Le Lord des îles/Gosselin, 1824/Chant VI

Traduction par M. A. P.
Gosselin (p. 206-255).
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CHANT VI.


I.

Qui pourra jamais les oublier, les émotions délicieuses de ces jours d’enthousiasme, où le matin et le soir on voyoit accourir sur la place publique des courriers hors d’haleine ? La voix tonnante du bronze, le son des cloches, nous annonçoient à chaque instant des victoires nouvelles : L’espérance, long-temps comprimée, prit enfin son sublime essor. Nos yeux ouverts dès la pointe du jour virent nos bannières triomphantes saluer les premiers rayons du soleil.

Jour de bonheur ! tu mis un terme à nos incertitudes, à nos douleurs et à nos craintes ; à vingt ans de dévastation, de carnage et de larmes. La tristesse elle-même leva ses yeux humides pour mêler, en soupirant, ses actions de grâces aux transports qui célébroient la chute du despote, la paix et la liberté.

C’est ainsi que la Renommée parcourut en triomphe toutes les montagnes de l’Écosse, quand le sort des armes eut frappé les usurpateurs, et que la bannière de Bruce flotta victorieuse sur les sommets de Lodoun, et dans les plaines d’Ury. La vallée de Douglas fut maintes fois inondée du sang des ennemis. L’intrépide Edward mit en fuite le vaillant Saint-John ; les vents du sud emportèrent sur leurs ailes les cris de guerre de Randolph ; les villes et les châteaux devinrent la conquête de Bruce ; et la gloire proclamoit chaque jour un nouvel exploit du héros.

II.

Le bruit de ces succès retentit dans le château du suzerain et dans la chaumière du laboureur. Il fit aussi réveiller dans leurs cellules solitaires les vierges de Saint-Bride. O Isabelle ! toi qui renonces au titre de princesse, et que des vœux enchaînent au cloître, la règle qui t’ordonne de porter le voile avec le scapulaire de laine, et de couper les tresses de tes noirs cheveux, cette règle sévère condamnoit-elle le noble transport qui animoit tes yeux humides, quand le ménestrel ou le pèlerin racontoit quelque nouveau triomphe de ton frère valeureux ? Mais quelle est cette jeune compagne qui partage tes espérances, tes craintes et tes prières ? Ce n’est point une vierge des cloitres. On la reconnoît aux boucles de sa chevelure, à la rougeur de son front, à ses soupirs, à ses tressaillemens involontaires, quand la gloire du valeureux Ronald se trouve mêlée aux exploits de Bruce.

III.

Quand le roi eut reconquis le château de ses pères et que sa noble entreprise fut heureusement commencée, ses premiers soins avoient été d’envoyer le page muet à l’île d’Arran ; mais un déguisement étranger ne put tromper long-temps les regards d’une sœur. Les deux amies habitèrent dans la même cellule. Le tardif consentement de Bruce permit enfin à Isabelle de prendre le voile et de prononcer les vœux. Édith est avec elle ; l’auguste fille de Lorn vit inconnue ; et, tandis que l’Écosse s’agite au milieu des combats, elle passe ses jours dans le calme de la retraite.

IV.

Plusieurs années s’étaient écoulées, quand des nouvelles d’une haute importance arrivèrent à Saint-Bride.

De toutes les conquêtes faites en Écosse par l’épée victorieuse d’Édouard Ier, son fils n’avoit plus vers le nord de la Tweed que le château de Stirling, assiégé par le roi Bruce. Un armistice avoit été conclu, et l’on convint que si les assiégés ne recevoient pas de secours du roi d’Angleterre avant la veille de la Saint-Jean, ils livreroient la place à Bruce. Toute la Bretagne fut appelée aux armes. Des courriers et des hérauts parcouroient les provinces, sommant les princes et les seigneurs de se rendre à l’appel du suzerain, et de venir à Berwick pour faire lever le siège de Stirling. La Saint-Jean approchait… Tous les soldats du sud se réunirent à la hâte, préparés au combat. On voit accourir tout ce que l’Angleterre avoit de nobles chevaliers et d’archers habiles. Les contrées qu’ils traversèrent sembloient embrasées par l’éclat que jetoient leurs boucliers et leurs bannières mais les Anglois belliqueux n’obéirent pas seuls à cet appel ; on vit aussi accourir les guerriers de la Neustrie et de la Gascogne. La Cambrienote, récemment soumise, fit marcher ses montagnards ; et Connoght vit sortir du fond de ses forêts et de ses déserts les cent tribus dociles au sceptre du sombre O’Connor.

V.

L’orage s’approche, gronde, et menace l’Écosse. C’est ainsi qu’un sombre nuage s’arrête suspendu dans les airs, et, s’abaissant peu à peu, dérobe le sommet des montagnes aux yeux du pèlerin tremblant. Mais ce ne fut point avec un regard timide que le roi Bruce vit l’orage s’avancer. Résolu à soutenir le choc, il fit proclamer que tous ceux qui le reconnoissoient pour maître eussent à prendre les armes et à venir combattre à ses côtés. Oh ! qui pourroit nommer tous les illustres chevaliers qui se rendirent à cet ordre, et qui s’armèrent pour la bonne cause, depuis les monts Cheviot jusqu’aux côtes de Ross, depuis les sables de Solway jusqu’à Marshal ! La nouvelle de ces préparatifs de guerre fut portée par un courrier du roi dans la vallée solitaire d’Arran ; mais des ordres secrets étaient destinés à sa sœur Isabelle, qui s’empressa le lendemain d’en faire part à la fille de Lorn.

