Le Jour de Saint-Valentin ou La Jolie Fille de Perth
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 23p. 214-228).


CHAPITRE XVII.

CONFÉRENCE NOCTURNE.


Oui, je ferai de vous un bon jeune prince.
Faltsaff. Personnage de la tragédie d’Henri IV de Shakspeare.


Nous revenons aux masques qui, une demi-heure auparavant, avaient honoré d’un tonnerre d’applaudissements les prouesses d’agilité de Proudfute (les dernières que le pauvre bonnetier dût jamais faire), et qui avaient précipité sa course par leurs joyeuses clameurs lorsqu’il avait battu en retraite. Après avoir ri tout à leur aise, ils continuèrent gaiement leur route, arrêtant et épouvantant les gens qu’ils rencontraient, mais, il faut le dire, sans outrager personne d’une manière sérieuse. Enfin, las de cabrioles, le chef donna ordre à ses joyeux sujets de s’assembler autour de lui.

« Mes braves amis et sages conseillers, nous sommes véritablement roi de tout ce qui mérite d’être commandé en Écosse. Nous régnons pendant les heures où la coupe circule, où la beauté devient facile, où la folie est éveillée, où la sagesse ronfle sur son lit de repos. Nous laissons à notre vice-régent, le roi Robert, l’ennuyeuse tâche de réprimer de nobles ambitieux, de satisfaire un avide clergé, de soumettre de sauvages montagnards, et de réconcilier des haines mortelles. Puisque notre empire est celui de la joie et du plaisir, c’est justice que nous secourions nos sujets de toutes nos forces quand, par leur mauvaise fortune, ils sont devenus prisonniers du souci et d’une maladie hypocondriaque. Je parle principalement pour sir John, que le vulgaire appelle Ramorny. Nous ne l’avons pas vu depuis la bagarre de Curfew-Street, et, quoique nous sachions qu’il a attrapé quelque mal en cette affaire, nous ne voyons pas pourquoi il ne nous rendrait pas hommage dûment et révérencieusement. Venez ici, vous, notre roi d’armes de la calebasse. Avez-vous légalement invité sir John à participer aux réjouissances de cette soirée ? — Oui, milord. — Et l’avez-vous informé que nous suspendions pour cette nuit sa sentence de bannissement, afin que nous pussions du moins prendre un joyeux congé d’un vieil ami, puisque l’autorité supérieure a ordonné cet exil ? — J’ai eu soin de l’en avertir, milord, » répondit le héraut fantastique. — Et n’a-t-il pas envoyé un mot d’écrit, lui qui se pique d’être si habile clerc ? — Il était au lit, milord, et je n’ai pu le voir. À ce que j’ai entendu dire, il vit fort retiré, souffrant des contusions qu’il a reçues, affligé d’avoir perdu la faveur de Votre Altesse, et craignant d’être insulté dans les rues, parce qu’il n’a échappé qu’à grand’peine aux manants qui le poursuivirent, lui et ses deux domestiques, jusqu’au couvent des dominicains. En outre quelques domestiques ont été renvoyés dans le comté de Fife, de peur d’indiscrétion. — Ma foi, c’est sagement fait, » dit le prince, qui, on l’a sans doute deviné, avait à porter ce titre un meilleur droit que celui qu’il devait aux amusements de la soirée… « Il est fort prudent d’écarter ces drôles à la langue légère. Mais l’absence de sir John lui-même à notre fête solennelle, depuis si long-temps annoncée, n’en est pas moins une mutinerie, une déclaration de désobéissance. Si, néanmoins, le chevalier est réellement empêché par la maladie et le chagrin, nous sommes tenus à lui rendre visite ; car il ne peut y avoir de meilleur remède pour lui que notre présence et un gentil baiser de la calebasse… En avant, écuyers, ménestrels, gardes et seigneurs ! Portez haut le grand emblème de notre dignité… Levez la calebasse, vous dis-je ! et que les joyeux lurons qui portent ces quartaut dont le contenu doit remplir la coupe, soient des drôles capables de se tenir encore sur leurs pieds. Leur fardeau est lourd et précieux, et, si nos yeux ne nous trompent pas, ils nous paraissent pencher et chanceler plus qu’il n’est permis. Allons, en marche, messieurs, et que nos musiciens nous donnent quelque chose de gai et de bruyant. »

Ils partirent donc enivrés par la gaieté et par de fréquentes libations ; les nombreuses torches lançaient leur lumière rougeâtre contre les petites fenêtres par où les bourgeois en bonnets de nuit, et quelquefois leurs épouses passaient la tête à la dérobée pour connaître la cause du tumulte qui troublait les rues paisibles à cette heure indue. À la fin, la joyeuse bande s’arrêta devant la porte de sir John Ramorny : une petite cour séparait la maison de la rue.

