Le Monastère/Chapitre XVII
Nous devons rappeler l’attention du lecteur sur Halbert Glendinning, qui était sorti de la tour de Glendearg aussitôt après son différend avec sir Piercy Shafton. Comme il traversait le glen à bas précipités, le vieux Martin, qui l’accompagnait, le pria de ne pas marcher avec tant de hâte.
« Halbert, dit le vieillard, vous mourrez avant d’avoir les cheveux blancs, si vous vous emportez de la sorte à la plus petite apparence de provocation.
— Et pourquoi voudrais-je vivre, bonhomme, répondit Halbert, si chaque fat doit impunément me jeter son mépris à la face ? Toi-même, vieillard, quelle nécessité sens-tu de te mouvoir, de dormir, de t’éveiller, de manger ton misérable repas, et de te reposer ensuite sur ta triste couche ? Pourquoi es-tu si content de voir au matin le travail te rappeler, et le soir de te coucher encore accablé de fatigue ? Ne serait-il pas mieux de dormir et de ne se réveiller jamais que de supporter cette stupide variation du travail à l’insensibilité et de l’insensibilité au travail[1] ?
— Que Dieu m’accorde son aide ! répondit Martin : il peut y avoir du vrai dans ce que vous dites ; mais n’allez pas si vite, car mes vieux membres ne peuvent lutter de vitesse avec vos jeunes jambes ; n’allez donc pas si vite, et je vous apprendrai pourquoi la vieillesse, quoique peu aimable, doit être encore supportable.
— Dis donc, » répondit Halbert ralentissant sa marche ; « rappelle-toi qu’il nous faut avoir de la venaison pour réparer les fatigues de ces saints hommes qui ont fait ce matin un voyage de six milles ; et si nous ne gagnons le bois de Brocksburn, nous verrons à peine un daim.
— Apprenez donc, mon bon Halbert, vous pour qui j’ai autant de tendresse que si j’étais votre père, que je suis satisfait de vivre jusqu’à l’instant où la mort viendra m’appeler, parce que mon Créateur le veut ainsi. Oui, et quoique ma vie soit une vie rude, souffrant du froid pendant l’hiver, et de la chaleur pendant l’été ; quoique je me nourrisse de mets grossiers et dorme sur la dure, que je sois regardé comme peu de chose et méprisé, cependant je suis persuadé que si je n’étais nullement nécessaire sur la surface de cette belle terre, Dieu m’en ferait disparaître.
— Toi, pauvre vieillard ! dit Halbert, une si vaine pensée que celle de ton utilité imaginaire peut-elle te raccommoder avec un monde où ton rôle est si secondaire ?
— Mon rôle était aussi petit, dit Martin, ma personne aussi méprisée le jour que je sauvai ma maîtresse et son enfant en l’empêchant de périr dans le désert.
— Ceci est vrai, Martin, répondit Halbert ; voilà une apologie suffisante pour l’insignifiance ou l’inutilité d’une vie entière.
— Et comptez-vous pour rien, Halbert, l’avantage de pouvoir vous donner une leçon de patience et de soumission aux arrêts de la Providence ? Il me semble qu’il n’est pas inutile que mes cheveux gris couvrent encore ma tête, quand ce ne serait que pour instruire les jeunes têtes et par le précepte et par l’exemple. »
Halbert baissa la tête et demeura silencieux pendant une ou deux minutes, ensuite reprenant son discours : « Martin, depuis peu vois-tu quelque changement en moi ?
— Sans doute, dit Martin, je vous avais toujours vu rude, étourdi, inconsidéré, et prêt à parler au hasard et sans réflexion ; mais à présent il me semble que votre caractère, sans perdre sa vivacité naturelle, a quelque chose de ferme et de digne qu’il ne possédait pas auparavant. Il semble que vous vous soyez endormi rustre et réveillé homme noble.
— Tu peux donc discerner un maintien noble ?
