Le Nain noir/La rencontre

Traduction par Albert Montémont.
Ernest Sambrée (p. 21-31).

CHAPITRE II

La rencontre.


N’y a-t-il donc que le rôle de Henri le Chasseur qui puisse vous convenir ?
xxLes Comères de Windsor.
SHAKSPEARE.


Dans un des cantons les plus reculés du sud de l’Écosse, où une ligne, que l’on s’imaginerait tirée le long des sommets glacés des hautes montagnes, sépare ce pays du royaume voisin, soumis au même monarque, un jeune homme nommé Halbert ou Hobbie Elliot, de Preakin-Tower, (de la cour de Preakin) fameux dans les comtes et ballades des frontières, revenait de la chasse au daim. Ces animaux, autrefois si nombreux dans ces vastes solitudes, étaient alors réduits à quelques troupeaux, qui, se réfugiant dans les retraites les plus reculées et les plus inaccessibles, rendaient la tâche de les poursuivre également laborieuse et précaire ; et néanmoins il se trouvait un grand nombre de jeunes gens du pays qui se livraient avec ardeur à cet amusement, malgré tous ses dangers et toutes ses fatigues. L’épée avait été remise dans le fourreau, sur la frontière, depuis plus de cent ans, par la pacifique union des deux couronnes, sous le règne de Jacques Ier du nom en Angleterre. Toutefois, le pays conservait les traces de ce qu’il avait été jadis ; les habitants, dont les occupations paisibles avaient été continuellement interrompues par les guerres civiles du siècle précédent, n’étaient pas encore parvenus à se faire aux habitudes d’une industrie régulière. L’éducation des bêtes à laine n’était pas encore établie sur une échelle un peu considérable, et celle du gros bétail était le principal objet auquel on appliquait le produit des collines et des vallées. Tout auprès de son habitation, le fermier s’arrangeait pour faire venir une quantité d’avoine ou d’orge suffisante aux besoins de sa famille, et l’ensemble de ce mode de culture, mal dirigé, et par conséquent imparfait lui laissait, ainsi qu’a ses domestiques, beaucoup de temps inoccupé. Les jeunes gens l’employaient ordinairement à la, chasse et à la pêche, et, l’esprit d’aventure qui, autrefois, donnait lieu à la dévastation et au pillage, se manifestait encore dans l’ardeur avec laquelle ils se livraient à ces divertissements particuliers à la campagne,.

À l’époque à laquelle commence notre histoire, ceux des jeunes gens qui avaient l’âme plus élevée que les autres attendaient, avec plus d’espérance que de crainte, l’occasion d’imiter les exploits militaires de leurs pères, dont le récit faisait le principal sujet de leurs entretiens particuliers. La publication de l’Acte de sécurité Écossais avait jeté l’alarme parmi les Anglais, parce qu’il semblait présager une séparation entre les deux royaumes après la mort de la reine Anne, souveraine régnante. Godolphin, alors à la tête de l’administration anglaise, prévit que le seul moyen d’éviter l’extrémité à laquelle il était probable que l’on serait exposé, celle d’une guerre civile, c’était de parvenir à l’incorporation des deux royaumes. Comment ce traité fut conduit, combien peu il parut, pendant quelque temps, faire espérer les résultats avantageux qu’il a produits depuis à un degré aussi éminent, c’est ce qu’on peut voir en lisant l’histoire de cette époque. Il nous suffira, dans l’objet qui nous occupe, de dire que toute l’Écosse fut indignée en apprenant les conditions auxquelles La législature avait sacrifié son indépendance nationale. Le ressentiment général produisit les ligues les plus étranges, les projets les plus extravagants. Les Caméroniens même parlaient de prendre les armes pour le rétablissement des Stuarts, qu’ils regardaient avec raison comme leurs oppresseurs, et les intrigues de cette époque présentaient l’étrange spectacle de papistes, d’épiscopaux et de presbytériens, cabalant entre eux contre le gouvernement anglais, tous animés d’un même sentiment, celui de croire que leur pays était la victime de l’injustice. La fermentation était universelle ; et, comme en général la population de l’Écosse avait été élevée au maniement des armes, par suite de l’acte de sécurité, elle se trouvait passablement préparée à la guerre, et n’attendait plus qu’à voir quelques membres de la noblesse se déclarer, pour se montrer ouvertement en état d’hostilité. C’est à cette époque de confusion générale que commence notre histoire.