Là ils frappèrent, crièrent et hurlèrent, avec mille menaces de vengeance contre les rebelles qui refusaient d’ouvrir. La dernière punition dont ils les menacèrent, fut un emprisonnement sous un muid vide dans le cachot du palais féodal du prince de Passe-Temps, c’est-à-dire la cave à l’ale. Éviot, le page de Ramorny, entendait fort bien tout cela, et reconnaissait parfaitement les intrus qui frappaient si fort ; mais il pensait que dans l’état où se trouvait son maître, il valait mieux ne pas répondre du tout, et laisser la compagnie se lasser d’elle-même, que d’essayer de changer ses résolutions, ce qu’il savait être absolument impossible. La chambre à coucher de Ramorny donnant sur un petit jardin, le page se flattait qu’il ne serait pas éveillé par le bruit, et il se fiait assez à la solidité de la porte extérieure pour croire qu’avant de la briser ils auraient eu le temps de cuver leur vin et leur ivresse. La bande semblait donc devoir bientôt s’épuiser, au milieu du tapage qu’ils faisaient en criant et en frappant à la porte, quand leur prince pour rire (qui ne méritait que trop cette épithète)se moqua d’eux, en les appelant prêtres fainéants et stupides du dieu du vin et de la joie.

« Approchez notre clef… que voilà, dit-il, et appliquez-la à cette porte rebelle… »

La clef qu’il désignait était un grand morceau de bois, laissé dans la rue avec ce manque d’ordre caractéristique d’une petite ville d’Écosse à cette époque.

Tout en hurlant de joie, les Indiens prirent aussitôt la poutre dans leurs bras, et la soutenant par leurs forces réunies, s’élancèrent contre la porte avec une telle vigueur que serrures, gonds et verrous retentirent, en promettant de bientôt céder. Éviot pensa ne devoir pas attendre qu’on enfonçât la porte ; il descendit dans la cour, et après quelques questions dilatoires pour la forme, ordonna au portier d’ouvrir comme s’il ne reconnaissait qu’à l’instant les visiteurs nocturnes.

« Esclave menteur d’un maître rebelle, dit le prince, où est notre déloyal sujet, sir John Ramorny qui a refusé de se rendre à notre invitation ? — Milord, » répondit Éviot en s’inclinant, devant la dignité à la fois réelle et supposée du chef ; « mon maître est en cet instant même fort indisposé… il a pris une potion soporifique… et Votre Altesse m’excusera, je ne fais que remplir mon devoir en lui disant qu’on ne peut parler à sir John sans mettre sa vie en péril. — Bah ! ne me parle pas de péril, maître Teviot… Cheviot… Éviot… comment diable t’appelle-t-on ?… mais indique-moi la chambre de ton maître ; ou plutôt ouvre-moi la porte de la maison, et je saurai bien la trouver moi-même… Levez la calebasse, mes braves amis, et tâchez de ne pas répandre une goutte de la liqueur que Bacchus a envoyée pour guérir toutes les maladies du corps et tous les maux de l’esprit. Approchez-la, dis-je, que nous voyions la coupe sacrée qui contient cette précieuse liqueur. »

Le prince entra donc dans la maison, et connaissant bien l’intérieur, il monta les escaliers, suivi d’Éviot qui demandait en vain du silence, et de toute la bande joyeuse ; puis il s’élança dans la chambre du propriétaire malade.

Celui qui a éprouvé la sensation causée par un soporifique amenant le sommeil en dépit d’affreuses souffrances, et qui en a été violemment tiré par le bruit et le tumulte, celui-là peut seul imaginer l’alarme et la confusion d’esprit où se trouva John Ramorny, et les atroces douleurs, tant physiques que morales, qui, en lui, réagissaient les unes sur les autres. Si l’on ajoute à cela que le malade se réveillait avec la conscience d’avoir ordonné un crime qui devait s’exécuter à ce même moment, on conviendra que l’éternel sommeil lui eût semblé préférable à un si affreux réveil. Le gémissement qu’il poussa, premier symptôme de la sensibilité qu’il recouvrait, eut quelque chose de si terrible, que les tapageurs effrayés se turent un instant. Ramorny, à demi soulevé sur son lit, parcourait des yeux l’appartement rempli de figures bizarres que le trouble de ses sens lui faisait voir encore plus bizarres, tandis qu’il se disait à lui-même :

« Il en est donc ainsi, et la légende est vraie. Voici les démons, et je suis condamné pour toujours ! Le feu n’est pas externe, mais je le sens… je sens mon cœur brûlant comme si la fournaise sept fois chauffée le travaillait intérieurement. »

Tandis qu’il promenait d’affreux regards autour de lui et tâchait de retrouver quelque souvenir, Éviot s’approcha du prince, et tombant à genoux le supplia de faire évacuer l’appartement.

