Le Monialisme, Histoire galante (2e éd.)/06

A Rome aux dépens des couvens (Tome I, Tome IIp. 210-266).

HISTOIRE

DE

SYLVIE.


J’ai premierement sçu de très bonne heure, ma chere amie, avant même que la nature se fût développée chez moi, ce qui fait la distinction des deux sexes ; car à peine avois-je dix ans, que nous nous rassemblions cinq à six de l’un et de l’autre, à peu près du même âge. Mon frere invitoit ses camarades, moi mes petites compagnes ; nous nous fouëttions, nous nous examinions : la broquette des garçons qui n’étoit pas plus grosse que le petit doigt, nous servoit de joujou, c’est ainsi que nous nommions cette partie-là ; en un mot nous faisions mille petites singeries : ignorant sa véritable propriété, et trop jeunes pour nous laisser enflammer, nous en restions-là.

Ce petit train dura quelque temps ; mais ma mere qui l’apprit, vint un matin me trouver que j’étois encore au lit, et me dit : comment ! morveuse, vous commettez, déjà des immodesties ? vous commencez de bonne heure ! elle m’étrilla en fille de bonne maison : mon frere eut aussi sa ration, et dès ce moment notre petite société fut rompue.

Je fus conduite le lendemain, après dîner, aux Augustins pour me confesser. Le Pere qui m’entendit, étoit ou jouoit le sévere ; cependant tout le temps qu’il a eu ma confiance, il ne s’est point démenti : et lorsque je commençai à lui débiter l’article en question, car on m’avoit expressément ordonné de ne pas l’omettre ; ainsi prévenu, il ne me laissa pas achever, m’ordonna expressement de ne jamais toucher, ni sur moi ni sur autrui, les endroits qui servent aux besoins de la nature ; que cela étoit contre la décence, la pureté, que l’on offensoit Dieu ; en un mot, il me débita une kyrielle de morale qui ne finissoit plus, et me renvoya après m’avoir imposé une légere pénitence.

Arrivée à la maison, ce salut dont il m’avoit parlé, que je craignois de perdre, et la maniere dont il condamna nos jeux enfantins, toute jeune que j’étois, me fit afficher la dévotion et cela de bonne foi. Je fréquentois les sacremens toutes les semaines, je ne sortois que pour aller à la messe, je travaillois et priois toute la journée, au point que j’étois citée pour modele. Je continuai ce train de vie, sans la moindre difficulté, jusqu’au temps que je me formai. Tu sçais, Angelique, que nous ne parvenons pas à ce point sans éprouver bien des révolutions ! On eut soin de me faire la leçon : cependant, malgré toutes les défenses de mon pieux directeur, un matin, en changeant de linge, j’examinai fort attentivement ce qui commençoit à ombrager ma petite fraise : selon les principes que j’avois reçus, je compris que j’avois mal fait ; je me jettai à genoux, et en demandai, dans l’instant, pardon à celui qui en étoit le créateur.

J’allai le révéler aux oreilles de mon Augustin, et cela si ingénument qu’aucun autre n’auroit pu s’empêcher d’en rire ; il me traita fort mal, me dit que j’étois une impudique, me défendit de nouveau ces regards et ces attouchemens, à moins que je ne voulusse me précipiter dans les enfers dont il me représenta avec emphase, toutes les horreurs. Il m’avoit si effrayé, que je crus qu’ils alloient s’ouvrir sous mes pieds : je fus donc pendant quelque temps, fort réservée sur l’article en question, et quoique je pusse ressentir, très-exacte à suivre ses avis, je lui faisois part des démangeaisons que j’éprouvois ; il me donna une discipline, mais j’eus beau me mettre les fesses en compôte, je n’étois pas plus tranquille ; je m’apperçus même que les envies de me toucher étoient plus fréquentes ; ma santé s’altéra ; cette liqueur qui surabonde en nous, et qui nous incommode lorsque nous n’avons pas soin de nous en débarrasser, me fit tomber dans une espece de langueur ; quoique la nature s’aidât quelquefois elle-même, j’en étois peu soulagée ; on m’ordonnoit encore de jeûner pour empêcher ces effets. Que les filles sont à plaindre lorsqu’elles ont le malheur de tomber entre les mains de pareils animaux ! Mais enfin une aventure dont je fus témoin, me fit changer de conduite, et j’eus bientôt repris mon embonpoint : voici comme la chose arriva.

Ma mere, encore jeune et fraîche, peu contente des embrassemens de mon pere, qui étoit un vieux militaire ruiné, et plus que sexagénaire, tandis que je suivois ainsi mon zele outré, se faisoit caresser par un médecin de bonne mine qui venoit souvent à la maison.

Un jour que le démon de la chair, pour parler le langage de l’apôtre, me livroit un combat singulier, et que pour obtempérer aux conseils de mon bigot, qui étoit de tracasser, de changer d’occupations, je me proposois d’aller à ma voliere qui étoit au grenier, j’entendis en passant, parler dans la chambre de ma mere ; la croyant sortie, je voulus sçavoir qui c’étoit, et regardant par la porte vitrée ; quelle fut ma surprise de la voir appuyée sur le devant de son lit, retroussée jusqu’aux hanches ! et le docteur debout, qui examinoit, pâtinoit tout ce qui se présentoit à sa vue, et qui en montroit un, oh ! je te réponds Angélique, qu’il étoit de taille : j’en frémis : je me rappellai pour lors ce que j’avois vu faire aux petites bonnes gens dont je t’ai parlé, mais quelle différence !

C’est assez, lui dit ma mere en se tournant ; allons donc ! Je vis pour lors, et cela très-distinctement, comment nous nous reproduisons ; leurs mouvemens, les baisers qu’ils se donnerent, m’annoncerent qu’ils touchoient au terme de la suprême félicité : il avoit commencé par le petit pas, il alla ensuite le grand trot ; il redoubla ses ah ! ah, maman ses sanglots, et parurent expirer tous deux : je me retirai.

Convaincue que celle qui m’avoit si maltraitée pour m’être amusée avec des enfans de mon âge, n’étoit pas si scrupuleuse qu’elle vouloit le faire paroître ; on abuse de ma simplicité, me dis je à moi-même : et éloignant tous les obstacles qui pouvoient balancer mon empressement à me soulager, je portai la main au fruit défendu, et ne tardai pas à tressaillir de joie : je recommençai, nouveau plaisir. J’abandonnai pour lors toutes les momeries dans lesquelles m’avoit plongée mon rigoriste, et me trouvai plus à l’aise

il est vrai que de temps en temps quelques réflexions, effets de la morale dont on m’avoit bercée, vinrent troubler tour-à-tour mon nouveau genre de vie ; cela ne m’empêcha pas de continuer. Je fus cependant bien aise que les vendanges approchassent pour n’être pas dans le cas de me confesser ; c’est tout ce qui m’embarrassoit. Nous partîmes, et j’y fis connoissance d’une demoiselle qui détruisit entiérement mes scrupules : nous devînmes bientôt amies, nos confidences rendirent nos plaisirs communs, et pour les satisfaire, nous nous servions des ressources que nos mains nous fournissoient. Ce n’est pas qu’elle manquât de connoissances, et qu’elle ignorât que les femmes se servent encore d’autres moyens.

Je ne te conseille pas, me dit elle, surtout si tu prétends au mariage, de faire usage de certains instrumens dont notre sexe se sert quelquefois pour s’amuser ; l’atteinte qu’en reçoit le pucelage est un peu forte ; malgré les astringents dont on se sert, on ne remet jamais les choses dans leur premier état, et on perd souvent l’estime de son mari ; elle voulut que je lui racontasse toutes les circonstances de l’aventure galante de ma mere, et comme je lui demandois si elle s’en étoit toujours tenue à la petite oie, elle répondit qu’elle avoit été souvent poursuivie, mais que tant qu’elle seroit fille, elle ne souffriroit jamais l’approche d’aucun homme : car, vois-tu Sylvie, toutes leurs caresses sont pour la plupart, fourbes, dissimulées : et leurs complaisances n’ont pour but que leurs plaisirs, lesquels satisfaits, nous leur devenons ensuite un objet de mépris ; ils nous perdent de réputation, en se glorifiant de leur bonne fortune et des faveurs que nous leur accordons. Je suppose pour un moment, l’homme le plus fidele à sa parole, doué des intentions les plus pures et les plus droites, ne peut-on pas s’oublier dans ce tendre mystere ? et au lieu de retrancher de ses plaisirs ce qui en peut faire l’amertume, nous plonger par-là dans un abyme de douleurs ? Il est donc plus prudent de… et quoique je connoisse de mes amies qui ne sont pas si craintives, leur exemple ne m’entraînera pas : jusqu’à ce que j’aie un mari je ne l’accorderai à personne.

