Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède/Chapitre V
V
LA GRANDE DANSE DES GRUES À KULLABERG
Kullaberg est une montagne basse, longue, nullement grande ni puissante ; son large sommet porte des champs, des bois et quelques petites landes ; çà et là surgissent des renflements couverts de bruyère et de rocs nus ; là-haut le paysage n’est pas particulièrement beau ; il a l’aspect de la plupart des contrées élevées de Scanie.
Quiconque suit le chemin du sommet est un peu déçu. Mais qu’il s’écarte de la piste, s’approche des flancs de la montagne, et jette un coup d’œil vers les pentes abruptes ; il découvrira une foule de choses curieuses, et se demandera comment il pourra les examiner toutes. Kullaberg en effet ne repose pas comme tant d’autres montagnes sur la terre, entourée de plaines et de vallées : elle s’est élancée dans la mer aussi loin qu’elle a pu. Nulle bande de terre ne s’étend à ses pieds et ne la protège contre les vagues. Celles-ci atteignent ses murailles et ont eu le loisir de les former et de les user à leur guise. Aussi ces murailles se dressent-elles, ouvrées et sculptées par la mer et son auxiliaire le vent. Il y a des précipices taillés dans la falaise, et des pics noirs polis sous les coups de fouets incessants du vent. Il y a des colonnes isolées qui surgissent de l’eau, et de sombres cavernes aux entrées étroites. Il y a des escarpements verticaux et nus, et de douces pentes envahies par la végétation. Il y a de petits promontoires et de petites baies et de petits galets que les lames roulent dans un perpétuel bruissement. Il y a de superbes portails de pierre qui ouvrent leurs voûtes au-dessus de l’eau ; il y a des récifs pointus que noie à chaque instant une écume blanche, et d’autres qui se mirent dans une eau glauque et noire, éternellement tranquille. Il y a des marmites géantes creusées dans le roc ; d’énormes crevasses incitent le promeneur à se risquer dans l’intérieur de la montagne jusqu’à la caverne du gnome de Kullen.
Des ronces et des plantes rampent, escaladant et dégringolant ces falaises, ces rocs et ces crevasses. Les arbres ont poussé, mais la puissance du vent les a contraints à se transformer en buissons pour pouvoir se retenir aux flancs de la montagne. Les chênes s’écrasent sur le sol, et des hêtres aux troncs bas forment, dans les replis et les trous, de grandes tentes de verdure.
Ces merveilleuses murailles, avec la mer vaste et bleue en bas, et l’air piquant, scintillant au-dessus, ont rendu Kullaberg si chère aux hommes qu’ils y viennent en foule tout le long de l’été. Il est plus difficile de dire ce qui y attire les animaux, mais ils s’y assemblent tous les ans en une grande réunion de jeu. C’est une coutume qui date de temps immémoriaux ; il aurait fallu être là au moment où la première vague de la mer couvrit d’écume la rive pour expliquer la raison de ce choix.
Lorsque l’assemblée va avoir lieu, les cerfs, les chevreuils, les lièvres, les renards et les autres quadrupèdes se mettent en route dans la nuit pour n’être pas vus par les hommes. Un peu avant le lever du soleil, ils se rendent à la place des jeux, une lande à gauche du chemin, non loin de la pointe extrême de l’île.
La place des jeux est entourée de tous côtés de hauteurs arrondies : on ne la découvre qu’en arrivant tout près. Au mois de mars, il est peu probable que personne s’égare de ce côté. Les étrangers qui pendant la belle saison se promènent à travers les collines et escaladent la montagne, ont été chassés par les tempêtes de l’automne. Le gardien du phare du promontoire, la vieille dame qui habite Kullagârd, le fermier de Kullen et ses gens, suivent leurs chemins accoutumés, et ne rôdent pas dans les landes désertes.