« Cela, disait-il, coûtera la vie à mon maître. — N’aie pas peur, Cheviot, répliqua le duc de Rothsay ; fût-il aux portes de la mort, voilà qui ferait lâcher prise aux démons… Avancez la calebasse, mes amis. — Il est mort s’il y goûte à présent, dit Éviot. S’il boit du vin, il est mort. — Alors quelqu’un va boire pour lui, et il sera guéri par intermédiaire… Puisse notre grand dieu Bacchus accorder à sir John Ramorny la consolation et la paix du cœur ; lubrifier ses poumons, et lui rendre l’imagination légère ! dons les plus précieux que le ciel nous ait faits, tandis que le fidèle sujet qui boira à sa place aura les maux de cœur, les attaques de nerfs, les vacillements de la vue, les battements du cerveau ; souffrances par lesquelles notre souverain maître modifie des attributs qui, autrement, nous rendraient trop semblables aux dieux !… Qu’en dites-vous, Éviot ? Voulez-vous être le fidèle serviteur qui boira pour la guérison de votre seigneur et comme son représentant ?… Consentez-y, et nous nous tiendrons obligés à partir, car il me semble que notre sujet a l’air d’un mort. — Je suis prêt à faire tout ce qui est en mon faible pouvoir pour empêcher mon maître d’accomplir une chose qui peut causer sa mort, et détourner de Votre Grâce les remords de l’avoir ordonnée. Mais voici un homme qui fera la prouesse de bonne volonté, et remerciera en outre Votre Altesse. — Qui avons-nous là ? dit le prince ; un boucher, et un boucher arrivant de l’abattoir ! Les bouchers travaillent-ils la veille du jeûne ? Ah ! comme il pue le sang ! »

Ces mots s’adressaient à Bonthron qui, stupéfait du tumulte qui retentissait dans la maison où il s’était attendu à trouver tout sombre et silencieux, et à moitié hébété par le vin qu’il avait bu, se tenait debout, sur le seuil de la porte, contemplant cette scène singulière. Son buffetin taché de sang et sa hache sanglante offraient un spectacle dégoûtant et horrible aux yeux des jeunes seigneurs débauchés, et sans pouvoir bien s’en rendre compte, la troupe entière éprouvait à la vue de cet homme une terreur inexprimable.

Lorsqu’on approcha la calebasse des lèvres de ce sauvage à mine hideuse et repoussante, et lorsque, pour la saisir, il étendit une main souillée de sang, le prince s’écria :

« À la cour ! Ne laissez pas ce misérable boire en ma présence ! Trouvez-lui quelque autre vase que notre sainte calebasse, emblème de nos réjouissances… Une auge à cochon conviendrait mieux, si on pouvait s’en procurer une. À la cour ! et noyez-le dans la liqueur, en expiation de la sobriété de son maître… Laissez-moi seul avec sir John Ramorny et son page ; sur mon honneur, les regards du chevalier m’épouvantent. »

L’escorte du prince sortit de l’appartement, et Éviot resta seul.

« Je crains, » dit le prince, s’approchant du lit avec des manières bien différentes de celles qu’il avait eues jusqu’alors, « je crains, mon cher sir John, que cette visite ne soit mal venue ; mais c’est votre faute. Quoique vous connaissiez notre vieille coutume, et quoique vous approuviez nos projets pour cette soirée, on ne vous a point vu depuis la Saint-Valentin… C’est aujourd’hui la veille du jeûne, et cette désertion est une vraie désobéissance ; une trahison envers notre royaume de joie et les statuts de la Calebasse. »

Ramorny leva la tête, fixa sur le prince un œil hagard, et fit signe à Éviot de lui donner à boire ; une large coupe de tisane fut apportée par le page. Le malade l’avala avec une avidité qui faisait trembler la coupe dans sa main. Il se servit ensuite, à plusieurs reprises, de l’essence stimulante recommandée par l’apothicaire, et parut recouvrer ses sens.

« Permettez-moi de vous tâter le pouls, mon cher Ramorny, reprit le prince ; je connais quelque chose à ce métier-là… Comment ? vous me présentez la main gauche, sir John ?… Ceci n’est conforme ni aux règles de la médecine ni à celles de la courtoisie. — La droite a fait son dernier acte au service de Votre Altesse, » murmura le patient d’une voix basse et entrecoupée. — Que voulez-vous dire ? J’ai été informé qu’un de vos gens, Black Quentin, a perdu une main, mais il peut voler avec l’autre assez pour gagner les galères : sa destinée n’en sera donc pas beaucoup changée. — Ce n’est pas cet homme qui a perdu la main au service de Votre Grâce… c’est moi… John de Ramorny. — Vous ! vous plaisantez, ou l’opium que vous avez pris trouble votre raison. — Quand le jus de tous les pavots d’Égypte serait mêlé dans une même potion, il perdrait son influence sur moi quand je regarde ceci : » il tira son bras droit de dessous les couvertures de son lit, et, l’étendant vers le prince, enveloppé dans ses appareils… « Si ces linges étaient enlevés, dit-il, Votre Altesse verrait qu’un tronc sanglant est tout ce qui reste d’une main jadis toujours prête à tirer l’épée au moindre signe de Votre Grâce. »

Rothsay recula d’horreur. « Ceci mérite vengeance, dit-il. — La vengeance est déjà commencée, répondit Ramorny ; il me semble que j’ai vu Bonthron il n’y a qu’un instant, ou le rêve infernal dont mon esprit était troublé au moment de mon réveil avait-il évoqué cette image ? Éviot, appelez le mécréant… si toutefois il n’est pas trop ivre pour paraître devant moi. »

Éviot sortit, et revint avec Bonthron, qu’il avait sauvé d’une seconde calebasse de vin ; le misérable avait avalé la première sans qu’aucun changement notable parût dans son maintien.

