Le Monialisme, Histoire galante (2e éd.)/07

A Rome aux dépens des couvens (Tome I, Tome IIp. 266-296).

Je lui donnai le soir d’une pommade rouge, pour produire l’effet dont je lui avois parlé ; c’étoit un assez bon astringent : comme les hommes aiment à être gênés dans leurs plaisirs, nos dames s’en servoient de temps en temps pour entretenir la bonne intelligence avec leurs amis. Le lendemain elle vint d’assez bonne heure me trouver, et l’après dîner, comme Rigot et la Platiére étoient venus voir leurs belles, je voulus la convaincre de ce que je lui avois avancé : lorsqu’elle le fut entiérement, nous nous retirâmes et attendîmes l’une et l’autre avec impatience le jour que devoient venir de D. Delabrisse et son confrere. Ils vinrent, et nous demanderent au parloir : j’y laissai Sylvie avec Vernier, qui deux heures après, vint seul nous joindre.

D. Delabrisse.

Te voilà ! eh bien, où en es-tu ?

D. Vernier.

Seulement aux complimens, et aux baisemens de mains.

D. Delabrisse.

Tu en es réellement resté-là ?

D. Vernier.

Je n’ai pas osé passer outre, son air composé a fait faire alte à tout ce que j’avois prémédité.

Angélique.

Comment la trouvez-vous ? et comment a-t-elle reçu vos honnêtetés ?

D. Vernier.

Je la trouve charmante ; si je ne me flatte, elle a reçu assez bien tout ce que je lui ai débité, mais je crains qu’elle n’ait pas conçu une grande idée de moi.

Angélique.

Pourquoi ?

D. Vernier.

Je n’ai jamais été si stupide de ma vie, pour vouloir trop bien dire, j’ai resté deux ou trois fois court. Vous riez ? je n’en ai ma foi pas envie, et suis fort mécontent de mon début.

Angélique.

Soyez tranquille, tout ira bien.

D. Delabrisse.

Il falloit lui montrer ta dague, elle auroit peut être été plus éloquente.

D. Vernier.

Tu parles fort à ton aise, parce que tu as de quoi dérouiller la tienne ; mais je crois que vous vous moquez de moi tous les deux… Oh ! il ne sera pas dit que je serai venu pour enfiler des perles.

Angélique.

Défends-moi, Delabrisse, défends-moi ?

D. Delabrisse.

Ah ! bigre, veux-tu finir !

D. Vernier.

Parbleu, je n’ai pas encore commencé : Sois généreux confrere ! et que je sçache comment tu te trouves ici… Allons donc, mademoiselle, pas tant de façon… figurez-vous que c’est… Il y fait bon ; je te félicite : il auroit fallu faire dans un coin la bataille des jésuites ; cela vaut mieux.

Angélique.

Tu n’as qu’à y revenir ! c’est ainsi…

D. Delabrisse.

Il faut bien faire quelque chose pour ses amis.

Angélique.

Oh ! non, ménagez-vous pour Sylvie ; car la premiere fois que vous viendrez, pour rétablir dans son esprit votre réputation, que vous croyez avoir reçu quelques breches, il faudra bien la servir.

D. Vernier.

Elle ne voudra peut-être pas.

Angélique.

Je l’y disposerai. —

D. Delabrisse.

Diantre, comme vous faites vos petites affaires tous les deux. Mais — dis donc, Vernier, ne vas pas me couper l’herbe sous les pieds. —

Angélique.

Je voudrois que vous puissiez encore rester, mes amis, mais il se fait tard, ainsi il faut nous séparer. —

Sylvie.

Il est parti ?

Angélique.

Oui, je viens de les conduire tous les deux. Pourquoi ne lui as-tu pas tenu compagnie tout le temps.

Sylvie.

Parce que je craignois de ne pas pouvoir soutenir le rôle que j’avois commencé ; — je me suis composée de mon mieux, mais sur la fin, mon cœur me trahissoit. Car sans aller par deux chemins, il me plaît, et qu’a-t’il dit de moi ?

Angélique.

Tout ce que peut dire un homme amoureux, ardent, et épris d’un objet qui l’a frappé. Mais il se plaint de cet air composé, et craint fort que cela ne retarde son empressement — cela te fait rire —

Sylvie.