Arrivés à la place des jeux, les quadrupèdes s’installent sur les collines, chaque espèce d’animaux séparément, bien que, un jour comme celui-là, la paix générale règne, et que personne n’ait rien à craindre. Ce jour-là, un levreau pourrait traverser la colline des renards sans même risquer de perdre le bout d’une de ses longues oreilles. Pourtant les animaux se tiennent par groupes. C’est la coutume. Lorsqu’ils ont tous pris leur place, ils commencent à attendre l’arrivée des oiseaux. Il fait presque toujours beau ce jour-là. Les grues sont habiles à prévoir le temps ; elles ne convoqueraient pas les animaux s’il était à la pluie.
Or, bien que l’air soit limpide et que rien n’arrête le regard, les quadrupèdes ne voient pas venir les oiseaux. C’est étrange, car le soleil est déjà levé, et les oiseaux auraient dû être en route. On n’aperçoit que de petits nuages noirs qui passent sur la plaine. Mais voilà ! Un de ces nuages se dirige vers Kullaberg en suivant la côte du Sund. Arrivé au-dessus de la place des jeux, il s’arrête, et soudain tout le nuage n’est que chants et trilles et musique. Il monte et s’abaisse, remonte encore, redescend, et ce ne sont que chants et trilles et musique. Enfin tout le nuage s’abat sur une colline, tout le nuage d’un coup, et instantanément la colline disparaît, cachée par des alouettes grises, de beaux pinsons rouges, gris et blanc, des étourneaux tachetés et des mésanges d’un vert jaune.
Bientôt une brume légère passe sur la plaine. Elle ralentit son allure au-dessus de chaque groupe de maisons, au-dessus des chaumières et des châteaux, des hameaux et des villes : et chaque fois elle semble aspirer du sol une petite colonne tourbillonnante de grains de poussière grise. Elle grandit, grandit, et lorsqu’enfin elle se dirige vers Kullaberg, ce n’est plus une brume inconsistante, mais un nuage compact, si vaste que son ombre s’étend sur le sol de Höganäs à Mölle. Lorsqu’il s’arrête au-dessus de la place des jeux, il cache le soleil ; un bon moment il pleut des moineaux avant que ceux qui volaient au centre du nuage ne voient la claire lumière du jour.
Mais voilà le plus gros des nuages d’oiseaux qui arrive. Il est formé de bandes d’oiseaux venus de partout. Il est d’un gris bleu lourd, et ne laisse pas percer un seul rayon de soleil. Il vient, sombre et terrifiant comme un nuage d’orage. Il retentit d’un tapage infernal, de cris terribles, des rires les plus moqueurs, et des plus sinistres croassements. On est content de le voir se désagréger en une pluie papillonnante et croassante de corneilles et de choucas, de corbeaux et de freux.
Ensuite, outre les nuages apparaissent dans le ciel une foule de figures et de signes. Des lignes droites et pointillées surgissent à l’est et au nord-est : ce sont des oiseaux des bois venus du Smâland : les gelinottes et les coqs de bruyères volent en file à deux ou trois mètres de distance les uns des autres. Les oiseaux d’eau, qui vivent à l’île Mâkläppen devant Falsterbo remontent le Sund groupés en figures étranges : triangles et longs harpons, crochets obliques et demi-cercles.
L’année où Nils voyageait avec les oies sauvages, Akka et sa bande arrivèrent après tous les autres : elles avaient eu en effet à traverser la Scanie dans toute sa largeur pour arriver à Kullaberg. En outre, avant de se mettre en route, elles avaient dû chercher le gamin qui depuis plusieurs heures, jouait devant les rats gris, et les avait entraînés loin de Glimmingehus. Le père chouette était revenu annonçant que les rats noirs seraient de retour aussitôt après le lever du soleil. Aussi avait-on pu sans danger laisser taire le fifre de Flamméa.
Ce ne fut d’ailleurs pas Akka qui la première découvrit Nils cheminant lentement, suivi du long cortège des rats gris ; ce ne fut point Akka qui tout à coup descendit comme une flèche, le saisit et remonta dans l’air avec lui ; ce fut monsieur Ermenrich, la cigogne. Car monsieur Ermenrich en personne s’était mis à la recherche du petit Poucet ; après l’avoir déposé dans le nid, il demanda pardon au gamin de l’avoir traité avec dédain la veille au soir.