« Éviot, dit le prince, ne laisse pas cette brute m’approcher ; à son aspect mon âme est saisie d’horreur et de dégoût. Il y a dans ses regards quelque chose d’antipathique à ma nature, et je sens une répulsion instinctive semblable à celle qu’on éprouve en face d’un serpent. — Écoutez-le, milord, dit Ramorny, à moins qu’une outre de vin ne parlât, rien au monde ne saurait s’exprimer en moins de mots… en as-tu fini avec lui, Bonthron ? »

Le scélérat leva sa hache qu’il portait encore à la main, et la baissa du côté du tranchant.

« Bien, comment as-tu reconnu ton homme ?… La nuit est obscure, à ce qu’on m’a dit. — Par la vue et par l’ouïe ; sa démarche, ses vêtements, sa voix. — C’est assez, sors… Éviot, qu’on lui donne de l’or et du vin, de quoi satisfaire sa soif d’ivrogne… Sors, et toi, Éviot, sors avec lui. — Et qui a été mis à mort ? » dit le prince, délivré des sentiments de dégoût et d’horreur qu’il avait éprouvés en présence de l’assassin : « ceci n’est qu’un jeu sans doute, car autrement ce serait une action atroce. Qui a eu le malheur d’être égorgé par ce scélérat brutal ? — Un homme qui ne valait guère mieux que lui, répliqua le malade ; un misérable artisan, à qui pourtant le sort a donné le pouvoir de réduire Ramorny à l’état d’un pauvre estropié… Que la malédiction accompagne son âme infâme !… Sa misérable vie ne saurait pas plus satisfaire ma vengeance qu’une goutte d’eau n’éteindrait une fournaise. Mais il faut que je sois bref, car mes idées commencent encore à se troubler ; la nécessité du moment les tient seules assemblées comme une courroie réunit une botte de flèches. Vous êtes en danger, milord… Je vous le dis avec certitude… Vous avez bravé Douglas et offensé votre oncle… Vous avez aussi mécontenté votre père ; mais ceci ne serait qu’une bagatelle sans le reste. — Je suis fâché d’avoir mécontenté mon père, » répondit le prince (entièrement distrait d’une chose aussi insignifiante que le meurtre d’un artisan, par des objets plus importants), oui, j’en suis fâché, si en effet je l’ai mécontenté. Mais si je vis, la puissance de Douglas sera renversée, et la politique d’Albany ne le sauvera pas. — Oui… Si… si… milord, continua Ramorny ; avec des ennemis comme les vôtres, vous ne devez pas vous reposer sur des si ou des mais… Il faut vous résoudre à donner la mort ou à la recevoir. — Qu’entendez-vous par là, Ramorny ? La fièvre vous fait extravaguer. — Non, milord, quoique les pensées qui traversent maintenant mon esprit soient propres à donner des mouvements frénétiques. Il se peut que ma blessure me dispose à voir les choses sous un aspect favorable, que mon inquiétude pour le salut de Votre Altesse m’ait suggéré des desseins trop hardis ; mais je possède tout le jugement que le ciel m’a donné quand je vous dis que, si vous voulez porter un jour la couronne d’Écosse, si vous voulez même voir un autre anniversaire de la Saint-Valentin, vous devez… — Et que dois-je faire, Ramorny ? » dit le prince avec un air de dignité ; « rien d’indigne de moi, j’espère. — Rien assurément qui soit indigne ou mal séant à un prince d’Écosse, si les sanglantes annales de notre patrie disent la vérité, mais quelque chose qui pourrait agiter les nerfs du prince des mimes et des bouffons. — Vous êtes sévère, sir John Ramorny, » répondit le duc de Rothsay d’un air mécontent ; « mais vous avez chèrement payé le droit de nous censurer, par la perte que vous avez faite à notre service. — Milord de Rothsay, reprit le chevalier, le chirurgien qui a pansé ce bras mutilé m’a dit que, plus je ressentais la douleur causée par le bistouri et le fer à cautériser, plus ma guérison était probable ; je n’hésiterai donc pas à blesser vos sentiments, si je puis de cette façon vous faire comprendre ce qui est nécessaire à votre sûreté. Votre Grâce a été trop longtemps le fils de la Folie et des Plaisirs ; elle doit à présent se conduire en homme et en politique, ou le duc de Rothsay sera écrasé comme un papillon au sein des fleurs sur lesquelles il aime à folâtrer. — Je crois savoir où tend votre morale, sir John, vous êtes las de ces joyeuses folies… que les gens d’Église appellent des vices… vous prétendez à des crimes un peu plus sérieux. Un meurtre ou un massacre rehaussera-t-il la saveur de la débauche, comme le goût de l’olive rehausse la saveur du vin ? Mes pires erreurs, à moi, ne sont que de joyeux traits de malice ; je n’ai pas de goût pour le sang, et j’abhorre même d’entendre parler d’actions sanglantes, n’eussent-elles été commises que sur les plus misérables gens. Si jamais j’occupe le trône (je suppose d’abord qu’à l’exemple de mon père je changerai mon nom contre celui de Robert, en l’honneur de Bruce), alors chaque jeune Écossais aura son flacon dans une main, et l’autre autour du cou de sa maîtresse : les hommes seront conduits par les baisers et les rasades, et non par les dagues et les chaînes : on écrira sur mon tombeau : « Ci gît Robert, quatrième du nom : il ne gagna pas de bataille, comme Robert Ier ; il ne s’éleva pas du rang de comte à celui de roi, comme Robert II ; il ne fonda pas d’église, comme Robert III ; il se contenta de vivre et de mourir roi des joyeux garçons. » Parmi mes ancêtres qui ont régné deux siècles, je n’envie d’autre gloire