VI.

— Est-il besoin de vous dire, Édith, combien la sincère union de nos cœurs est chère à votre Isabelle ? Jugez donc de ma douleur quand il faut vous dire adieu. L’ombre triste d’un cloître ne fut pas faite pour vous : allez mon amie, où un sort plus heureux vous attend ; mais ne croyez pas, ma chère Édith, que vous ayez été trahie, quoique mon frère sache que la fille de Lorn et son page muet n’étaient qu’un. Bruce connoît toute l’inconstance des hommes ; il épia l’impression que reçut Ronald en écoutant les derniers adieux d’Isabelle, qui lui prescrivoient de respecter les droits plus légitimes d’Édith, et d’être fidèle à ses sermens… Pardonnez-lui, pour l’amour de votre sœur. Si d’abord de vains regrets s’élevèrent dans l’âme de Ronald, ils sont éteints depuis long-temps. Il reconnoît maintenant quels droits vous avez sur lui, il se blâme souvent de son manque de foi, ô Édith ! pardonnez-lui pour l’amour de vous-même,

VII.

— Non jamais, reprit Édith, je n’irai implorer l’alliance de Ronald.

— Que votre impatience ne m’interrompe plus ; écoutez mon récit jusqu’à la fin.

— Le roi mon frère voudroit qu’Édith consentît à redevenir son page mystérieux. Elle pourroit alors juger par son cœur et par ses yeux du repentir de son amant. Libre, sous les auspices du roi, elle reviendroit, inconnue, habiter encore cette cellule et finir ses jours avec Isabelle, si tel étoit son dessein.

Le monarque avoit peut-être des vues politiques en faisant cette proposition. Dunstaffnage avoit été pris ; le château de Lorn reconnoissoit la puissance de Bruce. Le frère d’Édith, retiré en Angleterre, y étoit mort dans l’exil ; sa mort donnoit à sa sœur des droits sur ses vastes domaines, et ces droits ne seroient pas dangereux pour Bruce entre les mains fidèles de Ronald.

VIII.

Le trouble de ses yeux, son embarras, la rougeur de son front, trahirent l’émotion et le plaisir d’Édith. Elle feignit çependant de résister ; ne devoit-elle pas blâmer son amie d’une indiscrétion qui livroit à un tiers ses importans secrets ? Comment se résoudre à quitter Saint-Bride, cette paisible demeure ? Comment se séparer d’Isabelle et reprendre encore une fois ce vêtement étranger à son sexe, pour retourner au milieu des armées ? Qui veillera sur elle dans son voyage ? Elle désiroit au moins un délai. Isabelle sourit, et pardonna ce léger artifice d’une jeune fille qui craint de paroître céder au premier retour d’un amant infidèle.

IX.

Oh ! ne la blâmez pas : quand le zéphyr se réveille, son haleine fait tressaillir la feuille mobile ; quand le soleil dissipe les brouillards du mois d’avril, ses rayons font éclore la violette ; et l’amour, malgré tous les efforts d’un cœur offensé, doit renaître avec l’espérance. Édith opposa de tendres raisons aux murmures de sa pudeur. Ronald lui étoit destiné depuis sa plus tendre jeunesse, Ronald avoit reçu ses sermens et sa foi ;… et puis pouvoit-elle ne pas obéir aux volontés de Bruce, son souverain, dont elle et ses biens dépendoient ? Mais elle se promit de ne garder son déguisement de page que pendant un court espace de temps,… pendant un jour au plus : inconnue à tous, et surtout à Ronald, elle le verra encore une fois, elle l’entendra… (ne blâmez pas ce désir), elle l’entendra prononcer le nom d’Édith ; et, de retour dans sa retraite, elle rapportera la consolante idée qu’il s’est repenti de sa perfidie. Isabelle, qui depuis long-temps avoit observé sa pâleur et sa tristesse, et qui se reprochoit d’être la cause, innocente à la vérité, de ses malheurs, se réjouissoit d’avoir trouvé ce moyen de réparer sa faute involontaire. Elle s’écria avec un cœur sincère : — Elle sera donc récompensée de toutes ses souffrances ! L’heure du départ arriva bientôt ; Édith s’embarqua sous la garde d’une troupe de montagnards. Fitz-Louisnote, leur chef, avoit reçu l’ordre de conduire à Bruce le page muet, connu sous le nom d’Amadine, avec tous les honneurs qui sont dus au favori du prince.

X.

Le roi avoit espéré que la belle Édith arriveroit avant le jour du combat, mais une tempête et les hasards de la mer retinrent le navire loin du rivage. Ce fut le matin même du jour où la bataille devoit se livrer qu’Édith parut sur la colline de Gilles. L’horizon sembloit embrasé comme une fournaise ; aussi loin que l’œil pouvoit atteindre, on apercevoit des lances ondoyantes, semblables aux épis de l’été ; les troupes du roi Bruce, divisées en quatre corps d’armée, se déployoient dans la plaine ; un corps de réserve, placé au pied de la nontagne, était destiné à porter du secours en cas d’événements imprévus ; le reste de l’armée étoit rangé en ordre de bataille entre le ruisseau de Bannock et l’église de Saint-Ninian ; les trois ailes, quoique isolées par leur position, étoient à portée de se secourir mutuellementnote.

Plus loin on découvroit l’armée anglaise, comme une forêt de piques dont l’œil cherchoit en vain mesurer l’étendue ; là même où l’horizon semble se confondre avec les collines, on voyoit encore étinceler les armes de ces innombrables soldats.