— Sûrement, je le puis en quelque façon ; car avec mon maître Walter Avenel, j’ai été au camp, à la ville et à la cour, quoiqu’il ne pût rien faire pour moi que me donner un endroit sur la montagne pour faire paître quarante moutons ; même à présent, tandis que je vous parle, je sens que mon langage est plus épuré qu’il n’a coutume de l’être, et que, sans en connaître la raison, le rude dialecte du Nord, auquel ma langue est si familière, fait place à des discours qui sentent plus le raffinement des gens de la ville.
— Et tu ne peux par aucun moyen deviner quelle est la cause de ce changement qui se manifeste en toi et en moi ?
— De ce changement ! Par Notre-Dame ! ce n’est pas tant un changement que je sens en moi, qu’un renouvellement et un souvenir de sentiments et d’expressions auxquels je n’ai pas pensé depuis trente ans, avant que Tibb et moi nous élevassions notre humble maison. Il est singulier que votre société ait cette espèce d’influence sur moi, Halbert, et que je ne l’aie jamais éprouvé auparavant.
— Penses-tu voir en moi quelque chose qui puisse me tirer de cette condition basse, vile et méprisée, pour m’élever au rang de ces hommes pleins de fierté qui maintenant dédaignent ma pauvreté rustique ? »
Martin garda un moment le silence, et ensuite répondit : « Sans doute vous le pouvez, Halbert, de même qu’un vaisseau brisé peut revenir au port. N’avez-vous jamais entendu parler de Hughie Dun, qui quitta l’abbaye il y a trente-cinq ans passés ? C’était un savant garçon que ce Hughie ; il lisait et écrivait comme un prêtre, et se servait du fer et du bouclier aussi bien que le meilleur des cavaliers ; je me le rappelle, jamais on ne vit son semblable dans le canton, et aussi vit-on la préférence que Dieu lui accorda. »
— Et qu’est-ce que ce fut, » reprit Halbert les yeux brillants de curiosité ?
— Rien moins que d’être domestique de l’archevêque de Saint-André. »
La vivacité d’Halbert s’éteignit : « Domestique d’un prêtre ! était-ce donc tout ce à quoi ses connaissances et son activité pouvaient lui servir ? »
À son tour Martin fixa les yeux sur la figure du jeune homme avec une surprise curieuse. « Et où la fortune pouvait-elle le conduire, répondit-il ; le fils d’un vassal d’église n’est pas de l’étoffe des lords et des chevaliers. Le courage et le savoir du collège ne peuvent transformer le sang d’un rustre en celui d’un seigneur, je pense. J’ai entendu dire que cet Hughie Dun a laissé à sa fille unique cinq cents livres d’argent écossais, et qu’il l’a mariée au bailli de Pittenweem[2]. »
Au même instant, et tandis qu’Halbert était embarrassé pour trouver sa réponse, un daim traversa le chemin en bondissant. Aussitôt le jeune homme appuya son arbalète sur son épaule, le trait siffla, et le daim, après avoir fait encore un bond, tomba mort sur le gazon.
« Voici la venaison dont dame Elspeth a besoin, dit Martin : qui aurait pensé qu’un daim des hautes terres descendrait dans cette saison si près de la vallée ? Il est superbe, et a trois pouces de lard sur la poitrine. Cela vient de votre bonheur, Halbert, qui vous suit maintenant partout. Si vous le vouliez, je garantis que vous seriez promu à la place de garde-chasse ou de piqueur de l’abbé ; et aussi bien que le plus fier d’entre eux, vous monteriez à cheval revêtu d’un justaucorps couleur de pourpre.