Tout le temps que nous demeurâmes en campagne, il ne se passoit point de jour que je ne visse cette demoiselle, et comme je lui faisois part, avant de revenir en ville, de mes petites inquiétudes sur ce qui s’étoit passé entre nous deux, car on se défait difficilement de ses préjugés : que tu es simple, Sylvie, me dit-elle en riant ! Mais notre religion le défend, lui répondis je ?… Tais-toi donc avec tes raisons ! eh, que faisons-nous de plus que les femmes enceintes qui se font connoître par leurs maris ? Elles n’ont d’autre vue, puisque le sac est plein, que de satisfaire leur appétit pour le plaisir ; elles se déchargent également à pure perte, de ce qui les incommode, et cela leur est même permis par notre religion. Mais, sans vouloir en attaquer les fondemens, je te dirai cependant, que plusieurs de ses maximes sont plutôt de l’invention des hommes, que l’ouvrage de Dieu, et ne sont faites que pour les ames simples et incapables de démêler le vrai du faux. Reconnoissons un souverain moteur de toutes choses, rendons-lui graces de ses bienfaits, traitons nos semblables comme nous voudrions l’être, ne troublons point l’ordre de la société : dans ceci est renfermé toute la loi. Quel tort reçoit la société de nos amusemens ? dis-moi un peu ? est-ce parce que l’on nous débite comiquement qu’il faut se mortifier, renoncer à ses passions, faire pénitence ? Je ne peux m’empêcher de rire, de ce que très-souvent ceux que nous écoutons nous prêcher ces sortes de matieres, n’en croyent pas un mot ! Si nous allons à confesse, ces égrillards ne nous entendent que pour satisfaire leur curiosité, ne nous questionnent que pour en plaisanter, et s’en divertir entr’eux. Mais, aussi avisée qu’eux, je sçais les dévoyer, et les frustrer de ce qu’ils attendent toujours de nous avec avidité : entr’autres, j’en rendis un bien sot, je t’en réponds ; c’étoit un capucin. Ce bouc sacré ne s’avisa-t-il pas de me demander où je mettois mes mains lorsque j’étois au lit ? où vous voudriez bien mettre autre chose, lui répondis je ; mais il n’est pas fait pour un vilain magot comme vous ; et je m’esquivai. Je ne crois pas qu’il s’en soit jamais vanté.

Cette histoire là, Angélique, m’amusa beaucoup. Elle me donna encore d’autres instructions, et me fit présent d’un livre qui acheva de me tranquilliser. Le temps de quitter la campagne approchant, nous fûmes obligées de nous séparer ; nous promîmes de nous écrire : j’ai reçue plusieurs fois de ses nouvelles, et depuis sa derniere qui m’annonçoit son mariage, notre commerce de lettres a cessé.

De retour à la ville la veille de la Toussaint, nous allâmes, ma mere et moi, aux Augustins. Je fus fort aise que mon ancien directeur fût absent : j’étois décidée, il est vrai, à garder le tacet ; mais il auroit pu me faire des questions embarrassantes, et peut-être me conduire insensiblement à un aveu que je redoutois avec raison : les grilles, les chaînes, et les disciplines n’auroient pas été épargnées. Il en vint donc un autre qui après avoir entendu quelques simplicités, sans me faire la moindre morale, me renvoya avec pénitence et absolution. Je revis mes anciennes amies, nous nous fîmes part mutuellement de nos nouvelles acquisitions, et nous en tirions un très-bon parti. Mon frere avoit aussi renoué avec ses camarades, mais ils faisoient bande à part : nous ne voulions pas les souffrir avec nous ; les filles veulent toujours passer pour plus sages qu’elles ne sont. Nous étions bien éloignées de prendre avec eux aucune familiarité ; et il faut que je te fasse part d’une scène qui se passa entre mon pere et ma mere, un jour que j’étois seule avec ma compagne favorite.

Comme elle desiroit voir mes canaris, nous fûmes obligées de passer près de leur chambre. Quelques propos singuliers que nous entendîmes, exciterent notre curiosité : nous nous approchâmes de la porte et les apperçûmes. Mon pere étoit assis dans un fauteuil ; pour se mettre en humeur, il se faisoit, par sa chaste épouse, branler son vieil outil ridé ; mais infructueusement, et dix bras comme le sien n’auroient pu, je crois, ranimer ce V.. paralitique : aussi cessa-t-elle en lui disant : vous êtes singulier ; je suis fatiguée et n’ai rien avancé ; si vous le voulez cependant absolument, il faut faire usage de ce que vous sçavez. Elle alla chercher une poignée de verges, et vous le fessa d’importance. J’avois à la vérité, pitié de ce pauvre cul livide et décharné, et ne me doutois pas de ce que cela signifioit ; je fus donc bien surprise, lorsqu’après plusieurs coups d’étrivieres bien appliqués, je vis son anchois se roidir. C’est assez, ma femme, reprit-il ; place-toi ! et il l’enfila avec sa hallebarde rouillée. Elle que j’avois vue si agitée avec son Diaphorus, ne remuoit pas plus qu’une pierre ; il est vrai que les bottes que son vieux champion lui portoit, n’étoient pas capables de la piquer bien vivement, après donc avoir ainsi raclé pendant un quart-heure, et hors d’haleine, comme un cheval poussif, il lui dit : cela vient ; il se donna encore quelques mouvemens, et retira enfin du pot son morceau de tripe : d’un pas chancelant et tout essouflé il se jetta sur le fauteuil le plus proche, nous nous sauvâmes en riant comme deux folles. Il paroît, Angélique, que cela fait la même impression sur toi, qu’en dis-tu ?

Angélique.

Je t’en réponds, et qui pourroit y tenir, de la façon que tu racontes l’aventure ?

On vint nous avertir que l’on avoit servi, et remis à après dîner la suite de son histoire. En l’attendant dans ma chambre, j’en racontois à ma parente, quelques particularités, et lorsque j’en fus à l’article du pere de Sylvie, donnant libre cours à mon humeur enjouée : sans les coups de fouet, ma Bonne, il n’auroit donc jamais pu rendre le devoir, à sa femme ? Il ne faut pas que cela te surprenne tant, Angélique, répondit-elle ; c’est un restaurant pour les personnes usées : le sang pour lors se porte à cette partie-là, l’échauffe, la ranime, et les picotemens qu’ils ressentent, rappellent à la vie le pauvre moribond : mais ceux qui sont jeunes, vigoureux et bien portans, se contentent seulement lorsqu’ils sont ensemble, et sur-tout avec des personnes de différent sexe, de toucher cette partie charnue, de la frapper légérement, de la flatter. Tu le sçais, bien, petite friponne, ne t’es-tu pas souvent apperçue que cela te causoit des sensations agréables ? Ma compagne entra comme nous finissions, ma Bonne lui fit beaucoup d’amitié, nous laissa seules et elle continua ainsi.

Sylvie.

Quelques jours après ce que je t’ai raconté, il vint à la maison un marquis, gendarme de la garde, ami de mon pere, homme fort, vigoureux et à la fleur de son âge : il demeura la huitaine, et eut bientôt fait connoissance avec ma mere, car dès le second jour il la ..... Mon pere avoit la goutte, et quoiqu’il y fût sujet tous les ans, elle fut, cette fois-ci, prématurée ; effet peut-être de son dernier voyage à cythère. Il témoigna avoir envie de reposer après dîner et on le laissa seul : je me retirai de mon côté : le gendarme et ma mere d’un autre. Me doutant de ce qui pouvoit résulter de ces particularités et de ce tête-à-tête, car je m’étois apperçue de quelque chose, je ne tardai pas à les suivre : je me postai dans le coin de la porte vitrée, le rideau de laquelle n’étoit pas exactement bien tiré.

