Éditions Jules Tallandier (p. 326-344).


CHAPITRE VII

Le Palais de la rue des Médressés


Au milieu de la troisième nuit, on atteignit l’Euphrate, en face de Bassorah. La lune se reflétait dans l’eau du fleuve, où se miraient les bois de palmiers bordant le cours paresseux de ses eaux. Coupoles, minarets, terrasses, jardins, se succédaient, tels les tableaux d’un film cinématographique. Puis le véhicule, ayant traversé la nappe liquide sur un large radeau fonctionnant en qualité de bac, s’enfonça dans le dédale compliqué des rues, ruelles, places et placettes de la métropole de la région méridionale persique, pour s’arrêter enfin devant le portail géant, entrée des bâtiments et parcs composant le palais du prince Ahmed. Ce que l’on dénomme « palais », en Perse, est un fouillis de constructions de pierre et de bois, agrémentées de céramiques, polychromes selon le goût de l’Iran, de Jardins intermédiaires où toutes les fleurs sont mêlées, à l’abri de grands arbres chargés de tamiser, pour les odorantes corolles, les ardeurs du soleil. Tout cela fut pour Sika une distraction. Cette conception de palais lui apparaissait si inédite, si différente de ce qu’elle avait vu jusqu’alors !

Elle se laissa conduire par le prince dans la médressé proprement dite, c’est-à-dire dans la partie du palais réservée aux femmes.

Et là, elle se trouva en présence de plusieurs esclaves du palais, offrant toute la gamme des colorations de l’épiderme, depuis le blanc le plus pur jusqu’au noir d’ébène.

La jeune fille, plus a l’aise en se voyant délivrée de la présence de son compagnon de route, examina celles qui l’entouraient.

Presque toutes étaient étranges plus que jolies, dans leur costume d’intérieur de persanes, avec leurs chemisettes plissées sur lesquelles se moulait un boléro brodé d’or, et une jupe courte, raidie par un empois au benjoin, se développant ainsi que la gaze de nos danseuses classiques. Leurs pieds nus se jouaient en des pantoufles très ornées.

À l’arrivée de Sika, la plupart avaient quitté les divans, où, dans un farniente plein de mollesse, elles passent le temps sans s’occuper jamais, soit en fumant des narghilehs odorants, ou bien des cigarettes d’un tabac blond et parfumé, ou encore en grignotant des pâtisseries, des confitures, des sucreries de toute espèce.

La venue d’une étrangère prenait pour ces oisives ennuyées les proportions d’un événement. De là le mouvement qui les faisait s’empresser autour de la blonde Japonaise.

Elles l’examinaient en silence, paraissant plongées dans l’admiration par sa chevelure dorée ; elles échangèrent quelques réflexions dans l’idiome berceur du pays, inintelligible pour la prisonnière ; puis chacune lui adressa la parole dans des langues différentes ; Sika ne comprenait pas. Enfin, une Soudanaise, qui semblait sculptée dans un bloc de basalte, jeta une phrase anglaise.

I understand, s’écria la fille du général, toute heureuse d’entendre un vocable connu.

Toutes les femmes se prirent à rire, frappant joyeusement des mains, et elles invitèrent la Soudanaise à parler encore. Celle-ci lança aussitôt cette réflexion qui, à son avis, devait flatter l’étrangère :

— Tu es heureuse, toi ! Le prince Ahmed t’a choisie pour devenir son épouse. Il nous a enjoint de t’obéir en toutes choses.

— Moi ? s’écria Sika stupéfaite, l’épouse de cet homme ; moi !…

L’étendue du nouveau danger révélé la fit pâlir. Elle ne trouvait plus de mots pour exprimer son horreur.

Mais elle songea qu’elle était seule. La ruse lui apparut nécessaire. Il fallait être prudente, cacher sa pensée à ces créatures incapables de comprendre son sentiment. Elle se tut, ne cherchant pas à les détromper. Au surplus, d’autres esclaves se présentèrent bientôt pour la conduire à l’appartement disposé en son honneur.

Elle se hâtait de sortir, avide de solitude où elle pourrait rétablir l’ordre dans ses idées, quand son oreille fut frappée par des rugissements lointains.

Elle regarda ses compagnes d’un instant et s’adressant à la Soudanaise :

— Qu’est cela ? demanda-t-elle.

La moricaude se prit à rire niaisement :

— Cela, mais les lions du prince.

Et la Japonaise ne semblant pas plus renseignée, la femme noire expliqua d’un ton de supériorité qui, en d’autres circonstances, eût amusé son interlocutrice :

— À Bassorah, tout personnage riche entretient des lions, ces beaux lions sans crinière, qui errent dans les monts Darius, à la lisière du désert Salé. La puissance du prince Ahmed est affirmée par six lions, reconnus comme les plus magnifiques de la ville. Aussi, tu le comprends, on ne peut pas rencontrer un seigneur si grand sans que la tendresse germe sous ses pas.

