Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 17p. 59-74).


CHAPITRE V.


« La mort est ici ; la mort est là ; la mort menace partout. »
Shelley.

Les fugitifs ne pouvaient juger des intentions de leurs ennemis que par leurs gestes, et par les signes qu’ils donnaient d’une fureur causée par le désappointement. Il était clair qu’une partie d’entre eux étaient déjà revenus sur leurs pas, et que par conséquent le stratagème du feu allumé n’avait pas réussi. Mais cette réflexion devenait sans importance dans un moment où nos amis se trouvaient menacés d’être découverts par les trois Iroquois qui avaient suivi le cours de la rivière. Toutes ces idées se présentèrent, comme par intuition, à l’esprit de Pathfinder, et il sentit la nécessité de prendre sur-le-champ une détermination, et d’agir tous de concert. Sans faire aucun bruit, il fit signe aux deux Indiens et à Jasper de s’approcher de lui, et il leur parla à voix basse ainsi qu’il suit :

— Soyons sur nos gardes, tenons-nous prêts. Ces coquins ne sont que trois, et nous sommes cinq, dont quatre peuvent compter pour de bons guerriers dans une telle escarmouche. — Eau-Douce, ayez soin de ce drôle, qui a le corps peint des couleurs de la mort. — Vous, Chingashgook, vous ajusterez le chef, et Arrowhead aura l’œil sur le plus jeune. Point de méprise ; car deux balles dans le même corps, ce serait prodiguer nos munitions, dans un moment où la fille du sergent est en danger. Je me tiendrai en réserve, en cas d’accident, car il peut arriver un autre de ces reptiles, et une de vos mains peut manquer de fermeté. Ne faites feu que lorsque j’en donnerai le signal. Il ne faut brûler aucune amorce qu’à la dernière extrémité, car le reste de ces mécréants est sans doute encore à portée d’entendre le bruit d’un coup de mousquet. — Jasper, si les coquins venaient nous attaquer par derrière, du côté du rivage, poussez la pirogue dans le courant, et faites force de rames pour conduire au fort la fille du sergent, si Dieu le permet.

Dès que Pathfinder eut donné ces instructions à ses amis, l’approche des Iroquois rendit nécessaire un profond silence. Comme ils marchaient dans l’eau en descendant la rivière, ils se tenaient nécessairement près des buissons, et nos voyageurs s’aperçurent bientôt, au bruit des broussailles et des branches, qu’une autre troupe d’Indiens côtoyait le rivage derrière eux, en marchant du même pas que les trois premiers. La distance qui existait entre les branches enfoncées dans la boue et le véritable rivage fit que les deux groupes de sauvages purent se voir quand ils furent en face des fugitifs. Ils s’arrêtèrent en même temps, et commencèrent une conversation qui passait en quelque sorte sur la tête de nos amis, qui n’étaient cachés que par des branches et des feuilles qu’un vent un peu fort aurait écartées, ce qui les aurait infailliblement découverts. Heureusement la ligne de vision des deux troupes de sauvages, l’une dans l’eau, l’autre sur un rivage élevé, portait leurs yeux au-dessus des buissons naturels et factices, dont les feuilles se mêlaient de manière à ne donner aucun soupçon. La hardiesse de cet expédient fut peut-être même ce qui les empêcha d’être découverts à l’instant. La conversation qui eut lieu entre les Indiens fut animée, mais ils parlaient avec précaution, comme s’ils eussent craint qu’on ne pût les entendre. Ils parlaient un dialecte que Pathfinder et ses deux compagnons entendaient, et Jasper lui-même en comprit une bonne partie.

— L’eau a effacé leurs traces, — dit un de ceux qui étaient dans la rivière ; — et il se trouvait si près du buisson artificiel, qu’il aurait pu être percé par la fouine[1], qui était au fond de la pirogue de Jasper. — L’eau l’a si bien effacée, qu’un chien yengheese ne pourrait la suivre.

— Les faces-pâles ont quitté le rivage dans leurs pirogues, dit un de ceux qui étaient sur la terre.

— Impossible. Les mousquets de nos guerriers, qui sont plus bas, ne manquent pas leur coup.

Pathfinder jeta un regard expressif sur Jasper, et serra les dents pour étouffer le léger bruit de sa respiration.

— Que mes jeunes gens regardent comme s’ils avaient des yeux d’aigle, — dit un vieux guerrier du nombre de ceux qui marchaient dans l’eau. — Nous avons passé une lune entière sur le chemin de la guerre, et nous n’avons gagné qu’une seule chevelure. Il y a une jeune fille parmi eux, et quelques-uns de nos braves n’ont pas de femme.

Mabel heureusement ne comprit pas ces mots ; mais Jasper fronça le sourcil, et ses joues devinrent pourpres de fureur.