Le cleugh, ou ravin sauvage, jusqu’au seuil duquel Hobbie Elliot avait poursuivi le gibier, était déjà loin derrière lui, et il était déjà fort avancé dans la route qui le ramenait à son habitation, lorsque la nuit commença à l’envelopper. Cette circonstance aurait été fort indifférente pour l’expérimenté chasseur qui aurait parcouru les yeux bandés chaque pouce de terrain dans des bruyères qui lui étaient si bien connues, si elle n’eût pas eu lieu près d’un endroit qui, selon les traditions du pays, était en fort mauvaise réputation, en ce qu’on le croyait le théâtre d’apparitions surnaturelles. Hobbie, dans son enfance, avait prêté une oreille attentive à des récits de cette espèce, et comme aucune autre partie du pays ne fournissait une aussi grande variété de légendes, il n’y avait personne qui fût aussi profondément versé dans la connaissance de toutes ces étonnantes merveilles que l’était Hobbie de Heugh-Foot ; car c’est ainsi qu’on avait surnommé notre brave jeune homme, pour le distinguer d’une douzaine, d’autres Elliot qui avaient le même prénom. Il n’eut donc pas besoin de faire de grands efforts pour rappeler à sa mémoire les épouvantables incidents qui se liaient avec la vaste étendue de terrain inculte qu’il allait parcourir ; et dans le fait ils se retracèrent avec une promptitude qui fit naître en lui un sentiment voisin de celui de la terreur.

Cette lande solitaire était appelée Mucklestane-Moor (Pierre-Noire), à cause d’une énorme colonne de granit brut qui élevait sa tête massive sur une éminence située à peu près au centre de la bruyère, peut-être pour indiquer l’endroit où de vaillants guerriers reposaient en paix, ou pour conserver le souvenir de quelque combat sanglant. Au reste, la véritable cause de son érection était oubliée, et la tradition, souvent aussi prompte à inventer une fiction que soigneuse à conserver une vérité, avait pourvu à son remplacement au moyen d’une légende supplémentaire, fruit de sa propre imagination, qui se présenta tout à coup à la mémoire de Hobbie. Le terrain autour de la colonne était jonché ou plutôt encombré de plusieurs gros fragments du même granit, qui, d’après leur forme et la manière dont ils étaient dispersés sur la bruyère, étaient populairement appelés les Oies-Grises de Mucklestane-Moor.

La légende donnait l’explication de cette forme et de ce nom dans le récit qu’elle faisait de la catastrophe arrivée à une fameuse et formidable sorcière qui fréquentait jadis ces pays montagneux, faisant avorter les brebis et les vaches, et commettant tous les actes de méchanceté que l’on attribue à ces êtres malfaisants. C’était sur cette bruyère qu’elle avait coutume de tenir ses assemblées diaboliques avec ses sœurs en sorcellerie. On montrait encore des cercles tracés, en dedans de la circonférence desquels jamais ne croissait, gazon ni bruyère ; le sol était pour ainsi dire calciné par les pieds brûlants de leurs associés infernaux.

Un jour, dit-on, cette sorcière eut à traverser ces landes, chassant devant elle un troupeau d’oies qu’elle se proposait de vendre avantageusement à une foire voisine ; car on sait fort bien que le diable, quelque libéral qu’il se montre dans sa distribution des pouvoirs de faire le mal, est assez peu généreux pour laisser ses alliés dans la nécessité de s’occuper des travaux même les plus vils afin de pourvoir à leur subsistance. Le jour était très avancé, et l’espoir qu’elle avait d’obtenir un bon prix de ses oies dépendait de son arrivée à la foire avant qui que ce fût. Mais les oies, qui, jusqu’à ce moment l’avaient précédée dans un assez bon ordre, n’eurent pas plutôt atteint ce vaste communal entrecoupé d’espaces marécageux et de flaques d’eau, qu’elles se dispersèrent de tous côtés pour se plonger dans leur élément favori. Irritée de l’obstination avec laquelle elles résistaient à tous les efforts qu’elle faisait pour les rassembler, et ne se souvenant pas des termes précis du contrat par lequel le malin esprit s’était obligé à obéir à ses ordres pendant un certain espace de temps, la sorcière s’écria : « Diable, que je ne sorte plus de ces lieux, ni mes oies, ni moi ! » Ces paroles ne furent pas plutôt prononcées que, par une métamorphose aussi soudaine qu’aucune de celles dont il est fait mention dans Ovide, la sorcière et son troupeau récalcitrant furent changés en pierres ; l’ange qu’elle servait, étant un rigoureux observateur des formes, avait saisi avec avidité l’occasion d’opérer la ruine complète de son corps et de son âme, en obéissant littéralement à ses ordres. On dit que lorsqu’elle eut la perception et le sentiment de la transformation qui allait avoir lieu, elle adressa ces paroles au démon perfide. : « Ah ! double traître ! depuis longtemps tu me promettais une robe grise, et maintenant j’en revêts une qui durera à jamais ». Les dimensions de la colonne et la grosseur des pierres étaient souvent citées comme preuves de la taille et de la grosseur extraordinaire des vieilles femmes et des oies dans les temps anciens, par ces louangeurs du temps passé, qui se plaisaient à maintenir l’opinion d’une dégénération graduelle dans le genre humain.