Quelques instants plus tard, elle était dans son appartement, libre enfin d’examiner sans témoins sa situation.

Alors, elle s’abandonna à de tristes réflexions, cependant la nature, en sa bonté, ne permet pas d’oublier les nécessités physiques. La jeune fille, brisée de fatigue et d’angoisse, glissa insensiblement dans l’irréalité du sommeil. Son esprit s’engourdit, cessa d’agiter le problème de sa position. Elle ne revint à elle que le lendemain matin. Mais à peine eût-elle ouvert les yeux, qu’elle poussa un cri d’effroi.

Le prince Ahmed était debout près du divan sur lequel elle s’était étendue. Il la rassura du geste.

— Je vous regardais dormir, fit-il d’un accent aimable, et j’y trouvais un plaisir si grand que je ne saurais le qualifier.

Elle ne répondit pas, bouleversée par la présence de cet homme, que la Soudanaise lui avait désigné la veille comme un époux… obligatoire.

— N’avez-vous aucun souhait à formuler ? reprit-il. Je serais si heureux de vous obéir.

« Ne craignez pas d’ordonner : palais, esclaves et moi-même sommes à vous !

— Eh bien, seigneur, une chose bien simple entraînerait toute ma reconnaissance.

— Je vous conjure de la dire, car mériter votre gratitude est le plus cher de mes vœux.

— Prenez garde, vous vous avancez beaucoup.

— Peu ou beaucoup, qu’importe, si j’ai le bonheur de vous être agréable.

Le visage de la jolie Japonaise s’illuminait d’un doux sourire. Vraiment, on eût cru voir en elle une fillette se livrant au plaisir d’une naïve coquetterie. Et pourtant, son cœur se contractait dans sa poitrine, elle avait peur ; oui, peur des vocables qui allaient s’échanger.

Son regard se fit plus implorant, son organe plus enveloppant.

— Vous voulez savoir ce que je désire ?…

— Certes, parlez. Que souhaitez-vous ?

— La réalisation d’une promesse de vous, prince.

— Une promesse, laquelle ? Je tiendrai plus que je n’ai promis.

— Eh bien, ainsi que vous vous y êtes engagé durant notre voyage, permettez que j’avise mon père du lieu de ma retraite.

Surpris à l’improviste, Ahmed avait froncé les sourcils. Son visage prit une expression menaçante. Un silence, lourd comme l’accalmie qui précède l’orage, pesa sur les causeurs.

La gêne devint si pénible pour Sika qu’elle voulut parler, rompre l’envoûtement qui dominait ses nerfs. Et tout son être contracté par l’effort, elle murmura, appelant sur ses lèvres l’intonation de la surprise :

— Hésiteriez-vous ?

Lui, serra les poings ; durement il jeta :

— Vous vous méprenez. Je n’hésite pas. Je refuse net.

Et, passant à une ironie tranchante, des éclairs dans ses prunelles, il continua :

— Votre père ne songerait qu’à contrarier ce que je veux, ce qui sera.

— Contrarier ? redit-elle, comme étonnée par ces syllabes.

Il fut brutalement sincère :

— Sans doute. Il voudra certainement vous emmener loin de Bassorah.

— N’est-ce point naturel ?

— Je n’en disconviens pas. Seulement, il y a un seulement… dont vous ne tenez pas compte.

— Si je le connaissais, peut-être…

La voix de la captive se faussa. Elle avait conscience de provoquer les paroles définitives, irréparables. 

Il répondit avec une joie sauvage :

— Je suis ici uniquement pour vous instruire. Je ne veux pas que vous partiez. Je ne permettrai jamais que vous alliez vivre loin de moi.

Dans l’organe du Persan vibrait une tendresse barbare.

Pour Sika, la vérité n’était plus douteuse.

À cette minute effroyable, sa pensée se dérobait. Son esprit s’obscurcissait d’un brouillard. Son trouble ne lui permettait plus de raisonner, au moment où elle avait le plus besoin de raisonnement. Il est vrai que, eût-elle conservé la plénitude de son sang-froid, elle n’eût point découvert un moyen de salut.

Il reprenait, les dents serrées, la colère chassant le masque de correction que les Asiates adoptent à l’étranger, qu’ils méprisent, qu’ils considèrent comme une simple manifestation de politesse à l’égard des races inférieures d’Europe.

— Je lis sur vos traits que votre orgueil se révolte. Dans votre pays, on se juge supérieur au reste du monde. Qu’importe que vous éprouviez pour moi de la répulsion, de la haine. Vous êtes en mon pouvoir ; rien ne saurait modifier ma résolution. Ressentez de la joie ou de la tristesse, accueillez mes projets par le rire ou par les larmes, vous serez mon épouse.

Elle tenta de jeter le trouble dans son esprit, ignorante de l’inintelligence de son interlocuteur touchant l’idée de la tendresse volontaire et non contrainte.

