Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Garnier (p. 29-30).

CHAPITRE VI

Pourquoi nous donne-t-on le nom de voleurs, à nous qui sommes les gardes du corps de la nuit ? Qu’on nous appelle les compagnons de Diane dans les forêts, les gentilshommes des ténèbres, les favoris de la lune !
Shakespeare. Henry IV, partie I.

Le solitaire avait passé dans son jardin le reste du jour où il avait eu la visite des trois cousines ; le soir, il vint s’asseoir sur son banc favori.

Pendant que le Nain avait les yeux tournés, un cavalier arriva au grand galop, et, s’arrêtant comme pour laisser reprendre haleine à sa monture, fit à l’anachorète une espèce de salut avec un air d’effronterie.

D’une taille maigre et élancée, cet homme n’en paraissait pas moins avoir la force et la constitution d’un athlète. Son visage, brûlé par le soleil, annonçait l’audace, l’impudence et la fourberie une paire de pistolets d’arçon garnissait les fontes de sa selle, et une autre paire brillait à sa ceinture.

— Eh bien, dit le Nain, voilà donc encore le Vol et le Meurtre à cheval !

— À cheval ? oui, oui, Elshie, répondit le bandit, votre science de médecin m’a remonté sur mon brave cheval bai.

— Et toutes ces promesses d’amendement que vous aviez faites pendant votre maladie, elles sont oubliées ?

— Parties avec l’eau chaude et la panade. Que voulez-vous que j’y fasse ! cela est né avec moi, c’est dans mon sang. De père en fils les lurons de Westburnflat ont tous été des rôdeurs et des pillards.

— Pour quelle œuvre de l’enfer es-tu en course cette nuit ?

— Est-ce que votre science ne vous l’apprend pas ?

— Elle m’apprend que ton dessein est coupable, que ton action sera plus coupable encore, et que la fin sera pire que le reste.

— Et vous ne m’en aimez pas moins pour cela.

— J’ai des raisons pour aimer ceux qui sont le fléau de l’humanité. — Tu vas répandre le sang ?

— Non !… à moins qu’on ne fasse résistance ; car alors la colère l’emporte ; je veux seulement couper la crête d’un jeune coq qui chante trop haut.

Ce n’est pas du jeune Earnscliff ? dit le Nain avec quelque émotion.

— Le jeune Earnscliff ?… Pas encore ! mais son tour pourra venir, s’il ne prend garde à lui, et s’il ne retourne à la ville, au lieu de s’amuser ici à détruire le peu de gibier qui nous reste.

— C’est donc Hobbie d’Heugh-Foot ? Quel mal t’a-t-il fait ?

— Quel mal ? pas grand mal ; mais il dit que le dernier mardi gras je n’osais me montrer de peur de lui, tandis que c’était de peur du shérif ; il y avait un mandat contre moi. Je me moque d’Hobbie et de tout son clan ; mais ce n’est pas tant pour me venger que pour lui apprendre à ne pas donner carrière à sa langue en parlant de ceux qui valent mieux que lui ; je crois que demain matin il aura perdu la meilleure plume de son aile… Adieu, Elshie ; il y a quelques bons enfants qui m’attendent dans les montagnes.

Avant que le Nain eût le temps de répliquer, le bandit de Westburnflat partit au grand galop.

— Ce misérable, se dit le Nain, a des nerfs et des muscles assez forts et assez souples pour dompter un animal mille fois plus noble que lui. Et moi, si j’avais la faiblesse de vouloir prévenir sa malheureuse victime, la décrépitude qui, m’enchaîne ici mettrait un obstacle à mes bonnes intentions. — Mais pourquoi désirerais-je, qu’il en fût autrement ? Qu’ont de commun ma voix aigre, ma figure hideuse, ma taille mal conformée, avec ceux qui se prétendent les chefs-d’œuvre de la création ? Pourquoi donc prendrais-je quelque intérêt à une race qui me regarde et qui m’a traité comme un monstre ? Non ; par toute l’ingratitude que j’ai éprouvée, j’étoufferai dans mon cœur une sensibilité rebelle ! Je n’ai que trop souvent été assez insensé pour dévier de mes principes quand mes sentiments se liguaient contre moi ? Que la destinée promène son char armé de faux sur l’humanité tremblante, je ne me précipiterai pas sous ses roues pour lui dérober une victime. — Et cependant ce pauvre Hobbie, si jeune, si franc, si brave. — Oublions-le ! je ne pourrais le secourir quand même je le voudrais.

Ayant ainsi terminé son soliloque, il se retira dans sa chaumière.