Le gendarme étoit assis sur un canapé auprès d’elle, en termes les plus tendres il lui témoignoit sa passion ; mais comme il voulut lui toucher la gorge : descendons, Monsieur, lui dit-elle, j’ai tout à craindre avec vous. Mais le madré, du nombre de ceux qui connoissent notre sexe, qui savent que nos résistances ne sont souvent que simulées, la serra de plus près, répéta encore que ses charmes faisoient trop d’impression sur lui, que c’étoit dommage qu’une personne comme elle et à son âge, fût si mal partagée, qu’il étoit impossible qu’elle pût être satisfaite des plaisirs insipides que son vieux mari lui procuroit etc. Apparemment que ses yeux fideles interprêtes de son cœur, ne lui paroissoient point cruels, car il coula aussitôt sa main sous sa jupe. En vérité, monsieur, reprit-elle, vous vous oubliez ; finissez, ou je vais sonner ! Il vit bien que tout ceci n’étoit que grimaces, car les défenses étoient foibles : il savoit aussi certainement chatouiller comme il faut, le quartier de devant, je la vis se pâmer entre ses bras. Enfin il profita de l’heure du berger, la renversa, en mit au jour un qui me parut sortir d’un taillis, et sans obstacle, vous l’exploita en maître. Les bottes qu’il lui portoit, bien différentes de celles que lui portoit son cul-pourri de mari, la firent revenir de son assoupissement, et en lui disant : oh Dieu ! dans quel état me mettez-vous ? elle lui donnoit toute l’aisance possible, et le plaisir lui fit une seconde fois perdre connoissance : il en goûta un non moins parfait ; et quoique la finette rioit sous cappe, cependant elle dissimuloit toujours, et se remit sur son céant, baissa ses jupes sans le regarder, et fit semblant de vouloir sortir.

Mais il n’étoit pas homme à abandonner ainsi sa proie… Laissez-moi aller, Monsieur ; ce que vous venez de faire, vous deshonore absolument dans mon esprit : est-ce ainsi que l’on se comporte avec une honnête femme ! profiter d’un moment de foiblesse, et me faire manquer à un homme que j’aime… Calmez-vous, ma petite chere mere ; eh ! quel tort en recevra votre mari ? il en aura toujours plus qu’il n’en pourra faire : il n’en saura rien : vous ne voulez pas lui dire, ni moi non plus. Je suis encore en état de vous prouver, et je vous forcerai d’en convenir, que je vaux mieux que lui.

Il voulut réitérer ; vous m’écrasez, dit-elle, un moment et je vous l’accorderai de bonne grace : il la crut, mais elle s’échappa de ses mains. J’eus en vérité peur qu’elle ne gagnât la porte ; car malgré ma diligence à me sauver, elle auroit pu m’appercevoir ; mais heureusement il me tira d’embarras : il l’eut bientôt rejoint ; tout cela n’étoit qu’un jeu de sa part. Ah, ah, c’est donc ainsi que vous attrapez les gens, lui dit-il, et à l’instant il la porta sur le lit… Vous êtes terrible, faites donc ce que vous voudrez. Il l’embrassa tendrement et en lui disant je savois bien que je vous réduirois à la raison ; il lui donna encore des preuves de sa vigueur. Elle ne dissimula plus alors et lui tint parole : ensuite s’entretenant familierement ensemble, j’espere, marquis, lui dit-elle, que puisque je n’ai pu me défendre de vos poursuites séduisantes, vous ménagerez au-moins ma réputation ?… Que me dites-vous-là, madame ? est ce parce que j’ai tenu quelques propos contre la comtesse de **. Mais quelle différence ! la comtesse de ** est une femme sans mœurs, et s’il m’est échappé quelques traits satyriques à son sujet, j’y ai été forcé, par ses fourberies et ses méchancetés… Cela ne fait rien, marquis, il suffit qu’elle vous ait accordé ses faveurs pour que vous eussiez dû l’épargner. Je les laissai alors et descendis.

La façon dont ma mere venoit de se comporter avec le marquis, elle que j’avois vue n’en pas tant faire avec son esculape, me servit de leçon, et je compris par-là qu’il falloit se servir de détours avec les hommes.

Il resta, comme je t’ai dit, la huitaine à la maison ; la veille de son départ, ils eurent encore une entrevue fort longue ; je fus témoin des baisers d’adieu qui furent tendres et vifs de part et d’autre : il lui promit de revenir, et cela la dédommagea de l’absence du docteur, qui cependant peu de temps après revint aussi poser son cachet. Je fus encore obligée de me contenter du manuélisme ; mais l’instant vint aussi où je goûtai à mon tour les douceurs du duo.

J’allai voir une de mes tantes qui demeure dans une campagne à trois lieues de chez nous ; c’est une femme très-commode, qui reçoit très-souvent compagnie chez elle : j’y vis donc alternativement, les premieres semaines, à-peu près ce qu’il y a de plus honnête dans le voisinage ; parmi quelques jeunes officiers qui y vinrent, il y en eut un du régiment du Roi, qui fixa mes attentions ; il les méritoit à tous égards, et comme je m’apperçus que mes yeux lui faisoient aussi impression, mon cœur fut bientôt pris. Il m’adressoit souvent la parole ; se plaçoit près de moi lorsque l’occasion s’en présentoit, et me disoit les choses les plus gracieuses : il étoit ému et enjoué dans la conversation, ce qui me fit conjecturer que j’étois aimée : je ne me trompois pas. Un soir, retirée dans ma chambre, et prête à me coucher, je trouvai un billet dans ma poche ; je me doutai bien d’où il pouvoit venir : il étoit conçu en ces termes.

Je ne vis, Mademoiselle, que du moment que j’ai eu l’honneur de vous voir : je tremble que cet aveu, que je n’ai pu retenir, ne soit la cause de mon malheur. Je suis téméraire, il est vrai, mais j’ose me dire sincere.

Le Comte ***.

Avec des preuves aussi certaines de son amour, le mien pour lui redoubla au point, que dès que je fus couchée, et sans témoin, mon imagination fut tellement frappée de ce beau jeune homme, que je me satisfis : s’il eût paru alors devant la place, j’en présentois le centre, la brèche étoit embrasée, la prise étoit sûre ; je me reposai un moment, je recommençai et m’endormis.

Le lendemain, en me réveillant, mes sens étant plus tranquilles, cela me fit faire des réflexions et trembler pour l’avenir ; s’il eût été là, me disois je à moi-même, je n’aurois pu lui résister. Je me rappellai pour lors tout ce que cette demoiselle m’avoit dit : je pris donc la résolution d’être avec lui de la derniere réserve, sans cependant le rebuter. Il revint le lendemain après dîner, je m’apperçus qu’il étoit inquiet de savoir l’effet qu’avoit produit son billet ; il m’aborda en tremblant, je reçus ses civilités en fille qui sait son monde, et à peu-près comme les jours précédens. Cela ne le contenta pas beaucoup : il auroit voulu quelques signes qui lui eussent prouvé clairement que j’approuvois sa premiere démarche.

Sur les cinq heures, ma tante proposa une partie de promenade, fit l’office de maître des cérémonies, et sut si bien distribuer son monde que je lui restai : il eut soin de laisser passer les autres devant, et ce fut pour lors qu’il m’ouvrit entiérement son cœur. Entr’autres choses il me dit, depuis trois ans, Mademoiselle, que j’étudie les mathématiques, aucun objet n’avoit pu encore m’en distraire ; mais j’ai eu l’honneur de vous voir, et toute ma philosophie est trop foible contre de pareilles charmes. — Sans lui donner le temps d’achever, votre compliment est des plus honnêtes, Monsieur, lui répondis-je ; mais je ne sçais comment il faut l’entendre : il est d’usage en campagne, pour s’amuser, de se faire des déclarations ; comme chacun doit contribuer au plaisir général, y mettre du sien dans la société ; c’est ainsi que je le reçois, et c’est ainsi que j’ai entendu le billet que vous avez sçu glisser dans ma poche. Cette réponse l’interloqua : je lui fis appercevoir que nous étions fort éloignés de la compagnie ; je doublai le pas, il fut obligé de me suivre, soupira et me baisa la main.

J’évitai, le reste de la soirée que nous restâmes tous ensemble, les propos particuliers, quoiqu’il en cherchât assez les occasions. J’étois assurée qu’il portoit mes chaînes ; cela suffisoit : je faisois l’indifférente en apparence, tandis qu’intérieurement j’étois toute en feu. Il faut convenir, Angélique, que nous sommes singulieres de nous contrefaire ainsi, et ne sommes-nous pas à plaindre d’y être obligées ! S’il est doux d’aimer, pourquoi nous interdit-on le plaisir de le témoigner ? Que le sort des humains qui ne suivent en tout que la nature pure, est préférable au nôtre ! sans aller ainsi par des chemins obliques, le soulagement suit de près leur besoin, et sont par-là plus heureux que nous.

Angélique.

Que veux-tu que je te réponde, Sylvie ! sinon que ce sont les usages, et qu’il faut s’y conformer.

Sylvie.