— Les femmes de ma race, prononça-t-elle lentement, parvenant par un effort héroïque à assurer sa voix tremblante, les femmes de ma race ne ressemblent pas aux filles de Perse. La contrainte les révolte : seules, la douceur, la persuasion trouvent le chemin de leur cœur.

Il frappa du pied violemment.

— Dites aussi qu’elles démontrent une insigne mauvaise foi.

Elle l’interrogea du regard, surprise par cette réplique inattendue.

— Vous parlez de douceur, de persuasion. Vous les avez dédaignées tout à l’heure. Ne vous ai-je pas offert mes richesses, mes esclaves ?…

— J’ai repoussé cette offre généreuse, gémit-elle, vaincue par la logique de son adversaire, parce que la présence de mon père me serait plus douce que tout.

— J’ai dit cette présence impossible.

Cela fut sec comme un coup de stylet.

Et comme elle allait implorer encore, le prince conclut rudement :

— Le temps est le plus précieux des auxiliaires. Vous-refusez d’être l’épouse, dispensatrice souveraine de mes trésors, de mes biens. Vous seule perdrez au change. Vous serez une captive adulée, sans doute, mais une captive. Un palais dont on ne peut sortir n’est qu’une prison. Bientôt vous soupirerez après la liberté. J’attendrai cet instant. J’attendrai. Gardez-vous de me faire arriver à l’impatience.

Sur ces paroles il quitta la salle, abandonnant la jeune fille au plus morne désespoir.

— Ah ! gémit-elle, mon sort est-il donc fatalement de n’échapper à un péril que pour être précipitée dans un autre ? Ma tête se perd. Le bûcher là-bas ; ici, un sauveur qui me torture. Quel anathème a donc marqué mon front ?… Pourquoi, oui, pourquoi cet homme m’a-t-il arrachée à l’incendie du palais de Mohamed, le Druse ?

Brusquement, elle ressentit une épouvante. Elle secoua la tête en une dénégation ardente, balbutiant :

— Non, non ; il a bien agi là. Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir !

Et, se tordant les mains, offrant l’image du désespoir :

— Marcel ! Marcel !… jeta-t-elle dans un sanglot, venez au secours de celle qui n’espère son salut que de vous !

Une sensation ardente envahit son visage. Une rougeur plaqua son front, ses joues aux tons d’ambre pâle. Elle promena autour d’elle un regard tout chargé de stupeur :

— Qu’ai-je dit ? Pourquoi mon âme appelle-t-elle ce Français, ignoré il y a quelques semaines ?… Pourquoi ? oui, pourquoi ?

Sans nul doute, son moi intérieur, ce confident indiscret de ses plus secrètes pensées lui donna la réponse à cette question imprudente. Les jeunes filles lisent toujours clairement dans leur cœur ; toutefois, les lèvres de Sika se serrèrent ; on eût cru qu’elles barraient la route à l’aveu inclus dans son interrogation. Et, conclusion naturelle de la découverte sentimentale qu’elle venait de faire, la mignonne Sika se prit à pleurer.

Plusieurs jours passèrent sans que la situation de la prisonnière subit de moindre changement.

Une fois par vingt-quatre heures, Ahmed se présentait devant la captive, et avec une affectation de politesse, plus pénible que des menaces, il s’informait de l’état de ses réflexions. À chaque visite, les mêmes répliques se succédaient :

— Jeune fille, avez-vous réfléchi ?

— On ne peut pas réfléchir alors que la liberté vous est ravie.

— Vous ne la souhaitez pas encore assez vivement. Soit ! Je vous dis : à demain. Peut-être la nuit vous apportera-t-elle la raison.

Et il s’éloignait sans manifester son irritation.

Elle la devinait pourtant, grandissant chaque jour, prête à éclater en transports furieux. Des frissons parcouraient ses membres lorsqu’elle envisageait le moment où le courroux du Persan s’épandrait au dehors. Et les heures coulaient, atrocement moroses. Moroses, certes, dans cette médressé, où Sika était réduite à la société monotone des femmes, corps sans âme et sans pensée, qui s’étonnaient de la voir repousser la recherche du prince. Dans leurs cervelles, atrophiées par le servage atavique, elle leur paraissait seulement refuser un honneur envié par toutes.

Heures moroses, par l’absence de toute communication avec le monde extérieur… Le seul bruit étranger qui parvenait aux oreilles de la jeune fille était le rauquement des fauves, dont la voix sinistre avait salué son arrivée. Ces cris des lions la remplissaient d’un effroi qu’elle ne s’expliquait pas, mais qui la faisait s’enfermer dans son appartement. Là, elle se pelotonnait sur un siège, auprès d’une large fenêtre, et demeurait ainsi, les yeux vagues, regardant sans le voir le spacieux jardin où des arbres fruitiers protégeaient de leur ombre les prairies multicolores formées de fleurs de toutes espèces, mélangées au hasard par le mode horticole des Persans.