XI.

La jeune fille descendit la montagne, effrayée de cet appareil de guerre. Elle arriva au corps de réserve ; là se trouvoient réunis les hommes de Carrick et d’Ayr, ceux de Lennox et de Lanark, et tous ceux des terres de l’Ouest. Les vaillans soldats des îles s’étaient joints à eux, rangés en ligne de bataille et couverts de leurs plaids. L’étendard glorieux de Bruce se déployoit avec orgueil dans le centre, non loin de la bannière de lord Ronald, dont les armoiries étaient un vaisseau à pleines voiles. Les cottes de mailles des guerriers de Bruce formoient un singulier contraste avec le plaid et le bonnet surmonté d’un panache des Hébridiens ; mais ce qui charma surtout les yeux de la fille de Lorn, ce fut le costume des montagnards, qu’elle n’avoit pas vu depuis trois longues années. — Il est un guerrier surtout que ses regards cherchent dans la foule ; ce guerrier est loin d’elle au milieu des rangs elle contemple avec le trouble de la tendresse les plis flottans de sa bannière, puis jette un coup d’œil sur le nombre immense des ennemis, et frémit en pensant aux chances de la guerre.

XII.

Fitz-Louis conduisit le page jusqu’au centre de l’avant-garde ; c’étoit là quon voyoit les vaillantes cohortes des Marches, les guerriers de Loudon, la troupe peu nombreuse, mais redoutée, des archers de Liddell et d’Étrick.

L’intrépide Douglas et le jeune Stuart commandoient les hommes de Nith et de la vallée d’Arrau et les courageux lanciers de Teviotdale. Près de l’église de Saint-Ninian étaient réunis, sous les ordres du valeureux Randolph, les soldats envoyés par l’Écosse depuis Tay jusqu’à Sutherland. Le reste de l’avant-garde, commandée par Edward Bruce, étoit protégé vers l’ouest par les ravins profonds de Bannock. Derrière eux étoit posté le brave Keith, le lord maréchal. Un rideau de feuillage cachoit ses hommes d’armes avec leurs lances, leurs casques et leurs panaches flottans. Telle étoit la disposition, des différens corps d’armée que Bruce avoit ordonnée. Édith et son guide se dirigèrent vers le monarque.

XIII.

Arrivés au premier poste, ils s’arrêtèrent. Le roi, placé à une portée de javelot du front de bataille, observoit l’ennemi et faisoit aligner ses soldats. Armé de pied en cap, il guidoit un léger palefroi, attendant le moment de l’attaque pour monter son cheval de bataille. Le diadème d’or brilloit sur son casque d’acier ; au haut de son cimier étoit attaché le gant d’Argentine, gage de son défi ; la hache d’armes remplaçoit dans ses mains le bâton de général.

A trois portées de javelot plus loin paroit l’armée anglaise. Les chefs, appuyés sur leurs armes, tiennent conseil, et se demandent s’il faut engager le combat dans la nuit même ou le différer jusqu’au lever de l’aurore.

XIV.

Qu’il est beau, mais qu’il est terrible, le spectacle qu’offre la première ligne de cette armée ! L’or et l’acier y étincellent de toute part. Le roi d’Angleterre y est avec tous ses pairs.

Quel est celui qui, voyant ce monarque entouré de tout son royaume armé pour défendre ses droits, eût osé prédire le triste sort qui le menaçoit ? Il fait caracoler avec grâce son noble coursier ; et l’on reconnoît dans ses yeux quelques étincelles du feu des Plantagenets. Son regard naturellement distrait se ranime à la vue des boucliers et des armes.

— Argentine, dit-il, connoissez-vous ce chevalier qui range en bataille les lignes ennemies ? — Le gage qui surmonte son casque me dit que c’est Bruce lui-même : je le reconnois. — Comment ce traître, dit Édouard, a-t-il l’audace de braver ma présence et nos drapeaux ? — Sire, répondit Argentine, que n’est-il monté sur un coursier comme le mien, pour que la partie fût égale ; j’irais rompre une lance avec lui. — Dans un jour de bataille, repartit le roi, les lois de la chevalerie sont mises de côté. Ce rebelle ose irriter mon courroux, qu’on fonde sur lui et qu’il disparaisse de mes yeux. — A cet ordre du roi, sir Henry Boune sortit des rangs.

XV.

Sir Henry étoit issu de l’illustre sang des Héreford, si renommés dans la chevalerie ; brûlant de se signaler devant le roi par quelque exploit digne de sa race, il pressa son coursier, mit la lance en arrêt, et s’élança sur Bruce. Immobile comme le rocher qui brave le choc de la vague irritée, Bruce resta ferme sur ses arçons. Tous les crieurs palpitèrent, tous les yeux se fixèrent sur les deux combattants. Plus rapide que la pensée, le regard et l’éclairs, sir Henry fondit sur le roi. Le foible palefroi de Bruce auroit-il pu soutenir un tel choc ? La perdrix résisteroit plutôt au faucon. Évitant la rencontre du chevalier au moment même où il étoit prêt à frapper, Bruce se détourne avec adresse : sir Henry va poursuivre sa carrière… mais sa course ne fut pas longue. Bruce, affermi sur ses étriers, lança avec force sa hache d’armes, qui alla frapper si violemment sur le chevalier anglois, que son casque en fut écrasé comme le fruit du noyer, et que la hache d’armes se brisa jusqu’à la garde. Le cheval tressaillit et abandonna sur le sable le corps inanimé de son maître. Ah ! combien fut soudaine et rapide la mort de Boune, première victime de cette fatale journée !