C’est précisément contre ces usages que les hommes ont établis à leur avantage que je me récrie, car ils sont si bizarres qu’on ne sçait comment se comporter avec eux. Ce n’est pas que j’aye à me plaindre de mon cher Comte, ou que je le sçache par expérience, car je n’ai jamais connu que lui ; mais quelques histoires que j’ai lues depuis mon malheur, m’ont instruite, et fait connoître tout le désagrément de notre sexe. Si nous leur résistons, ils nous attaquent par tant de différens endroits, qu’à la fin nous succombons, et ils n’ont souvent après notre défaite, qu’une idée désavantageuse de nous. Si en leur accordant nos faveurs, nous ne témoignons pas assez de sensibilité, nous sommes des bégueules qui cachons notre jeu. Si nous témoignons trop d’ardeur, nous sommes des catins : il leur est permis de nous manquer, et si nous leur manquons, tout est perdu. En un mot de quelque côté que l’on se tourne, on ne trouve que des difficultés.

Angélique.

Ma foi, ma chere amie, tu de tourmentes mal à propos : il en faut choisir un bon sur cent, et sans tant approfondir, tant philosopher, il faut jouir : c’est ainsi que je fais avec D. Delabrisse ; il m’aime, je n’en puis douter ; il me comble de caresses, je le paye de retour, et je serois bien fâchée qu’il eût à me reprocher que je suis moins sensible que lui. Je te conseille d’en faire autant avec celui que tu auras : laissons à celles qui sont dans le monde, le soin de se tirer d’affaire ; ne t’inquiètes pas ; elles sçavent bien rendre à Messieurs les hommes la monnoie de leur piece ; s’ils les jouent une fois, elles les jouent dix ; et sois persuadée qu’en amour, nous leur en revendrons toujours. Ne te chiffonnes donc pas inutilement la cervelle à ce sujet : mais continue !

Sylvie.

Le lendemain sur les huit heures, je reçus une lettre de lui ; je n’en fus pas fort surprise, je m’y attendois.

Mademoiselle,

J’ai eu l’honneur de vous dire, que le beau sexe n’avoit pas encore pu, jusqu’à ce moment, me détourner de mes études ; que vous étiez la seule qui ayez occasionnée cette diversion. Heureux mille fois ! puisqu’elle me met dans le cas de vous distinguer d’une infinité d’autres, qui ne réunissent pas comme vous, l’esprit à tant d’agrémens : mais malheureux cependant, de ne pouvoir toucher une si belle ame ! Que ne puissiez-vous lire dans mon ame ! vous y verriez votre ouvrage ; vous la verriez pénétrée de l’amour le plus pur ; vous la verriez s’élancer vers le seul objet digne de toute sa tendresse ; car je ne prétends pas vous amuser, Mademoiselle, ce sont des liens indissolubles qui doivent mettre le comble à son bonheur. Ne traitez donc pas, je vous prie, d’amusement de campagne la déclaration que j’ai eu l’honneur de vous faire ; elle est partie d’un cœur que vous avez blessé, et d’un cœur qui n’attend sa guérison qu’en vous possédant : il n’est point d’autre remede aux tourmens que j’endure. De grace ! ayez pitié d’un amant qui seroit moins passionné, s’il connoissoit moins le mérite de celle qu’il adore.

J’attends de votre bonté, avec la plus grande impatience, qu’il vous plaise par un mot de réponse décider de mon sort.

J’ai l’honneur d’être,
Mademoiselle,
Votre très-humble et très obeissant
serviteur
Le Comte de ***.

Cette lettre me flatta infiniment plus que je ne devois espérer : mais voyant la partie trop inégale, après de sérieuses réflexions, en fille qui se sacrifie à son amour, je lui répondis ainsi.

Monsieur,

J’ai cru effectivement que vos procédés n’avoient pour but qu’un amusement agréable ; mais vous parlez sérieusement à ce qu’il paroît. Croyez-moi, défaite-vous d’un amour qui ne peut pas encore avoir jetté de fortes racines, et avoir d’heureuses suites pour l’avenir. Recevez cet avis d’une personne qui vous estime. Vous êtes dans l’expectative d’une fortune brillante ; celle sur qui vous jettez les yeux en est trop maltraitée, pour que monsieur votre pere puisse y consentir. Reprenez donc vos occupations, et le calme succédera bientôt à cet orage passager ; car je n’ai pas assez de présomption pour croire que de foibles charmes comme les miens, aient pu le rendre si violent.

J’ai l’honneur d’être,
Monsieur,
Votre très-humble et très obéissante
servante

Sylvie de ***.
Angélique.

Eh bien, cette lettre si désintéressée, quel effet produisit-elle ?

Sylvie.

Elle m’en attira le lendemain une seconde, avec son portrait.

Mademoiselle,

J’ai lu vingt fois la réponse dont vous m’avez honoré : que n’est-elle plus satisfaisante ! Je n’y vois rien qui puisse me faire espérer. L’avis que vous me donnez de me défaire de mon amour, me fait voir que je n’ai rien pu gagner sur un cœur dont la possession feroit tout le bonheur de ma vie. Mais en suis-je le maître ? Il est bien prompt, dites-vous ! Eh ! que n’ai-je eu l’honneur de vous connoître plutôt ? La défaite honnête dont vous vous servez, en alléguant le défaut de fortune, supposeroit en moi une ame basse et mercenaire, si cela étoit capable de me faire changer de résolution. Trop heureux de pouvoir partager avec vous, celle dont j’espere jouir un jour. Encore une fois, Mademoiselle, si réellement dans ceci, l’aversion ne s’en mêle pas, permettez-moi de vous continuer mes soins et vous verrez que mes démarches et mes intentions sont droites. Je me rendrai après dîner chez Madame votre tante ; que le bonheur que je me propose, puisque j’aurai l’avantage de vous voir, ne soit pas altéré par un regard trop sévere ! Cette copie que je prends la liberté de vous envoyer et que je vous prie d’accepter, vous demande grace : ayez donc quelque pitié pour l’original, dont le repos dépend de vous seule.

J’ai l’honneur d’être pour la vie

Mademoiselle,

Votre très-humble et très-obéissant
serviteur
Le Comte de ***.

Après la lecture de cette seconde lettre, et après avoir beaucoup examiné son portrait fidele qui me retraçoit si bien ses traits, je me décidai à l’écouter. Ah, beau jeune homme ! disois-je, si à ton tour, tu pouvois lire dans mon ame, tu y verrois bien le contraire de ce que tu penses. Il vint comme il me l’avoit écrit, ne pouvant pas me contenir, je le regardai avec bonté, et baissai les yeux : il parut plus gai qu’à l’ordinaire, et amusa infiniment la compagnie.

Le hazard voulut que j’eusse ce jour-là même, un entretien particulier avec lui. Un orage qui survint, et qui fut suivi d’une pluie des plus abondantes, obligea ma tante à offrir le couvert à ses hôtes : je m’apperçus qu’il n’en étoit pas le plus mécontent ; lorsque l’heure de se retirer eut fait prendre à chacun son parti, et que j’étois prête à me mettre au lit, je regardai encore son portrait, je le baisois, et lui adressois quelque chose de tendre, comme s’il eût pu me comprendre, et dans ce moment j’entendis quelqu’un entrer dans ma chambre : je n’avois pas eu la précaution de me fermer en dedans, et en regardant qui c’étoit, je vis le Comte. Comme j’étois en chemise, et que la chandelle étoit allumée, je me cachai derriere mon rideau, et d’un ton courroucé, je lui dis, qu’est-ce que cela signifie, Monsieur ? j’avois de vous une toute autre idée ; retirez-vous, ou je vais mettre toute la maison en alerte ? Il resta immobile sans oser avancer, se jetta à genoux, me pria les mains jointes, d’avoir la bonté de l’écouter, qu’il étoit incapable de rien entreprendre qui me fit repentir de lui avoir accordé cette grace, et cela avec tant de bonhomie qu’il me désarma : et me tenant toujours derriere la coulisse, est-ce l’heure, repris-je, sur-tout d’entrer ainsi ?… Je vous ai entendu, Mademoiselle, et n’ai pu prendre sur moi de manquer cette occasion de pouvoir vous entretenir un instant : je vous en prie, ne me refusez pas cette grace ; je suis incapable de rien faire qui puisse vous déplaire… Hélas ! à quelle nécessité me réduisez-vous ? je passai ma jupe, me couvris de mon manteau ; je le vis dans cette posture de suppliant qui me toucha, et le priai de se relever.

