Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap14

Traduction par Louis Ballin.
Ernest Leroux, éditeur (1p. 91-96).


CHAPITRE XIV


COMBAT GENERAL


Argument : Combat d’Arjouna contre les Trigartes et le fils de Drona qui tue Souratha, venu au secours d’Arjouna.


705, 706. Sañjaya dit : Arjouna Dhanañjaya, blessé, dans le combat de plusieurs (armes) en fer, par le fils de Drona et les héros qui le suivaient, les grands guerriers Trigartes, atteignit le Dronide précisément de trois flèches çilimoukhas et chacun des autres grands archers de deux,

707. Et il continuait de les couvrir de pluies de flèches. Mais, ô excellent Bharatide, les tiens, hérissés de traits (comme des fagots) d’épines,

708. Conduits par le fils de Drona, avec la multitude des chars, s’étant approchés du Prithide, (quoique) frappés de flèches aiguës, ne lâchèrent pas Arjouna.

709. Les grands guerriers l’ayant enveloppé, le combattaient, ô roi ; les flèches ornées d’or décochées par eux

710, 711. Remplirent immédiatement le devant du char d’Arjouna. (Les Kourouides) enragés au combat, ayant vu les deux grands archers Krisnas, les héros de tous les porteurs d’arc, avoir leurs deux corps blessés par les flèches, (étaient) joyeux. Ô puissant, le timon, les roues, les liens qui unissent le joug au timon,

712. Et même l’attelage et le corps du char, devinrent un amas de traits, ô roi. Jamais, auparavant, on n’avait, ni vu, ni entendu rien de pareil

713. À ce que les tiens firent en cette circonstance contre le fils de Prithâ qui, avec son char, resplendissait de toutes parts (de l’éclat) des flèches aiguës à l’extrémité postérieure dorée,

714. Comme un char céleste (placé) sur la surface de la terre, (et) brillant de centaines de météores. Alors, ô grand roi, Arjouna, avec des flèches aux nœuds recourbés,

715. Arrosait cette armée, comme un nuage (arrose) une montagne avec de la pluie. (Les soldats de) cette (armée), frappés de flèches marquées au nom du fils de Prithâ,

716. Pensaient, dans la situation (où ils se trouvaient, qu’un nuage orageux) était devenu le fils de Prithâ, que la flamme (de la foudre) de sa colère était (figurée par) ses flèches, et le vent par le bruit de son arc.

717-721. Le feu (représenté par) le fils de Prithâ consuma rapidement le combustible figuré par ton armée. Bharatide, sur le chemin du char du Prithide, on vit rapidement tomber sur le sol de la terre, des files d’attelages, des carquois, des bannières, des étendards avec leurs chars, des timons, des corps de chars, des trivenous (chars à trois drapeaux), des portions de chars, ô Bharatide, des essieux, des liens de joug, des aiguillons, de tous côtés ; des têtes portant des turbans et des boucles d’oreilles, des mains, des épaules, ô homme heureux, tombaient de toutes parts, (ainsi que) des parasols, des éventails, des diadèmes. Alors, ô maître des hommes, sur la route du char du fils de Prithâ irrité.

722. La terre devint inabordable, couverte d’une boue de chair et de sang, ô excellent Bharatide, semblable au jardin de Roudra,

723. Remplissant de crainte les gens timides et accroissant la joie des héros. Or, le fils de Prithâ, tourmenteur de ses ennemis, ayant détruit dans le combat deux milliers

724. De chars avec leurs balustrades protectrices, resplendissait comme un feu sans fumée. De même que l’adorable Agni, quand il dévore le monde animé et le monde inanimé,

725. Paraît dépourvu de fumée, tel (et aussi brillant) était Dhanañjaya, fils de Prithâ. Mais le fils de Drona, ayant vu les hauts faits du fils de Pândou dans la bataille,

726. Lui tint tête avec un char bien orné de bannières. Ces deux tigres des hommes, (qui étaient) les meilleurs d’entre les archers,

727. Se rencontrèrent alors, animés du désir de se tuer l’un l’autre, Ô grand roi, ces deux (héros) versèrent une terrible pluie de flèches,

728. Pareille à la pluie répandue par deux nuages orageux à la fin de la saison chaude, ô excellent Bharatide. À l’envi l’un de l’autre, avec des flèches aux nœuds recourbés,

729. Ils se blessèrent réciproquement, comme deux taureaux avec leurs cornes. Mais, ô grand roi, le combat eut lieu pendant longtemps à peu près avec égal (succès) entre eux deux.