Or, un soir que les lions avaient rugi leur terrifiant concert, Sika s’était accoudée tristement à la croisée ; en proie à l’idée fixe, elle ressassait ses pensées noires où, suivant l’expression poétique japonaise, son cœur donnait le vol aux papillons violets de la douleur.

Dans le jardin interdit de la Médressé, dans ce jardin strictement réservé aux femmes, elle avait cru distinguer, entre les buissons, une silhouette d’homme.

Était-ce une hallucination ? Quelle apparence qu’un individu encourût la peine de mort qui punit un tel acte, pour le plaisir médiocre de se glisser sous les arbres du jardin de la Médressé.

Mais elle l’aperçut de nouveau. Le doute n’était plus permis. Et elle murmura, non sans étonnement, tirée de sa préoccupation par l’incident :

— Quel est cet être qui cherche à se dissimuler ? Que signifie cette manœuvre ? Il est étranger, car un serviteur, un familier du palais ne se risquerait pas dans les jardins interdits…

Un espoir imprécis venait de naître en elle.

Elle s’intéressait à présent aux mouvements de l’inconnu. Le personnage, progressant avec cette prudence, ne pouvait être qu’un ennemi du maître cruel qui la retenait prisonnière. Avec une émotion inexplicable, Sika remarqua :

— Mais il fait des signes !… À qui ? Je ne puis croire qu’ils s’adressent à moi… Alors, où est le destinataire ?

Dans un cri étouffé, elle soupira tristement :

— Ah ! il s’éloigne !

Cette phrase avait gémi entre ses lèvres comme une plainte.

L’ombre, en effet, s’était jetée dans un massif, avait disparu. Un bruit, un danger non perceptible pour la captive, avait dû l’inquiéter.

Le jardin était redevenu désert ; Sika ressentit de cette solitude, un instant peuplée par l’inconnu, une aggravation de tristesse. La nuit suivante, le sommeil lui fit défaut. Sans cesse, tel un leitmotiv obsédant la silhouette mystérieuse se dessinait devant ses yeux, emplissant sa pensée.

Pour la même cause, la journée du lendemain lui parut interminable. À peine prêta-t-elle une attention distraite à la visite quotidienne du prince Ahmed, et cependant le Persan se montra plus menaçant que de coutume. Il alla jusqu’à dire :

— Jeune fille, je vous souhaite d’entendre la voix de la raison en ce jour ; car demain, vous obéirez ou sinon je châtierai la créature rebelle.

Cela ne l’émut pas. Elle attendait l’obscurité avec impatience, avec la conviction que le promeneur mystérieux reparaîtrait. Le soir vint enfin ; aussitôt elle reprit place auprès de la fenêtre où elle songeait la veille.

Obéissait-elle à l’un de ces pressentiments inexpliqués, enfantés par la sensibilité anormale des êtres en proie à la douleur ? Elle eût pu le croire, car le promeneur se montra de nouveau, répondant à son muet appel. Cette fois, il portait avec lui une longue échelle. Avec ce fardeau il s’avançait, marquant des précautions infinies ; il parvint sous la fenêtre même de Sika, appliqua l’échelle contre le mur et grimpa, léger comme un écureuil. Elle regardait sans un mouvement. Elle ne songea même pas que l’homme pouvait être un ennemi. Et celui-ci s’étant hissé à la hauteur de captive, son visage faisant face à celui de Sika, l’étrange visiteur retira son grand chapeau conique, provoquant ainsi un cri éperdu de la prisonnière :

— Emmie !

Sika retrouvait la petite cousine de Marcel Tibérade. Mais la fillette lui donna une tape sur la main en grommelant d’un air très fâché :

— Chut donc, mademoiselle Sika, vous me feriez pincer !

Et dans un chuchotement en hâte, ainsi qu’une personne ayant conscience de la valeur des minutes :

— J’ai réussi à me faire engager comme jardinier au palais… comme jardinier, vous entendez, afin de veiller sur vous et de vous défendre au besoin, jusqu’à la prochaine arrivée de votre père, de mon cousin.

— Quoi ? Vous pensez qu’ils seraient…

— À peu de distance. Oui, votre billet est parvenu à son adresse… Quant au vêtement du mikado, je me suis improvisée sa bobonne et je l’ai amené avec moi dans cette belle ville de Bassorah !