XVI.

Bruce jeta un regard de pitié sur le cadavre de son ennemi ; puis, avant tourné la bride de son coursier, il regagna tranquillement les rangs de l’armée écossaise. Les chefs s’approchèrent de lui et le blâmèrent à haute voix d’exposer ainsi à l’épée d’un aventurier une vie si précieuse et si chère. Bruce, remarquant alors sa hache, répondit d’un air indifférent : — Je paie cher mon imprudence, ma fidèle hache d’armes s’est brisée dans mes mains.

Dans ce moment, Fitz-Louis aborda respectueusement le roi et s’acquitta de la commission d’Isabelle. Édith déguisée se tenoit à quelques pas de distance, et cachoit sa rougeur en se couvrant le visage de ses mains. En l’apercevant, le monarque jeta loin de lui sa hache ensanglantée, et s’avança vers le prétendu page, cherchant à donner plus de douceur à son regard. Il prit la main d’Amadine avec la grâce d’un chevalier, et son sourire bienveillant promettoit au page timide l’amitié d’un frère chéri.

XVII.

— Ne crains rien, lui dit-il, jeune Amadine ; et il ajouta tout bas : — Que ce nom soit encore le tien ; la fortune capricieuse règle nos destinées ; elle t’envoie près de nous dans un moment de crise qui, je l’espère, va nous mettre pour toujours hors de sa puissance ; car, vainqueur ou vaincu, je reste sur ce champ de bataille. Pour toi, monte sur cette colline, asile de ceux qui suivent l’armée et qui ne peuvent porter les armes. (Fitz-Louis, veillez sur lui.) Nous nous rejoindrons si la fortune nous seconde ; s’il en est autrement, retourne dans la demeure sacrée d’Arran ; vis avec Isabelle, car le brave Ronald a fait vœu de ne jamais revoir la belle fille de Lorn, objet de ses plus tendres vœux, s’il désertoit le champ de bataille ou la cause de Bruce et de l’Ecosse… Silence… les sons de ces trompettes m’appellent !… excuse ce prompt départ ; adieu, adieu. Et il ajouta d’une voix plus basse : — Adieu donc, aimable Édith ; adieu.

XVIII.

— D’où vient ce nuage de poussière qui s’élève du côté de l’aile gauche ? cria le monarque au comte de Moray, qui se tenoit à cheval près de lui. Eh quoi, déjà les ennemis ont cerné votre poste ? Ah ! Randolph ! vous avez perdu une fleur de votre couronne ! Alors le comte baisse sa visière. Elle va refleurir, dit-il, ou ma vie se flétrira avec elle. A moi, vassaux de Randolph ! Et ils se précipitèrent, prompts comme la foudre, sur les ennemis. — Sire, dit alors le noble Douglas, le comte Randolph peut à peine opposer un de ses hommes contre dix Anglais. Laissez-moi lui porter du secours. — Restez à votre poste ; le comte réparera la faute qu’il a commise. Il ne faut point affaiblir notre corps de bataille.

Alors on entendit s’élever le cri de la mêlée. Le cœur du généreux Douglas bondit : — Sire, écouterai-je avec patience ces clameurs, qui peut-être m’annoncent le chant de mort de Moray ? — Eh bien ! va donc, mais hâte-toi de revenir.

Douglas s’élança suivi de son clan. Arrivé au sommet de la montagne, il arrêta sa troupe. — Reconnoissez-vous les Anglais taillés en pièces et mis en déroute ! Le comte a su vaincre ; voyez son étendard flotter au milieu du désordre de la mêlée. Amis, retournons à nos postes, notre présence diminueroit sa gloire : nous sommes arrivés trop tard. — Douglas rejoignit l’armée ; dans tous les rangs on apprit l’heureuse nouvelle que Dayncourt avoit péri de la main de Randolph, et que ses soldats avaient été mis en fuite. Cette escarmouche termina la journée. Les deux armées gardèrent leur ordre de bataille et passèrent la nuit sous les armes.

XIX.

C’étoit une nuit du riant mois de juin ; la lune poursuivant sa carrière dans un ciel sans nuage, laissoit tomber ses molles clartés sur Demayet et sur les antiques tours de Stirling : les flots de la rivière se succédoient comme les anneaux d’une chaîne argentée. Astre paisible, tu dois éclairer bientôt un autre spectacle… des étendards en lambeaux, des armes brisées, des monceaux de cadavres ; et les morts et les blessés confondus dans les flots ensanglantés du Forth.

Tu entends maintenant les cris de la débauche au milieu des troupes anglaises, tandis que les légions de l’Écosse implorent le ciel, et préparent le saint sacrifice. Ici le nombre a fait naître la présomption ; là c’est dans le Dieu des armées que les soldats de Bruce mettent leur force.

XX.

La belle Édith se tenoit sur la colline de Saint-Gilles, dont le sommet dominoit le champ de bataille. Avec elle sont les serfs et les pages, trop jeunes encore pour porter les armes. Avec quelle agitation pénible elle voit l’aurore colorer l’horizon ! Déjà le soleil brille sur les hauteurs d’Ochil, et dissipe les ténèbres du sombre Demayet. Est-ce le chant de l’alouette ou le cri sourd du héron qui frappe son oreille ? Non ; ce sont les accens confus, mais de plus en plus sonores, des trompettes qui se mêlent aux roulemens du tambour. L’armée d’Écosse répond par le son des cornemuses et des corsnote. Chaque soldat fait le signe de la croix et saisit ses armes. Le spectacle de la guerre se montre dans tout son appareil.

