaître l’importance de son message, la porte du cloître resta fermée pour lui, comme pour tout le monde.

Le roi fut vivement piqué de ce refus, et il voulut, désormais, avoir le moyen de communiquer à tout instant avec son confesseur.

Le père Lachaise était ce confesseur.

Les Jésuites, qui n’attendaient que l’instant favorable, mirent leur maison de Mont-Louis à la disposition du confesseur du roi.

Le monarque fit construire, justement à l’endroit où se trouve aujourd’hui la chapelle, une maison magnifique, et fit disposer les lieux convenablement pour recevoir le directeur de sa conscience[3].

De ce moment, le père Lachaise devint un personnage important, et Mont-Louis devint un lieu où les mieux placés en cour ne dédaignaient pas de venir solliciter, tant était grand l’empire du confesseur sur l’esprit vieilli de son auguste pénitent. Le père Lachaise ne recevait à sa table que les évêques et le haut clergé.

M. le comte de Lachaise, son frère, lieutenant des gardes du corps, avait une habitation particulière dans ce même domaine, où il traitait splendidement les hauts personnages de la cour. Ce fut ce jésuite qui donna son nom à l’endroit qui sert aujourd’hui de cimetière sous le nom de cimetière de l’Est ; le public abandonna le nom de Mont-Louis et de Folie-Regnault pour s’en tenir à celui plus remarquable de Maison du Père-Lachaise, que cet endroit a toujours porté depuis.

Avant la possession de MM. Baron-Desfontaines, celle des Jésuites et de sire Regnault, ce domaine avait appartenu à l’évêque de Paris et s’appelait Champ-l’Evêque.

Telle est, d’après nos recherches, l’origine du terrain qui sert aujourd’hui de cimetière public aux sixième, septième, huitième et neuvième arrondissements de Paris.

  1. Le monument de M. Baron-Desfontaines est figuré au plan qui accompagne cet ouvrage, sous le no  153, section J, et il porte cette épitaphe :
    Néant des choses humaines.
    Louis Baron-Destontaines, ancien conseiller au Châtelet de Paris et ancien propriétaire du vaste domaine du Père-Lachaise, où il passa sa jeunesse,
    N’occupe, dans ce même lieu, que la place de sa tombe. Il est décédé le 29 mars 1822, à l’âge de 64 ans.
  2. Les épiciers de ce temps-là étaient de grands personnages ; c’étaient des négociants très-riches et ayant des maisons magnifiques. En 1476, Alphonse V, roi de Portugal, étant venu visiter Paris, logea dans l’hôtel de Laurent Herbelot, épicier, rue des Prouvaires.
  3. Nous donnons, en tête de ce volume, une vue de la maison du père Lachaise, au temps qu’il l’habilait.