Oui, et c’est aussi le sien qui m’a engagé à me retirer plutôt que je n’aurois fait — il avoit envie — et n’osoit pas — il a fallu beaucoup prendre sur moi, pour me retenir. Mais écoute, Angélique, il est un peu neuf, je t’ai promis de ne pas le laisser long-temps soupirer ; tu dois sentir mon embarras. —

Angélique.

Je te comprends. Hé bien, je me charge sans te compromettre, d’avancer les affaires, décide-toi à sa premiere visite. —

Sylvie.

Cela est trop prompt.

Angélique.

Cela est trop prompt ; le plutôt est le meilleur. Tu dois aller chez ta tante, nous nous rejoindrons. —

Le lendemain Madame l’Abbesse nous envoya chercher toutes les deux, nous demanda plusieurs fois, si nous avions sérieusement fait nos dernieres réflexions sur l’état que nous voulions embrasser, et après plusieurs questions qui nous ennuyerent assez, auxquelles nous répondîmes toujours oui, elle nous annonça que dès ce jour là nous étions postulantes, et nous donna pour maîtresse ma Bonne. J’avois si peur de tomber entre les mains de quelques vieilles que j’en tremblois, et fus fort contente du choix qu’elle avoit fait ; cela s’accommodoit on ne peut mieux avec mes pratiques, et j’attendis avec ma compagne le retour de nos amis, qui arriverent au jour donné. Nous fûmes les trouver au palais. Vernier fit beaucoup de complimens à Sylvie, et une demi-heure étoit déjà passée qu’il ne l’avoit embrassée qu’une fois. Sotte maniere de faire l’amour, dis-je ! et prenant leurs deux têtes, je les pressai l’une contre l’autre ; il s’enhardit, lui mit la main sous le menton — et en sçut faire un bon usage. Sylvie s’en défendit, et ne laissa pas que d’aller son train ; je l’animois même en lui répétant plusieurs fois, vous êtes un sot Vernier, si vous abandonnez la partie. Après s’être assuré qu’elle étoit une jolie fille, il l’embrassa de tout son cœur ; voyant pour lors, qu’il étoit temps d’en venir à l’essentiel, je leur dis de venir nous joindre dans la chambre qu’ils savoient ; de notre côté je m’y rendis avec Sylvie, lui donnai en riant, un boyeau de poulet rempli de sang ; elle se l’introduisit, et nos gens entrerent. — Vernier fut bientôt vers ma compagne, lui dit beaucoup de choses passionnés, elle les reçut assez bien ; mais comme il voulut suivre notre avis, en montrant sa dague, et la jetter sur le lit, elle fit toutes les simagrées qui convenoient, pour lui faire encore mieux jouer son rôle. Je vois bien, repris-je, que si je ne m’en mêle, il faudra se morfondre ici, et j’aidai Vernier à la renverser — pour le coup elle ne put plus s’en dédire — se plaignit seulement au commencement, comme si réellement elle eût souffert ; l’expédient en question fit merveille, et le petit drôle ne pouvoit pas assez, exprimer sa joie ; je les laissai pour lors, et D. Delabrisse et moi nous nous livrâmes également à la nôtre. Nous nous rapprochâmes tous les quatre ; Sylvie ne fut pas la moins enjouée, et reçut les caresses de son nouvel amant, avec des preuves certaines qu’il lui étoit fort agréable ; finalement il fallut les quitter. —

Angélique.

Je t’ai bien tenu parole, Sylvie, n’ai-je pas bien conduit cela ?

Sylvie.

On ne peut mieux, ma chere amie, et sans toi où en serions-nous ?

Angélique.

Es-tu contente ?

Sylvie.

Tu as dû t’en appercevoir ; je l’aime réellement, et suis très-décidée à l’aimer toujours ; d’ailleurs il le mérite, il est de très-bon service et m’a procuré d’autant plus de plaisirs, qu’il y avoit longtemps que je n’en avois tâtée.

Angélique.

Voici ma Bonne. —

Félicité.

Hé bien, mes demoiselles, rendez-moi compte de vos exercices, et de vos lectures spirituelles. D’où venez-vous ?

Angélique.

J’ai été, notre maîtresse, avec ma compagne, balayer le dortoir, comme vous nous l’aviez dit.

Félicité.

Y a-t-il long-temps ?

Sylvie.

Il n’y a qu’un moment.

Félicité.

Vous êtes des menteuses, des effrontées, car j’en viens vous prendrez la discipline.

