Le Jardin des dieux/Aux flancs d’une cruche kabyle/Chanson arabe

Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 87-88).



CHANSON ARABE



Les yeux noyés de rêve et de mélancolie
Et presqu’indifférente à sa propre chanson,
Elle chantait, pensive, et sa jeune raison
Semblait toute exilée au bord de la folie.

Alors je l’ai baisée aux lèvres, j’ai pressé
Les coins de cette bouche adorable, occupée
À son ardente, obscure et triste mélopée
Où gémissait sans doute un souvenir blessé.


Ainsi, ployant son corps qui se recroqueville
Elle exhalait un rêve où chaque mot saignait…
Un bracelet d’amour luisait à son poignet
Mais un anneau d’esclave écorchait sa cheville.

Ô fille d’Arabie au cœur mystérieux,
Quel regret déchirait ta gorge ravagée
Alors que, me haussant vers ta joue orangée,
J’y baisais le secret d’un tatouage bleu ?…

Mais tu laissais couler ta plainte intarissable,
Et je sentais, saisi d’un étrange frisson,
Me pénétrer, lointaine et triste, ta chanson
Triste comme un lever de lune sur les sables !