XXI.

Les forces de l’Angleterre se déploient dans unes immense étendue, comme les flots de l’Océan, quand l’impétueux vent d’ouest annonce par ses sourds mugissemens l’approche de la tempête. Aux premières lignes marchent les braves archers ; derrière eux s’avancent les hommes d’armes ; et c’est au milieu de ce corps qu’on reconnoît le roi entouré de chevaliers, les uns aguerris aux combats, les autres ayant nouvellement reçu les éperons et brûlant de les mériter. Argentine est à ses côtés avec le vaillant de Valence, l’orgueil des Pembroke, choisis l’un et l’autre pour tenir les rênes de son coursier. Au moment où le roi porta ses yeux sur l’armée écossaise, il vit avec étonnement que l’on abaissoit les bannières, les lances et les boucliers ; la pointe de tous les glaives est tournée vers la terre ; chaque guerrier fléchit le genou. — Les rebelles se repentent, dit-il à Argentine ; les voilà qui s’agenouillent pour implorer leur grâce. — Oui ; mais leurs genoux fléchissent devant une autre puissance ; ils implorent un autre pardon que le nôtre. Voyez-vous ce prêtrenote, les pieds nus, qui les bénit en élevant les mains ? Ils trouveront ici la victoire ou la mort. — Eh bien, risquons la bataille. Ordonnez au comte de Glocester de commencer l’attaque.

XXII.

Au moment où les troupes écossaises se relevèrent, le comte Gilbert agita son bâton de commandement. A ce signal, les archers anglois font un pas en avant, élèvent la main gauche et approchent leurs arcs de l’oreille droite ; le frémissement de dix mille cordes se fait entendre, et dix mille flèches frappent l’ennemi comme la grêle de décembre. Ni le bouclier doublé d’une épaisse peau de buffle, qui couvre le soldat des montagnes, ni la cotte de mailles que portent ceux des plaines, ne les sauvent de cette tempête. Malheur, malheur à la superbe Écosse ! Les cavaliers de Bruce ont mis pied à terre et se tiennent auprès de leurs chevaux. Le bouillant Edward, le pied sur l’étrier et la main sur la crinière de son cheval, pouvoit à peine contenir son impatient courroux ; enfin, les archers anglais s’avancent dans la plaine. — A cheval, braves guerriers ! s’écria-t-il, et au même instant les cavaliers se trouvèrent en selle. Leurs brillantes aigrettes s’agitèrent comme les feux follets qui s’élèvent de la terre. La poitrine défendue par leur bouclier, ils tiennent la lance en arrêt. Edward s’écrie : — En avant, tombons sur ces misérables, brisons les cordes de leurs arcs !

XXIII.

L’éperon s’enfonce dans les flancs des chevaux ; ils se précipitent au milieu du corps des archers. Sans retranchemens pour se mettre à l’abri, sans armes pour les arrêter, les archers ne peuvent résister avec leur armure légère au choc de ces lourdes massues et aux fers de ces longues piques. Leur courtes épées sont inutiles contre des chevaux bardés de fer et des guerriers couverts de cottes de mailles ; ils ont perdu leurs rangs ; le glaive plane sur leurs têtes : on entend les cris de victoire et les plaintes des mourants. Les archers soutiennent quelque temps le combat avec une valeur opiniâtre ; mais enfin, rompus de toute part, ils sont forcés de chercher leur salut dans la fuite.

Cerfs de Sherwood et de Dallom-Lee, bondissez de joie, les arcs brisés à Bannock-Born ne dirigeront plus de flèches contre vous. Que les jeunes filles ornent de feuillage le joyeux mai de Wakefield, et tournent leurs regards inquiets vers le nord ; leur attente sera trompée, elles ne reverront plus ceux qui les animoient à la danse. Dispersés, taillés en pièces, criblés de mille coups, foulés par le pied des chevaux, les archers couvrent de leurs cadavres la plaine ensanglantée de Bannock.

XXIV.

Le roi d’Angleterre s’indigne de leur fuite. — Les voilà, disoit-il, ces valeureux archers ! il n’est pas un de ces grossiers paysans qui ne se vantât de porter dans son carquois la vie de douze ennemisnote. Les lâches ! ils sont plus propres à dévaster nos forêts qu’à se mesurer contre un ennemi courageux. Allons, gentilshommes et chevaliers, en avant ! montrez votre vaillance ; il vous appartient de rétablir le combat.

A la droite du champ de bataille se trouvoit un chemin facile et uni, mais le prévoyant Bruce l’avoit fait couper par des fossés, qui, recouverts de broussailles et de gazon, cachoient un piège inévitable. Douze mille cavaliers se précipitèrent dans ce chemin, la lance en arrêt, le cœur brûlant de vengeance et défiant de loin l’ennemi avec des cris terribles mêlés au bruit des clairons. Hommes et chevaux s’élancent en aveugles sur le champ de bataille ; les premiers sont déjà tombés dans l’abîme ouvert sous leurs pas ; ceux qui les suivent s’y précipitent après eux ; les casques, les boucliers, la cotte de mailles, la lance et l’épée, la force, la bravoure, rien ne préserve de cette mort. Des clameurs confuses s’élèvent du milieu de ces précipices ; ce sont les cris des mourans et les hennissemens de mort des chevauxnote. Ils accouroient, semblables au torrent descendu des montagnes, qui roule à travers les rochers ; ils se sont engloutis comme ses vagues écumeuses dans une caverne obscure : le torrent bouillonne encore ; et chaque flot disparaît en mugissant.