— Tais-toi, mon brave homme, répondit Halbert, je veux servir la reine ou personne. Aie soin de porter ce gibier à la tour, puisqu’on attend ; j’irai jusqu’au marais ; j’ai deux ou trois flèches à ma ceinture, et il se pourrait faire que je trouvasse des oies sauvages. »
Il pressa le pas et disparut bientôt. Martin s’arrêta un moment, en le regardant : « Voilà de quoi faire un très-brave garçon si l’ambition ne le perd pas : servir la reine ! dit-il ; par ma foi, elle a de plus mauvais serviteurs, d’après tout ce que j’en ai entendu dire. Et pourquoi ne tiendrait-il pas la tête haute ? Celui qui veut atteindre le sommet de l’échelle montera au moins quelques échelons. Celui qui vise à une robe d’or en attrapera toujours une manche. Mais viens, mon camarade, s’adressant au daim ; tu iras à Glendearg sur mes deux jambes un peu plus lentement que lorsque tu gambadais tout à l’heure sur tes quatre pieds agiles. Mais, par ma foi, puisque tu es si pesant, je me contenterai de prendre ce qu’il y a de meilleur, c’est-à-dire, la hanche et les nombles ; je placerai le reste sous le vieux chêne, et le viendrai chercher avec l’un de nos chevaux. »
Tandis que Martin, chargé de la venaison, dirigeait ses pas vers Glendearg, Halbert poursuivait sa marche, respirant plus à son aise depuis qu’il était délivré de son compagnon. « Domestique d’un prêtre orgueilleux et fainéant ! valet de chambre de l’archevêque de Saint-André ! » se répétait-il à lui même ; « et l’on croit ceci, joint au privilége d’allier son sang à celui du bailli de Pittenweem, un avancement digne d’un brave homme qui fait de grands efforts ; bien plus, c’est un avancement qui doit couronner l’espoir passé, présent et à venir du fils d’un vassal de l’Église ! Par le ciel ! si je ne me trouvais une invincible répugnance à pratiquer leurs actes de brigandage nocturne, je préférerais prendre la lance et la jaque de mailles, et m’unir aux maraudeurs des frontières. Je veux faire quelque chose : je ne puis vivre ici dégradé, déshonoré et exposé au mépris du premier étranger venu, parce qu’il porte des éperons retentissants attachés à des bottes de couleur fauve. Cette ombre, ce fantôme, quoi que ce soit, je veux le voir encore une fois. Depuis que je lui ai parlé, depuis que j’ai touché sa main, des pensées et des sentiments auxquels je n’avais pas songé jusqu’à présent se sont élevés dans mon esprit. Et moi, qui croyais la vallée de mon père trop resserrée pour mes vastes desseins, je souffrirais qu’un courtisan infatué de sa parure vienne me braver sous les yeux mêmes de Marie Avenel ! Non, par le ciel ! je ne m’abaisserai pas à ce point. »
En prononçant ces mots, il se trouva dans le Corrie-nan-Shian, au moment où la douzième heure du jour allait se faire entendre. Il regarda pendant quelques minutes la fontaine, en roulant dans son esprit de quel air la Dame Blanche le recevrait. Elle ne lui avait pas expressément défendu de l’évoquer une seconde fois ; mais cependant il y avait une espèce de prohibition mêlée à ses adieux, où elle lui recommandait d’attendre un autre guide.
Halbert Glendinning ne demeura cependant pas long-temps en suspens. La hardiesse était la qualité dominante de son esprit ; et depuis que ses sentiments avaient pris plus d’extension et plus de dignité, elle n’avait fait que croître au lieu de diminuer. Il tira son épée, ôta son pied de sa bottine, salua trois fois la fontaine d’un air résolu, répéta ses trois saluts en se tournant vers l’arbre, et redit la même strophe qu’auparavant :
« Buisson de houx, trois fois je te salue ;
Trois fois salut, onde chère à ma vue !
Ô Dame Blanche d’Avenel,
Éveille-toi pour un mortel ;
Le soleil de midi sur le lac se balance.
Parais ! l’heure est propice à la douce influence.
