Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap63

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 413-417).


CHAPITRE LXIII


DISCOURS DU VASOUDÉVIDE


Argument : Les fils de Pândou prennent possession de la tente de Douryodhana. Le char d’Arjouna brûle spontanément. L’explication de ce prodige est donnée par Krishna. Sa conversation avec Youdhishthira qui l’envoie pour apaiser Gândhâri.


3460. Sañjaya dit : Alors, tous ces princes, dont les bras étaient pareils à des barres de fer, rentrèrent dans leurs demeures, en soufflant dans leurs conques.

3461. Youyoutsou et le grand archer Satyakide suivirent les fils de Pândou qui se rendaient à notre camp, ô maître des hommes.

3462. Dhrishtadyoumna, Çikhandin, les fils de Draupadî et tous les autres grands guerriers, rentrèrent de toutes parts dans leurs tentes.

3463. Les Prithides entrèrent alors dans la tente de Douryodhana, dont la splendeur était détruite, dont le maître était tué, qui ressemblait à une scène (de théâtre) dont les spectateurs seraient sortis,

3464. Pareille à une ville privée de fêtes, à un étang dont sont éloignés les éléphants (qui se jouaient sur ses bords), occupée par de vieux ministres et surtout par des femmes et des eunuques.

3465. Les suivants de Douryodhana, revêtus de vêtements jaunâtres, les attendaient en faisant l’añjali.

3466. Les fils de Pândou, les plus grands des guerriers, ayant atteint la tente du roi de Kourou, descendirent de leurs chars, ô grand roi.

3467. Alors, ô excellent Bharatide, Keçava, toujours porté à être agréable (aux Pândouides), se leva et dit à l’archer porteur de Gàndîva :

3468. « Descends (du char l’arc) Gândîva et les deux grands carquois inépuisables. Je descendrai ensuite moi-même, ô le plus grand des Bharatides.

3469. Descends aussi. C’est pour ton bien, ô homme sans péché. » Le héros Dhanañjaya, fils de Pândou, fit ce que (Keçava lui avait prescrit).

3470. Pais, le prudent Krishna, abandonnant les rênes des chevaux, descendit du char de l’archer de Gândiva.

3471. Quand (Keçava), le très magnanime maitre de tous les êtres, en fut descendu, le singe divin, étendard de l’archer (porteur) de Gândîva, disparut.

3472. Ainsi que ce grand char, resplendissant d’un feu que nul (homme) n’avait allumé ; (il était brûlé) par les astres divins (lancés jadis) par Drona et par Karna.

3473. Ce char de l’archer de Gândîva, avec les carquois, les rênes, les chevaux et le joug, tomba à terre, réduit en cendres.

3474. En le voyant ainsi consumé, ô roi, les fils de Pândou furent remplis d’étonnement, et Arjouna dit,

3475. En saluant Krishna et après s’être jeté affectueusement à ses pieds en faisant l’anjali : « Ô adorable Govinda, pourquoi ce char est-il dévoré par le feu ?

3476. Pourquoi ce grand prodige, ô descendant d’Yadou ? Ô guerrier aux grands bras, dis-le moi, si tu penses que je doive l’entendre. »

3477. Le Vasoudevide dit : Ô Arjouna, il a jadis été incendié par des astres de diverses sortes. Ô tourmenteur des ennemis, s’il n’a pas, (alors), été anéanti, c’est que je me trouvais dessus dans la bataille.

3478. Maintenant que ta tâche est remplie et que je l’ai quitté, il disparaît, brûlé par l’ardeur (des armes) de Brahma.

3479. Et, souriant, l’adorable Keçava, tueur des ennemis, dit à Youdhishthira, en l’embrassant :

3480. Grâce au ciel tu triomphes, ô fils de Kountî. Grâce au ciel les ennemis sont tués, grâce au ciel l’archer porteur de Gândîva, Bhîmasena fils de Pândou,

3481. Les deux Pândouides fils de Mâdrî, et toi, vous avez échappé à ce combat qui fut la ruine des héros, et vos ennemis sont détruits.

3482-3484. Ô Bharatide, fais vite ce que tu vas avoir à faire. Quand j’ai paru à Oupaplavya, en me présentant, avec l’archer porteur de Gândîva, le madhouparka (mélange de miel offert aux hôtes), tu m’as dit : « Ô Krishna, Dhanañjaya que voici, est ton frère et ton ami. Ô guerrier aux grands bras, tu dois le garantir de toutes les calamités. » Je t’ai répondu : « Qu’il en soit ainsi. »

3485. « Ô maître des hommes, cet ambidextre victorieux, à la vraie valeur, protégé (par moi) ainsi que ses frères, à cause de toi,

3486, 3487. Est sorti vivant de cette guerre destructive des héros et qui faisait hérisser le poil (de terreur). » Ayant entendu ces paroles de Krishna, Dharniaràja Youdhishthira, le poil hérissé, répondit à Janârdana :

3488. Youdhishthira dit : Quai aufro que toi, ô broyeur des ennemis, fût-ce Pourandara le porteur de la foudre. eût pu endurer l'astra de Brahma, lancé par Drona et par Karna ?

3489. C’est grâce à toi que les conjurés ont été vaincus et que le fils de Prithà n a pas été mis en fuite, (quand il a pris part) à la grande bataille.

3490, 3491. Ô guerrier aux grands bras, il en a été de même pour moi à plusieurs reprises. Le maharshî Dvaipâyana m’a dit quel serait le résultat de (tes) œuvres, et le développement de l’éclat de ton énergie. « Là où est la vertu, là est Krishna. Là où est Krishna, là est la victoire, »

3492. Ainsi me dit-il. Après cette conversation, ces héros, qui étaient entrés dans ton camp, se dirigèrent vers les amas de trésors, de joyaux et de richesses.

3493. L’or, l’argent, les pierres précieuses, les ornements principaux, les couvertures de laine et les fourrures,

3494. Les chevaux et les innombrables captives, ainsi que les insignes de la royauté. Mis en possession de tes inépuisables richesses, ô excellent Bharatide,

3495, 3496. Les Indras des hommes, heureux d’avoir tué leurs ennemis, poussèrent des cris (de joie). Tous ces héros Pândouides, avec le Satyakide, ayant dételé leurs chars, restèrent un instant en ce lieu pour se reposer. Puis, ô grand roi, le très glorieux Vasoudevide leur dit :

3497. « Il nous faut, pour notre salut, sortir du camp. » Quand il eut ainsi parlé, tous les fils de Pândou et le Satyakide

3498. Sortirent (du camp) avec le Vasoudevide, en vue de leur conservation. S’étant approchés de la salutaire rivière Oghavatî (la Sarasvati, celle qui a des flots), ô roi,

3499. Les fils de Pândou, dont les ennemis étaient tués, (y) passèrent la nuit. Puis ils renvoyèrent l'Yadouide à la ville qui tire son nom des éléphants.

3500. Le majestueux Vasoudevide, ayant fait monter (son cocher) Dàrouka sur son char, se hâta d’aller là où se trouvait le roi fils d’Ambikâ.

3501. Au moment où il allait mettre en mouvement le char attelé de (ses chevaux) Çaibya et Sougrîva, ils lui dirent : « Console la glorieuse Gàndhârî dont les fils sont tués. »

3502. Ce (prince), le plus grand des Sattvatides, à qui les fils de Pàndou avaient ainsi parlé, se dirigea vers la ville et se hâta de joindre Gândhàrî, à qui la mort avait ravi ses fils.