XXV.

Mais l’Angleterre ne cède pas sitôt le champ de bataille ; ses plus nobles preux combattent pour elle ; il lui reste maint chevalier à qui la crainte ne fut jamais connue. Le courageux comte de Norfolk, de Brotherton, l’illustre De Vere d’Oxford, Glocester, Berkley, Grey, Bottetourt, Sanzavere, Ross, Montague, Mauley, le superbe Courtenay, Percy, vivent encore. Leurs noms, connus avec honneur dans les guerres d’Écosse, à Falkirk et à Dunbar, s’illustrèrent plus encore dans la suite par les combats de Crécy et de Poitiers. Argentinenote et Pembroke font avancer l’arrière-garde ; ils foulent avec précaution cette terre couverte de cadavres, et que le sang a rendue glissante. Arrivés à l’ennemi, les hallebardes, les haches et les lances se croisèrent avec une égale furie. C’est alors que Douglas put déployer sa force, et Randolph sa généreuse valeur. Stuart se montra digne d’être un jour le chef d’une race royale. Anglois, Écossois, combattent avec le même courage. Que de nobles cimiers jonchèrent la terre ! que de chevaliers illustres reçurent le trépas ! Le carnage moissonne tous les rangs.

XXVI.

Chaque soldat combattoit corps à corps ; les coups succédoient aux coups ; le cliquetis des armes et les cris de guerre étouffoient les soupirs des mourants. Dans les deux partis, que de motifs différens inspiroient tous ces héros de l’Angleterre et de l’Écosse ! Le chevalier mouroit pour la gloire, le citoyen pour son pays, le jeune homme pour faire preuve de son courage ou pour mériter l’amour de sa dame ; quelques-uns venoient assouvir une horrible soif de sang ; l’habitude et une bravoure naturelle conduisoient les autres mais, quel que soit leur but, soldat loyal, serf ou noble, tous suivirent la même route… celle du tombeau.

XXVII.

Quoique l’ardeur des combattans commence à s’éteindre, la victoire est incertaine. Le soleil est arrivé au milieu de sa course. La poussière s’élève en nuages plus épais. Les coups sont devenus plus faibles. Douglas s’appuie sur son épée ; Randolph essuie son front couvert de sang. Les troupes anglaises ne sont pas moins fatiguées d’un combat qui dure depuis la pointe du jour. Le vaillant Egremont s’arrête pour reprendre haleine ; Beauchamp relève la visière de son casque. La lance s’échappe des mains de lord Montague. Et toi aussi, brave De Vere, tu laissas tomber ton épée. Les coups que portoit le robuste Berkley se ralentirent. Le cor de l’intrépide Pembroke perdit ses accens guerriers. Ton bras s’abaisse, Argentine ; et je n’entends plus la voix de Perey qui crioit : — Camarades, avançons,

XXVIII.

Bruce, dont l’œil vigilant comme celui du pilote s’aperçoit de la lassitude des combattans, s’est écrié : — Encore un effort, et l’Écosse sera libre. Lord des Iles, ma confiance en toi est ferme comme le rocher d’Ailsa ; fonds sur l’ennemi avec les montagnards, moi je vais charger à la tête de mes lanciers de Carrick. Allons, courons au combat. — Aussitôt le pibroc se fait entendre ; Bruce ordonne la charge. — En avant, lanciers de Garrick ! l’ennemi lâche pied ; marchons, nobles fils d’Innisgail : vous combattez pour vos femmes, vos enfans, pour votre patrie, votre liberté, pour votre vie ; le succès ne sera pas long-temps douteux.

XXIX.

Ce nouveau choc fit reculer les Anglois, qui laissèrent leurs meilleurs soldats baignés dans leur sang. Argentine seul élève son bouclier orné d’une croix rouge : il rallie les débris de l’armée, et dispose un nouvel ordre de bataille. Ses efforts rétablirent le combat, mais cette nouvelle lutte ne dura pas long-temps.

La belle Édith avoit entendu les cris de joie des soldats anglais, elle les vit se retourner tout-à-coup au milieu de leur déroute. Le son des clairons est à la fois un son de douleur et de triomphe. Édith croit voir les soldats de Ronald enveloppés par l’ennemi : — O ciel ! le combat recommence, point de secours ! Et vous, témoins impassibles de la ruine de votre patrie, portez-vous donc des cœurs de rocher ? —

XXX.

Ceux qui de loin observoient les deux armées, n’avaient pu voir sans émotion Bruce combattre pour les droits de l’Écosse. L’amour de la patrie embrasoit tous les cœurs. L’adolescent, le vieillard, le prêtre, le laïque, les femmes mêmes tendoient les mains à la vue d’une hache ou d’une épée ; mais quand Amadine recouvra la parole pour leur adresser ces reproches, l’enthousiasme s’empara de cette multitude. — Des prodiges accusent notre lâcheté ; c’est un muet qui nous rappelle nos devoirs ; celui qui rend la voix au muet peut donner la force aux faibles ; l’Écosse est notre patrie comme celle de Bruce ; elle est notre terre promise à tous, c’est à nous comme à lui de venger les outrages de notre nation. Comme lui, nos cœurs doivent choisir entre la mort et la liberté. Aux armes ! aux armes ! — Alors tout devient lance, épée ou massue : des drapeaux sont faits à la hâte, et cette armée nouvelle fond sur les Anglais fatigués.