Tous ces détails se présentèrent à l’esprit de Hobbie à mesure qu’il traversait cet endroit sauvage. Il se rappela aussi que depuis la catastrophe tout être humain avait évité d’y passer, du moins à la nuit tombante, parce qu’on regardait ce lieu comme le repaire ordinaire des kelpys, ou spunkys et autres démons, qui avaient été autrefois les compagnons des assemblées diaboliques tenues par la sorcière, et qui même encore continuaient de s’y rendre, comme pour servir leur maîtresse métamorphosée. Le naturel courageux de Hobbie lutta néanmoins avec fermeté contre les sentiments de crainte qui semblaient vouloir s’introduire dans son âme. Il appela auprès de lui les deux gros lévriers qui avaient partagé avec lui les plaisirs de la chasse, et qui, comme il le disait lui-même, ne craignaient ni chiens ni diables ; il examina l’amorce de son fusil, et, comme le paysan bouffon dans Hallowe’en, il se mit à siffler l’air guerrier de Jock of the side[1], de la même manière qu’un général fait battre le tambour pour ranimer le courage chancelant de ses soldats.

Dans cette situation d’esprit, il fut charmé d’entendre quelqu’un derrière lui, qui, d’une voix amicale, se proposait comme compagnon de route. Il ralentit sa marche et fut bientôt joint par un jeune homme de sa connaissance, jouissant de quelque fortune dans le pays et qui comme lui venait de se livrer ce jour-là au même genre d’amusement.

Le jeune Earnscliff, du domaine de ce nom, avait depuis peu atteint sa majorité et hérité d’une fortune peu considérable, parce qu’elle avait beaucoup souffert à cause de la part que ses parents avaient prise dans les troubles de l’époque. Sa famille était généralement respectée dans le pays, et il n’y avait pas de doute que le jeune héritier ne maintînt parfaitement cette réputation, vu la bonne éducation qu’il avait reçue et les excellentes qualités dont il était doué.

« Certes, Earnscliff, s’écria Hobbie, je suis toujours charmé de rencontrer Votre Honneur quelque part que ce soit, et surtout dans un lieu solitaire comme celui-ci, on est bien aise d’être en compagnie. Où avez-vous été chasser aujourd’hui ?

— Jusqu’au Carle’s-Cleugh, Hobbie, » répondit Earnscliff en lui rendant son salut. « Mais croyez-vous que nos chiens se maintiennent en paix ?

— Oh ! ne craignez rien de la part des miens, dit Hobbie, ils peuvent à peine se tenir sur leurs pattes. Mais, en vérité, je crois que les daims ont fui le pays. J’ai été jusqu’à Inger-Fill-Foot, et du diable si j’ai vu une seule corne, sauf trois jeunes daims sauvages, qui ne m’ont jamais laissé venir à portée de les tirer, quoique j’aie fut un détour d’un mille pour prendre le vent et tout ce qui s’ensuit. Pour mon compte je m’en souciais fort peu ; seulement j’aurais voulu apporter un peu de gibier à ma vieille bonne mère qui est assise dans son coin là-bas, contant des histoires des grands chasseurs et des fameux tireurs du temps passé. Ma foi, pour ma part, je crois qu’on a tué tous les daims qui étaient dans le pays.

— Eh bien ! Hobbie, je vous dirai que j’ai tué un excellent chevreuil que j’ai envoyé ce matin à Earnscliff, vous en aurez la moitié pour votre grand’mère.