Sylvie.

Il est vrai. Madame, que nous avons été ailleurs. —

Félicité.

Et où, s’il vous plaît ?

Angélique.

Comme il y a beaucoup de souris dans le noviciat, nous nous sommes amusées à les poursuivre. — Il y en a même une qui a mordu ma compagne. —

Ma parente qui savoit de quoi il s’agissoit, ne put pas davantage soutenir la plaisanterie, et toutes les trois pendant un moment rîmes comme des folles. La Prieure vint, s’en mêla aussi, et jusqu’au souper ce fut la matiere de notre amusement. Sylvie reçut les complimens de toute la coterie, et la regarderent pour lors comme une des leurs.

Nous revîmes nos amis, et prîmes le voile blanc. Je n’entre point dans le détail de cette cérémonie lugubre, comme également j’omettrai celle de notre profession ; cela n’est pas assez gai pour faire partie de cette histoire : et nous eûmes soin de faire abattre les coutures de cet acoutrement de beguines. Deux religieuses du même ordre vinrent à l’Abbaye nous voir, on les engagea à rester quelque temps — elles étoient jeunes, jolies et à-peu-près de la même trempe. Ainsi, bien loin de nous gêner, elles ne firent qu’augmenter la joie qui y régnoit. On proposa pour les amuser, une partie de bains. Ma compagne et moi y fûmes invitées. La Prieure, comme j’ai déjà dit, qui ne se baignoit jamais, avoit apporté sa vieille, et nous donna quelques petits airs tendres comme nous étions à folâtrer dans l’eau. Mais après que nous en fûmes sorties, que marchandise mêlée auroit fait merveille, elle nous joua quelques rigodons, et de deux à deux avant de nous habiller, nous fîmes sur l’herbe, valoir nos G…

Colette qui s’étoit emparée de moi, (c’est le nom de l’une des deux nouvelles arrivées, l’autre se nommoit Barbe) en avoit un double, et par ce moyen là, on pouvoit à deux s’amuser dans le même temps. Après avoir bien ris, nous nous habillâmes, et le lendemain le Professeur et Rigot vinrent avec deux Bénédictins du grand ordre, qui étoient les amans des deux étrangeres. On leur donna toute l’aisance de voir leurs belles ; les Bénédictins les ramenerent jusqu’au jour de la grande partie qu’ils avoient arrêtée. La voici.

Au jour désigné, Sylvie qui avoit une envie démesurée de la voir, me pria de lui procurer ce plaisir, et nous nous rendîmes dans un des cabinets du pavillon. Nos acteurs au nombre de dix-sept, dix coqs, et sept poulettes y vinrent une demie-heure après en trois ou quatre bandes, pour ne pas faire un si gros volume. Il est à propos que l’on sçache les noms que nos dames donnerent aux cinq nouveaux débarqués. Les deux Bénédictins furent appellés, l’un trousse-cote, et l’autre tire-droit. Guignolet avoit amené avec lui deux autres Bernardins ; il garda son nom qui étoit assez drôle, et de ses deux confreres, l’un fut nommé belle-pine, et l’autre fretillard.

On n’avoit pas oublié, que primo, il faut vivre ; selon leur choix ils se prémunirent à la hâte de ce qui pouvoit les conforter, allerent chercher les couchettes qui étoient dans les cabinets, baisserent les dossiers des canapés, parurent bientôt tous in puris nuturalibus ; et ce fut un cri général de la part de ces dames, en jettant les yeux sur l’instrument énorme de belle-pine : ma compagne et moi en fûmes toutes stupéfiées. Elles s’approcherent l’une après l’autre pour le toucher, l’examiner, le mesurer ; il portoit neuf pouces, et étoit soutenu par trois boulettes. Il avoit eu la précaution d’apporter son bourlet, expédient dont les hommes qui ont la verge trop longue, se servent pour ne pas incommoder les femmes, il le mit ; cela le racourcissoit de deux pouces, et s’empara ainsi de la Prieure, les deux Bénédictins de leurs bonnes amies, les autres indifféremment de celles auprès desquelles ils étoient ; les trois autres de relais, furent destinés pour Colette Barbe, et la présidente qui n’étoit aucunement déconcertée, de sentir un pareil pilon dans son mortier.