Sika écoutait, incapable de prononcer un mot dans l’excès de sa joie. Ses mains frémissantes se croisaient nerveusement sur sa poitrine. La fillette, elle, continuait, aussi flegmatique que si elle avait coutume de passer sa vie sur une échelle :

— Parvenus à Bassorah, le général et Marcel s’adresseront aux consulats européens. Le coquin de prince sera obligé de vous remettre en liberté…

À ces mots, la jolie Japonaise tressaillit. Les dernières paroles prononcées en ce jour par Ahmed lui revinrent en mémoire. Leur sens terrible lui apparut, et avec angoisse elle murmura :

— Pourvu qu’ils ne tardent pas ! Mon geôlier m’a déclaré, aujourd’hui même, qu’il m’obligerait demain à l’épouser ou bien…

— L’épouser, lui, ce singe déguisé en prince.

— Non, Emmie, protesta la captive en frissonnant ; pas un singe comme vous le dites, mais un fauve capable de toutes les cruautés…

Narquoise, la petite Parisienne l’interrompit :

— Ne vous frappez donc pas, Sika… J’ouvrirai l’œil, et s’il est nécessaire, j’utiliserai un aimable instrument dont je me suis munie à tout hasard, bien qu’il n’ait aucun rapport avec le jardinage.

— De quel instrument parlez-vous, ma bonne Emmie ?

— D’un joli revolver, à balles blindées, ma chère.

— Vous oseriez vous en servir ?

— Oh ! pour vous défendre. Et puis, plaisanta la petite, un fauve comme vous dites, entre nous, ça rassemble encore moins à un homme qu’un singe, n’est-ce pas ?

Pffuit ! La petite Parisienne se laissa glisser le long des montants de l’échelle, emporta celle-ci sur son épaule et se perdit sous les ombres du jardin, avec cette recommandation :

— Ne tremblez plus, je surveille le fauve !

Rien ne vaut l’espérance pour donner du calme. C’est le meilleur préparateur aux nuits paisibles, et si l’on pouvait l’administrer aux malades en cachets, plus ne serait besoin de soporifiques.

Sika s’endormit ce soir-là avec autant de tranquillité que si elle avait occupé sa chambre, dans le logis ancestral de son père, sis en la cité japonaise de Tsousihiama.

La seule présence d’Emmie dans le palais avait suffi à chasser toutes ses terreurs.

Et, de fait la mignonne Parisienne avait donné tant de preuves de décision, de courage, d’ingéniosité, qu’elle méritait d’être considérée comme un défenseur sérieux. À Marseille, à Brindisi, à Port-Saïd, partout, c’était elle et rien qu’elle qui avait dirigé les événements.

Donc, Sika se réveilla dans les plus heureuses dispositions ; pour la première fois depuis son entrée au palais d’Ahmed, elle se plut à admirer les riches parterres du jardin, que ses yeux attristés avaient à peine remarqués jusque-là. L’ombre des grands arbres lui sembla plus douce, les parfums entraînés par le vent, plus subtils.

Il est vrai qu’elle peuplait les frondaisons luxuriantes, se développant au-dessus des allées rectilignes, d’une silhouette amie ; qu’elle évoquait le visage mutin de la jeune cousine de Tibérade.

Tibérade ! Elle saluait ce nom d’un sourire extasié. Le jeune homme arriverait bientôt. Emmie l’avait dit avec assurance.

Et, à la pensée de revoir le brave garçon, la blonde rêveuse sentait son cœur battra éperdument dans sa poitrine.

Mais elle sursaute, arrachée du rêve par un bruit trop connu, hélas !

La porte vient de s’ouvrir.

Elle tourne la tête ; ses traits revêtent une expression de gêne, de déception.

Le prince Ahmed est entré.

Il est grave, ses regards brillent étrangement il s’incline cérémonieusement.

— Bonjour, mademoiselle, prononce-t-il avec une inquiétante ironie. Je vois, non sans un réel plaisir que la captivité ne vous a point pâlie. Votre teint mérite plus que jamais d’être jalousé par les fleurs les plus belles. Je suis, semble-t-il, seul à souffrir de vous savoir recluse… Cela est injuste ; aussi j’ai décidé que l’injustice allait cesser.

Et comme elle le considère, il continue :

— Le temps est venu pour vous d’illuminer mon palais de l’éclat de votre beauté. Ne me répondez pas, les paroles oiseuses ne doivent plus être prononcées entre nous. Parler maintenant sera agir…

Et lentement, son accentuation donnant aux mots un caractère cruel, il acheva :

— Ce jour a marqué l’expiration du délai que j’avais fixé pour épuiser votre résistance. Une question, une réponse décideront de votre sort.

Il s’inclina derechef et scanda :

— Êtes-vous disposée à devenir mon épouse ?

— Par grâce, je vous en conjure, n’exigez pas uns réponse immédiate, gémit Sika éperdue.

Le prince répliqua par un geste violent.

— J’ai assez attendu ! Je ne veux plus attendre.

— Jusqu’à demain ; oui, demain, je répondrai, je m’y engage.

— Allons donc, vous ne vous déciderez jamais si je reste le faible, le soupirant résigné que j’ai été. Aussi je me transforme… je commande, et je vous amènerai à l’obéissance, en ne reculant devant aucun moyen de contrainte.