Que celle du bon vieux roi Côte
Qui vidait si bien un grand bôle.

— Mon gracieux seigneur, dit Ramorny, permettez-moi de vous rappeler que vos joyeuses orgies entraînent des maux sérieux. Si j’avais perdu cette main en combattant pour assurer à Votre Grâce quelques importants avantages sur ses trop puissants ennemis, je ne l’aurais jamais regrettée ; mais du casque et de la cotte de mailles être réduit au béguin et à la jupe, dans une partie de débauche nocturne… — Comment, encore, sir John, interrompit le jeune étourdi ; comment pouvez-vous avoir l’indignité de me mettre sans cesse votre main sanglante sur le visage, comme le fantôme de Gask-Hatl jetait sa tête à sir William Wallace ? Mais vous êtes plus déraisonnable que Fawdyon lui-même, car Wallace lui avait coupé la tête dans un accès d’emportement, tandis que je serais charmé de vous rendre votre main, si cela se pouvait. Comme, par malheur, cela ne se peut, je veux vous en donner une autre à la place, semblable à la main d’acier du vieux chevalier de Carselogie, avec laquelle il serrait la main de ses amis, caressait sa femme, défiait ses antagonistes, et faisait tout ce qui peut être fait par une main de chair et de sang. Croyez-moi, John Ramorny, nous avons dans notre personne beaucoup de choses superflues ; l’homme peut voir avec un œil, entendre avec une oreille, toucher avec une main, sentir avec une narine, pourquoi donc avons-nous une paire de chacune de ces choses, si ce n’est pour suppléer à la perte ou à la maladie de l’une d’elles ? Je ne puis le concevoir autrement. »

Sir John Ramorny se détourna du prince en laissant échapper un sourd gémissement.

« Sir John, reprit le duc, je parle très-sérieusement : vous connaissez la légende de Carselogie à la main d’acier, mieux que moi-même, car il habitait dans votre voisinage. À cette époque, ce mécanisme curieux ne pouvait être fabriqué qu’à Rome ; mais je gagerais cent marcs avec vous, que si l’armurier de Perth l’avait pour modèle, notre Henri du Wynd en ferait une imitation aussi parfaite que pourraient le faire tous les forgerons de Rome, avec tous les cardinaux pour bénir leur ouvrage. — Je pourrais à coup sûr accepter la gageure, » répliqua Ramorny amèrement, « mais ce n’est pas le temps des plaisanteries. Vous m’avez renvoyé de votre service sur l’ordre de votre oncle. — Sur l’ordre de mon père. — Auquel votre oncle commande absolument. Je suis un homme disgracié, jeté à l’écart comme une chose inutile, ainsi que j’y puis jeter maintenant le gant de ma main droite. Mais, si ma main est perdue, ma tête peut encore vous servir. Votre Grâce est-elle disposée à entendre un mot sur un sujet sérieux ?… car je suis extrêmement faible, et je sens mes forces qui s’affaiblissent. — Parle tant que tu voudras, dit le prince ; la perte que tu as faite m’oblige à t’écouter, ton bras mutilé est un spectre qui me poursuit. Parle donc, mais use avec modération de ton important privilège. — Je serai bref dans mon intérêt comme dans le vôtre ; d’ailleurs, j’ai peu de chose à dire.