Les sauvages ne parlèrent plus, mais le bruit des feuilles et des branches annonça bientôt que la troupe qui était sur la terre s’était remise en marche et s’éloignait. Mais ceux qui étaient dans l’eau restaient encore, et examinaient les bords du rivage avec des yeux qui semblaient des charbons ardents. Au bout de deux ou trois minutes, ils commencèrent à descendre la rivière, mais pas à pas, et comme des hommes qui cherchent quelque chose qu’ils ont perdu. Ils passèrent enfin le buisson artificiel, et Pathfinder ouvrit la bouche pour jouir de ce rire silencieux, que la nature et l’habitude lui avaient rendu particulier. Son triomphe ne fut pourtant que momentané, car, en ce moment même, celui qui marchait le dernier jeta un coup d’œil en arrière, s’arrêta tout-à-coup, et son regard fixé sur le buisson artificiel annonça le fait effrayant que quelque chose avait éveillé ses soupçons.

Il fut peut-être heureux pour les voyageurs que l’Indien qui avait donné ces signes redoutables de méfiance, était jeune et avait encore à se faire une réputation. Il connaissait l’importance de la discrétion et de la modestie dans un guerrier de son âge, et il craignait surtout le ridicule et le mépris qui seraient la suite d’une fausse alarme. Au lieu de rappeler ses compagnons, il retourna sur ses pas, et tandis que les deux autres continuaient à descendre la rivière, il s’approcha doucement du buisson qui semblait lui fasciner les yeux. Quelques-unes des feuilles exposées au soleil penchaient un peu sur leur tige, et cette légère déviation des lois ordinaires de la nature avait frappé l’œil de l’Indien ; car les sens du sauvage deviennent si subtils et si perçants, surtout quand il est en expédition guerrière, que la bagatelle la plus insignifiante est souvent un fil qui le conduit à son but.

La circonstance qui avait fait naître les soupçons du jeune Indien lui parut à lui-même si peu de chose, que ce fut pour lui un nouveau motif pour ne pas vouloir informer ses compagnons de sa découverte. S’il en faisait réellement une, il en aurait plus de gloire en ne la partageant avec personne ; et dans le cas contraire, il pourrait échapper à ces railleries qu’un jeune Indien craint toujours. Il connaissait trop bien les dangers d’une embuscade et d’une surprise pour ne pas s’approcher à pas lents et avec précaution ; et par suite du délai qui résulte de toutes ces causes combinées, les deux troupes d’Indiens étaient déjà à cinquante ou soixante toises en avant, quand il fut assez près du buisson pour le toucher.

Malgré leur situation critique, les fugitifs avaient les yeux fixés sur la physionomie agitée du jeune Iroquois, dont le cœur était alors partagé par des sentiments bien différents. D’abord il était enflammé de l’espoir d’obtenir un succès que n’avaient pu remporter quelques-uns des guerriers les plus expérimentés de sa tribu, et de s’assurer une gloire qui avait été rarement le partage d’un Indien de son âge, ou d’un guerrier dans sa première expédition. Venaient ensuite les doutes, car un vent léger relevait les feuilles penchées, et elles semblaient avoir repris leur fraîcheur. Enfin la crainte de quelque danger caché n’était pas sans influence, et se peignait aussi sur ses traits. Le changement que la chaleur avait produit sur les feuilles des branches dont le bout était enfoncé sous l’eau, était si léger, qu’en les touchant avec la main, il s’imagina avoir été trompé. Enfin voulant sortir de doute, il écarta deux branches, fit un pas en avant, et vit devant lui les fugitifs, semblables à autant de statues. Il tressaillit, ses yeux brillèrent, mais il n’eut pas le temps de pousser un cri ; Chingashgook avait déjà levé son tomahawk, et il le fit tomber sur sa tête avec une force terrible. L’Iroquois leva les mains, fit un saut en arrière, et tomba dans l’eau dans un endroit où le courant l’emporta, tandis qu’il se débattait encore dans l’agonie de la mort. Le Delaware fit un vigoureux effort pour lui saisir un bras, afin de s’emparer de sa chevelure, mais il n’y put réussir, et les eaux entraînèrent le cadavre qui les ensanglantait.

Tout cela se passa en moins d’une minute, et ces événements furent si soudains et si inattendus, que des hommes moins habitués que Pathfinder et ses compagnons à la guerre des forêts, n’auraient su ce qu’ils devaient faire.

— Il n’y a pas un moment à perdre, — dit Jasper en arrachant les branches, et parlant avec vivacité, quoique à demi-voix. Faites comme moi, maître Cap, si vous voulez sauver votre nièce ; et vous, Mabel, couchez-vous au fond du canot.