— Bien des remercîments, monsieur Patrick, dit Hobbie ; vous êtes connu dans tout le pays pour votre bon cœur. Cela va réjouir le cœur de la bonne femme, surtout quand elle saura que c’est à vous qu’elle le doit, et bien plus encore si vous venez en prendre votre part, car je m’imagine que vous êtes seul maintenant à la vieille tour, et que toute votre famille est allée à cet ennuyeux Edimbourg. Je m’étonne quel plaisir ils peuvent trouver au milieu de tous ces rangs de maisons en pierres couvertes d’ardoises, tandis qu’ils pourraient vivre si agréablement au milieu de leurs vertes collines

— Mon éducation, ainsi que celle de mes sœurs, a retenu ma mère à Edimbourg pendant plusieurs années, dit Earnscliff ; mais je vous assure que mon intention est de réparer le temps perdu.

— Et vous restaurerez un peu la vieille tour, dit Hobbie, et vous vivrez en bon et agréable voisin avec les vieux amis de la famille, comme il convient au laird d’Earnscliff. Je puis vous dire que ma mère..., ma grand’mère, dis-je, mais depuis que nous avons perdu notre mère, nous l’appelons tantôt d’une manière, tantôt de l’autre ; mais enfin elle pense qu’elle est votre parente peu éloignée.

— Cela est vrai, Hobbie, répliqua Earnscliff, et demain je viendrai dîner à Heugh-Foot, avec grand plaisir.

— Eh bien ! à la bonne heure, dit Hobbie. Nous sommes d’anciens voisins, si nous ne sommes pas parents, et ma bonne mère a grande envie de vous voir. Elle jase si souvent au sujet de votre père qui a été tué il y a longtemps.

— Chut, chut, Hobbie ! ne me parlez plus d’un événement si malheureux, et ne me rappelez pas ce que je voudrais tant oublier !

— Je n’en sais rien ! répliqua Hobbie ; si cela fût arrivé chez nous, nous en aurions conservé le souvenir pendant longtemps, et jusqu’à ce que nous eussions obtenu quelque dédommagement ; mais vous savez mieux que personne ce que vous avez à faire, vous autres lairds. J’ai ouï dire que ce fut l’ami d’Ellislaw qui le frappa, après que le laird lui-même eut saisi son épée.

— Allons, n’en parlons plus, Hobbie. Ce fut une querelle occasionnée par le vin et la politique : plusieurs épées furent tirées, et il est impossible de dire qui est celui qui porta le coup.

— Quoi qu’il en soit, répliqua Hobbie, le vieux Ellislaw fut fauteur et complice, et je suis bien sûr que si vous étiez disposé à vous venger sur lui, personne ne vous désapprouverait, car ses mains sont encore teintes du sang de votre père, et il n’y a que vous qui puissiez en tirer vengeance ; d’ailleurs Ellislaw est un épiscopal et un jacobite. Je puis vous dire que tous les gens du pays s’attendent à ce qu’il se passe quelque chose entre vous deux.

— Oh, fi donc, Hobbie ! vous qui prétendez avoir de la religion, exciter votre ami à contrevenir à la loi, à se venger de ses propres mains, et dans un lieu désert comme celui-ci, où nous ne savons par quels êtres nous pouvons être écoutés !

— Chut, chut ! » dit Hobbie, en se rapprochant de lui, « je ne pensais à rien de tout cela… Mais je devine à peu près ce qui retient votre bras, monsieur Patrick ; nous savons bien que vous ne manquez pas de courage. Ce sont certainement les deux yeux châtains d’une jolie fille, de miss Isabelle Vère, qui vous tiennent si tranquille.

— Je vous assure, Hobbie, que vous vous trompez, » répondit Earnscliff d’un air un peu fâché ; « et c’est fort mal à vous d’avoir ou d’exprimer une telle pensée ; je n’aime pas que l’on s’oublie au point de lier mon nom à celui d’aucune jeune demoiselle.