Nils fut bien content ; lui et la cigogne devinrent vite amis. Akka se montra aussi très aimable ; elle frotta sa vieille tête contre son bras et le loua d’avoir secouru ceux qui étaient en peine.
Il faut dire à l’honneur du gamin qu’il ne voulut cependant pas accepter plus d’éloges qu’il n’en méritait : « Non, non, mère Akka, dit-il, ne croyez pas que j’aie entraîné au loin les rats gris pour aider les noirs. J’ai seulement voulu montrer à monsieur Ermenrich que j’étais tout de même bon à quelque chose. »
Alors Akka se tourna vers la cigogne, et lui demanda si elle croyait prudent d’emmener Poucet à Kullaberg. « M’est avis, dit-elle, que nous pouvons nous fier à lui comme à nous-mêmes. » Monsieur Ermenrich conseilla vivement de l’emmener : « Certainement, mère Akka, il faut faire venir Poucet à Kullaberg, dit-il ; nous devons nous estimer heureux de pouvoir le récompenser des épreuves qu’il a supportées cette nuit pour nous. Et comme je m’en veux encore de m’être mal conduit vis-à-vis de lui hier soir, ce sera moi qui le porterai sur mon dos à la réunion. »
Il est peu de louanges aussi agréables que celles des gens intelligents et capables : jamais Nils ne s’était senti aussi heureux. Il fit donc le voyage à califourchon sur le cou de M. Ermenrich, la cigogne. Bien que ce fût pour lui un grand honneur, il n’en fut pas moins assez inquiet par moments, car M. Ermenrich était un maître dans l’art du vol, et allait autrement vite que les oies sauvages. Tandis que Akka volait son chemin tout droit, à coup d’ailes égaux, M. Ermenrich s’amusait à des tours d’adresse. Tantôt il restait immobile à une hauteur vertigineuse, planant dans l’air sans remuer les ailes, tantôt il se précipitait en bas si vite qu’il semblait, telle une pierre, devoir s’abîmer sur le sol. Ou encore il s’amusait à tourner autour d’Akka en cercles de plus en plus étroits comme un tourbillon. Le gamin n’avait jamais rien vu de pareil, et tout en éprouvant une peur constante, il dut s’avouer qu’il n’avait pas su jusqu’ici ce que c’était qu’un beau vol.
On ne fit qu’un arrêt en route, au Vombsjö, où l’on rejoignit la bande d’Akka. Puis on vola droit sur Kullaberg.
On descendit sur le sommet de la colline réservée aux oies sauvages ; en promenant ses regards sur les hauteurs environnantes, le gamin reconnut sur l’une les bois aux nombreux andouillers des cerfs, sur une autre les huppes grises des hérons. Une colline était rouge de renards, une autre noire et blanche d’oiseaux marins, une autre encore grise de souris et de rats. Une colline était occupée par des corbeaux noirs qui ne cessaient de croasser, une autre par des alouettes incapables de rester en place : à chaque instant, elles s’élançaient dans l’air en chantant d’allégresse.
L’usage voulait que les corneilles commençassent les jeux et les exercices du jour par une danse aérienne. Elles se divisèrent en deux groupes que l’on vit voler l’un vers l’autre, se rencontrer, se séparer, et puis recommencer. Cette danse comprenait plusieurs reprises ; aux spectateurs qui n’étaient pas au courant des règles, elle parut un peu monotone. Les corneilles en étaient très fières, mais les autres animaux furent contents lorsque ce fut fini. Cette danse leur semblait aussi morne et dénuée de sens que le jeu des tempêtes d’hiver avec les flocons de neige. Elle attrista tout le monde, on attendait impatiemment quelque chose de plus gai.