Un bruit confus pour lors se fit entendre ; les hem — hem — des Révérends, semblables à ceux des charpentiers qui dégrossissent leur bois, joints à quelques sons mal articulés de la part de leurs bonnes amies, firent pendant quelques minutes murmurer la salle de toute part. Je regardois comme Colette se tiroit d’affaire ; quoique ramassée dans sa petite taille, si elle jouissoit, elle faisoit jouir aussi, selon leur convention ; ainsi que Barbe et la Prieure, elle soutint deux assauts sans interruption.

Etant tous frais et jeunes, ils mirent peu d’intervalle sans recommencer. Dans les combats les premiers chocs sont toujours les plus vigoureux : il en fut de même dans celui-ci ; et ce ne fut qu’après une seconde cavalcade, qu’ils prirent le temps de respirer. Les uns près des autres se témoignerent leur satisfaction d’une maniere qui n’étoit pas équivoque. Restant sur les différens autels où ils avoient sacrifiés, ils se donnerent quelques claquettes, et s’y amuserent un moment.

Belle-pine qui avoit été officier, à qui le droit de commander étoit dévolu, puisque la sienne de toute la tête surpassoit celle des autres, dit à ses confreres, il faut encore une fois réjouir ces dames avant le dîner, mais le faire avec un certain ordre ; il instruisit l’assemblée de son dessein ; ils débarrasserent la salle, se posterent en ligne aux deux extrémités, les mâles d’un côté, et les femelles de l’autre ; décoré du baudrier qui avoit servi à Rigot le jour de sa réception, et une canne en main ; il s’y prit ainsi. —

Attention au commandement. Mes dames ; c’est à vous — marche — Lorsqu’elles eurent fait, cinq à six pas — distance nécessaire, il cria — alte — demi-tour à droite — reposez-vous sur vos mains — braquez le canon — haut le canon. Il s’approcha pour alligner ceux qui ne l’étoient pas, examina si les lumieres étoient toutes bien disposées, ordonna à Rigot et à la Platiere de faire la sentinelle de droite et de gauche, ce qu’ils firent d’un air grave, la main droite sur la flamberge, et l’autre sur la bouche. Nous nous pinçâmes les lèvres Sylvie, et moi pour ne pas rire, voyant ainsi postés sept postérieurs tous bien nourris et fort blancs. S’adressant ensuite à ses confreres dont les bouroirs, semblables aux chevaux fougueux dont on retient les rênes, témoignoient leur impatience par leurs mouvemens ; marche — lorsqu’ils furent vison-visu de la batterie — alte — genoux en terre — haut les armes — chargez — feu — ma foi ce dernier mot fut le signal ; et tandis que les artilleurs et l’artillerie se livroient un combat général, c’étoit à qui mieux-mieux, les canons n’étant pas patraques, repoussoient assez joliment ; monsieur le major avec sa canne marquoit les temps.

Lorsqu’ils eurent fini, Rigot s’approcha de ma Bonne, la Platiere de Rose, le Commandant de Susanne, et se mirent à même de charger à leur tour. Je parie que c’est belle-pine, dit cette aimable fille — oh, mon ami, ménage-moi, je t’en prie : Barbe qui étoit la plus près, y porta la main ; elle ne se plaignit plus : elles se leverent après les trois derniers assauts, louerent beaucoup cette invention, furent tous dans le réservoir y prendre le bain, revinrent et mirent la table.

Nous fûmes aussi Sylvie et moi prendre quelque chose, et retournâmes les revoir.

Les premiers coups de dent étoient donnés, chacun fêtoit sa compagne ; quelque verres du meilleur vin du pays se siffloient à leurs santés ; les mains pour voltiger n’ayant pas besoin de tourner aucun feuillet, augmentoient de temps en temps la joie des convives — et ils étoient au dessert lorsque la sœur Agnès entra.