— Eh bien ! le voilà, maintenant, le voilà, répliqua Elliot ; ne disais-je pas que ce n’était pas le manque de courage qui vous rendait si doux ? Allons, allons, je n’ai pas eu l’intention de vous offenser ; mais il y a une observation qu’il faut que je vous fasse en ami. Le vieux laird d’Ellislaw a l’ancien sang du pays plus chaud dans ses veines que vous. Au fait, il n’entend rien aux nouvelles idées de paix et de tranquillité ; il est tout pour les anciennes coutumes de lever le bras et de frapper ; et il a à sa suite un nombre de jeunes gens vigoureux dont il soutient bien l’ardeur, et qui sont aussi pleins de malice que de jeunes poulains. Où il prend son argent, c’est ce que personne ne sait, mais il vit grandement, et dépense même au delà de ses revenus : néanmoins il paye bien. Ainsi, s’il arrive quelque soulèvement dans le pays, il est probable qu’il sera un des premiers à se joindre aux mécontents ; et bien sûrement, il n’oubliera pas ses anciennes querelles avec votre famille. Je soupçonne fort qu’il voudra faire quelque tentative contre la vieille tour d’Earnscliff.

— Eh bien ! Hobbie, s’il est assez mal avisé pour l’entreprendre, je ferai mes efforts pour défendre la vieille tour contre lui, comme mes ancêtres l’ont fait contre les siens pendant bien longtemps.

— Fort bien, très bien ! voilà parler comme un homme, dit le brave fermier ; et si les choses en viennent à ce point, vous n’avez qu’à dire à votre domestique de sonner la grosse cloche de la tour, et vous nous verrez, moi, mes deux frères et le petit Davie de Stenhouse, arriver auprès de vous avec tous ceux que nous aurons pu rassembler, en moins de temps qu’il n’en faut pour tirer une étincelle d’une pierre à fusil.

— Bien des remercîments, Hobbie ; mais j’espère que nous ne verrons pas de notre temps une guerre aussi dénaturée et aussi anti-chrétienne.

— Bah ! bah ! monsieur Patrick, répliqua Elliot, ce ne serait qu’un petit bout de guerre entre voisins : certainement le ciel et la terre savent d’ailleurs que, dans une contrée aussi sauvage, c’est la nature du pays et des habitants ; nous ne pouvons pas vivre tranquilles comme les gens de Londres, n’ayant pas autant à faire qu’eux ; c’est une chose impossible.

— En vérité, Hobbie, dit le laird, pour un homme qui croit si sérieusement que vous aux apparitions surnaturelles, je dois dire que vous parlez du ciel un peu témérairement, surtout dans un lieu comme celui où nous nous trouvons.

— Pourquoi le Mucklestane-Moor ferait-il plus d’impression sur moi que sur vous, monsieur Earnscliff, » dit Hobbie un peu offensé. « Il est sûr que l’on dit qu’il y a des épouvantails, des choses avec de longs becs ; mais qu’ai-je à m’inquiéter de tout cela ? j’ai la conscience nette, et peu de chose à me reprocher, excepté peut-être quelques folies avec les jeunes filles, ou une bamboche dans quelque foire ; mais ça ne vaut pas la peine d’en parler ; et quoique ce soit moi-même qui vous le dise, croyez que je suis un garçon aussi tranquille et aussi pacifique…

— Et la tête de Dick Turnbull que vous avez cassée, et Willie de Winton sur qui vous avez fait feu ? dit son compagnon.

— Ah, diable ! Earnscliff, vous tenez donc registre des fautes de tout le monde ? interrompit Hobbie. Mais la tête de Dick est guérie ; et afin de vider entièrement notre querelle, nous devons nous battre à Jeddart, le jour de Sainte-Croix ; ainsi voilà une affaire arrangée d’une manière très pacifique ; et puis Willie et moi nous sommes amis de nouveau ; pauvre garçon ! mais ce n’était que deux ou trois grains de grêle après tout… Je m’en laisserais faire autant par qui que ce fût pour une pinte d’eau-de-vie. Mais Willie a été élevé dans la plaine ; pauvre petit faon, la moindre chose l’effraie ; mais, quant à ces épouvantails, si nous en rencontrions un dans ce lieu même…

— Cela n’est pas invraisemblable, dit le jeune Earnscliff ; car voilà là bas notre vieille sorcière, Hobbie.

— Je vous dis, » reprit Hobbie comme indigné du soupçon que son compagnon paraissait avoir, « je vous dis que si la vieille sorcière elle-même venait à sortir de dessous la terre, justement ici devant nous, je n’y ferais pas plus… Mais, Dieu nous préserve ! Earnscliff, qu’est-ce qu’il y a donc là-bas ? »

  1. Jacques du Côté (A. M.)