Éveille-toi pour un mortel,
Dame Blancne d’Avenel. »
En achevant le dernier vers, ses regards s’attachèrent sur le buisson de houx ; et il ne vit pas sans un frissonnement irrésistible l’air qui se trouvait entre ce buisson et ses yeux devenir plus trouble, plus épais, comme s’il prenait une légère forme, quoique si délicate et si transparente qu’il pouvait apercevoir le contour du buisson comme à travers un voile du crêpe le plus fin. Mais graduellement elle s’obscurcit, devint une figure, et la Dame Blanche, le déplaisir sur le front, parut devant lui. Elle parla, et son langage était encore la poésie ; mais comme s’il était plus familier, tantôt elle faisait entendre des vers irréguliers, et tantôt prenait la mesure lyrique qu’elle avait employée lors de leur première entrevue :
« Voici le jour où le peuple des fées
S’en vient pleurer un destin sans espoir ;
Dans les vallons, des plaintes étouffées
Avec le vent soupirent tout le soir,
Et dans le fond de leurs grottes humides,
J’entends gémir les naïades timides.
Voici le jour qui rappelle aux humains
Une action qui nous fut étrangère ;
Jour de salut pour les fils de la terre,
Mais non pour nous, esprits follets et vains !
Malheur au mortel teméraire
Qui, voulant accomplir quelque dessein hardi,
Nous invoque le vendredi !
— Esprit, » dit Glendinning avec hardiesse, « il est inutile de menacer celui qui regarde la vie comme une chose de peu de valeur. Ta colère ne peut que me donner la mort, et je ne crois pas pour cela ton pouvoir assez étendu et ta volonté assez forte ; la terreur que ceux de ton espèce inspirent aux autres n’est rien pour moi. Mon cœur est cuirassé contre la crainte, comme par un sentiment de désespoir. Si je suis, ainsi que tu le dis, d’une race que le ciel protège plus que la tienne, c’est à moi de t’interroger et à toi de me répondre car je suis l’être le plus noble. »
Tandis qu’il parlait, la Dame Blanche le regardait d’un air de colère et de fureur, qui, sans la faire changer de figure, lui donnait une expression extraordinaire de dureté. Ses yeux paraissaient devenir plus ardents, une légère convulsion agitait son visage, comme s’il allait se transformer en quelque chose de hideux. Elle était entièrement semblable à ces figures que l’imagination enfante lorsqu’elle est excitée par l’opium, et qui s’évanouissent bientôt : belles à leur premier aspect, elles deviennent horribles et bizarres avant que notre esprit puisse les bien saisir. Dès qu’Halbert eut terminé sa réponse hardie, la Dame Blanche reprit le même aspect pâle, mélancolique et immobile, sous lequel elle se montrait ordinairement. Il s’attendait à ce que l’agitation qu’elle avait exprimée amenât une effrayante métamorphose ; mais croisant ses bras sur sa poitrine, le fantôme répondit :
« Jeune imprudent, il est heureux pour toi
Qu’en m’appelant dans ce lieu solitaire
Ton cœur n’ait pas frissonné devant moi,
Et que ton œil ait osé sans effroi
De mes regards supporter la colère.
Si ton courage eût chancelé,
Si ta mâle et vive paupière
Une fois seule avait tremblé,
C’en était fait de ta carrière.
Quoique dans le céleste azur
Ma substance ait été puisée.
Quoique mon sang soit la rosée
Qui tombe d’un ciel calme et pur,
Toi, qui n’es fait pourtant que de fange et de poudre,
Demande… À te répondre il faut bien me résoudre.