Douglas, en ce moment, se met à la tête de ses vassaux ; il va rassembler, au nom du roi Robert, trente mille habitants des frontières, qu’il amènera bientôt après dans l’intérieur du royaume, pour demander que le duc de Rothsay accorde ou plutôt restitue à Marjory Douglas le rang et les privilèges de duchesse de Rothsay ; le roi Robert accédera à toutes les conditions qui pourront assurer la paix… Que fera le duc ? — Le duc de Rothsay aime la paix, » répondit le prince avec hauteur, « mais il n’a jamais craint la guerre. Avant qu’il reçoive de nouveau cette fille orgueilleuse à sa table et dans sa couche, par ordre de Douglas, Douglas sera roi d’Écosse. — Soit ; mais ce n’est là que le danger le moins pressant, car il ne vous menace que d’une violence ouverte : Douglas ne travaille point en secret. — Quel est donc ce péril pressant, et qui nous tient éveillés si tard ? Je suis fatigué, tu es blessé, et les flambeaux pâlissent, comme s’ils étaient las de notre conférence. — Dites-moi donc quel est l’homme qui gouverne le royaume d’Écosse, demanda Ramorny. — Robert III du nom, » répondit le prince, qui ôta son bonnet en prononçant ces mots ; « et puisse-t-il long-temps tenir le sceptre. — Amen, cela est vrai, répondit Ramorny. Mais qui gouverne le roi Robert, qui décide de toutes les mesures que prend le bon roi ? — Milord d’Albany, voulez-vous dire ? Oui il est vrai que mon père se laisse guider entièrement par les conseils de son frère, et en conscience, sir John Ramorny, nous ne pouvons le blâmer, car il tire peu d’aide de son fils. — Aidons-le maintenant, milord, dit Ramorny ; je possède un terrible secret… Albany m’a fait des propositions pour me joindre à lui, afin d’attenter à la vie de Votre Altesse ; il m’offre un pardon entier pour le passé, et une haute faveur pour l’avenir. — Comment, ma vie ? Je pense que vous voulez parler seulement de mon royaume ? Ce serait une affreuse impiété ; c’est le frère de mon père, ils se sont assis sur les genoux du même père, ont reposé sur le sein de la même mère… Tais-toi, Ramorny ; quelle folie on te fait croire, grâce à ta maladie ! — Croire, dit Ramorny ; c’est la première fois qu’on m’appelle crédule ; mais l’homme par qui Albany m’a fait apporter ces propositions, sera cru de tout le monde, chaque fois qu’il parlera d’une mauvaise action… les médicaments mêmes préparés par lui ont un amer goût de poison. — Fi donc ! un tel scélérat calomnierait un saint. Ramorny, tu t’es laissé tromper une fois, malgré toute ta finesse. Mon oncle d’Albany est ambitieux ; il voudrait assurer à lui et à sa maison une portion d’autorité et de richesses plus considérables que cela n’est juste ; mais supposer qu’il pense à détrôner ou à assassiner son frère… Fi, Ramorny ! ne me force pas à te citer le vieux proverbe : « Que ceux qui font le mal, craignent le mal… » Tu exprimes des soupçons ; tu ne sais rien de positif. — Votre Grâce est dans une fatale erreur… Je vais achever : le duc d’Albany est généralement haï pour son avarice et sa cupidité… Votre Altesse est peut-être plus aimée que… »

Ramorny s’arrêta ; le prince continua d’un ton calme : « Plus aimée qu’honorée, c’est ce que je désire, Ramorny. — Au moins, vous êtes plus aimé que craint, et c’est une condition peu sûre pour un prince. Mais engagez-moi votre honneur et votre parole de chevalier que vous ne m’en voudrez pas pour les bons services que je vous rendrai ; prêtez-moi votre sceau pour engager vos amis en votre nom, et le duc d’Albany n’aura plus d’autorité dans cette cour, avant que la main qui terminait jadis ce bras mutilé se réunisse de nouveau à mon corps, et exécute les ordres de ma volonté. — Vous n’oseriez pas tremper vos mains dans le sang royal, » dit le prince d’une voix sévère. — Que dites-vous… En aucune façon… Le sang n’a pas besoin d’être répandu ; la vie peut s’éteindre d’elle-même. Faute de la nourrir d’huile nouvelle, de la protéger contre le souffle du vent, la lumière ne peut manquer de s’éteindre dans la lampe. Laisser un homme mourir ce n’est pas le tuer. — C’est vrai… J’avais oublié cette distinction… Supposez donc que mon oncle Albany cesse de vivre… Je pense que c’est comme cela qu’il faut dire… Qui alors gouvernera la cour d’Écosse ? — Robert III, avec le consentement, sous l’autorité et par les conseils du très-puissant David, duc de Rothsay, lieutenant du royaume, et alter ego ; en faveur de qui le bon roi, las des fatigues et des tourments de la souveraineté, sera bientôt disposé à abdiquer la couronne. Ainsi, longue vie à notre brave et jeune monarque, le roi Robert IV.

Ille manu fortis,
Anglis ludet in hortis[1].