À peine avait-il prononcé ces mots, qu’il sauta dans la rivière et saisit l’avant du léger esquif pour le tirer en pleine eau, tandis que Cap le poussait par-derrière, mais côtoyant le rivage d’assez près pour ne pouvoir être vu par les sauvages qui étaient en avant, et remontant la rivière pour tacher de doubler la pointe, qui les cacherait plus sûrement aux yeux de leurs ennemis. La pirogue de Pathfinder était la plus voisine du rivage, et il fut nécessairement le dernier à le quitter. Le Mohican santa sur le rivage, et s’enfonça dans la forêt pour épier les mouvements de l’ennemi, tandis qu’Arrowhead faisait signe à Pathfinder de tirer l’avant du canot, et de suivre Jasper. Tout cela fut l’ouvrage d’un instant ; mais quand Pathfinder eut doublé la pointe et atteint le courant, il sentit un changement soudain dans le poids qu’il traînait, et s’étant retourné il vit que le Tuscarora et sa femme n’étaient plus dans la pirogue. L’idée d’une trahison se présenta sur-le-champ à son esprit, mais ce n’était pas l’instant d’y réfléchir, car les cris de rage qu’il entendit pousser plus bas sur la rivière, lui donnèrent à penser que le courant avait déjà porté le corps du jeune Indien jusqu’à l’endroit où ses deux camarades étaient arrivés. Un coup de fusil se fit entendre, et il vit ensuite que Jasper, après avoir doublé la pointe, cherchait à traverser la rivière, debout sur l’arrière de son canot, tandis que Cap était assis sur l’avant ; tous deux travaillant à en accélérer la marche par de vigoureux coups de rames. Un regard, une pensée, un expédient, se suivaient rapidement dans un homme qui connaissait toutes les vicissitudes des guerres de cette frontière aussi bien que Pathfinder. Sautant sur l’arrière de sa pirogue, il la fit entrer dans le courant par un vigoureux coup de rame, et commença aussi à traverser la rivière, mais à un point beaucoup plus bas que son compagnon, de sorte que son corps devenait comme un point de mire pour les mousquets des ennemis ; et il savait fort bien que le désir de prendre une chevelure serait l’idée qui prendrait l’ascendant dans leur esprit.

— Continuez à remonter le courant, Jasper, — s’écria-t-il tout en donnant de longs et vigoureux coups de rame, — et tâchez d’aborder sous ces buissons d’aunes sur l’autre rive. Veillez avant tout à la sûreté de la fille du sergent, et laissez au Grand-Serpent et à moi le soin de ces coquins de Mingos.

Jasper agita sa rame en l’air pour lui annoncer qu’il l’avait entendu, tandis que les coups de mousquets se succédaient rapidement, tous dirigés contre l’homme qui se trouvait seul sur le canot le plus voisin des sauvages.

— Oui ; oui, videz vos mousquets comme des idiots que vous êtes, — dit Pahtfinder, qui, ayant passé une si grande partie de sa vie dans la solitude des forêts, avait pris l’habitude de parler seul ; — usez votre poudre sans pouvoir ajuster un seul coup, et donnez-moi le temps de mettre toise sur toise d’eau entre vous et moi. Je ne vous dirai pas d’injure comme un Delaware ou un Mohican ; car ma nature est la nature d’un homme blanc, et non celle d’un Indien ; et se vanter en combattant ne convient pas à un guerrier chrétien ; mais je puis dire ici, pendant que je suis seul, que vous ne valez guère mieux que les habitants des villes qui firent sur des moineaux dans un verger. — Voilà qui vaut mieux, — ajouta-t-il en secouant la tête, une balle lui ayant emporté une mèche de cheveux ; mais le plomb qui manque son but d’un pouce, n’est pas plus utile que celui qui ne sort jamais du fusil. — Bravo, Jasper ! il faut que la fille du sergent soit en sûreté, quand nous devrions laisser ici nos chevelures.

Pathfinder était alors au centre de la rivière, et ses ennemis étaient presqu’en face de lui. Le second canot, grâce aux bras vigoureux de Cap et de Jasper, était sur le point d’arriver à l’autre rive, précisément à l’endroit qui leur avait été indiqué. Le vieux marin jouait alors bravement son rôle, car il se trouvait sur son élément, il aimait sincèrement sa nièce, il n’était pas sans attachement pour sa propre personne, et il avait souvent vu le feu, quoiqu’il eût certainement acquis son expérience dans une espèce de guerre toute différente. Encore quelques coups de rame, et la pirogue fut sous les buissons. Jasper se hâta de faire débarquer Mabel, et, pour le moment, les trois fugitifs furent en sûreté.

Il n’en était pas de même de Pathfinder. Sa hardiesse et son dévouement l’avaient placé dans une position très-dangereuse, et le péril augmenta encore par le fait qu’au moment où il était le plus près des ennemis, les Iroquois qui étaient sur le rivage, vinrent se joindre à ceux qui étaient dans la rivière. L’Oswego, en cet endroit, avait environ une encablure de largeur, et la pirogue se trouvant au milieu, il n’était qu’à une cinquantaine de toises des mousquets qui faisaient un feu presque continuel ; ce qui est la distance ordinaire pour cette arme.