La figure du Persan s’était contractée, striée de rides qui lui faisaient un masque de fauve.

Sika sentit en lui la décision inexorable du barbare. Rien ne pourrait désormais le décider à renoncer à la réalisation de sa volonté.

Et cependant luttant jusqu’au bout, Sika tenta encore de fléchir son interlocuteur.

— Je vous en conjure, accordez-moi la journée que je sollicite, de votre courtoisie. Vous m’offrez vos millions, vos palais, vos troupeaux. Auprès de cela, que sont vingt-quatre heures ?

— Un retard à mon bonheur… Je n’en admets plus.

— Prince, je vous supplie… commença-t-elle.

Il serra les poings, et l’interrompant brutalement :

— Vos prières trahissent votre sentiment. Je vois que je vous fais horreur.

« Maladroit à plaider ma cause, je vais charger de ce soin des voix dont l’éloquence vous paraîtra irrésistible, j’en suis assuré.

Sur ces mots, le Persan s’élança au dehors.

Sika se retrouva seule, terrifiée par les dernières paroles d’Ahmed. Que signifiaient-elles ? Quelle menace était enclose dans leurs syllabes mystérieuses ?

À quelles voix avait-il fait allusion ? Quelle torture attendait la jeune fille ? Quelle épouvante la contraindrait à accepter l’union odieuse ?

Oh ! Rien ne la déciderait au marché honteux.

Elle mourrait plutôt que de renoncer à Marcel, à lui qui, par son dévouement, avait conquis toute sa tendresse. Elle était sûre d’elle-même, depuis qu’elle avait vu clair en sa pensée.

Mais mourir à vingt ans, quelle dure solution ! Et elle eut un gémissement quand la porte se rouvrit… Qu’est-ce encore ? Des serviteurs Beloutches, au visage sinistre, paraissent ; ils s’avancent vers la captive pétrifiée par la terreur !

Rudement, ils la saisissent, brisant sans effort sa faible résistance ; leurs mains brutales meurtrissent l’épiderme de la prisonnière qu’ils entraînent hors de l’appartement où elle a tant souffert.

Elle a peur, horriblement peur. Elle tremble. Et cependant elle veut savoir quel sort lui est réservé.

Elle balbutie :

— Où me conduisez-vous ?

Mais ses guides ont sans doute la consigne de rester muets. Ils haussent les épaules sans répondre.

Ils la portent presque, à présent lui faisant traverser les larges galeries, les salles spacieuses, où les esclaves, les bras et les jambes surchargés d’anneaux précieux, se tiennent paresseusement étendues sur des coussins amoncelés, trompant leur oisiveté sans fin en croquant des friandises, tandis que d’autres grattent mélancoliquement les cordes des mandolines ou frappent les derboukas sonores.

Au passage de la prisonnière, quelques-unes se redressent languissamment, prononcent des mots dont Sika ne comprend pas le sens, mais qui font pénétrer en elle l’impression qu’ils contiennent une critique maligne.

Les Beloutches allaient toujours. Ils marquèrent an arrêt auprès d’un escalier s’enfonçant dans le sous-sol.

La spire de pierre semblait plonger dans un gouffre d’ombre.

Instinctivement Sika recula, le cœur étreint d’une angoisse plus vive. Où la menait-on ? Question vaine. Ses guides ne lui permirent pas la réflexion. Ils la tirèrent après eux sur les degrés, ses pieds se posant à peine sur le sol. Les geôliers farouches portaient ainsi qu’une plume leur tremblante victime.

L’escalier aboutissait à de vastes caves dallées, aux voûtes soutenues de distance en distance par des piliers de granit trapus, que réunissaient les courbes basses des arceaux de plein cintre. Cela tenait à la fois de la crypte ecclésiale et des sous-sols d’une forteresse.

Les gardiens ne s’arrêtèrent pas, mais leur étreinte se fit plus rude. Ils traînaient la captive en arrivant au bout de la course. Ils contraignirent Sika à s’arrêter en face du rectangle d’une porte bardée de fer, laquelle se découpait dans la muraille, y creusant une niche obscure et profonde de plus d’un mètre.

Il semblait qu’on ne pût aller plus loin.

Le couloir finissait en cul-de-sac.

Mais l’un des Beloutches cessa de maintenir la jeune fille. Il fouilla dans sa ceinture de soie, et en tira une lourde clef de cuivre qu’il introduisit dans une serrure invisible dans l’obscurité du lieu. La porte s’ouvrit sur un puits carré, profond de six à sept mètres, éclairé par une lumière crue qui tombait d’en haut.

Les Beloutches y poussèrent brusquement la blonde Japonaise, et avant que celle-ci fût revenue de la surprise provoquée par cette bourrade soudaine, ils avaient disparu, refermant la porte sur eux, abandonnant la pauvrette en cette étrange prison.

