Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 15/Histoire de Baibars

Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Librairie Charpentier et Fasquelle (Tome 15p. 193-195).


HISTOIRE DE BAÏBARS ET DES
CAPITAINES DE POLICE


Il est raconté — mais Allah l’Invisible est plus savant ! — qu’il y avait autrefois dans le pays d’Égypte, au Caire, un sultan d’entre les sultans valeureux et puissants de la très illustre race des Baharites turcomans. Et il s’appelait le sultan Al-Malek Al-Zaher Rôkn Al-Dîn Baïbars Al-Bondokdari. Et, sous son règne, l’Islam brilla d’un lustre sans précédent, et l’empire s’étendit glorieusement de l’extrême limite de l’orient aux confins profonds de l’occident. Et, sur la face de la terre d’Allah, et sous le ciel azuré, plus rien ne resta debout des places fortes des Francs et des Nazaréens, dont les rois étaient devenus un tapis pour ses pieds. Et sur les plaines vertes, et dans les déserts, et sur les eaux, aucune voix ne s’élevait qui ne fût la voix d’un Croyant, et aucun pas ne s’entendait qui ne fût le pas d’un marcheur dans la voie de la rectitude. Or, béni soit à jamais celui qui nous traça la voie, le Bienheureux, fils d’Abdallah le Khoreïchite, notre seigneur et suzerain Ahmad-Môhammad, l’Envoyé — sur Lui la prière, la paix et les plus choisies des bénédictions. Amîn !

Or, le sultan Baïbars aimait son peuple et en était aimé ; et tout ce qui, de près ou de loin, touchait au peuple, soit en tant que coutumes et mœurs, soit en tant que traditions et usages locaux, l’intéressait à l’extrême. Aussi, non seulement aimait-il à voir toutes choses avec son œil, et à écouter avec son oreille, mais se délectait-il aux histoires, et à entendre les conteurs ; et avait-il élevé aux plus hauts grades ceux de ses officiers, de ses gardes et de ses familiers qui savaient le mieux conter les choses du passé et rapporter les choses du présent.

Aussi, une nuit qu’il était plus disposé que de coutume à écouter et à s’instruire, il réunit tous les capitaines de police du Caire, et leur dit : « Je veux que vous me contiez ce soir ce que vous connaissez de plus digne d’être conté. » Et ils répondirent : « Sur nos têtes et nos yeux ! Mais, notre maître veut-il que nous racontions ce qui nous est arrivé personnellement, ou ce que nous savons sur autrui ? » Et Baïbars dit : « C’est là une demande délicate. C’est pourquoi, que chacun de vous soit libre de raconter ce qu’il désire, mais à la condition que ce soit tout à fait surprenant ! » Et ils répondirent : « Hé, ouallah, ô notre maître ! notre esprit t’appartient, ainsi que notre langue et notre fidélité ! »

Et le premier qui s’avança entre les mains de Baïbars, pour commencer, était un capitaine de police qui s’appelait Môïn Al-Dîn, dont le foie était ulcéré d’amour pour les femmes et le cœur empiégé sans cesse dans leurs traînes. Et, après les souhaits de longue vie au sultan, il dit : « Moi, ô roi du temps, je te raconterai une affaire extraordinaire qui m’est personnelle, et qui m’arriva dans les premiers temps de ma carrière ! »

Et il s’exprima ainsi :