Dans cette extrémité, le sang-froid et la fermeté de Pathfinder lui furent très-utiles. Il savait qu’il ne pouvait devoir sa sûreté qu’à un mouvement constant, car un objet stationnaire, à cette distance, aurait été touché presqu’à chaque coup. Le mouvement seul ne suffisait même pas ; car, accoutumés à la chasse du daim, ses ennemis savaient sans doute comment l’ajuster de manière à l’atteindre s’il continuait à courir dans la même direction. Il était donc obligé de changer sans cesse la marche de sa pirogue, tantôt suivant le courant avec la rapidité d’une flèche, tantôt l’arrêtant tout-à-coup pour gagner une ou deux toises dans la largeur de la rivière. Heureusement les Iroquois ne pouvaient recharger leurs mousquets dans l’eau, et les buissons épais qui bordaient partout le rivage, ne leur permettaient pas de voir les fugitifs quand ils étaient sur le rivage. Aidé par ces circonstances, et ayant reçu le feu de tous ses ennemis, Pathfinder gagnait peu à peu de la distance, tant en descendant le courant, qu’en cherchant à le traverser ; mais un nouveau danger se présenta à lui tout-à-coup par l’apparition de la troupe qui avait été laissée plus bas sur la rivière pour la surveiller.

C’étaient les guerriers dont il avait été question dans la courte conversation que nous avons rapportée. Ils n’étaient pas moins de dix, et, connaissant tous leurs avantages, ils s’étaient postés dans un endroit où l’eau se précipitait sur des rochers et des bas-fonds, de manière à former un rapide, ou un rift, comme on l’appelle dans ce pays. Pathfinder vit que, s’il entrait dans ce rift, il serait forcé d’approcher d’un point que les Iroquois occupaient, car le courant avait une force irrésistible, et les rochers ne permettaient aucun autre passage. La mort ou la captivité aurait donc été le résultat de cette tentative. Il fit tous ses efforts pour gagner la rive occidentale, tous les ennemis étant sur l’autre. Mais cet espoir était au-dessus du pouvoir humain ; et en essayant de traverser le courant, il aurait ralenti le mouvement de sa pirogue, et fourni à l’ennemi le moyen de mieux l’ajuster. Dans cet embarras pressant, il prit sa détermination avec son sang-froid et sa promptitude ordinaire, et fit ses préparatifs sur le-champ. Au lieu de chercher à gagner le canal entre les rochers, il se dirigea vers l’endroit où l’eau était le plus basse ; et dès qu’il y fut arrivé, il saisit sa carabine, sauta dans l’eau, et passa d’un rocher à l’autre en s’avançant vers la rive occidentale. La pirogue abandonnée tourna dans tous les sens dans le rift furieux, tantôt passant par-dessus un rocher, tantôt s’emplissant d’eau, tantôt se vidant ; et enfin elle arriva sur le rivage à quelques toises de l’endroit où les Iroquois s’étaient postés.

Pendant ce temps, Pathfinder était loin d être hors de danger ; car, pendant la première minute, l’admiration de sa promptitude et de sa hardiesse, vertus si éminentes dans l’esprit d’un Indien, frappa ses ennemis d’immobilité ; mais la soif de la vengeance et le désir d’obtenir un trophée sanglant, l’emportèrent bientôt sur ce sentiment momentané et les tira de leur stupeur. Les coups de mousquet recommencèrent et les balles sifflèrent autour de la tête du fugitif au milieu du tumulte des eaux. Cependant il était comme un homme dont la vie est protégée par un charme ; car, quoique ses vêtements fussent percés en plusieurs endroits, il n’avait pas reçu une seule blessure.

Pathfinder était obligé quelquefois de marcher dans une eau qui lui venait jusqu’aux coudes ; alors il tenait sa carabine et ses munitions élevées au-dessus du courant. Il finit par se fatiguer, et il ne fut pas fâché de trouver un petit rocher qui s’élevait assez au-dessus de l’eau pour que le sommet en fût parfaitement à sec. Il y plaça sa corne à poudre, et se mit lui-même par derrière, pour mettre son corps en partie à l’abri des balles. La rive occidentale n’était guère qu’à cinquante pieds, mais l’eau noire et tranquille, quoique rapide, qui coulait dans ce canal, prouvait suffisamment qu’il ne pourrait le passer qu’à la nage.

Les Indiens cessèrent quelques instants de tirer ; ils s’étaient rassemblés autour de la pirogue, et y ayant trouvé des rames, ils se préparèrent à traverser la rivière.

— Pathfinder, — cria une voix du milieu des buissons de la rive gauche, à l’endroit qui était le plus près du rocher.

— Que voulez-vous, Jasper ?

— Prenez courage. — Vous avez des amis à votre portée, et pas un Mingo ne passera la rivière sans payer cher sa témérité. Ne feriez-vous pas mieux de laisser votre carabine sur le rocher, et de venir nous joindre à la nage avant que les coquins puissent mettre la pirogue à flot ?

