Le Livre des mères et des enfants/II/Le livre d’une petite fille

LE LIVRE D’UNE PETITE FILLE.


Dieu bénit les enfants qui vont vite à l’école ;
Peut-on, sans les aimer, les regarder courir !
On les croirait poussés par quelque ange qui vole,
Qui de leurs longs cheveux leur souffle une auréole,
Frappe à la lourde porte et les aide à l’ouvrir.


J’en sais un dont la mère, humble femme, est heureuse,

Et qui chante toujours avec ses cheveux blancs :
La reine dans ses fils est moins ambitieuse,
Que cette pauvre femme agitée et joyeuse,
Qui regarde voler deux petits pieds brûlants.


« La réputation commence avec la vie.
A-t-elle dit un jour a son précoce enfant :
Cette échelle mouvante où monte aussi l’envie,
L’école grandira de mémoire suivie,
Et sera d’aujourd’hui le registre vivant.


Marche donc ! marche droit sans retourner la tête.
Qui s’amuse au présent retarde l’avenir !
Tends les mains jour par jour aux leçons qu’il t’apprête ;
Jeune, saute à pieds joints l’obstacle qui t’arrête ;
Vieux, va t’asseoir paisible au banc du souvenir.


Moi. j’y suis. Moi pourtant, j’apprends encor : je t’aime !

Je cherche, dans un coin de mon passé perdu,
Quelque fruit mis à part, stérile pour moi-même,
Car il fut, mon passé, d’une avarice extrême ;
Mais s’il te fait moins pauvre, il m’aura tout rendu !


Et l’on parla bientôt jusqu’au bout de la rue,
De l’enfant régulier qui savait l’heure : « Allons !
Voilà René qui passe et la nuit disparue ;
Voilà son cri de coq et l’aurore accourue ;
En route ! » et vers la ruche on poussait les frelons.


René, c’était l’abeille, et jamais buissonnière.
Un jour, un seul, son banc le réclama longtemps :
C’est la première fois ! « Sera-ce la dernière ?
Cria le maître aigri dans l’heure prisonnière.
Et les plus paresseux riaient, fiers et contents !


Ce jour même, aux rayons d’un soleil couleur

On trouva deux enfants que l’on croyait perdus.
Un saule, aux bras ouverts, leur a servi de chambre,
Et sur le blanc tapis que leur a fait décembre,
On dirait, de leur toit, deux ramiers descendus !


Le plus grand, c’est René. Le plus beau ; c’est ma fille ;
Ange rôdeur qui boude à s’instruire avec nous ;
Qui va cacher son livre au fond de la charmille,
Qui ne veut point d’école au sein de la famille :
Qui se choisit un maître et l’écoute à genoux !
 
Cendrillon les absorbe ! ils ont contre la bise,
D’une baleine d’enfant l’innocente chaleur.
L’un par l’autre emportés de surprise en surprise,
René veut qu’on épèle et ma fille qu’on lise
Tout !… comme on veut d’un champ voir la dernière fleur !

Liberté ! tu fais peur aux rois : sois douce aux mères !

Donne un jour ta main droite à nos jeunes garçons ;
Tiens ces hommes-enfants loin des molles chimères :
Nous, pour qui la nature a des lois plus amères,
Laisse-nous de leurs sœurs enfermer les leçons !