Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 04/Conte de la Souris et de la Belette

Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Éditions de la Revue Blanche (Tome 4p. 236-239).


CONTE DE LA SOURIS ET DE LA BELETTE


Il y avait une femme dont le métier était de décortiquer le sésame. Or, un jour, on lui apporta une mesure de sésame de la meilleure qualité, en lui disant : « Le médecin a prescrit à un malade de se mettre exclusivement au régime du sésame ! El nous t’en apportons pour qu’avec soin tu le nettoies et l’écosses ! » Et la femme le prit et se mit aussitôt à l’œuvre et, au bout de la journée, elle l’avait nettoyé et décortiqué. Et c’était plaisir de voir ce sésame blanc, écossé, suggestif ! Aussi une belette qui rôdait par là ne manqua pas d’être tentée considérablement et, la nuit venue, elle se mit en devoir de le transporter du plateau où il était à sa cachette. Et elle fit si bien qu’au matin il ne restait plus sur le plateau qu’une quantité infime de sésame.

Aussi la belette put juger, cachée dans son trou, de la surprise et de la colère de la décortiqueuse à l’aspect de ce plateau presque nettoyé de son contenu. Et elle l’entendit qui s’écriait : « Ah ! si je pouvais voir le voleur ! Ce ne peut être encore que ces maudites souris qui infestent ma maison, depuis la mort du chat ! Si j’en voyais une seulement, je lui ferais expier les méfaits de toutes ses semblables ! »

Lorsque la belette eut entendu ces paroles, elle se dit : « Il me faut absolument, pour me mettre complètement à l’abri du ressentiment de cette femme, la confirmer dans ses soupçons en ce qui concerne la souris. Sinon elle pourrait fort bien s’en prendre à moi et me casser le dos ! » Et aussitôt elle alla trouver la souris et lui dit : « Ô ma sœur, tout voisin se doit à son voisin ! Et il n’y a rien de plus repoussant qu’un voisin égoïste qui n’a aucune attention pour ceux qui habitent à côté de lui et qui, dans les occasions de joie, ne leur envoie rien des plats exquis que les femmes de la maison lui ont cuisinés, ni des douceurs et des pâtisseries préparées aux grandes fêtes ! » Et la souris répondit : « Que cela est vrai, ma bonne amie ! Aussi combien n’ai-je pas à me louer de ton voisinage, bien que tu ne sois ici que depuis quelques jours, et des bonnes intentions que tu me manifestes ! Fasse Allah que toutes les voisines soient aussi honnêtes et aussi avenantes que toi ! Mais qu’as-tu à m’annoncer ? » La belette dit : « La bonne femme qui est là, dans la maison, a reçu une mesure de sésame frais et appétissant au possible. Aussi elle et ses enfants en ont mangé tout leur plein, n’en laissant qu’une poignée ou deux. Je viens donc t’avertir de la chose, car j’aime mille fois mieux que ce soit toi qui en profites que ses goinfres d’enfants ! »

À ces paroles, la souris fut dans une telle allégresse qu’elle se mit à frétiller et à agiter la queue. Sans prendre le temps de la réflexion, sans remarquer l’air hypocrite de la belette, sans faire attention à la femme qui, silencieuse, guettait, et sans même se demander quel pouvait être le mobile qui poussait la belette à un tel acte de générosité, elle courut de toute sa vitesse et se précipita au milieu du plateau où brillait, éclatant et décortiqué, le sésame ! Et gloutonnement elle s’en emplit la bouche. Mais au même moment la femme sortit de derrière la porte et d’un coup de baguette fendit la tête à la souris !

Et c’est ainsi que la pauvre souris, par sa confiance imprudente, paya de sa vie le méfait d’autrui !


— À ces paroles, le roi Schahriar dit : « Ô Schahrazade, quelle leçon de prudence ce conte ne me donne-t-il pas Si je l’avais connu anciennement, il m’aurait gardé d’une confiance sans limites dans mon épouse, la débauchée que j’ai tuée de ma main, et dans les eunuques noirs, ces perfides qui ont aidé à la trahison !… Mais n’aurais-tu pas à me raconter quelque histoire sur l’amitié fidèle ? »

Et Schahrazade dit :