— Le véritable homme des bois ne quitte jamais son arme tant qu’il a de la poudre dans sa corne et une balle dans sa poche. Je n’ai pas tiré un coup de fusil d’aujourd’hui, Eau-douce, et je n’aime pas l’idée de me séparer de ces reptiles, sans leur laisser de quoi se souvenir de mon nom. Un peu d’eau ne fera pas mal à mes jambes ; et comme je reconnais ce coquin d’Arrowhead parmi ces vagabonds, je désire lui payer la récompense qu’il a si fidèlement gagnée. — Vous n’avez pas amené la fille du sergent ici à portée de leurs balles, j’espère.

— Elle est en sûreté, quant à présent du moins. Mais tout dépend pour nous de conserver la rivière entre nous et nos ennemis. Ils doivent connaître notre faiblesse à présent, et s’ils traversent la rivière, je ne doute pas qu’il n’en reste une partie sur l’autre rive.

— Toute cette affaire de canots touche à votre nature plus qu’à la mienne, jeune homme ; et cependant je défierais à la rame le meilleur Mingo qui ait jamais percé un saumon de sa lance. — Mais s’ils passent la rivière au-delà du rift, ne pouvons-nous la passer en deçà, et jouer ainsi aux barres avec ces loups ?

— Non, parce que, comme je l’ai déjà dit, une partie d’entre eux resteront de l’autre côté de l’eau. D’ailleurs, voudriez-vous exposer Mabel aux mousquets des Iroquois ?

— Il faut sauver la fille du sergent, Eau-douce, — répondit Pathfinder avec une énergie calme. — Vous avez raison ; elle n’est pas d’une nature qui autorise à exposer sa jolie tête et son corps délicat au mousquet d’un Mingo. Que pouvons-nous donc faire ? Il faut les empêcher de passer la rivière avant une heure ou deux, s’il est possible, et nous ferons de notre mieux pendant l’obscurité.

— Je suis d’accord avec vous, et je dis aussi si cela est possible. Mais sommes-nous assez forts pour y réussir ?

— Le Seigneur est avec nous, Jasper, et il n’est pas raisonnable de supposer que la Providence abandonnera tout-à-fait une créature comme la fille du sergent dans ce péril. Il n’y a pas une barque entre la cataracte et la garnison, à l’exception de ces deux pirogues ; et je crois qu’il sera contre la nature de ces peaux rouges de vouloir passer l’eau en face de deux bouches à feu comme ma carabine et votre mousquet. Je ne veux pas me vanter, Jasper, mais on sait sur toute cette frontière que mon Tue-daim[2] manque rarement son coup.

— Tout le monde rend justice à vos talents, Pathfinder, ici et au loin ; mais il faut du temps pour charger un mousquet ; et en ce moment vous n’êtes pas sur la terre, couvert par un bon abri, et pouvant combattre avec votre avantage ordinaire. — Si vous aviez ma pirogue, ne pourriez-vous point passer sur cette rive sans que votre carabine fût mouillée ?

— L’aigle peut-il voler, Jasper ? — répondit Pathfinder, en riant à sa manière ; et jetant un coup-d’œil sur l’autre rive, il ajouta : — Mais il serait imprudent de vous exposer sur l’eau ; car je vois que ces mécréants commencent à vouloir en revenir à la poudre et aux balles.

— Vous pourrez l’avoir sans que personne coure aucun risque. Maître Cap est allé à la pirogue, et de là il jettera dans la rivière une branche d’arbre pour voir si le courant qui passe en cet endroit, la portera vers ce rocher. — Tenez, la voilà sur l’eau. Si elle vient ici, vous lèverez le bras, et Cap lâchera la pirogue. Et si elle passait sans que vous pussiez la prendre, le tournant qui est là-bas la porterait vers cette rive, et il me serait facile de m’en emparer.

Jasper parlait encore quand la branche, augmentant de vitesse à proportion de celle du courant, arriva rapidement près du rocher et passa à côté de Pathfinder, qui la saisit et la leva en l’air, en signe de succès. Cap aperçut ce signal, et il lança le canot dans le courant avec toute l’intelligence et la précision qu’on pouvait attendre d’un vieux marin. La pirogue suivit la même direction que la branche, et passa à la portée de Pathfinder, qui s’en empara.

— Cela a été imaginé avec le jugement d’un homme des frontières, Jasper ; mais vous avez votre nature qui vous dirige sur l’eau, comme la mienne dans les bois. À présent, que ces Mingos arment leurs mousquets, et ajustent bien, car voici probablement la dernière chance qu’ils auront de tirer sur un homme sans abri.

— Poussez diagonalement la pirogue vers le rivage, sautez-y ensuite, et couchez-vous au fond. C’est une folie de courir des risques sans nécessité.

— J’aime à faire face en homme à mes ennemis quand ils m’en donnent l’exemple, — répondit Pathfinder avec fierté. — Je ne suis pas une peau-rouge, et il est dans la nature d’un blanc de combattre à découvert, plutôt que de se mettre en embuscade.

— Et Mabel ?

— Vous avez raison, Jasper, vous avez raison, il faut sauver la fille du sergent, et, comme vous le dites, courir des risques sans nécessité, c’est une folie qui ne convient qu’à la jeunesse. — Croyez-vous pouvoir mettre la main sur la pirogue là où vous êtes ?