730-731. Le choc des armes y fut terrible. (Le fils de Drona) atteignit Arjouna de douze flèches très brillantes, à l'extrémité postérieure dorée, et le Vasoudevide de dix, ô excellent Bharatide. Alors Bîbhatsou déchargea l’arc Gândîva.

732. L’ambidextre, tourmenteur de ses ennemis, après avoir honoré un instant le fils du gourou, dans la bataille, priva son char de son cocher et de ses chevaux.

733. Et à chaque instant il le frappait, (mais) mollement (d’abord). Le fils de Drona, souriant, se tenant sur son char dont les chevaux étaient tués,

734-735. Lança au fils de Pândou un bâton ferré, pareil à une barre de fer destinée à fermer les portes. Immédiatement le héros, fils de Prithâ, destructeur de ses ennemis, coupa en sept morceaux ce (bâton) orné de plaques d’or, qui arrivait sur lui. Irrité au plus haut degré en voyant son bâton ferré mis en pièces, le fils de Drona, adroit dans les combats, prit une barre de fer terrible, semblable au sommet de (l’Himalaya), roi des montagnes, et la lança au fils de Prithâ.

737. Arjouna, fils de Pândou, ayant aperçu cette barre pareille à Antaka irrité, se hâta de la frapper de cinq de ses meilleures flèches.

738. Coupée en morceaux par les traits du fils de Prithâ, elle tomba sur le sol, consternant les esprits des Indras de la terre, ô Bharatide.

739. Alors, le Pândouide atteignit le fils de Drona de trois autres bhallas. Gravement blessé par le fort et magnanime fils de Prithâ,

740. 741. Soutenu par son héroïsme, le Dronide, ce grand guerrier Bharadvajide, ne s’abandonna pas (à sa mauvaise fortune et) couvrit Souratha d’une nuée de flèches, en présence de tous les Kshatriyas. Cependant ce grand guerrier des Pâñcâlas

742. Accourait vers le fils de Drona, sur un char qui faisait un bruit (semblable à celui) du tonnerre, en tirant son fort et excellent arc, très puissant contre tous,

743. Il le couvrait de traits semblables à des serpents de feu. En voyant arriver vers lui le grand guerrier Souratha irrité,

744. Le Dronide entra en fureur au milieu de la bataille, comme un serpent frappé d'un bâton. Ayant froncé ses sourcils en forme de trident et léchant les coins de sa bouche,

745. Ayant regardé Souratha et frotté de colère la corde de son arc, il lança une nârâca aiguë ayant l'apparence et l'éclat du bâton d'Yama.

746. Elle entra rapidement et brisa le cœur (de Souratha), comme le coup de foudre lancé par Indra, déchire la surface de la terre.

747. Frappé par la nârâca, il tomba sur le sol, comme le sommet d'une montagne se fendant (par suite d'un coup) de foudre.

748. Quand ce héros fut tué, le majestueux fils de Drona, le meilleur des maîtres de chars, se hâta de monter sur ce char même.

749. Puis, ô grand roi, le Dronide enragé au combat, pourvu (d'un nouveau char), entouré des conjurés dans la bataille, combattit Arjouna.

750. Quand le soleil fut au milieu du ciel, il y eut là un grand combat, enrichissant le royaume d'Yama, entre Arjouna et ses ennemis.

751. Alors, en contemplant leurs exploits, nous vîmes une chose prodigieuse. Arjouna, (à lui) seul, résistait simultanément (à tous ces) héros.

752. Il se livrait une lutte terrible entre lui seul et plusieurs (de ses) adversaires, comme celle qui (eut lieu) jadis entre Çatakratou (Indra) et la grande armée des daityas.