Chez l’auteur & Ledoyen & Mansart (p. 1-7).

LE CIMETIÈRE DU PÈRE-LACHAISE.

(CIMETIÈRE DE L’EST.)




CHAPITRE I.

De la sépulture des anciens. — Lieux servant autrefois aux sépultures. — Inconvénients de la proximité des sépultures avec les habitations. — Décret. — Suppression des anciennes sépultures. — Établissement des cimetières actuels.


Les différents peuples de la terre donnèrent toujours la sépulture aux morts, en les enterrant et en élevant sur leurs tombeaux des monuments propres à vénérer leur mémoire et à perpétuer le souvenir de leurs bonnes œuvres.

Les Hébreux, en arrivant dans un pays nouveau, s’occupaient immédiatement d’acheter un terrain pour leurs sépultures. Jérusalem avait son cimetière dans la vallée de Cédron, et près de là les Pharisiens en avaient établi un particulier pour les étrangers.

Les Egyptiens, malgré leurs superstitions et la bizarrerie de leurs cultes, avaient une grande vénération pour les morts, ils embaumaient leurs corps, les conservaient chez eux ou les déposaient dans des catacombes appropriées à cet usage.

Les cimetières des Romains étaient consacrés aux dieux mêmes, la circulation publique y était interdite, et le respect pour les morts était porté au plus haut degré ; le fait d’avoir seulement porté la main sur un cadavre, avant qu’il eût reçu les derniers devoirs, était une profanation que les eaux lustrales pouvaient seules effacer.

Les peuples divers varièrent infiniment sur la manière de manifester leur respect pour les morts ; mais, s’ils différèrent sur les moyens, ils furent tous d’accord sur le principe : les institutions les plus anciennes attestent la vénération des vivants pour les morts. On voit, aux époques les plus reculées, des cimetières désignés par les lois, sanctionnés par la religion.

Ce ne fut que cinq cents ans après rétablissement du christianisme que les chrétiens eurent des lieux particuliers de sépulture ; avant ils étaient inhumés, avec les païens, dans le cimetière de Calliste, le plus vaste de Rome, ou sur le bord des grands chemins hors des villes.

Les chrétiens, qui, sous la domination des Romains, n’eurent, à Paris, d’autre sépulture que le bord des grands chemins, en trouvèrent, sous les premiers rois chrétiens, jusqu’au pied des sanctuaires. De nombreux cimetières furent établis hors des murs ; mais la population, dès le septième siècle, s’accrut tellement, que ces cimetières se trouvèrent, peu de temps après, au milieu même de la ville et devinrent un voisinage très-insalubre.

Souvent ces lieux étaient dépourvus de toute espèce de clôture et n’avaient rien de ce qui commande le respect dû à la cendre des morts ; aussi n’en approchait-on qu’avec épouvante et la mort était-elle une digue insurmontable, placée entre les morts et les vivants. En effet, qu’aller faire dans ces lieux où rien n’indiquait la place où reposait votre parent, votre ami, où, croyant vous agenouiller près de ses restes, vous pouviez en être très-éloigné ?

Sous Philippe-Auguste, en 1188, le cimetière des Innocents fut entouré de murs et devint un lieu de sépulture convenable ; mais l’augmentation considérable de la population fit qu’il fut bientôt entouré lui-même d’habitations, et son voisinage ne tarda pas à éprouver des maladies provenant de l’infection de l’air.

Le Parlement de Paris, en 1765, frappé des dangers de conserver des cimetières au milieu d’une nombreuse population, rendit un arrêt de règlement par lequel il ordonna qu’à l’avenir les champs mortuaires seraient placés hors des murs d’enceinte.

Cet arrêt, n’ayant pas pourvu au remplacement des cimetières existants, rencontra une vive opposition et resta sans exécution.

En 1790, l’Assemblée constituante défendit d’inhumer dans les églises ; les troubles occasionnés par la Révolution et les guerres extérieures empêchèrent d’apporter un remède au danger, qui allait toujours croissant, et les choses en restèrent là.

Le 12 juin 1804, un décret impérial concernant les sépultures fut rendu, et aujourd’hui ce décret est encore en pleine vigueur. En voici le texte :


titre ier. — Des sépultures et des lieux qui leur sont consacrés.


Article 1er. « Aucune inhumation n’aura lieu dans les églises[1], temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement dans aucun des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, ni dans l’enceinte des villes et bourgs.

Art. 2. « Il y aura hors de chacun de ces villes ou bourgs, à la distance de trente-cinq à quarante mètres au moins de leur enceinte, des terrains spécialement consacrés à l’inhumation des morts.

Art. 3. « Les terrains les plus élevés et exposés au nord seront choisis de préférence ; ils seront clos de murs de deux mètres au moins d’élévation. On y fera des plantations, en prenant les précautions convenables pour ne point gêner la circulation de l’air.