— Il n’y a nul doute, si vous la poussez vigoureusement.

Pathfinder y employa toutes ses forces ; la légère nacelle franchit rapidement l’espace qui la séparait du rivage, et Jasper la saisit dès qu’elle en fut assez proche. Mettre la pirogue en sûreté et choisir une position convenable dans les buissons, ce ne fut que l’affaire d’un instant, après quoi ils se serrèrent la main cordialement comme deux amis qui se revoient après une longue absence.

— À présent, Jasper, nous allons voir si un de ces Mingos osera traverser l’Oswego tandis que Tue-daim lui montre les dents. La rame, l’aviron et la voile vous vont peut-être mieux que le mousquet, mais vous avez un cœur brave et une main ferme, et cela compte pour quelque chose dans un combat.

— Mabel me trouvera entre elle et ses ennemis.

— Oui, oui, il faut que la fille du sergent soit protégée. Je vous aime pour votre propre compte, Jasper ; mais je vous en aime encore mieux parce que vous pensez à une créature si faible dans un moment où vous avez besoin de toutes vos forces pour vous-même. — Mais voyez ! voilà trois de ces coquins qui entrent dans la pirogue. Il faut qu’ils croient que nous avons pris la fuite. À coup sûr ils n’oseraient risquer de traverser la rivière précisément en face de Tue-daim.

Il est bien certain que les Indiens semblaient disposés à passer l’Oswego ; car Pathfinder et son ami s’étant soigneusement cachés, les Iroquois croyaient qu’ils avaient cherché à leur échapper. C’était le parti que la plupart des blancs auraient pris ; mais Mabel était confiée à leurs soins, et ils connaissaient trop bien le genre de guerre des forêts pour ne pas savoir que ce n’était qu’en défendant le passage de la rivière qu’il était probable qu’ils pourraient la sauver.

Comme l’avait dit Pathfinder, trois guerriers étaient dans la pirogue ; deux, leur mousquet en main, un genou en terre, et prêts à faire feu ; l’autre, debout sur l’arrière et tenant la rame. Ce fut ainsi qu’ils quittèrent le rivage, après avoir eu la précaution de faire d’abord remonter la barque le long du rivage, afin de passer la rivière au-dessus du rift, dans un endroit où l’eau était comparativement tranquille. Il fut aisé de voir que le sauvage qui tenait la rame, connaissait parfaitement ce métier, car le léger esquif volait sur la surface comme une plume dans l’air.

— Ferai-je feu ? — demanda Jasper à voix basse, en tremblant, d’impatience.

— Pas encore, Eau-Douce, pas encore ; ils ne sont que trois, et si maître Cap qui est là-bas sait se servir des pistolets qu’il a à sa ceinture, nous pouvons même les laisser débarquer, et ce sera le moyen de recouvrer notre embarcation.

— Mais Mabel ?

— Il n’y a rien à craindre pour la fille du sergent. Vous m’avez dit qu’elle est en sûreté dans le tronc creux d’un arbre, dont l’entrée est cachée par des ronces, et si vous m’avez bien décrit la manière dont vous avez fait disparaître toute piste, elle pourrait y rester un mois et se moquer des Mingos.

— On n’est jamais certain de rien. Je voudrais l’avoir amenée plus près d’ici.

— Et pourquoi, Eau-douce ? Pour mettre sa jolie petite tête et son cœur qui bat sans doute, à portée des balles des Mingos ? Non, non ; elle est mieux où elle est, parce qu’elle y est plus en sûreté.

— De quoi peut-ou être sûr ? Nous pensions être bien cachés derrière le buisson que nous avions planté, et pourtant nous avons été découverts.

— Et le coquin de Mingo a été bien payé de sa curiosité, comme le seront ces drôles qui…

Pathfinder s’interrompit, car on entendit en ce moment le bruit d’un coup de fusil. L’Indien qui était debout sur l’arrière de la pirogue, fit un saut en l’air, et tomba dans l’eau avec la rame qu’il tenait en main. Une légère guirlande de fumée sortit des buissons de la rive orientale, et se perdit bientôt dans l’atmosphère.

— C’est le Grand-Serpent qui a sifflé, — dit Pathfinder d’un ton de triomphe. — Jamais cœur plus brave et plus fidèle n’a battu dans le cœur d’un Delaware. J’aurais préféré qu’il se fût tenu coi ; mais il ne pouvait connaître notre position, il ne pouvait la connaître.