Assis près de moi, il me répéta ce qu’il m’avoit écrit, avec une si grande effusion de cœur et de décence, que j’eus autant de plaisir à l’entendre qu’il en eut à me le réciter. Ecoutez-moi, Comte, lui répondis je, je crois votre amour sincere ; vous voyez que je ne lui suis pas tout-à fait contraire, par ma facilité à vous accorder une entrevue à une heure si peu convenable, et si c’eût été tout autre, je ne l’aurois certainement pas permis : mais à quoi cela se réduira-t-il ? monsieur votre pere, comme je vous l’ai marqué, n’y consentira jamais ; d’ailleurs n’y a-t-il pas de votre part un peu de précipitation ? vous m’avez vu, et vous avez aussitôt conçu de l’amour pour moi : peut-être regarderez-vous bientôt d’un œil d’indifférence, celle que vous paroissez aimer aujourd’hui ?…Je ne puis vous laisser finir, Mademoiselle, vous faites tort aux sentimens que vous m’avez inspirés, je vous prie d’un peu mieux les ménager. L’obstacle que mon pere peut apporter, n’est pas si difficile à lever que vous pensez ; la plus grande partie des biens que j’attends, sont de ma mere ; par son testament elle ne l’en a pas rendu maître : de son côté il a peu de chose, et j’en jouirai dès que je serai en âge. Trop heureux ! encore une fois, si en unissant ma destinée à la vôtre, je puis les partager avec vous ! Il me prit la main, la baisa plusieurs fois avec transport, et s’avança un peu pour m’embrasser. Je fis la petite cérémonie, je le lui permis ; aurois-je pu lui refuser ? Je lui dis seulement de se ressouvenir de ce qu’il m’avoit promis. Il fut fort respectueux d’ailleurs, et quoique sa compagnie me plût beaucoup, je le priai de se retirer ; mais il ne me quitta qu’après avoir exigé de lui laisser prendre un baiser sur ma bouche. A peine fut-il sorti que je me couchai : quelle fut ma surprise en me réveillant au jour, de le voir assis et dormir près de ma couchette ! les rideaux étoient ouverts à moitié, j’étois presqu’entierement découverte, et comme j’ai suffisamment de gorge, la peau blanche, que je suis charnue et d’ailleurs assez bien faite, je ne fus pas fâchée de me trouver ainsi : tu diras peut-être qu’il y avoit là un peu de vanité ?

Angélique.

Tout ce que tu dis est vrai, ne n’interromps donc pas !

Sylvie.

Oh ! qu’il étoit beau, Angélique, entre les bras du sommeil, quoique en négligé ! il étoit en chenille, et n’avoit qu’un simple caleçon qui par devant formoit un bourrelet : je le regardois avec satisfaction, et dans le cas qu’il fût entré dans ma chambre avant le jour, et qu’il pût à son réveil me voir à son aise, je me plaçai un peu de côté, laissai ma chemise dans le même désordre que je l’avois trouvée ; je la dégageai seulement, pour qu’il eût la liberté de voir ce qui étoit dessous si l’envie lui en prenoit ; il étoit cependant à propos de lui laisser desirer quelque chose ; de la maniere dont j’étois placée, le principal étoit caché et il ne pouvoit voir qu’à peine une petite partie du toupet ; il se réveilla peu après en se frottant les yeux et en poussant de profonds soupirs ; il porta aussitôt la main sur la pâte qui étoit levée ; pour lors comme un chat qui guette une souris, je ne remuois point et faisois la dormeuse : son étonnement me fit juger qu’il ne m’avoit pas encore vu ; il s’approcha doucement pour examiner de plus près, tourna comme je l’avois prévu, le feuillet en haussant un peu la visiere ; je voyois tous ses gestes : ma foi, ma chere amie, le simple caleçon qui lui colloit contre ses cuisses, ne put résister au prisonnier qu’il renfermoit, et sortant brusquement, il fit partir le bouton : je le vis pour lors dans son entier ; il n’étoit pas monstrueux, mais il étoit honnête, et avoit sur-tout le gland fort beau.

Il se posta de façon qu’il voyoit tout en perspective, et me fixant pour lors avec ses grands yeux noirs, il se b… le plus vîte qu’il pût, pour n’être pas dans le cas de me manquer, comme il me le dit par la suite. Je ne tardai pas d’en voir l’effet, et cela partit comme un jet. Mes draps même en reçurent une partie. Il replaça mon linge comme il l’avoit trouvé, et s’en retourna sur la pointe des pieds. A peine fut-il parti, que je respirai : son respect me donna de lui une idée très-avantageuse.

Sur les huit heures du matin, je descendis, et le trouvai seul dans la salle, lisant une brochure. Il me fit son compliment, m’embrassa, cela ne se demande pas, et nous restâmes encore près d’une demi-heure ensemble. Je le vis très-souvent, mais peu en particulier pendant tout le temps que je restai chez ma tante : elle s’apperçut cependant de nos amours, et me dit un jour qu’elle croyoit que le comte me faisoit les yeux doux, et que je n’en étois pas fâchée. Il est vrai répondis-je que le comte cherche quelquefois les occasions de me parler… Et tu l’écoutes volontiers, ajouta-t-elle ?… Sylvie, le comte te fait honneur ; je voudrois pour toi que cela pût avoir une heureuse fin ; c’est un excellent sujet, mais le parti est trop avantageux ; tu dois me comprendre ; ainsi dégage ton cœur, s’il est pris. Je pense bien que tu ne voudrois pas lui servir de passe temps… Je vous assure, ma tante, que je le vois sans conséquence : d’ailleurs le comte est trop bien né pour faire tort à une demoiselle qu’il connoîtra… Tant bien né que tu voudras, on commence par l’esprit, et souvent on finit par la chair.

Elle continua encore sur le même ton, mais en badinant ; je la remerciai de ses bons avis, que je ne suivis point du tout. Nous nous étions, le comte et moi, juré un amour éternel : j’étois décidée à attendre sa majorité ; et à quelque chose près, nous n’en étions encore que là : les baisers tendres étoient assez fréquens lorsque nous trouvions le moment favorable. Je lui fis un jour une petite querelle, de ce qu’il s’émancipoit plus qu’à son ordinaire. Ma jarretiere tomba comme nous nous promenions ensemble, il fut plus prompt que moi à la ramasser, et me dit avec tant de grace que le droit de la remettre lui étoit dévolu, que je lui en donnai la permission ; après qu’il l’eut attachée, il coula sa main plus haut, et si je l’eusse laissé faire il y alloit tout droit : je le grondai beaucoup, il m’en demanda pardon, et la paix fut bientôt faite.

Deux jours avant mon départ de chez ma parente, il vint me voir ; comme elle se trouva incommodée de sa migraine, cela nous procura un entretien particulier assez long, et ce fut la premiere fois qu’il toucha à son aise le quartier de dessus : il l’avoit déja effleuré, et l’avoit même vu très-distinctement lorsque je faisois la dormeuse ; mais voulant savoir si le tact répondoit à la vue, il me pria avec tant d’instance, me dit de si jolies choses accompagnées de mille petites drôleries, que je ne pus m’en défendre. Cette main et cette bouche que je sentis contre mon sein me procurerent… j’en soupirai ; il n’étoit pas assez neuf pour ne pas s’en appercevoir, mais trop honnête pour profiter d’un moment de foiblesse ; il colla seulement ses levres sur les miennes, et il ne lui en arriva pas moins qu’à moi. Ce moment délicieux étant passé, je lui recommandai d’être à l’avenir plus réservé, qu’autrement il me féroit repentir de ma complaisance. Nous causâmes encore un moment ; il me pria de lui permettre de venir me voir, j’y consentis, et il ne me quitta ce jour-là qu’après m’avoir fait de nouvelles protestations de tout son attachement.

Je partis de chez ma tante dans l’espérance de le revoir avec moins de gêne selon le plan que nous nous en étions formé ; c’est ce qui me fit supporter patiemment son absence. Dès que je fus rendue chez nous, je mis dans mes intérêts la cuisiniere qui avoit une chambre seule et fort commode pour mes entrevues : je pouvois compter sur elle ; c’étoit une fille d’un certain âge, en conséquence très-propre à conduire une intrigue.

Sur les onze heures du matin, il me fit savoir qu’il étoit en ville, et me fit demander comment il pourroit s’introduire ; j’avertis ma confidente, et lui fis réponse qu’à deux heures il se trouvât à la porte de la maison et de se laisser conduire par celle qui lui répondroit : cela ne manqua pas ; il étoit négligemment mis pour se faire moins remarquer ; et je le reçus dans cet appartement, pas trop brillant, il est vrai, mais nous en étions le principal ornement.