Art. 4. « Chaque inhumation aura lieu dans une fosse séparée : chaque fosse qui sera ouverte aura un mètre cinq décimètres à deux mètres de profondeur, sur huit décimètres de largeur, et sera ensuite remplie de terre bien foulée.

Art. 5. « Les fosses seront distantes les unes des autres de trois à quatre décimètres sur les côtés, et de trois à cinq décimètres à la tête et aux pieds.

Art. 6. « Pour éviter le danger qu’entraîne le renouvellement trop rapproché des fosses, l’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’aura lieu que de cinq années en cinq années ; en conséquence, les terrains destinés à former les lieux de sépulture seront cinq fois plus étendus que l’espace nécessaire pour y déposer le nombre présumé de morts qui peuvent y être enterrés chaque année.


titre ii. — De l’établissement des nouveaux cimetières.


Art. 7. « Les communes qui seront obligées, en vertu des articles 1 et 2 du titre 1er, d’abandonner les cimetières actuels et de s’en procurer de nouveaux, hors de l’enceinte de leurs habitations, pourront, sans autre autorisation que celle qui leur est accordée par la déclaration du 10 mars 1776, acquérir les terrains qui leur seront nécessaires, en remplissant les formes voulues par l’arrêté du 7 germinal an IX.

Art. 8. « Aussitôt que les nouveaux emplacements seront disposés à recevoir les inhumations, les cimetières existants seront fermés et resteront dans l’état où ils se trouveront, sans que l’on en puisse faire usage pendant cinq ans.

Art. 9. « A partir de cette époque, les terrains servant maintenant de cimetières pourront être affermés par les communes auxquelles ils appartiennent ; mais à condition qu’ils ne seront qu’ensemencés ou plantés, sans qu’il puisse y être fait aucune fouille ou fondation pour des constructions de bâtiment, jusqu’à ce qu’il en soit autrement or « donné.


titre iii. — Des concessions de terrains dans les cimetières.


Art. 10. « Lorsque l’étendue des lieux consacrés aux inhumations le permettra, il pourra y être fait des concessions de terrains aux personnes qui désireront y posséder une place distincte et séparée pour y fonder leur sépulture et celles de leurs parents ou successeurs, et y construire des caveaux, monuments ou tombeaux.

Art. 11. « Les concessions ne seront néanmoins accordées qu’à ceux qui offriront de faire des fondations ou donations en faveur des pauvres et des hôpitaux, indépendamment d’une somme qui sera donnée à la commune, et lorsque ces fondations ou donations auront été autorisées par le gouvernement dans les formes accoutumées, sur l’avis des Conseils municipaux et la proposition des préfets[2].

Art. 12. « Il n’est point dérogé, par les deux articles précédents, aux droits qu’a chaque particulier, sans besoin d’autorisation, de faire placer sur la fosse de son parent ou de son ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture, ainsi qu’il a été pratiqué jusqu’à présent.

Art. 13. « Les maires pourront également, sur l’avis des administrations des hôpitaux, permettre que l’on construise, dans l’enceinte de ces hôpitaux, des monuments pour les fondateurs et bienfaiteurs de ces établissements, lorsqu’ils en auront déposé le désir dans leurs actes de donation, de fondation ou de dernière volonté.

Art. 14. « Toute personne pourra être enterrée sur sa propriété, pourvu que ladite propriété soit hors et à la distance prescrite de l’enceinte des villes et bourgs.


titre iv. — De la police des lieux de sépulture.


Art. 15. « Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier, et dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte.

Art. 16. « Les lieux de sépulture, soit qu’ils appartiennent aux communes, soit qu’ils appartiennent aux particuliers, seront soumis à l’autorité, police et surveillance des administrations municipales.

Art. 17. « Les autorités locales sont spécialement chargées de maintenir l’exécution des lois et règlements qui prohibent les exhumations non autorisées, et d’empêcher qu’il ne se commette aucun acte contraire au respect dû à la mémoire des morts.


titre v. — Des pompes funèbres.


Art. 18. « Les cérémonies précédemment usitées pour les convois, suivant les différents cultes, seront rétablies, et il sera libre aux familles d’en régler la dépense selon leurs moyens et facultés ; mais, hors de l’enceinte des églises et des lieux de sépulture, les cérémonies religieuses ne seront permises que dans les communes où l’on ne professe qu’un seul culte, conformément à l’art. 45 de la loi du 18 germinal an X.

Art. 19. « Lorsque le ministre d’un culte, sous quelque prétexte que ce soit, se permettra de refuser son ministère pour l’inhumation d’un corps, l’autorité civile, soit d’office, soit sur la réquisition de la famille, commettra un autre ministre du même culte pour remplir ces fonctions ; dans tous les cas, l’autorité civile est chargée de faire porter, présenter, déposer et inhumer les corps.