Dès que le canot eut perdu son guide, il flotta au gré du courant, et ne tarda pas à être entraîné dans les rapides. Les deux Indiens qui y restaient, jetaient autour d’eux des regards égarés, mais ils n’avaient aucun moyen de résister à la force de l’élément furieux. Il fut peut-être heureux pour Chingashgook que toute l’attention des Iroquois fût fixée sur la situation de leurs deux compagnons, sans quoi il lui aurait été très-difficile, sinon impossible de leur échapper. Mais pas un d’entre eux ne remua, si ce n’est pour chercher quelque abri ; et tous les yeux étaient fixés sur la pirogue. En moins de temps qu’il n’en a fallu pour décrire ces derniers incidents, ou vit le fragile esquif tourner et danser dans lerapide ; et les deux sauvages, pour tâcher d’en conserver l’équilibre, s’étaient étendus dans le fond. Cet expédient ne leur réussit pas long-temps, car la pirogue, frappant contre un rocher, chavira, et les deux guerriers furent jetés dans la rivière. L’eau est rarement profonde dans les rapides, à l’exception des endroits où elle s’est creusé un canal, et ils n’avaient pas à craindre d’être noyés ; mais ils perdirent leurs armes, et ils furent obligés de regagner la rive occidentale, moitié à la nage, moitié en marchant dans l’eau, suivant les circonstances. La pirogue finit par s’arrêter sur un rocher au milieu de la rivière, de sorte que, pour le moment, elle ne pouvait être utile à aucun des deux partis.

— Voici l’instant favorable, Pathfinder, — dit Jasper, tandis que les deux Indiens avaient la plus grande partie du corps exposé en marchant dans l’eau. — J’ajuste le premier, chargez-vous du second.

Son coup partit comme il achevait ces mots, mais tout ce qui venait de se passer l’avait tellement agité qu’il n’eut pas la main sûre ; aucun des deux fugitifs ne fut blessé, et ils levèrent les bras en l’air en signe de dérision. Pathfinder ne tira point.

— Non, non, Eau-Douce, — répondit-il, — je ne cherche pas à répandre le sang sans nécessité. Ma balle est bien couverte de cuir, ma carabine soigneusement bourrée, et je réserve ma charge pour un besoin urgent. Je déteste les Mingos, et c’est justice, vu que j’ai passé si long-temps avec les Delawares ; mais je ne tire sur aucun d’eux sans être sûr que sa mort conduira à quelque chose d’utile. Jamais je n’ai tué un daim à plaisir. En vivant la plupart du temps seul avec Dieu dans le désert, on s’accoutume à reconnaître la justice de ces sentiments. Contentons-nous d’une vie pour le moment ; l’occasion se présentera peut-être d’employer Tue-daim pour le service du Grand-Serpent, qui a fait une chose hasardeuse en apprenant si clairement à ces diables rampants qu’il est dans leur voisinage. — Comme je suis un pécheur, en voici un qui rôde là-bas le long du rivage comme un des enfants de la garnison qui se cache derrière un arbre tombé pour tirer sur un écureuil.

Comme Pathfinder montrait du doigt l’Indien dont il parlait, Jasper l’eut bientôt aperçu. Un des jeunes guerriers iroquois, brûlant du désir de se distinguer, s’était écarté de ses compagnons et s’avançait vers les buissons dans lesquels Chingashgook s’était caché ; et comme celui-ci était trompé par l’apathie apparente de ses ennemis et occupé des préparatifs de quelque autre projet, l’Iroquois avait gagné une position d’où il pouvait voir le Mohican. On ne pouvait en douter aux dispositions qu’il faisait pour tirer, car, de la rive occidentale, on ne pouvait voir Chingashgook. Le rapide passait devant un coude formé par l’Oswego, et la formation de la rive orientale décrivait une courbe si étendue, que le Mohican était très-près de ses ennemis en ligne droite, quoiqu’il en fût à plusieurs centaines de pieds, en suivant les sinuosités du rivage. Chingashgook, l’Iroquois et les deux blancs formaient alors à peu près les trois angles d’un triangle équilatéral dont chaque côté pouvait avoir un peu moins de cent toises.

— Le Grand-Serpent doit être là quelque part, — dit Pathfinder, qui ne perdait pas de vue un instant le jeune guerrier. — Il faut pourtant qu’il soit étrangement hors de ses gardes pour se laisser approcher de si près par un maudit Mingo qui donne des signes si manifestes de sa soif de sang.

— Voyez, — dit Jasper, — voilà le corps de l’Indien que le Mohican vient de tuer. Le courant l’a porté sur un rocher, et il a la tête et les épaules hors de l’eau.

— Cela est probable, Eau-Douce, très-probable. La nature humaine ne vaut guère mieux qu’un tronc mort flottant sur l’eau, quand le souffle qui l’animait l’a abandonné. Au surplus cet Iroquois ne fera plus de mal à personne, mais ce jeune rôdeur paraît déterminé à avoir la chevelure de mon meilleur ami, de mon ami le plus éprouvé.

Il s’interrompit pour lever sa carabine, arme dont la longueur était extraordinaire, et l’ayant appuyée contre son épaule il fit feu. L’Iroquois, sur la rive opposée, ajustait Chingashgook à l’instant où le fatal messager de Tue-daim arriva. Son coup partit, mais en l’air, et il tomba sous les buissons, grièvement blessé, sinon tué.