Après plusieurs caresses qui me plûrent autant qu’à lui, je le fis asseoir près de moi : je ne finirois point si je racontois toutes les particularités qui firent l’objet de notre entretien. Il fallut encore lui laisser tâter mon bijou ; car lorsque nous avons accordé une faveur aux hommes, ils ne nous en tiennent pas quittes pour une fois : mais comme cela m’échauffoit furieusement, j’exigeai de lui qu’il se contînt un peu plus à l’avenir. De temps en temps il manquoit à sa parole, je le grondois un peu, et notre paix étoit toujours scellée de deux ou trois baisers. Trois heures se passerent sans presque nous en appercevoir ; je savois que ma mere étoit dehors, et mon pere ne m’inquiétoit pas beaucoup : en quinze jours je le vis cinq fois de la sorte ; les pays-bas furent encore sacrés, et ce ne fut pas sans une violence extrême de part et d’autre.

Un jour sur-tout qu’il me baisoit la gorge, m’embrassoit avec transport et ne pouvoit presque plus articuler ; comme je n’étois pas moins animée que lui, craignant les suites de ce moment de foiblesse, je le priai de m’excuser si je m’absentois un instant ; je n’allai pas loin, et pour savoir ce qu’il feroit, je restai près d’une petite ouverture quarrée qui donnoit dans la chambre ; il y avoit une vitre, l’endroit où j’étois étoit sombre, et je pouvois voir sans être vue.

Il ne put donc pas se contenir, et lâcha la bride à son V… que je regardois de tous mes yeux. Il disoit : non, je ne pourrai jamais ; qu’elle est aimable et rusée en même temps ! Il s’amusa donc seul avec son flageolet, et moi qui ne quittois pas la vue de dessus je touchois du timpanon : nous tirâmes ainsi tous deux notre poudre aux moineaux. Je lui donnai le temps de se remettre et je revins également un peu soulagée.

Mon amour pour lui produisoit en moi des effets que je ne puis exprimer ; je sentois à merveille que nous ne pouvions nous voir ainsi avec tant de liberté et attendre le temps que nous nous étions prescrit. Il étoit beau et je l’aimois ardent, je ne l’étois pas moins : comment en rester là ? Je voyois bien que je m’exposois beaucoup, cependant je ne pouvois me déterminer à rompre nos entrevues. Je confiois tous mes secrets à ma compagne favorite, elle me faisoit part des siens, mais elle ne disoit pas tout, aussi lui en fis-je des reproches lorsque je l’eus découvert.

Un jour que je folâtrois avec elle, je vis quelques taches sur son linge et j’eus bientôt connu ce que c’étoit. Ah ! Bélote, lui dis-je, tu ne m’as pas tout dit… Quoi, ma chere amie, qu’est-ce donc que cela ? Elle rougit, m’avoua pour lors qu’elles étoient du jeune conseiller dont elle m’avoit parlé, répondit à toutes mes questions, et me fit un portrait si agréable des plaisirs dont elle jouissoit que cela me donna envie d’en tâter aussi. Ma tante a besoin de moi, demain je te dirai le reste.

Lorsque Sylvie m’eut quittée, j’allai rejoindre nos Dames que je savois être ensemble ; elles exigerent que je leur rendisse compte de ce qu’elle m’avoit racontée : je le fis de mon mieux, et elles parurent très satisfaites : sur ces entrefaites je reçus une lettre du Pere Anselme.

Ma belle enfant,

Le moment auquel vous recevrez ma lettre sera celui ou je serai exposé à la discrétion des vents : j’aurai autant de plaisir à me rapprocher de vous que j’ai eu de chagrin à m’en éloigner ; mais obligé de plier sous le joug, j’ai été commis pour accompagner au Chapitre général cet homme dont je vous ai parlé dans ma premiere lettre ; je me serois bien passé de cette faveur, et j’aurois désiré qu’on l’eût fait tomber sur un autre : mais je n’ai pu le refuser, et c’est un acheminement, m’a-t-on dit, pour avoir entrée aux premieres charges. Ma patrie m’eut été préférable, et j’aurois eu du-moins le bonheur de vous voir ; je vous apporterai de Rome, de cette ville tant renommée, de fort jolies choses.

J’ai l’honneur d’être,

Mon ange,

Votre très humble et très-obéissant serviteur,

P. Anselme.

Bon voyage au suppliant, dis-je en la mettant dans ma poche ; mais je ne l’ai jamais revu : je n’en fus pas fachée, la reconnoissance m’auroit peut-être obligé de récompenser mon premier maître-d’école ; peut-être aussi auroit-il encore fallu entretenir quelques intrigues avec lui ; or j’étois suffisamment pourvue : je reprends l’histoire de Sylvie.

Sylvie.

Lorsque je fus seule, Angélique, les instructions que j’avois reçues de cette demoiselle que j’avois vue en vendanges, vinrent me traverser ; je me représentois les hommes tels qu’elle les avoit dépeints ; mais mon amour pour le comte me le faisoit regarder d’un œil bien différent. La nature, ma chere amie, est trop forte en nous, et la raison trop foible : fille qui combat est à moitié vaincue : aussi décidai-je dans ma petite cervelle que s’il m’en faisoit la proposition, je le lui accorderois.

Il revint le jour qu’il me l’avoit promis, et ce jour-là fut celui de ma défaite. Nous nous témoignâmes comme de coutume, le plaisir que nous avions de nous revoir, et après une demi-heure passée ainsi, il me regarda d’un air tendre, soupira deux ou trois fois et se retira un peu de moi ; cela me donna du soucis, je m’approchai et lui en demandai le sujet : il reçut mes caresses avec transport, se jetta à mes genoux les larmes aux yeux, avec un ton et d’une maniere qui auroient ému le cœur le moins sensible, et me dit : mon respect pour vous a jusqu’à présent combattu mon amour ; mais je meurs, Mademoiselle, si vous n’avez pitié de moi. Je me jettai à son col, et le priai de se relever ; mais il ne le voulut jamais qu’auparavant il ne se fût expliqué, et n’eût entendu ainsi son salut ou sa condamnation. Expliquez-vous, lui dis-je, je ne puis vous souffrir dans une posture aussi humiliante ; si ce que vous exigez de moi, peut se faire sans compromettre ma réputation, je vous l’accorderai. L’affaire étoit comme faite ; je savois d’avance ce qu’il alloit me proposer : mais qu’on ne me blâme pas, la fille qui affecte le plus de vertu n’auroit pu y résister.

Mes dernieres paroles eurent leur effet ; il se leva et me serrant contre son sein : votre réputation, me dit-il, sur ce que je vais vous proposer, ma chere amie, n’en souffrira aucune atteinte, je vous le jure ; rendez heureux un homme qui vous est dévoué pour la vie, et dont l’ardeur ne peut attendre le terme que nous nous sommes fixé.

Ah Comte ! ah, mon ami, repris-je, en rendant les armes, servez-vous donc des moyens que j’ignore, je m’en rapporte à vous. Je fus bientôt renversée sur le lit, et ne tardai pas à voir le meuble qui devoit principalement opérer dans cette scene amoureuse. A cette fois, Angélique, mes deux pommes fixerent peu son attention ; il monta sur le pommier, le secoua d’importance ; la seve qui coula du tronc tempéra la douleur que j’en ressentis d’abord ; j’éprouvai ensuite un plaisir indicible ; la sonde fouilla et en agita la concavité : cela ne fut pas même aussi long que je l’aurois souhaité, et m’embrassant avec une ardeur qui marquoit tout son contentement, il sçut adroitement arroser le gazon sans mouiller la terre.

La premiere séance finie, de quels termes énergiques ne se servit-il pas pour me remercier, et me témoigner en même temps le regret qu’il avoit de m’avoir fait souffrir : je lui dis en l’embrassant à mon tour, que le plaisir avoit effacé la douleur, et que puisque l’on pouvoit se divertir ainsi sans courir aucun risque, il pouvoit, disposer de moi à son gré.

Nous nous couchâmes entiérement sur le lit ; ce fut alors que rien ne fut caché à la vue de l’un et de l’autre : il vit avec satisfaction les preuves sensibles qui l’assuroient d’avoir eu mes prémices ; je portai pour la premiere fois la main sur son joli instrument, et sur tous ses accessoires ; je ne mis point de bornes à ma curiosité ; il recommença, et mon plaisir cette fois ne fut troublé qu’au moment qu’il se retira : s’il étoit ravi de joie, je ne l’étois pas moins : quelques instans s’écoulerent en nous témoignant réciproquement les plus vives caresses, après quoi je lui dis de s’arranger et allai avertir ma confidente de nous apprêter à goûter ; elle ne tarda pas ; il nous restoit encore une bonne heure à demeurer ensemble : assise sur ses genoux, il ne mangeoit pas un morceau que je ne l’eusse goûté auparavant, comme s’il eût été mon nourrisson ; de la table nous retournâmes au lit, et j’y reçus pour ce jour-là le dernier baiser.