Toute l’assemblée témoigna beaucoup de plaisir de la voir ; on la fit asseoir, boire un verre de vin muscat ; tous lui porterent la santé, en la remerciant de la bonne chere qu’elle leur avoit fait faire. Cela est fort honnête de votre part, dit notre homme si bien emmanché ; mais cela ne suffit pas. Puisque les viandes qu’elle nous a préparées étoient si succulentes, qu’il ne nous en reste que de la crue, il faut qu’elle en goûte ; et en voici un morceau, en se levant, qui n’est pas indifférent. Surprise d’en voir un pareil, elle fit un cri et voulut s’en défendre ; mais il la jetta sur un canapé, et en lui disant : allons belle cuisiniere — vous jugerez si cette endouille est bien assaisonnée. Les trois premieres secousses lui firent faire quelques grimaces, elle soutint cependant la gageure en présence de la société, en fille qui méritoit de leur être associée. Ah, bigre, lui dit-elle, regardant et touchant l’illustre pere du genre humain qui étoit sorti triomphant, je ne l’ai jamais été avec autant de véhémence ; il m’a porté jusqu’au cœur ; oh ciel ! ma foi défunt notre âne ne l’avoit pas plus beau.

Trousse-cote s’approcha pour lui donner aussi des preuves de sa reconnoissance ; mais elle le pria d’attendre qu’elle fût à son aise ; et disant à l’assemblée que son dessein étoit de passer l’après dîner avec eux, elle se deshabilla ; ils en furent tous enchantés, leverent la table ; et tandis qu’elle répondit à la politesse qu’on lui faisoit, les autres pour prendre un peu d’exercice, sauterent et gambaderent.

A l’île de Cythere, dit la Prieure ; ils y passerent, mirent tous la main à l’œuvre : les différens meubles qui devoient servir à l’observance de leurs vœux de chasteté, et que j’ai remis à parler dans ce volume, consistoient en un petit chariot, le chevalet, une grande planche longue, placée sur trois piquets de la hauteur de cinq pieds, et trois branles doubles.

C’est à mon tour de commander, dit le Professeur ; et avant de voltiger, commençons, mesdames, par soutenir une thèse de physique expérimentale, tant sur les autres meubles que vous voyez qu’autrement. Il leur assigna leurs places ; lui-même se saisit de Barbe qui étoit fort mince et souple, lui faisant mettre une jambe sur son épaule, et l’autre le long de son corps il en fit exactement une musette, donna un coup de sifflet, enfila, et tous en firent de même.

Pour procéder avec ordre, belle-pine s’étendit sur la planche dont j’ai parlé ; la Prieure se mit à califourchon sur lui, Rose qui étoit en-bas lui prit les pieds ; tire-droit qui étoit dessus, les bras, et s’accordant, ils — contrefirent on ne peut mieux les scieurs de long.

Trousse-cote et fretillard, comme s’ils eussent conduit une charrue, donnerent à tour de rôle à Colette sur le petit chariot des preuves de leur adresse ; et tandis que l’un faisoit le limonier, l’autre à genoux sur le bord du chariot, et tenant les jambes de la belle, qui représentoient la fourche, la piquoit de son aiguillon ; Susanne sur la charrette ne fut pas mal traitée à tour de rôle, par la Platiere et Guignolet.

Les six autres qui faisoient la chaîne, fixerent aussi notre attention ; et si les fesses des revérends qui servoient d’oreiller à nos dames, faisoient sautiller leurs chefs, monsieur le docteur Sorbonicus faisoit assez bien sentir à Barbe la souplesse des siennes.

C’est ainsi que se soutint cette thèse unique, il est vrai dans son genre, mais moins insipide que celles que l’on soutient sur les bancs, et ils rentrerent.

Chacun dit son mot sur ce qui venoit de se passer, et prit quelques rafraîchissemens. Il est près de quatre heures, dit trousse-cote, et je crois que l’on siffle les vêpres dans ce pays ci ; oh, je ne prétends pas cela. Ainsi que l’on fasse deux chœurs. Un moment suffit pour instruire la société ; les dames s’assirent d’un côté sur les dossiers du canapé, les messieurs de l’autre — et chanterent sur le huitième ton les vêpres des mousquetaires. Après l’antienne, Susanne et Colette avec une grace admirable, furent se poster au milieu du chœur, et en faisant la révérence, la premiere chanta le verset — que lui fit-il ?… et l’autre le répond — il la f…tit — …

Toutes ces dames n’y purent plus tenir ; et je crus qu’elles étoufferoient à force de rire. Cela ne fit pas moins d’impression sur nous, mais nous nous retînmes pour ne pas faire de bruit ; ils se rapprocherent, et après quelques soins officieux de la part de leurs chastes sœurs ; aux branles, dit Rose.