— Et notre père et prédécesseur, dit Rothsay, continuera à vivre pour prier pour nous comme notre chapelain, en reconnaissance du privilège que nous lui accorderons de ne reposer sa tête grise dans le tombeau que lorsque le cours de la nature le permettra… Ou bien aura-t-il à supporter quelques-unes de ces négligences par suites desquelles les hommes cessent de vivre, et échangent les limites d’une prison, ou d’un couvent, ce qui n’en diffère guère, contre la noire et paisible demeure, où le méchant cesse de faire le mal, et l’homme fatigué se repose. — Vous plaisantez, milord, répliqua Ramorny ; faire au bon vieux roi le moindre mal, serait à la fois barbare et impolitique. — Pourquoi reculeriez-vous, » répondit le prince avec un sombre mécontentement ; « votre plan est une leçon de scélératesse surnaturelle guidée par une ambition imprévoyante ?… Si le roi d’Écosse peut à peine tenir tête à ses nobles, maintenant qu’il peut lever contre eux une bannière honorable et sans tache, qui voudra suivre un prince souillé de la mort de son oncle et de l’emprisonnement de son père ? Ta politique révolterait un divan d’infidèles, pour ne rien dire du conseil d’un peuple chrétien… Tu as été mon maître, Ramorny, et j’ai le droit peut-être de m’excuser sur tes leçons et ton exemple de quelques-unes des folies qu’on me reproche. Peut-être sans toi ne serais-je pas à minuit sous ce déguisement insensé, » ajouta-t-il en jetant un regard sur ses habits, « occupé à entendre un débauché ambitieux qui me propose d’assassiner mon oncle et de détrôner le meilleur des pères. Cependant puisque c’est ma faute aussi bien que la tienne qui m’a entraîné si avant dans le gouffre de l’infamie, il ne serait pas juste que toi seul en portasses la peine. Mais n’aie pas l’audace de me proposer une seconde fois ce projet, au péril de ta vie. Je te dénoncerais à mon père… À Albany… À l’Écosse… Dans sa longueur et dans sa largeur, à chaque croix sur les places publiques de notre pays, serait attaché un morceau du corps du traître qui conseilla de telles horreurs à l’héritier d’Écosse ! Mais j’espère que la fièvre de ta blessure et l’influence enivrante de ton soporifique t’ont inspiré ce soir, plutôt que tes propres réflexions. — Sûrement, milord, répondit Ramorny ; si j’ai dit quelque chose qui puisse si fort déplaire à Votre Altesse, ce doit avoir été par un excès de zèle, mêlé à la faiblesse de mon esprit. Sans doute, de tous les hommes, aucun n’est moins capable que moi de proposer des projets ambitieux, dans l’intention d’en tirer avantage pour lui-même. Hélas ! ma seule perspective, dans l’avenir, doit être d’échanger la lance et la selle pour le bréviaire et le confessionnal. Le couvent de Lindores recevra le chevalier de Ramorny, estropié et appauvri, qui aura dans ce lieu tout le loisir de méditer sur ce texte : « Ne mets pas ta confiance dans les princes. » — C’est une pieuse résolution, dit le prince, et nous ne manquerons pas de l’encourager. Notre séparation ne devait être que momentanée… maintenant elle doit être éternelle. Assurément, après le discours que vous m’avez tenu, il est à propos que nous vivions loin l’un de l’autre ; mais le couvent de Lindores, ou toute autre maison qui vous recevra, sera richement doté et hautement favorisé par nous… Et maintenant, sir John de Ramorny, bonsoir… Dormez… et oubliez cette conversation fatale dans laquelle la fièvre de la maladie et la fièvre de l’ivresse se sont entretenues plutôt que nos esprits… Éclairez-moi, Éviot. »

À la voix d’Éviot arrivèrent les gens du prince qui s’étaient endormis dans l’antichambre et sur l’escalier, épuisés par les orgies de la soirée.

« N’y a-t-il personne parmi vous qui ne soit pas ivre ? » demanda le duc de Rothsay, dégoûté à l’aspect des gens de sa suite.

« Personne, » lui répondirent plusieurs voix d’ivrognes ; « nul de nous n’a été traître à l’empereur des joyeux garçons. — Et vous êtes donc tous changés en brutes ? dit le prince. — Pour obéir aux ordres de Votre Grâce et suivre son exemple, répondit quelqu’un ; et si vous nous trouvez en arrière, nous ferons une visite à la calebasse. — Paix ! ignoble créature, reprit Rothsay ; n’y a-t-il personne entre vous qui ne soit pas ivre, vous dis-je ? — Si, mon noble maître ; il y a un faux frère, Watkins l’Anglais. — Viens donc ici, Watkins, et éclaire-moi… Donne-moi un manteau et un bonnet. Emporte cette friperie, » ajouta-t-il en jetant à terre sa couronne de plumes. « Plût à Dieu que je pusse aussi aisément me débarrasser de toutes mes folies… Wat l’Anglais, accompagne moi seul, et vous autres, finissez vos extravagances, quittez vos habits de mascarade. Le carnaval est fini et le carême a commencé. — Notre monarque a abdiqué ce soir plus tôt que de coutume, » dit un des individus de la bande joyeuse. Mais comme le prince n’encouragea pas cette plaisanterie, ses gens qui, pour l’instant, ne brillaient pas pour la sobriété, tâchèrent d’en prendre l’apparence, et toute la bande imita l’extérieur de personnes décentes, qui, surprises dans une partie de débauche, essaient de cacher leur état présent sous une double dose de gravité et de décorum. Le prince ayant à la hâte changé ses habits, fut conduit dehors, éclairé par le seul homme sobre de la compagnie ; mais, chemin faisant, il faillit tomber sur le corps endormi du sauvage Bonthron. — Comment !… cette vile brute est-elle encore sur notre passage ? » s’écria-t-il avec colère et dégoût. « Ici, quelqu’un ! jetez ce scélérat dans le bac aux chevaux pour qu’il prenne un bain une fois en sa vie. »