Dès qu’il fut parti, la cuisiniere vint lever la table : ce beau Monsieur me dit-elle, m’a obligé de prendre quatre louis, je ne voulois pas les recevoir au moins, car je ne suis point intéressée ; tout ce que je fais, c’est pour vous obliger : aimez-le cependant bien, Mademoiselle, et soyez, persuadée qu’on me couperoit plutôt la gorge que de m’arracher une parole sur ce qui vous regarde, et je saurai toujours si-bien prendre mes précautions que l’on ne s’appercevra jamais de rien ; et puis je mesure le monde à mon aune : lorsque j’étois jeune je n’étois pas tant déchirée, j’avois bien aussi un galant. Bon, bon ! il faut bien que jeunesse se passe !

Je ne pus m’empêcher de rire et de la remercier en même temps : je lui demandai si ma mere étoit rentrée ? elle me répondit que non, et que mon pere, avec un de ses amis, faisoit une partie de piquet dans sa chambre : je me reposai un moment, et m’ajustai un peu avant d’y monter. Je m’occupai beaucoup le soir et avant de m’endormir, du plaisir dont j’avois joui et dont je me promettois bien de jouir encore par la suite : le lendemain ma compagne favorite vint me voir ; je ne lui cachai rien de ma bonne fortune. Pendant l’espace de deux mois j’eus le plaisir de voir mon tendre amant trois à quatre fois par semaine, toujours avec les mêmes précautions. Il avoit fait venir de Paris quelques livres de galanterie, où les estampes étoient au naturel ; nous essayâmes les différentes postures que nous y vîmes marquées ; je m’y prêtai par complaisance, mais la commune me plaisoit davantage, je m’en trouvois sans contredit beaucoup mieux.

Angélique.

Tu as raison, je l’ai éprouvé de même ; joint à ce que la femme est très à son aise, ou est à même alors de se parler bec-à-bec ; on se voit, on s’embrasse et quoique le plaisir qui par lui même sait fixer tous les sens, soit déja assez grand, tous ces petits riens cependant, lui donnent encore un certain prix, sur-tout si l’un et l’autre se chérissent. Mais pour varier on en prend d’autres, cela amuse les hommes : ils aiment chez nous cette partie charnue que nous avons plus belle qu’eux, je veux dire la croupe, et en nous faisant tourner l’aumelette, ils sont charmés de l’avoir pour point d’appui ; comme selon un certain poëte elle est le magasin des plaisirs, tu sais bien ce qu’on y éprouve : nous ne sommes pas fâchées pendant l’acte, de la sentir heurter de temps en temps… Allons dîner.

Sylvie.

Je t’ai dit que mon amant me vit pendant quelque temps avec les précautions dont nous étions convenus ; mais il s’en lassa à la fin, et je sentois qu’il ne se retiroit qu’avec peine.

Angélique.

Et toi, ma chere, et toi, tu n’en dis mot ; en étois-tu contente ?

Sylvie.

Et moi, pour te le dire ingénûment, je n’etois pas pleinement satisfaite ; je sentois bien intérieurement qu’il manquoit quelque chose à mon entiere félicité.

Angélique.

Il vaut cependant mieux ne jouir qu’à demi, que de risquer le paquet !

Sylvie.

J’en conviens, mais tu verras par la suite quelles étoient ses intentions. Un jour donc que nous étions ensemble et qu’assis tous deux sur le lit, nous commencions à nous dire des douceurs, et que nous faisions nos petites visites, je lui apperçus un peu d’inquiétude, cela m’alarma : hé ! qu’as-tu comte, lui dis-je en l’embrassant, tu n’as pas coutume de paroître tel ? parle-moi donc ? crains-tu de verser tes peines, si tu en as, dans le sein de celle qui partage tes plaisirs ? Je n’en ai d’autres, me répondit-il, que celle d’être obligé d’en retrancher une partie… Que me dis-tu là, mon ami ? à la bonne heure, lorsque le terme qui doit nous unir pour la vie, sera arrivé ; les liens, à la vérité, n’en seront pas plus sacrés que ceux qui nous unissent actuellement ; mais ils sont nécessaires cependant par rapport aux loix ; ainsi jusqu’à ce moment contentons-nous de jouir de cette façon, et ne cherchons pas à nous plonger dans des embarras qui ne nous laisseroient, à moi surtout, que la honte et le regret… Ecoute-moi, Sylvie, si je t’embarrassois, ce seroit le moyen d’accélérer notre union ; puisque la condition est la même : par ces loix que tu me cites, je forcerai mon pere à y souscrire. D’ailleurs je n’aurai pas tant de peine à le gagner que tu penses : je t’ai dit que je devois entrer en possession des biens de ma mere lorsque je serai majeur, comme elle n’a pas eu lieu de se louer de sa conduite pendant sa vie, elle ne lui a pas accordé une obole de jouissance : je le sçais du notaire même à qui j’ai fait adroitement une honnêteté ; par-là tu vois bien que mon pere est intéressé à me ménager. Pour mettre ton honneur à couvert ainsi que pour lever tous tes scrupules, voici deux promesses ; signe celle-là, je la garderai comme un dépôt précieux pour m’en servir dans l’occasion ; conserve celle-ci, et ne faisons point difficulté de jouir de nos droits ; je me rendis à des raisons si plausibles ; je m’absentai un moment pour m’aboucher avec ma confidente, à qui je recommandai qu’au cas que ma mere revînt et qu’elle demandât de mes nouvelles, de lui dire que j’étois sortie. Mais mes précautions étoient vaines, car elle étoit trop occupée de ses plaisirs pour troubler les miens. Elle sortoit exactement tous les jours l’après-dîner, et ne revenoit souvent que fort tard : j’eus la précaution aussi de lui dire d’apporter tout de suite quelques rafraîchissemens pour n’être pas interrompus, et revins trouver le comte qui m’attendoit avec toute l’impatience que tu peux t’imaginer ; car je ne fus pas plutôt rentrée que tout de suite il voulut … Je le priai d’attendre, en lui disant qus la fille alloit venir, et de paroître même décemment, quoiqu’elle sût très-bien que nous ne nous en tenions pas à la simple conversation : elle nous apporta tout ce qu’il falloit, et nous nous enfermâmes.

Je lui dis que nous avions pour le moins quatre heures à demeurer ensemble pour vaquer à nos plaisirs, et par condescendance pour lui, je consentis à me mettre nue comme la main, ainsi que lui. Nous nous regardâmes, et nous vîmes avec satisfaction, que nous n’avions de couvert que les endroits auxquels la nature avoit pourvû.

Le lit sur lequel j’avois mis des draps blancs pour être plus proprement, nous reçut, et comme deux athletes qui doivent entrer en lice, nous nous prîmes à brasse corps ; le serpent qui avoit séduit notre premiere mere, bien loin de m’effrayer en s’élançant, m’en anima davantage ; il se glissa comme un furet et redoubla ma joie, sur-tout lorsqu’il darda sa liqueur, et qu’elle se maria avec la mienne ; car j’entrai dans une espece d’yvresse. Ce fut pour lors que ce que tu nommes fort à propos le magasin des plaisirs fit son devoir, et que le comte en éprouva un bien grand ; mais il n’est point d’orage qui ne cesse.

Cela ne vaut-il pas mieux, me dit-il encore tout essoufflé ? il m’a paru que tu as beaucoup été satisfaite : pour moi je n’ai jamais été si heureux de ma vie. Oui mon ami, lui répondis-je, cela m’a beaucoup satisfait : ton bonheur, puisque tu le nommes tel, est en ta disposition ; et dès ce moment je te regarde comme mon époux. A peine eus je fini de parler, que pour remercier il recommença, et pour la seconde fois nous nageâmes tous les deux dans une mer de délices.

Tu penses bien Angélique, qu’étant ainsi nuds, comment nous nous examinâmes : en amour, ma chere amie, tout intéresse, aussi aucune partie ne fut oubliée ; Robin eut cependant la préférence, et je lui lis bientôt tracer une ligne droite. Je me mis à cheval sur le comte, qui s’en saisit, et pour s’amuser il lui fit faire quelques cérémonies ; un mouvement de ma part lui procura l’entrée ; pendant deux ou trois minutes je continuois, mais nous ne demeurâmes pas ainsi sans nous désunir, nous nous jettâmes de côté, et pour prolonger notre plaisir, en nous donnant par intervalle des baisers tendres, nous nous berçâmes doucement, ensorte que nos sens se troublerent, et il ne nous fut pas possible d’observer la mesure.