— Le reptile se l’est attiré lui-même, — dit Pathfinder, appuyant par terre la crosse de sa carabine, et commençant à la recharger avec grand soin. — Chingashgook et moi nous nous connaissons depuis mon enfance, et nous avons combattu côte à côte sur le Horican, sur le Mohawk, sur l’Ontario et dans toutes les passes qui séparent notre pays de celui des Français ; et l’idiot s’imaginait-il que je resterais les bras croisés en voyant mon meilleur ami tué dans une embuscade ?

— Nous avons rendu au Grand-Serpent un aussi grand service que celui que nous en avons reçu. Mais voyez, Pathfinder, les drôles sont inquiets. Ils reculent et cherchent des abris à présent qu’ils voient que nos balles peuvent passer l’eau.

— Ce coup n’est pas grand-chose, Jasper, ce n’est pas grand’chose. Demandez à qui vous voudrez du 60e régiment, et il vous dira ce que Tue-daim peut faire et ce qu’il a fait ; et cela dans un moment où les balles nous sifflaient aux oreilles comme des grêlons. — Non, non, ce n’est pas grand-chose, et ce vagabond inconsidéré se l’est attiré lui-même.

— Est-ce un chien ou un daim, qui vient vers nous à la nage ?

Pathfinder tressaillit, car il vit clairement que quelque chose traversait la rivière au-dessus du rapide, vers lequel la force du courant le faisait pourtant avancer graduellement. Un second regard les convainquit tous deux que c’était un homme, et un Indien, quoiqu’on ne le vît pas d’abord assez distinctement pour en être sûr. Ils craignirent quelque stratagème, et ils suivirent des yeux avec la plus grande attention tous les mouvements de l’étranger.

— Il pousse quelque chose devant lui en nageant, — dit Jasper, — et sa tête ressemble à un buisson flottant à la dérive.

— C’est quelque diablerie indienne, Eau-Douce ; mais la franchise chrétienne déjouera leur astuce.

À mesure que l’inconnu s’approchait, les deux amis commencèrent à douter de la justesse de leurs premières idées ; mais ce ne fut que lorsqu’il eut traversé les deux tiers de la rivière que la vérité leur fut connue.

— Sur ma vie, c’est le Grand-Serpent ! — s’écria Pathfinder en riant sans aucun bruit, mais de si bon cœur que les larmes lui en vinrent aux yeux. — Il a attaché des branches sur sa tête pour la cacher, et a placé par-dessus sa corne à poudre ; il a lié son mousquet à la pièce de bois qu’il pousse devant lui, et il vient rejoindre ses amis. Ah ! combien de fois lui et moi nous avons joué de pareils tours, en face de Mingos qui avaient soif de notre sang, dans les environs de Ty !

— Je ne sais trop si c’est lui, Pathfinder. Je ne reconnais aucun de ses traits.

— Ses traits ? Qui cherche des traits dans une peau-rouge ? Non, non, c’est la peinture qui parle, et personne qu’un Delaware ne porterait celle qui le couvre. Il porte ses couleurs, Jasper, comme votre barque sur le lac porte la croix de Saint-George, et comme les Français déploient au vent leurs serviettes de table avec toutes les taches d’arêtes de poisson et de tranches de venaison qui s’y trouvent. À présent, vous pouvez voir son œil, et c’est bien l’œil d’un chef. Mais, Eau-Douce, féroce comme il l’est dans le combat, impassible comme il le semble parmi les feuilles, — ici Pathfinder appuya légèrement un doigt sur le bras de son c mpagnon, — je l’ai vu verser des larmes comme une pluie. Il y a un cœur et une âme sous cette peau-rouge, soyez-en bien sûr ; quoique ce soient un cœur et une âme d’une nature différente de la nôtre.

— Personne qui connaît le chef n’en a jamais douté.

— Moi, j’en suis sûr, — répliqua Pathfinder avec fierté, — car j’ai vé u avec lui dans l’affection et dans la joie. Dans l’une, j’ai trouvé un homme, quoique cruellement frappé ; dans l’autre, j’ai vu un chef qui sait que les femmes de sa tribu ne sont jamais plus aimables que lorsqu’elles peuvent se livrer à une légère gaieté. — Mais chut ! c’est trop ressembler aux gens des établissements que de dire du bien de l’un à l’oreille d’un autre, et le Grand-Serpent a l’oreille fine. Il sait que je l’aime et que je dis du bien de lui derrière son dos ; mais un Delaware a de la modestie dans sa nature, quoiqu’il se vante comme un fanfaron quand il est attaché au poteau.

Le Grand-Serpent atteignit alors le rivage, précisément en face de ses deux compagnons, dont il fallait qu’il connût exactement la position avant de quitter la rive orientale. En sortant de l’eau, il se secoua comme un chien, et fit l’exclamation ordinaire : — Hugh !


  1. On appelle fouine l’instrument avec lequel on prend les thons et autres poissons de cette espèce ; on a encore le harpon pour de plus petits poissons, la lance pour les phoques.
  2. C’est le nom qu’il donne à sa carabine.