XXXI.

Déjà les escadrons du sud, dispersés dans la plaine, n’écoutant plus ni les reproches, ni les prières, ni les ordres, fuyoient ou ne faisoient qu’une résistance douteuse ; mais quand ils crurent voir des troupes, encore fraîches marcher sur eux, les plus courageux rompirent les rangs. Rendons justice à leur malheureux prince : vainement il se jeta au milieu de la mêlée ; ses menaces, ses pleurs, son désespoir, tout fut inutile. Enfin, Pembroke, détournant la bride de son coursier, le força de s’éloigner du champ de bataille. Argentine le suivit jusqu’au sommet de la colline ; mais là il s’arrêta. — J’ai laissé un gage sur le champ de bataille, dit-il ; l’honneur, plus cher que la vie, m’ordonne de retourner au combat. Hâtez-vous de vous éloigner, sire, le cruel Douglas suit vos traces ; je reconnois sa bannière qui s’avance. Que le Seigneur envoie à mon maître joie et prospérité ; que ses armes soient désormois plus heureuses. Adieu, sire, adieu. —

XXXII.

Il retourne sur le champ de bataille, et voit les Anglais en fuite, prisonniers ou sans vie. — Maintenant, dit-il en mettant sa lance en arrêt, me voilà au terme de ma carrière ; encore un effort, ce dernier exploit va mettre fin à ma race. — Alors, se levant sur ses étriers, il porte à haute voix ce défi : — Saint-Jacques pour Argentine ! — Quatre de ceux qui poursuivoient les fuyards furent désarçonnés ; mais le brave chevalier reçut un coup de lance qui le frappa au défaut de la cuirasse, et un coup de hache brisa son cimier. Malgré sa blessure, il court sur le vaillant lord de Colonsay, et enfonce dans son sein le fer de sa lance. Le montagnard se débat contre le fer meurtrier qui le fixe à la terre ; il brandit encore son épée, et frappe son ennemi ; le sang d’Argentine ruisselle ; il chancelle sur ses étriers, et le farouche Colonsay sourit au milieu des angoisses de l’agonie, en voyant sa fidèle épée venger si bien son trépas.

XXXIII.

Bruce s’occupoit de recueillir les fruits d’une victoire si glorieuse. Il ordonnoit à sa cavalerie de poursuivre l’arrière-garde des Anglois, et d’empêcher leurs corps dispersés de se réunir, lorsque le cri de guerre qu’Argentine prononçoit vint frapper de loin son oreille. Aussitôt il s’écrie : — Épargnez ce noble et brave chevalier. Les escadrons ouvrent au roi un libre passage. Il s’approche du blessé ; hélas ! il n’élevoit plus son bouclier orné d’une croix rouge ; son casque, son armure étaient couverts de son sang. Quand il vit Bruce s’avancer, il recueillit ses forces pour mettre sa lance en arrêt ; vain effort ! son éperon ne peut exciter son coursier. Le chevalier, épuisé de fatigue et de blessures, tombe sur l’arène ; le généreux Bruce accourt, s’empresse de le relever et de délier les courroies de son casque.

— Seigneur comte, lui dit Argentine, la journée est à toi. Les ordres du roi mon maître et le sort ennemi nous ont fait rencontrer trop tard ; mais Argentine mourant peut encore demander une grâce qu’il attend d’un ancien frère d’armes, une messe comme chrétien, et un tombeau comme chevalier.

XXXIV.

Bruce pressa sa main mourante, qui voulut lui rendre cette étreinte amicale, mais elle se raidit et devint froide entre les mains de Bruce. — Adieu ! s’écria le vainqueur. O toi, la fleur et l’orgueil de la chevalerie, on vantera à jamais ton bras valeureux, ta courtoisie, ta haute race, ta foi sans tache et la noblesse de tes traits. Que les torches s’allument dans l’église de Saint-Ninian ; qu’on prépare le service funèbre d’Argentine : jamais torches ne brûlèrent, jamais prières ne furent prononcées sur le cercueil d’un plus vaillant chevalier !

XXXV.

Ce ne fut point pour d’Argentine seul que les prières de la mort se firent entendre dans l’église de Saint-Ninian, et que les torches s’allumèrent ; leur clarté lugubre éclaira aussi mainte armure brisée et sanglante, et les débris de maints cimiers, dépouilles des barons, des comtes et des baronnets. Les plus illustres fils de l’Angleterre eurent aussi leur part de la pompe funèbre.

Ne pleure point, patrie de la gloire, quoique, depuis l’invasion de Guillaume-le-Conquérant, jamais les léopards n’eussent été mis en fuite dans un combat aussi funeste ; tes annales peuvent aussi se vanter de plus d’une bataille gagnée sur les Écossais. Ne leur envie point leur victoire : ils combattoient pour les droits de leur indépendance. Ces droits, si chers à tous les cœurs amis de la liberté, ne sont-ils pas plus chers encore à la terre d’Albion ?

XXXVI.