Ils sortirent de la salle, six de l’un et de l’autre sexe se mirent dedans ; trois de ces dames assises chacune sur un lit suspendu, les jambes relevées et retenues par des anneaux de rubans, présentoient à leurs confreres à genoux sur les leurs, la partie centrale ; ceux qui étoient en-bas, et qui tenoient les cordes pour les faire aller, donnerent le temps à la conjonction de se faire, et dans le moment, à tour de bras, les firent voltiger. Cette maniere de se caresser en l’air, tantôt dessus, tantôt dessous, joint aux mouvemens que l’on se donne, est assez drôle ; lorsque je l’éprouvai, cela me plut beaucoup. Nous demeurâmes constamment Sylvie et moi jusqu’à ce que tous y eurent passés, et nous fûmes témoins de toute leur joie. Je m’entretins beaucoup avec ma compagne de celle que nous nous promettions le lendemain, puisque Delabrisse et Vernier devoient venir. Lorsque la clique fut séparée, nous fûmes rejoindre ces dames, nous soupâmes toutes ensemble chez l’Abbesse, et cela avec autant de sang froid que s’il ne s’étoit rien passé.

Ils vinrent d’assez bonne heure ; nous restâmes toute la journée avec eux dans le pavillon ; et quoiqu’on petit nombre, et parfaites imitatrices de tout ce que nous avions vu, nous ne laissâmes pas de nous servir des différens meubles dont j’ai parlé.

Tout ceci va paroître surprenant ; c’est cependant l’exacte vérité, et je ne l’aurois jamais rendu public sans une dame fort aimable à qui j’ai de grandes obligations : je renvoye mon lecteur à la lettre qui est au commencement de cet ouvrage. Il s’amusera aux dépens, il est vrai, de l’état monastique. Je ne doute pas que cela ne contribue à le faire tomber dans un plus grand discrédit ; mais s’il pouvoit contribuer à sa ruine entiere, que de victimes de moins ! et quand il ne serviroit qu’à faire ouvrir les yeux aux maratres et aux peres dénaturés, qui pour un intérêt sordide, sacrifient leurs enfans, qui de très-bons citoyens qu’ils auroient été, menent le plus souvent dans le Cloître une vie moins réservée que dans le monde, j’aurois encore lieu d’être satisfaite.

Quelques réfléxions sur ce sujet ; un peu de délicatesse, ma tendresse pour un homme que le ciel m’a destiné, nous engagerent l’un et l’autre à prendre un parti pour ne la partager avec personne. Je vais fort succinctement traiter ce qui suit.

Je reprends. Nous fîmes profession ma compagne et moi, et fûmes agrégées à la société avec toutes les particularités que j’ai détaillés. Mon bon ami fut fait Procureur de sa maison ; pour obliger Sylvie, il fit nommer Vernier pour son celerier ; ils se fixerent ainsi au Prieuré qui étoit proche de l’Abbaye, et nous fûmes à même d’avoir très-souvent leurs visites. Mais mon amour pour Dom Delabrisse s’accrut de telle sorte, que je regardois les faveurs que j’accordois aux autres, comme autant d’infidélités que je lui faisois. La crainte de le perdre m’allarmoit aussi ; il peut, disois-je, par la difficulté de contenter tout le monde, se faire des ennemis, être même supplanté, pour surcroît, et par le plus grand des malheurs, on peut l’éloigner à cent lieues de moi. J’y succomberai continuai-je ; Sylvie qui est remplie de sentimens, me tenoit le même langage du sien ; nous nous assistions alternativement de nos conseils ; mais nous ne savions pas ce que ces chers hommes préméditoient, et le sort qui nous attendoit.

Le chagrin que ma Bonne conçut de l’éloignement de son amant, qui fut nommé à une Cure, à cinquante lieues de l’Abbaye redoubla mes craintes : je fus pendant près de quinze jours à la consoler, et elle perdit beaucoup de sa gaieté. Nous passâmes deux années depuis notre profession, à-peu-près comme précédemment ; la troisieme fut celle qui mit le comble à notre honneur.

Il se fit aussi du changement dans la maison de nos confreres ; une partie de nos dames perdirent leurs amis ; elles en furent affligées pendant quelque temps ; mais s’en consolerent avec les nouveaux venus.