On n’attendit pas longtemps ; à peine les corneilles avaient-elles fini que les lièvres se précipitaient. Ils s’élancèrent en une longue file sans beaucoup d’ordre, tantôt isolés, tantôt trois ou quatre de front. Tous se dressaient sur leurs pattes de derrière, puis ils couraient si vite que leurs longues oreilles tournoyaient de tous côtés. Sans cesser de courir, ils tourbillonnaient sur eux-mêmes, bondissaient et se frappaient de leurs pattes de devant la poitrine pour la faire résonner. Quelques-uns firent des séries de culbutes, d’autres se plièrent en deux et roulèrent comme des roues ; on en voyait qui se tenaient sur une patte et tournaient en rond, d’autres marchaient sur leurs pattes de devant. Tout cela sans ordre, mais il y avait beaucoup de gaieté dans la danse des lièvres, et les animaux qui les regardaient, commencèrent à respirer plus vite. C’était le printemps ; la joie et les plaisirs allaient revenir. L’hiver était fini. L’été approchait. Bientôt ce ne serait qu’un jeu de vivre.
Lorsque les lièvres eurent fini leurs ébats, ce fut aux grands oiseaux des bois de montrer leur adresse. Une centaine de coqs de bruyères à la robe noire miroitante et aux sourcils écarlates se posèrent sur un grand chêne au milieu de la place. Celui qui s’était posé sur la branche supérieure, hérissa ses plumes, abaissa ses ailes et déploya sa queue en éventail, de façon à laisser voir ses tectrices blanches. Puis il tendit le cou, et lança quelques notes profondes de sa gorge gonflée : « Tiœc, tiœc, tiœc. » C’est tout ce qu’il put articuler, puis on n’entendit que quelques sons rauques arrachés du fond du gosier. Il ferma les yeux et chuchota : « Sis, sis, sis ! Écoute comme c’est beau ! Sis, sis, sis ! » Et il fut saisi d’un tel ravissement qu’il perdit toute notion de ce qui se passait autour de lui.
Pendant que le premier coq de bruyères était encore en train de siffler, les trois coqs posés au-dessous de lui se mirent à chanter ; et avant qu’ils n’eussent terminé leur chanson, les dix qui se trouvaient sur les branches au-dessous commencèrent à leur tour, et ainsi de suite de branche en branche ; et enfin les cent coqs de bruyères chantaient, gloussaient et sifflaient. Ils étaient tous saisis du même ravissement, et cela agit sur les autres animaux comme une ivresse contagieuse. Le sang, qui tout à l’heure avait couru joyeux et léger, était maintenant lourd et brûlant : « En vérité, c’est le printemps, se disaient les animaux. Le froid de l’hiver s’est évanoui. Le feu du renouveau brûle sur la terre. »
Lorsque les gelinottes virent le succès des coqs de bruyères, elles ne purent rester tranquilles. Comme il n’y avait pas d’arbre où elles pussent s’installer, elles s’élancèrent vers le champ des jeux où la bruyère se dressait si haute que seules les plumes gracieusement recourbées de leurs queues et leurs gros becs apparaissaient, et elles commencèrent à chanter : « Orr, orr, orr. »
Au moment où les gelinottes entraient en lutte avec les coqs de bruyères, quelque chose d’inouï se passa. Un renard profita du moment où l’attention de tous les animaux était fixée sur le jeu des coqs de bruyères pour se glisser vers la colline des oies sauvages. Il rampa très prudemment et était déjà presque au sommet lorsqu’une oie l’aperçut. Comme elle pensait bien qu’un renard ne s’était pas glissé parmi elles dans une bonne intention, elle se mit à crier : « Gare, oies sauvages ! Gare ! » Le renard se jeta sur elle et la mordit au cou, peut-être surtout pour la forcer à se taire, mais les autres oies avaient déjà entendu le cri et s’élevèrent rapidement en l’air. Les autres animaux virent alors sur la colline désertée par les oies Smirre, le renard, une oie morte dans la gueule.