Sylvie en étoit là, l’orsqu’on me demanda au parloir : je la priai de me permettre de m’y rendre et j’y trouvai Dom Delabrisse que je n’attendois pas. Je lui témoignai tout mon contentement, d’une si agréable surprise ; il me répondit qu’il n’avoit qu’une heure à demeurer avec moi, et vîte d’en profiter ; qu’étant à la promenade avec ses confrères et le professeur, à une lieue de l’Abbaye, il n’avoit pas pu s’en voir si près sans venir me voir : je lui en sçus bon gré ; il étoit arrivé fort à-propos, car la maniere dont ma compagne m’avoit dépeint ses amours, m’avoit singuliérement émue. Je lui dis donc qu’elle étoit dans ma chambre, de passer à celle qu’il savoit, et lui en donnai la clef. Je retournai faire part à Sylvie de cette visite si peu attendue ; elle m’en félicita, et me témoigna avoir envie de nous voir ensemble : je lui désignai l’endroit où elle devoit se placer, et je courus joindre mon bon ami qui ayant quitté sa soutane, et enflé son chalumeau, m’attendoit sur le lit pour me satisfaire ; et pour faire voir à Sylvie, que je savois être aux aguéts, qu’il en valoit la peine, je le fis découvrir entiérement : je fis la basse, il fit le dessus ; pour lui faire voir aussi que je n’étois pas mal adroite, tandis qu’à coup de fesses il battoit la mesure, je donnois fort-à-propos les coups d’évantail : nous profitâmes de notre mieux du peu de temps que nous avions à rester ensemble, après qu’il m’eut appliqué deux bons topiques sous le nombril, je le fis partir, j’allai rejoindre ma compagne, et je lui demandai comment elle le trouvoit.

Sylvie.

Tu es fort bien partagée, Angélique.

Angélique.

Tu l’as vu à ton aise.

Sylvie.

Il étoit assez découvert pour cela : Eh, dis-moi, celui dont tu m’as parlé est-il aussi aimable ?

Angélique.

Vernier est un blondin fort gentil : il viendra jeudi pour te voir, et tu en jugeras.

Sylvie.

Je le verrai avec plaisir ; mais cependant…

Angélique.

Je t’entends, ma bonne amie ; cependant ne le fais pas trop languir ; plutôt tu te rendras, plutôt tu jouiras : cela même me fera plaisir, parce qu’à l’exemple de ces dames, nous ferons nos parties ensemble.

Sylvie.

Au moins faut-il se connoître.

Angélique.

Tu ne l’auras pas plutôt connu, que tu en seras enchantée : continue ton histoire ; je te donnerai un expédient pour bien resserrer ton… afin qu’il te croye pucelle : le jour que tu te rendras je t’y ferai introduire quelque chose, et le tout fera merveille.

Sylvie.

Après les témoignages que j’avois reçus du Comte, nous fîmes alte ; cela étoit nécessaire. Les rafraîchissemens pris, il me donna une quatrieme dose ; c’en étoit assez pour ce voyage. Nous répétâmes ce que cent fois nous nous étions dit, et il partit. Je passerai sous silence ce qui m’arriva jusqu’à son retour : ma mere, près de laquelle je couchois fut en campagne, et y demeura une quinzaine de jours ; je pris mes arrangemens pour le recevoir dans mon lit. Ma petite chambre étoit au-dessus de celle de mon pére ; je t’ai déja dit qu’il m’inquiétoit peu. Tout étant concerté, j’écrivis à mon amant de venir, et je fus satisfaite de pouvoir au moins le recevoir dans un endroit honnête.

Il arriva sur les six heures ; nous restâmes ensemble quelques momens : il ne se possédoit pas de joie de penser que nous pouvions passer la nuit ensemble, je l’obligeai à se modérer jusqu’à ce que nous fussions entre deux draps : je le laissai dans ma chambre et fus souper avec mon papa, pour lui tenir compagnie ; mais je prétextai une indisposition, et ne mangeai rien, me réservant pour souper avec le Comte. Le bonhomme m’ennuya beaucoup, et lorsqu’il se disposa à se coucher, (ce qu’il faisoit tous les soirs de bonne heure) je remontai dans mon appartement ; la cuisiniére avoit pourvû à tout, et notre souper fut assaisonné de mille jolies choses.

Nous nous deshabillâmes, je voulois garder ma chemise ; mais il me l’ôta et en fit autant. J’avois une fort belle glace dans ma chambre, et avant que de nous mettre au lit nous nous y regardâmes : il me fit remarquer comme j’étois blanche et bien faite ; je le savois, car ce n’étoit pas la premiere fois que je m’y étois présentée. Nous nous y procurâmes plusieurs points de vue qui nous firent beaucoup rire ; je lui témoignai même que je souhaitois que ma couchette fût vis-à-vis, qu’il devoit être fort drôle de se voir répéter dans les transports amoureux. Il me dit qu’il en seroit fort aise aussi, et aussitôt il approcha le fauteuil, m’y fit mettre à genoux, me fit appuyer sur le dossier, et me plaça comme s’il eût dû me donner un clistere. Il y avoit deux flambeaux sur la table : je tournai la tête ; le miroir me rendit ma posture et celle du Comte, qui, la canule en main me regardoit le derriere. Fais-donc, lui dis je, ne l’as-tu déja pas assez vu ? Il enfila pour lors ; mais non pas le trou de l’apothicaire. Il étoit debout ; je me tins de mon mieux, et lorsqu’il s’apperçut que je l’avois prévenu, ses mouvemens compassés s’accélererent, et en m’arrosant il me l’enfonça jusqu’aux gardes : je tressaillis et perdis l’équilibre, et je serois tombée s’il ne m’eût retenu : il put cependant finir. Nous rîmes beaucoup de cet expédient et après quelques autres singeries, nous nous couchâmes.

Quoique nous avions passé une partie de la nuit à ginguer, nous nous réveillâmes à sept heures du matin, nous rappellant nos perspectives. Il me dit qu’au jour elles devoient être plus sensibles, et alla détacher la glace. Comme mon lit étoit joint au mur, il l’y plaça ; nous nous trouvâmes moins gênés que la veille et inventâmes différentes postures : elle fut encore témoin de nos culbutes, et avant de partir je lui fis prendre un bon consommé.

Pendant l’absence de ma mere, il coucha quatre fois avec moi, je le vis à son retour comme précédemment, cela sans la moindre traverse ; car quoique ma bonne maman fût un peu coquette, elle faisoit cependant mentir le proverbe, et ne me gênoit aucunement : mais il n’avoit pas semé dans une terre ingrate. Je fis part de mon état à une de mes amies, mariée depuis un an, et elle me dit qu’indubitablement j’étois grosse : je le dis au Comte lorsqu’il revint ; il en fut enchanté. Voici le moment, Angélique, qui va me rappeller des choses bien différentes de celles que tu viens d’entendre ; dispense-moi de t’en dire davantage ; il suffit que tu saches que je l’ai perdu pour toujours.

Angélique.

Ah ! tu ne me laisseras pas là : allons, ne fais pas l’enfant, ne m’a-tu pas promis ?…

Sylvie.

C’est plus fort que moi : je continuerai ; mais permets-moi au moins de traiter légérement ces tristes particularités.

Il prit la petite vérole ; je l’appris par un billet de sa propre main, et ce fut le dernier. Je recevois tous les jours des nouvelles de sa maladie ; mais on me flatta sur l’issue ; on me cacha même sa mort. Ah ! si j’eusse pu lui rendre les derniers devoirs, je serois je crois, de douleur expirée avec lui. Enfin, lorsque je l’appris, (il m’est impossible d’exprimer ce que je ressentis,) je fus presque vingt-quatre heures sans connoissance : on désespéra de moi ; les révolutions que j’éprouvai me firent accoucher d’un enfant à peine formé, et sans vie, et je ne revis le jour que pour me voir couvrir de confusion, en présence de ma mere et de quelques-unes de ses amies : ses bontés, car elle m’en donna de véritables marques, la force de mon tempérament, et ma grande jeunesse, m’ont sauvés. Lorsque j’ai été rétablie, je lui ai demandé la permission de venir voir ma tante ; arrivée à l’abbaye, je lui écrivis qu’après ce qui m’étoit arrivé, je ne pouvois plus soutenir les yeux du public, et ma résolution à y finir mes jours : trop heureuse, je te le répéte, Angélique, malgré tous mes malheurs, d’y rencontrer une amie comme toi.

Après ce dernier récit elle m’embrassa, en répandant un torrent de larmes : il auroit fallu que j’eusse eu un cœur de bronze, pour ne pas m’attendrir. Je la consolai encore le mieux que je pus, et pour faire diversion nous fûmes nous promener.