Effarée par l’inexplicable déplacement qui lui était imposé, Sika regardait autour d’elle, cherchant un indice qui la mit sur la voie. Tout son être se tendait dans un ardent désir de comprendre le pourquoi des actions de ses geôliers.

Qu’était cette prison nouvelle où on l’avait conduite ? Pourquoi une grille solide partageait-elle le fond du puits en deux parts égales, formant avec les murailles, deux courettes indépendantes.

Pourquoi, en haut de la cavité, là où la margelle, pour employer l’expression qui convient au rebord supérieur d’un puits, pourquoi là où la margelle se développait au ras du sol, une seconde grille encerclait-elle l’ouverture ?

— Où suis-je ? Que me veut-on ? murmura la jeune fille, désemparée par l’aspect même du lieu.

Ses yeux cherchant toujours une réponse à l’anxieuse question, elle constata que, dans la courette dont elle était séparée par les barreaux solides de la grille, il existait une porte basse, faisant pendant à celle qui tout à l’heure lui avait livré passage. On devait pouvoir pénétrer dans les deux compartiments de façon identique.

Et brusquement, un grelottement d’épouvante secoua la captive. Tout proche, un terrible rugissement venait de retentir à ses oreilles ainsi qu’un coup de tonnerre.

— Les lions ! bégaya-t-elle, la respiration coupée par l’effroi.

Pourquoi tremblait-elle ? N’avait-elle pas souvent, depuis le début de sa captivité, entendu les rauquements des fauves répercutés par les échos du palais. Ils lui demeuraient désagréables, certes, mais sans lui apporter une inquiétude réelle.

Quelle raison à cette heure leur donnait un caractère plus menaçant ?

Et elle constatait que sa raison ne lui présentait aucune réponse plausible. L’instinct seul l’avertissait d’un danger.

Ah ! l’instinct, mille fols supérieur à la raison, l’instinct que les anciens, plus naïfs et plus intelligents que les modernes, appelaient le pressentiment, lui jetait sa clarté.

— Les lions ! avait-elle dit.

Comme pour préciser ses craintes, un rire moqueur tomba de la partie supérieure du puits, mêlant ses résonances à celles de l’exclamation apeurée.

De suite Sika leva les yeux dans la direction du son, et il lui sembla que son âme s’abîmait dans l’horreur.

Le prince Ahmed, les mains crispées aux barreaux de la grille entourant la cavité, la couvrait de regards flamboyants.

L’ennemi était là.

Il concentra son regard sur celui de sa victime avec une fixité menaçante, et gouailla, barbare et cynique :

— Eh quoi ! Vous semblez troublée par la voix de mes avocats… Ils ont donc un organe bien timbré ? Les avocats… les avocats… Quelle révélation sinistre dans ces paroles. Oh ! les syllabes atroces ! Elles tourbillonnèrent dans la tête de la jeune fille, lui causant une douleur insupportable.

Mourir, elle y consentait tout à l’heure, mais mourir sous la griffe des lions, quel superlatif d’horreur !

Un instant, son cœur cessa de battre. Elle formula machinalement, du fond d’elle-même, le vœu de s’effondrer de suite dans le néant, d’échapper ainsi aux tortures qu’elle devinait en avant d’elle.

Le Persan se méprit sur la cause de son silence ; il crut à un entêtement de la pauvre enfant.

— Entendre ne suffit pas toujours, plaisanta-t-il, on préfère parfois voir. Chez les femmes, la conviction pénètre par les yeux plus que par les oreilles. Eh bien ! mais ceci n’est point pour m’embarrasser ; j’ai tout prévu, chère et belle ennemie, bientôt fiancée obéissante.

Du fond de la courette où elle vivait cette agonie, Sika discernait, à la surface du sol, auprès du cruel personnage, les poignées de bois de leviers métalliques qui lui semblaient fichés dans la margelle. Elle allait en comprendre l’usage.

Ahmed se pencha vers l’un d’eux, le saisit et, d’un brusque effort, lui fit décrire un arc de cercle autour de son point d’attache.

Et la jeune fille demeura médusée, une moiteur glacée perlant sur son front.

La porte de la seconde courette, cette porte placée en pendant de celle qui avait livré passage à la prisonnière, venait, sous l’action d’un ressort manœuvré par la tige de fer, de s’ouvrir, découpant dans la paroi blanche du puits un rectangle d’ombre.

Par l’ouverture, jaillissant de l’obscurité comme des djinns, des lions bondirent.

Ils étaient trois, magnifiques spécimens des félins de Perse, aussi robustes que ceux d’Afrique, dont ils se distinguent par l’absence de crinière, trois monstres développant leur musculature puissante, leurs griffes, leurs dents énormes, devant la Japonaise pétrifiée.