Pendant qu’on exécutait ses ordres, au moyen d’une fontaine placée dans la cour intérieure, et que Bonthron essuyait un châtiment auquel il était incapable de résister autrement que par quelques gémissements inarticulés et par des grognements semblables à ceux d’un sanglier mourant, le prince se rendit à ses appartements dans une maison appartenant aux comtes d’Errol, et qu’on nommait le logement du connétable. Chemin faisant, pour se distraire de pensées affligeantes, il demanda à son compagnon comment il possédait encore sa raison quand tous ses camarades l’avaient depuis si long-temps perdue par l’effet des liqueurs. — Avec la permission de Votre Grâce, répondit l’Anglais Wat, je vous confesse qu’il m’arrive souvent de garder ma tête quand il plaît à Votre Grâce d’ordonner à notre troupe de s’enivrer : comme ils sont tous Écossais, excepté moi, j’ai pensé qu’il ne serait pas sage de me trouver ivre dans leur compagnie, car ils m’endurent à peine quand nous sommes tous à jeun ; et si quand leurs esprits sont exaltés par le vin, je venais débiter un conte de ma façon, je pourrais bien en être payé par autant de coups de poignard qu’il y a d’hommes dans la troupe. — Ainsi, c’est un parti arrêté chez toi de ne prendre part à aucune des orgies qui se célèbrent dans notre maison ? — Oui, avec votre permission, à moins qu’il ne plaise à Votre Grâce d’ordonner à ses gens de passer un jour sans boire, afin que Will Watkins puisse s’enivrer sans crainte. — Cela pourra se faire… Où sers-tu, Watkins ? — Dans l’écurie, avec votre permission. — Nous dirons à notre chambellan de l’admettre dans notre maison en qualité de garde de nuit. Tu me plais, et c’est quelque chose d’avoir à la maison un domestique sobre, bien qu’il ne le soit que par crainte de la mort. Trouve-toi donc auprès de notre personne, et tu éprouveras que la sobriété n’est pas une vertu inutile. »

Pendant ce temps, un surcroît de crainte et d’inquiétude aggravait les douleurs de l’infortuné sir John Ramorny. Son esprit troublé par l’opium, dont il avait maîtrisé les effets en présence du prince, commença à s’égarer aussitôt que Rothsay eut quitté l’appartement. Ramorny sentait confusément qu’il avait attiré sur lui un grand danger, qu’il avait rendu le prince son ennemi, et qu’il lui avait révélé un secret qui pouvait mettre en péril sa propre vie. Dans cet état de corps et d’esprit, il n’est pas étonnant que le sommeil du chevalier fût troublé par des rêves, ou que son cerveau fatigué fût en proie à cette espèce de fantasmagorie qu’excite l’opium. Il lui sembla que l’ombre de la reine Annabella se tenait à côté de son lit, et lui demandait compte du jeune homme qu’elle lui avait confié, plein de simplicité, de vertu, de candeur et d’innocence.

« Tu en as fait un étourdi, un débauché, un homme vicieux, disait l’ombre pâle de la reine ; et pourtant, John Ramorny, je te remercie d’avoir été ingrat envers moi, infidèle à ta parole, traître à mes plus chères espérances. Ta haine effacera le mal que ton amitié a fait à mon fils. J’espère que, maintenant que tu n’es plus son conseiller, un châtiment rigoureux sur la terre achètera à mon malheureux enfant son pardon en cette vie et son entrée dans un monde meilleur. »

Ramorny tendit ses bras vers sa bienfaitrice, et s’efforça de lui exprimer son repentir et ses regrets ; mais le visage du fantôme devint plus sombre et plus menaçant, jusqu’à ce que, au lieu des traits de la feue reine, il offrit les traits hautains et sombres de Douglas le Noir… puis le visage timide et mélancolique du roi Robert, qui semblait se lamenter sur la ruine prochaine de sa royale maison… puis enfin un groupe de figures fantastiques, les unes hideuses, les autres grotesques. Elles grimaçaient, parlaient, s’agitaient d’une manière surnaturelle et extravagante, pour se moquer des efforts qu’il faisait afin d’obtenir une idée exacte de leurs traits.



  1. Courageux à la guerre, il ira jouer dans le jardin d’Angleterre. a. m.