Revenons à Bruce, curieux d’apprendre de Fitz-Louis le miracle qui vient de s’opérer. Mille voix répètent autour de lui. : — Le page a recouvré la parole ! — Le page ! interrompt Fitz-Louis ; dites plutôt un ange descendu des célestes régions pour briser le joug des Anglais. J’ai vu tomber sa toque ornée de plumes, quand nous descendions la montagne ; son front, rempli de douceur, ses longs cheveux, qui se dérouloient avec grâce, ont donné un nouvel éclat à ses yeux ; son pied léger effleuroit à peine le gazon, comme s’il eût été soutenu par des ailes inaperçues. — Que disoit-il en ce moment ? —Une seule parole est sortie de sa bouche, quand il a vu le Lord des Iles retourner au combat. — Et quelle réponse ce seigneur lui a-t-il adressée ? — Il est, tombé à genoux ; ses yeux se baissoient vers la terre ; il murmuroit à voix basse des mots sans suite, respectueux dans sa joie, comme s’il eût parlé à l’habitant d’une sphère supérieure.

XXXVII.

Le roi Robert, oubliant un moment les hautes pensées qui l’occupent, ne peut s’empêcher de sourire.

— Quoi donc, dit-il, le page avoit une grâce angélique, un front noble, des cheveux ondoyans ; et Ronald s’est prosterné devant lui ! Dans ce cas, nous aurons besoin de l’Église. Que mon chapelain soit averti avant que ces étranges nouvelles se répandent plus loin ; qu’il aille à Cambuskenneth, et dispose l’autel pour célébrer une messe solennelle. Mon peuple remerciera le ciel de son heureuse délivrance ; mais qu’une autre cérémonie se prépare pour célébrer l’hymen d’un prince. Nous avons, aux jours de nos disgrâces, interrompu la fête nuptiale ; je veux, avant le retour de l’aurore, assister à l’hymen de la fille de Lorn.

CONCLUSION.

Allez, mes vers, allez au hasard ; ne blâmez pas le ménestrel de n’avoir point choisi pour ses humbles chants un protecteur dont le nom et l’amitié partiale auroient pu vous aplanir le chemin de la gloire. Il étoit… ah ! que de douloureux regrets dans ces deux mots ! il étoit une amie généreuse, qui, si le sort l’eût permis, vous auroit, ô mes vers, donné le droit de marcher fièrement à côté des plus nobles productions des Muses.

Aujourd’hui elle est devenue l’égale des anges… Il lui manquoit si peu de chose pour l’être déjà dans son pèlerinage dans ce bas monde ! A quoi bon rappeler cette patience qui lui faisoit cacher ses douleurs pour adoucir celles des autres ? A quoi bon dire comment la flamme pure de la vertu avoit encore plus d’éclat en elle ? A quoi bon apprendre au monde que la modeste guirlande destinée à orner son front est suspendue sur son cercueil pour s’y flétrir loin de tous les yeux ?


FIN DU LORD DES ÎLES.
Notes


CHANT VI.

Note 1. — Paragraphe IV.

Edward Ier, selon la politique ordinaire des conquérans, employa les Gallois qu’il avoit soumis, dans les guerres d’Écosse, pour lesquelles leurs habitudes, comme montagnards, les rendoient singulièrement propres.

Note 2. — Paragraphe IX.

Les Fitz-Louis ou Mac-Louis, autrement appelés Fullarton, sont une ancienne famille de l’île d’Arran. On dit qu’ils sont d’origine française, comme l’indique leur nom. Ils s’attachèrent à Bruce lors de sa première descente à Arrau.

Note 3. — Paragraphe X.

L’ordre de bataille qu’adopta le roi Robert à la bataille décisive de Bannock-Burn nous a été transmis très exactement par Barbour ; c’est une leçon utile aux tacticiens. Cependant, jusqu’à ce qu’il ait été commenté par lord Halles, cet important trait d’histoire a été, en général, étrangement défiguré par les historiens.

Note 4. — Paragraphe XX.

C’est une vieille tradition, que ce refrain écossois si connu hey tulli tailli étoit la marche de Bruce à la bataille de Bannock-Burn.

Note 5. — paragraphe XXI.

Maurice, abbé de Inchoffray, se plaçant sur une éminence, célébra la messe à la vue de l’armée écossaise.

Note 6. — Paragraphe XXIV.

Roger Ascham rapporte un proverbe écossois qui dit : « Que chaque archer anglois porte à sa ceinture vingt-quatre Écossais. » Le bon lord Douglas redoutoit si fort les archers anglois, qu’il donnoit à ceux qu’il faisoit prisonniers le choix de perdre le pouce ou l’œil droit.

Note 7. — Paragraphe XXIV.

Il m’a été dit que ce vers demandoit une note explicative ; et, dans le fait, ceux qui ont été témoins de la patience muette avec laquelle les chevaux se soumettent aux plus cruels traitemens, pourroient douter de leurs plainte dans le moment d’une douleur soudaine et insupportable. Lord Erskine, dans un discours prononcé à la chambre des lords sur un bill tendant à prescrire l’humanité envers les chevaux, fit connaître un fait remarquable, que je craindrois d’affaiblir en essayant de le répéter. « Le hasard me fit entendre, à moi-même, un cheval au moment de son agonie, poussant un cri perçant que je regarde encore comme le son le plus mélancolique que j’aie jamais entendu. »

Note 8. — Paragraphe XXV.

Outre d’Argentine, il périt plusieurs chevaliers des plus nobles familles d’Angleterre. Barbour dit qu’on trouva deux cents paires d’éperons dorés sur le champ de bataille ; et l’auteur pourroit ajouter que tous ne furent pas recueillis, car il possède un éperon antique fort curieux, trouvé depuis peu de temps.

Les résultats de la bataille de Bannock-Burn furent d’établir complètement l’indépendance nationale de l’Écosse.


FIN DES NOTE DU LORD DES ÎLES.