Les fauves, un instant éblouis par la clarté soudaine, découvrirent bientôt Sika qui, les traits convulsés par l’épouvante, incapable d’un mouvement, conservait une immobilité de statue. Avec des rauquements avides, ils se ruèrent sur la grille isolant de leur atteinte la proie convoitée. L’obstacle les irrita. Leurs rugissements redoublèrent d’intensité, faisant gémir les échos du palais.

La situation était affreuse. Certes, Sika, si effrayée qu’elle fût, se rendait compte qu’elle ne courait aucun danger immédiat ; cependant, la vue des carnassiers suffit à produire sur elle une sorte de fascination. Elle eut l’impression terrifiante que tout à l’heure, invinciblement attirée en avant, elle irait vers la grille de séparation se mettre à la portée des fauves bondissants.

Du haut du puits, sa face grimaçante se glissant entre les barreaux de la grille circulaire, Ahmed se délectait de la terreur de sa victime. Il jugea sans doute qu’elle était à point pour céder à sa volonté, car, distillant avec une lenteur cruelle les phrases décisives :

— Une grille te protège encore contre mes lions, jeune fille, dit-il ; aussi longtemps qu’elle continuera à se dresser en avant de toi, tu seras défendue contre le péril que, ton trouble le décèle, tu as mesuré. Mais l’obstacle peut disparaître à mon vouloir, je t’en avertis charitablement avant de réclamer pour la dernière fois la réponse que mon cœur ulcéré a attendue si longtemps. Jeune fille, Ahmed t’a fait l’honneur de te distinguer. Sois l’épouse d’Ahmed ; c’est la fortune, la puissance, la domination… J’espère que tu ne préféreras pas donner ta grâce en pâture à mes lions.

L’ironie a un effet inattendu ; ce dilemme brutal dissipe la peur de Sika. Son orgueil lui rend la volonté, le courage de la résistance. Elle mourra en Japonaise vaillante, soit ; mais elle ne se pliera pas au caprice que prétend lui imposer ce barbare.

Avant de disparaître, elle lui jettera du moins à la face tout le mépris dont son âme est pleine.

— Oh ! prononce-t-elle du ton inspiré de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, la mort me paraît cent fois préférable à l’existence auprès de vous. Barbare, connaissez la femme d’Europe. Nous ne sommes point des esclaves sans pensée : notre âme reste libre ; elle se donne seulement à qui a su mériter ce don.

Il écoutait, une flamme s’allumant en ses yeux. La rage montait en lui.

Les paroles de la prisonnière le piquaient ainsi que des langues de feu. Il s’affolait de souffrir ainsi par le fait d’une captive ; mais il restait incapable de percevoir la noblesse de son interlocutrice.

Enfin, elle acheva par cette conclusion, qui agita son ennemi comme un vent de folie :

— La plèbe, chez nous, est supérieure aux grands seigneurs persans. Jugez des sentiments que ces derniers m’inspirent.

La stupeur d’Ahmed était indicible. Et de cet étonnement naissait la plus épouvantable colère qui se puisse rêver.

Il s’était attendu à voir sa captive se prosterner, implorer sa clémence.

— Vous me bravez ! s’écria-t-il d’une voix rauque. Vous m’insultez ; vous pensez : Cet homme m’est attaché, il ne se vengera pas. Vous vous trompez, Ahmed est de ceux qui rendent offense pour offense, blessure pour blessure.

D’un geste violent, il actionna brutalement un second levier. Un déclic se produisit. Horreur ! La grille séparative des deux courettes se mit lentement en mouvement. Elle glissait doucement, avec un léger froissement métallique disparaissant peu à peu en une rainure ménagée dans la masse de l’une des parois latérales. Plus rien ne séparait maintenant la jeune fille des lions. Sika était livrée aux bêtes. La cruauté atavique de l’Asiate, cruauté que la Rome antique imita pour son malheur, venait de condamner à mort la douce créature, coupable seulement de ne pas s’être inclinée devant les ordres du maître.

Le grincement de la grille, sa marche inexplicable pour eux avaient inquiété les fauves. Ils avaient reculé jusqu’au mur opposé. Là, arrêtés par la paroi de pierre, les yeux flamboyants, ouverts démesurément sur la proie soudainement offerte à leurs gueules avides, à leurs griffes formidables, ils semblaient hésiter.

Tantôt l’un, tantôt l’autre esquissait un mouvement en avant qu’il n’achevait pas.

Ils n’osaient pas se ruer sur la jeune fille. On eût cru qu’un instinct obscur leur faisait redouter une embûche venant de cette victime mise si facilement à leur portée.

Sika, elle, sentit ses idées tourbillonner dans son crâne, en une farandole désordonnée. Ces lions, contractés à quelques pas d’elle, prêts à se ruer, à l’engloutir dans une bousculade fauve, l’affolèrent, et sans conscience de crier, ses lèvres s’ouvrirent pour laisser passer cet appel rauque, machinal, extrahumain :

— Marcel ! Marcel ! Au secours !