Art. 20. « Les frais et rétributions à payer aux ministres des cultes et autres individus attachés aux églises et temples, tant pour leur assistance aux convois que pour les services requis par les familles, seront réglés par le gouvernement, sur l’avis des évêques, des consistoires et des préfets, et sur la proposition du conseiller d’Etat chargé des affaires concernant les cultes. Il ne sera rien alloué pour leur assistance à l’inhumation des individus inscrits aux rôles des indigents.

Art. 21. « Le mode le plus convenable pour le transport des corps sera réglé, suivant les localités, par les maires, sauf l’approbation des préfets.

Art. 22. « Les fabriques des églises et les consistoires jouiront seuls du droit de fournir les voitures, tentures, ornements, et de faire généralement toutes les fournitures quelconques nécessaires pour les enterrements, et pour la décence ou la pompe des funérailles. — Les fabriques et consistoires pourront faire exercer ou affermer ce droit, d’après l’approbation des autorités civiles sous la surveillance desquelles ils sont placés[3].

Art. 23. « L’emploi des sommes provenant de l’exercice ou de l’affermage de ce droit sera consacré à l’entretien des églises, des lieux d’inhumation et au payement des desservants ; cet emploi sera réglé et réparti sur la proposition du conseiller d’Etat chargé des affaires concernant les cultes, et d’après l’avis des évêques et des préfets.

Art. 24. « Il est expressément défendu à toutes autres personnes, quelles que soient leurs fonctions, d’exercer le droit sus-mentionné, sous telle peine qu’il appartiendra, sans préjudice des droits résultant des marchés existants et qui ont été passés entre quelques entrepreneurs et les préfets ou autres autorités civiles, relativement aux convois et pompes funèbres.

Art. 25. « Les frais à payer par les successions des personnes décédées, pour les billets d’enterrement, le prix des tentures, les bières et le transport des corps, seront fixés par un tarif proposé par les administrations municipales et arrêté par les préfets.

Art. 26. « Dans les villages et autres lieux où le droit précité ne pourra être exercé par les fabriques, les autorités locales y pourvoiront, sauf l’approbation des préfets. »


Ce règlement pourvoi!à tout ce qui concerne soit la salubrité publique, soit la décence due à la cendre des morts ; depuis cinquante ans, sauf quelques légères modifications qui laissent subsister le principe entier, il fait la règle et sert de code sur la matière.

A Paris, l’article 4 n’a pu être exécuté à la lettre ; on verra sous le chapitre V, ci-après, de quelle manière la sépulture est donnée aux personnes qui ne peuvent ou qui ne veulent acquérir un terrain temporairement ou à perpétuité.

Donc, si les anciens ont pris un grand soin de leurs lieux de sépultures ; si les Hébreux, les Egyptiens, les Grecs et les Romains, en raison de leur culte pour leurs morts, sont l’objet d’une admiration universelle, nous pouvons, sans nous enorgueillir, nous flatter de ne pas leur céder sous ce rapport.

Les cimetières de Paris, spécialement celui qui va nous occuper, sont remplis journellement d’une foule de personnes de tous les pays, de toutes les nations, attirées là soit pour visiter les dépouilles mortelles des célébrités qui reposent en ces lieux, soit pour admirer les arts qui semblent s’y être donné rendez-vous de toutes les parties du monde, soit pour accomplir un vœu pieux, près d’un parent, d’un ami, etc.

Si quelques-uns de nos lecteurs ont visité ces lieux les jours où la religion nous appelle plus spécialement à nous souvenir des morts, ceux là pourront rapporter le même témoignage que nous ; mais aussi, comme à nous,il leur sera impossible de donner une approximation du nombre de visiteurs en ces jours[4].

Il est donc établi d’une manière incontestable que la sépulture est aussi vénérée chez nous qu’elle ne l’a jamais été chez aucun peuple.

  1. On autorise cependant l’inhumation des évêques et archevêques dans les églises cathédrales. Une ordonnance de Louis XVIII a permis, lors de la suppression du cimetière où était enterré le célèbre jurisconsulte Pothier, d’exhumer son corps et de le déposer dans la cathédrale d’Orléans.
  2. L’ordonnance du 6 décembre 1843 dispose : « Art. 3. Aucune concession de terrain dans les cimetières ne peut avoir lieu qu’au moyen du versement d’un capital dont les deux tiers au profit de la commune, et un tiers au profit des pauvres ou des établissements de bienfaisance. Ce capital est déterminé par les Conseils municipaux. »
  3. Un décret du 10 février 1806 porte, que les art. 22 et 24 de celui ci-dessus ne sont pas applicables aux juifs.
  4. Le 1er novembre 1853, jour de la Toussaint, le cimetière du Père-Lachaise a été seriné une heure avant celle fixée par le règlement, le nombre de visiteurs était immense, et il n’a pas fallu moins de deux heures d’un défilé bien serré pour faire évacuer ce lieu.