Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 04/Conte du Corbeau et de la Civette

Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 4p. 239-241).

CONTE DU CORBEAU ET DE LA CIVETTE


Il m’est parvenu qu’un corbeau et une civette s’étaient pris d’une solide amitié l’un pour l’autre et passaient leurs heures de loisir en ébats et en jeux divers. Or, un jour qu’ils causaient de choses certainement intéressantes, car ils ne prêtaient guère attention à ce qui se passait autour d’eux, ils furent soudain rappelés à la réalité par le cri effroyable du tigre, qui retentit dans la forêt.

Aussitôt le corbeau qui était en bas, perché sur le tronc de l’arbre à côté de son amie, se hâta de gagner les hautes branches ; quant à la civette, effarée, elle savait d’autant moins où se cacher, qu’elle n’était guère certaine de l’endroit d’où était parti le miaulement de la bête de proie. Dans cette perplexité elle dit au corbeau : « Mon ami, que faire ? Dis-moi, as-tu quelque moyen à m’indiquer ou quelque secours efficace à me donner ? » Le corbeau répondit : « Mais que ne ferais-je pas pour toi, ma bonne amie ? Me voici tout prêt à tout affronter pour te tirer d’embarras ; mais, avant de voler te porter secours, laisse-moi te dire ce qu’a dit le poète à ce sujet :

« La véritable amitié est celle qui vous pousse à vous jeter dans le péril pour, au risque de succombe, sauver l’objet aimé ;

C’est celle qui vous fait quitter biens, parents, famille, pour retrouver le frère de votre choix ! »

Puis, ayant récité ces vers, le corbeau se hâta de voler à tire d’aile vers un troupeau qui passait par là, gardé par de gros chiens plus imposants que des lions. Et il alla tout droit à l’un des chiens et s’abattit sur sa tête et lui donna un coup de bec d’importance. Puis il s’abattit sur un autre chien et fit de même ; et, ayant de la sorte excité tous les chiens, il se mit à voleter à une distance juste suffisante pour les attirer et se faire poursuivre par eux, sans toutefois être atteint par leurs dents. Et il croassait de toute sa voix, comme pour les narguer. Aussi les chiens, de plus en plus furieux, se mirent à le chasser, jusqu’à ce qu’il les eût attirés au milieu de la forêt. Alors, comme leurs aboiements avaient rempli toute la forêt, le corbeau jugea que le tigre, effrayé, avait dû s’enfuir ; et il vola pour de bon, laissant très loin derrière lui les chiens qui s’en retournèrent bredouille vers leur troupeau. Puis il vint retrouver son amie la civette qu’il avait sauvée ainsi d’un danger pressant, et il vécut avec elle en toute paix et en toute sécurité !

Mais j’ai hâte, ô Roi fortuné, continua Schahrazade, de te raconter l’histoire du corbeau et du renard.