— Je veux donc savoir de toi, dit le jeune homme, par quel charme mes désirs ne sont plus les mêmes ? pourquoi la chasse, mon chien, mon arc et mes flèches me sont indifférents ? pourquoi mon âme s’élance hors des limites de cette vallée ? pourquoi mon sang bouillonne à l’idée d’une insulte faite par un homme auquel j’aurais tenu l’étrier, il y a quelques jours ? Oui, il y a peu de jours, j’aurais couru pendant toute une matinée d’été, pour être honoré d’un mot de sa bouche. Pourquoi cherché-je maintenant à marcher l’égal des chevaliers et des nobles ? suis-je le même qu’hier lorsque je sommeillais content de mon obscurité, et qui m’éveille au matin tout occupé d’ambition et de gloire ? Parle, apprends-moi, si tu le peux, pourquoi ce changement ? suis-je soumis à un enchantement ? l’influence d’un sortilège me fait-elle croire que je suis tout autre ? Parle, et dis-moi si c’est à ton pouvoir que je dois cela. »
La Dame Blanche répondit :
« Un être plus puissant que moi
Sur le monde étend son empire ;
L’aigle altier reconnaît sa loi,
Lorsqu’au front des cieux, sans effroi,
Sou vol audacieux aspire ;
Comme aussi, dans son doux émoi,
La tourterelle qui soupire
Sous le feuillage qui l’inspire,
En discret témoin de sa foi.
À son gré, cet être invisible,
De mille formes se couvrant,
Du plus humble jusqu’au plus grand
Amollit le cœur insensible,
Rend vertueux un cœur méchant,
Et turbulent l’homme paisible.
— Parle-moi d’une manière plus claire, » dit le jeune homme dont le sang était si agité que son visage, son cou et ses mains étaient d’un rouge foncé.
L’esprit reprit :
« Demande à ton cœur où Marie
Habite en un secret repli ;
Pourquoi ton âme, en sa folie,
Ne peut supporter son oubli,
Demande-lui pourquoi sans cesse
Ton esprit cherche à s’élever
Vers la grandeur ou la sagesse ;
Pourquoi tu crains de retrouver
Ton origine et ta bassesse ;
Demande-lui dans les combats
Pourquoi tu veux risquer ta vie :
Ton cœur le répondra tout bas :
J’aime Marie.
— Dis-moi donc, » reprit Halbert, les joues encore couvertes de rougeur, » toi qui viens de m’apprendre ce que je n’ose m’avouer à moi-même, par quel moyen je dois l’instruire de mon amour ? »
La Dame Blanche répondit :
« Je ne saurais par mes avis
Aider les passions humaines.
De leurs impassibles domaines
À peine si les purs esprits
Les voient : ainsi que du rivage
On contemple un lointain naufrage.
— Cependant ton propre sort, répliqua Halbert, à moins que les hommes ne se trompent, est lié à celui des mortels ? »
Le fantôme répondit :
« Par un lien mystérieux,
Dont le secret est dans les cieux,
Souvent notre espèce légère
S’allie aux enfants de la terre.
Quand le premier des Avenel,
Norman Ulric, reçut la vie,
L’étoile à ses destins unie
Brilla dans les plaines du ciel.
De cette lumière soudaine
Le premier rayon descendit
Dans les flots de cette fontaine,
Et la Dame Blanche en naquit.
Ainsi la puissante famille,
Et l’étoile, et sa pâle fille,
Écloses en un seul matin,
N’auront jamais qu’un seul destin.
— Explique toi plus clairement, répliqua le jeune Glendinning ; je ne comprends, point tout ceci. Qui a forgé le lien mystérieux qui unit ton sort à celui de la maison d’Avenel ? et quel destin est réservé à cette maison ? »
La Dame Blanche répondit :
« Ce fil d’or qui fait ma ceinture,
Lorsque des mains de la nature
Je sortis en portant ce don,
Était une si forte chaîne
Que pour la briser, de Samson
Toute la force eût été vaine.
Mais, hélas ! rien n’est éternel :
De l’éclat déchu d’Avenel
Elle a suivi la destinée.
Venue la dernière journée
Où cet éclat pour jamais s’éteint,
Le fil d’or disparaît soudain,
Et les éléments redemandent,
Tout ce qu’ils durent me prêter…
Mais ici je dois m’arrêter ;
Car les astres me le commandent.