Trois semaines avant notre départ auquel Sylvie, ma Bonne et moi nous ne nous attendions pas, D. Delabrisse et Vernier vinrent nous voir. Comme nous étions quelquefois dans l’usage de faire bande à part ; seule avec le mien, et recevant ses caresses avec une affection sans égale ; car depuis près de dix jours je ne l’avois vu ; je fus fort étonnée de son peu de ménagement ; je m’en attristois, lui en fis même des reproches ; je ne savois ce que j’en voulois dire — il se mit à rire, et me dit de m’asseoir.

D. Delabrisse.

La façon dont je viens de me comporter t’étonne ; mais lorsque tu en sçauras les motifs, au lieu de me blâmer, tu t’y prêteras.

Angélique.

Explique-toi ; je ne comprends rien à ceci, et il s’en faut beaucoup que je sois rassurée.

D. Delabrisse.

Ecoute-moi ; sans te répéter ce que cent fois je t’ai dit, il n’est que toi seule qui peut fixer mon bonheur ; et il ne peut être tel, tandis que nous nous tiendrons dans l’état que nous avons embrassé ; état où peu maître de son sort, on est par l’ambition et les mauvaises menées de plusieurs, beaucoup plus en but à l’inconstance que dans le monde : ainsi depuis le temps que je suis à la tête des affaires de notre Prieuré, j’ai pris mes arrangemens, et j’ai fait une assez bonne pacotille, et te propose de me suivre. Si tu te rends à mes desirs — c’est dès ce moment ci. —

Angélique.

Je ne puis te laisser achever, j’en comprends plus que tu n’en pourrois dire ; tu ne peux rien me proposer de plus agréable ; pourrois-je m’éloigner de toi ? Oui, je te suivrai, seroit-ce au bout du monde. Le voici donc le moment où je puis me flatter que tu seras le seul qui auras part à ma tendresse ! je te le jure ; tu sçais mes répugnances ; ce cœur ne sera satisfait qu’en te possédant seul, et ne peut se partager.

D. Delabrisse.

Tirons le rideau sur tout ce qui s’est passé, et que le ciel soit témoin de nos engagemens ; mais tu pleures ma chere amie ; je t’en prie…

Angélique.

Ma Bonne ; mon amie ; ma Bonne, je ne puis me résoudre à la laisser.

D. Delabrisse.

Aussi viendra-t-elle avec nous ; tel est mon dessein ; rassure-toi.

Angélique.

Oh ! le meilleur de tous les hommes ! Comment pourrai-je reconnoître ?… Et Vernier seroit-il pour Sylvie aussi généreux !

D. Delabrisse.

J’allois t’en parler ; il sont peut-être actuellement sur le même article, et nous partirons tous les cinq ensemble ; tout est prémédité. Jusqu’à présent j’ai gardé le silence, j’avois mes raisons pour cela : oui ma tendre amie, nous serons mille fois plus heureux, et non pas exposés comme les oiseaux sur la branche, au malheur de nous séparer. Ne t’inquiete pas, j’ai suffisamment ce qu’il faut pour prévenir les horreurs de l’indigence : car on a beau s’aimer, il faut vivre ; et comme dit fort bien un poëte :

L’esprit, la beauté, les attraits, la bonne mine,
Echauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine.

Angélique.

Les voici.

Sylvie.

Ah, digne et cher homme ! que pourrai-je vous dire ; car tout ceci est votre ouvrage ; que ne vous dois-je pas ?

D. Delabrisse.

Je n’ai fait que suivre en cela mon inclination, pour obliger mon ami, et être dans le cas de pouvoir vous servir : toute la reconnoissance que j’en exige, je vous prie de conserver pour Angélique l’amitié que vous lui avez témoignée jusqu’à présent.

Sylvie.

Je mériterois d’être enterrée toute vive, si j’étois capable de la diminuer. Embrassons-nous ma chere amie, renouvellons-la de nouveau : ah, quel bonheur imprévu !

D. Vernier.

Oui, Sylvie, c’est à ce digne ami que nous sommes redevables…

Angélique.

Je vais chercher ma Bonne, et la joie sera complette.

D. Delabrisse.

Cessez, je vous prie, tant de remercîmens ; j’ai fait pour toi, Vernier, ce qu’à ma place tu aurois fait pour moi.

Félicité.

Que viens-je d’apprendre ! je n’ai jamais douté, D. Delabrisse, de la bonté de votre cœur ; mais votre procédé actuel m’interdit à un point, me pénetre de tant de reconnoissance que je ne sçais de quels termes me servir pour vous la témoigner.