Il avait rompu la trêve du jour des jeux : il fut condamné à une punition si sévère que toute sa vie il allait regretter de n’avoir pas su maîtriser son désir de se venger d’Akka et de sa bande : une foule de renards l’entourèrent rapidement et le condamnèrent, selon la vieille coutume, à l’exil. Aucun des renards n’essaya d’atténuer la peine, car ils savaient tous qu’en ce cas, ils seraient à jamais chassés de la place des jeux, et qu’on ne leur permettrait jamais d’y revenir. En conséquence, l’exil fut unanimement prononcé contre Smirre, le renard. Défense lui était faite de séjourner en Scanie. Il était forcé de quitter sa femme et ses parents, les districts de chasse, demeures, refuges et caches qu’il avait possédés, pour chercher fortune ailleurs. Et pour que tous les renards sussent que Smirre était proscrit, le doyen des renards lui mordit la pointe de l’oreille droite. Tout de suite les jeunes renards commencèrent à glapir, assoiffés de sang, et se jetèrent sur Smirre. Il ne lui resta qu’à prendre la fuite, et poursuivi par toute une bande de jeunes renards il détala sur les pentes du mont Kullaberg.
Pendant ce temps, les gelinottes et les coqs de bruyères jouaient leur jeu. Mais ces oiseaux s’absorbent tellement dans leurs chants qu’ils ne voient ni n’entendent rien.
Leur concours était à peine achevé que les cerfs de Häckeberga avancèrent à leur tour ; plusieurs couples de grands cerfs luttaient à la fois. Ils se jetaient l’un contre l’autre avec une grande force, entre-choquaient avec éclat leurs bois dont les andouillers s’enchevêtraient, et essayaient ainsi de se faire reculer l’un l’autre. Ils déchiraient de leurs sabots les tertres de bruyère ; leur haleine formait comme une fumée autour d’eux, des cris rauques sortaient de leur gorge et l’écume coulait le long de leurs épaules.
Tout autour sur les collines régnait un silence haletant ; les animaux étaient remués de sentiments nouveaux. Tous se sentaient courageux et forts, animés d’une vigueur renaissante, ravivés par le printemps, alertes et prêts à toutes les aventures. Ils n’éprouvaient point de colère les uns envers les autres ; néanmoins les ailes et les plumes des cous se redressaient, les griffes s’aiguisaient. Si les cerfs avaient continué encore longtemps, la lutte aurait éclaté partout sur les collines, car tous étaient saisis du désir de montrer qu’ils étaient pleins de vie, que l’impuissance de l’hiver était vaincue, que la force bouillonnait dans leurs corps.
Mais les cerfs cessèrent leurs combats, et un murmure se propagea de colline en colline : « Les grues arrivent. »
Ils arrivaient en effet, les oiseaux gris, vêtus de crépuscule, aux ailes ornées de longues plumes flottantes, une aigrette rouge sur la nuque. Les grands oiseaux aux longues pattes, aux fins cous déliés, aux petites têtes, descendirent la pente comme en glissant, et saisis d’un vertige mystérieux. Tout en glissant en avant, ils tournaient sur eux-mêmes, moitié volant, moitié dansant. Les ailes élégamment relevées, ils se mouvaient avec une rapidité incompréhensible. Leur danse avait quelque chose de singulier et d’étrange. On eût dit des ombres grises jouant un jeu que l’œil suivait difficilement, et ce jeu, il semblait qu’elles l’eussent appris des brouillards qui flottent sur les marécages déserts. Cela tenait du sortilège. Tous ceux qui venaient pour la première fois au mont Kullaberg comprirent enfin pourquoi la réunion était appelée la danse des grues. Il y avait de la sauvagerie dans cette danse, mais le sentiment qu’elle éveillait dans le spectateur n’en était pas moins une douce langueur. Personne ne songeait plus à lutter. Mais tous, ceux qui avaient des ailes et ceux qui n’en avaient pas, aspiraient à s’élever au-dessus des nuages, à chercher ce qu’il y avait derrière, à abandonner le corps pesant qui les entraînait vers la terre, à s’envoler vers le ciel.
Cette nostalgie de l’inaccessible, de ce qui est caché au delà de la vie, les animaux ne la ressentent qu’une fois par an, et c’est en voyant la grande danse des grues.