— Encore un mot, Dame Blanche : peux-tu lire dans les astres, demanda le jeune homme, et ne peux-tu m’apprendre le sort de mon amour, s’il t’est interdit de le protéger ? »
La Dame Blanche répondit encore :
« Elle n’a déjà plus qu’une clarté mourante,
L’étoile d’Avenel, jadis étincelante :
Tel le fanal n’a plus qu’une pâle lueur,
Lorsque de pourpre et d’or tout l’orient se pare,
Et que, lassé, le garde abandonne le phare,
Dont le vaisseau cherchait le rayon bienfaiteur.
Un funeste pouvoir, dont j’ignore la source,
De cet astre aujourd’hui précipite la course.
De désastreuses passions,
Des haines encore plus terribles,
Des rivalités invincibles
Éteignent la splendeur de ces derniers rayons.
— Des rivalités ? répliqua Glendinning ; c’est ce que je crains, et ce ver à soie, ce fat anglais, pense-t-il m’insulter dans la maison de mon père et en présence de Marie Avenel ? Fais que je puisse le rencontrer, esprit ! fais que je détruise la ridicule distinction de rang qui appuie son refus de se battre avec moi ; fais qu’il n’y ait plus de différence entre nous : que les étoiles brillent comme elles voudront, l’épée de mon père déliera leur influence. »
Elle répondit aussi vite qu’auparavant :
« De moi ne te plains pas, enfant pétri de terre ;
Car si je te cédais, je ferais ton malheur.
Nous, esprits qui planons au-dessus de la sphère,
Nous ignorons l’amour, sa haine et sa fureur.
Suivant que la sagesse ou bien que ton erreur
Réglera ta conduite ou suivra les caprices,
Mes présents te seront ou funestes ou propices.
— Je veux réparer mon honneur, dit Halbert Glendinning ; je veux me venger des insultes d’un odieux rival, et qu’il arrive ce qu’il pourra du reste ! »
Le fantôme répliqua :
« Aussitôt que le fier Shafton
De l’insulte prendra le ton,
Fais briller ce don à sa vue.
Mais vers le couchant de ce lieu
Le soleil suit dans l’étendue
Sa course à moitié révolue :
Tes vœux sont exaucés. Adieu. »
La Dame Blanche chanta ces derniers mots en détachant de ses cheveux une aiguille d’argent qui les retenait, et la remit à Halbert ; puis secouant sa chevelure jusqu’à ce qu’elle fût tombée autour d’elle comme un voile, les contours de sa figure devinrent peu à peu moins distincts, de même que ses tresses flottantes ; sa face se couvrit d’une pâleur comme celle de la lune dans son premier quartier ; ses traits s’effacèrent par degrés, et elle s’évanouit dans le vague de l’air.
L’habitude nous accoutume aux choses surprenantes ; mais le jeune homme ne se trouva pas seul près de la fontaine, sans ressentir, quoique moins fortement, l’agitation qu’il avait éprouvée lors de la première disparition du fantôme. Une crainte vint assiéger son esprit : était-il sûr pour lui de profiter du présent d’un être qui ne prétendait pas appartenir à la classe des anges, et qui pouvait avoir une origine pire que celle qu’il avouait ? » J’en parlerai à Édouard, dit-il, à Édouard qui en sait autant qu’un véritable clerc, et il me dira ce que je dois faire ; et cependant, non ; Édouard a trop de scrupule et de prévoyance. J’essaierai l’effet de ce don sur sir Piercy Shafton, s’il veut encore me braver ; et par le résultat de cet essai je pourrai juger s’il y a quelque péril à courir en me conformant aux avis de cette ombre. À la m aison ! à la maison ! et nous verrons bientôt si je puis y rester plus longtemps ; car je ne souffrirai point d’offense, ayant l’épée de mon père à mon côté et Marie devant moi.
- ↑ Dans le Voyage de Néarque, il est dit, à l’occasion des Hindous, que ces peuples ont ce proverbe : « Il vaut mieux être assis que debout, être couché qu’assis, et être mort que couché. » C’est ici la paresse personnifiée, et les Hindous sont en effet très-indolents. a. m.
- ↑ Petite ville d’Écosse, dans le comté de Fife. a. m.