D. Delabrisse.

Trop heureux, Madame, de pouvoir me reconnoître de celles que vous avez eues pour moi. La tendresse mutuelle que vous avez l’une pour l’autre, et ma propre satisfaction m’ont déterminé à vous emmener avec nous.

Félicité.

J’en rends graces au ciel ; oui mon cœur, j’en serois morte de douleur si vous fussiez parti sans moi. Mais je vous serai peut-être à charge mes amis ?

Angélique.

A charge, ma Bonne, que dites-vous là ? Dussions-nous gagner notre vie à la sueur de notre front, vous en auriez toujours la meilleure part ; mais nous ne serons pas dans ce cas-là.

Nous demeurâmes ensemble tous les cinq près de deux heures ; les épanchemens de cœur, et tout ce qu’on peut se dire de plus touchant y furent cent fois répétés. Ma parente se retira, et je dis à D. Delabrisse, allons, rends-moi mere, et fais-toi pere ; ce n’est que par-là que nous pourrons plaire à l’Auteur de la nature, qui a créé chaque chose pour sa fin. Sylvie en dit autant au sien ; et après avoir passé quelque temps avec eux, ils nous dirent que la premiere fois, qu’ils viendroient nous prendrions nos derniers arrangemens, et nous les conduisîmes.

Nous fûmes tout de suite ma compagne et moi chez ma Bonne ; après souper nous la rejoignîmes, et elle nous parla ainsi :

Cette derniere preuve de l’amitié de Dom Delabrisse mérite de notre part, mes amies, tout ce que le cœur peut dicter de plus affectueux. En suivant pour toi Angélique, son propre amour, et la tendresse qu’il te porte, il nous rend le plus grand service que vous ne pouvez vous imaginer ; et il est à propos que je vous fasse part des réflexions que cent fois j’ai faites, et auxquelles je ne me suis pas arrêté, dans la crainte de jetter du sombre sur mon caractere.

Nous avons trop de liberté dans l’Abbaye, pour que cela puisse durer : madame l’Abbesse est dans un état décrépit qui annonce sa fin. Si on nous laissoit le choix après sa mort d’élire une de nous, il y auroit de l’espérance à pouvoir se soutenir ; mais vous savez que c’est la Cour qui dispose de ces sortes de places, et souvent destine pour Abbesse dans tel et tel monastere une religieuse d’un ordre différent. Celle qui succédera à madame de *** peut être de ces atrabilaires, qui sous prétexte de régularité, fermera portes et grillons, et ne laissera aux tourterelles que le triste sort de gémir — je suppose qu’elle ne soit pas de cette trempe, encore je le répete, nous éprouverions bien du changement. J’aurai quelques regrets de quitter nos amies, il est vrai, mais il est permis à un chacun de se pourvoir. Qu’aucune ne puisse s’appercevoir de notre dessein ! Soyons avec elles comme de coutume ; lorsque nous serons parties, qu’elles fassent comme elles voudront.

Finalement nos amis revinrent ; nous arrêtâmes le jour de notre départ, et nous préparâmes ce qu’il falloit pour nous déguiser. Nous nous trouvâmes donc toutes les trois dans le pré du pavillon un soir à neuf heures : un petit coup qu’ils donnerent à la porte qui communiquoit dans le dehors nous avertit ; nous leur donnâmes le bras, et nous allâmes rejoindre les deux chaises de poste, qui étoient sur le chemin : elles partirent comme un trait. A la pointe du jour nous étions à vingt lieues de l’Abbaye ; et court après dîmes-nous, en nous reposant une heure dans une hôtellerie. Notre voyage fut un peu long ; enfin nous arrivâmes dans une des premieres villes du monde pour le commerce ; et quelques jours après pour voir la Cour, nous nous rendîmes dans une plus petite il est vrai, mais séjour fort agréable.

J’y fis connoissance à la comédie d’une dame des plus qualifiées du pays ; c’est la même qui m’a engagé d’écrire cette histoire : elle m’a rendu des services très-essentiels, elle a procuré à mon mari, et à Vernier de très-bonnes places qui nous mettent à même avec ce que nous avons apporté, de vivre très-à notre aise. Je suis mere pour le présent de deux enfants. Sylvie d’un ; ma Bonne les regarde comme les siens ; nous ne leur donnons pas l’envie du Cloître, et j’invite toutes les meres à en faire de même.

FIN.