Le Jardin des chimères/La source

Perrin et Cie (p. 27-29).

SCÈNE II


Une autre partie de la forêt. Il y fait toujours obscur, car les branches des oliviers et des sycomores s’entrelacent inextricablement à peu de hauteur du sol. La végétation souple du lierre, la végétation sculpturale de l’acanthe, s’enroulent aux vieux troncs convulsés. On entend sourdre l’eau d’une fontaine qui se divise en mille ruisseaux et s’éparpille sur les pentes du terrain. Quoiqu’on ne puisse voir le ciel, on devine que la journée est à son milieu, car les feuilles supérieures des oliviers sont argentées par le soleil.


ICARE.
Il est seul, agenouillé devant la source qu’il regarde en écartant des mains les hautes herbes. Toute sa personne exprime une grande lassitude. Il parle à mi-voix, avec une volubilité étrange et harmonieuse, interrompue par de longs intervalles de silence, comme dans un léger délire.


Toujours !… J’ai soif, ma lèvre se dessèche,
Et je ne connais que cette eau !…

 
En vain je cherche un flot limpide, une onde fraîche,
Je ne les trouve pas ! Et j’entendrai bientôt
Si je m’arrête,
Ou l’appel d’une Nymphe, ou la chanson d’un dieu…
Ou, sans bruit, passant en ce lieu.
Pan, qui déjà m’épie au fond de sa retraite.
Viendra pour se mirer ou pour boire à son tour,
Ou bien l’Amour…
Il viendra cueillir l’herbe amère…
Des fleurs s’ouvriront sous ses pas…
Mais à quoi bon rester ? Je sais que la Chimère
Ne viendra pas…
Oh ! Parcourir un jour les routes de la terre !
Fuir ce Labyrinthe habité
Par le mystère !
Et pauvre, ignoré, solitaire.
Boire à ta source pure, ô froide Vérité !
Voir Hélios, enfin ! Vivre son rêve,
Oublier la forêt, oublier l’Aegipan,
Les arbres d’où le nard s’écoule et se répand
Comme une sève.
Et les ruisseaux de miel coulant au fond des bois !…

Ne plus devoir baisser la voix
Par crainte d’éveiller la Nymphe ou le Satyre
Qui nous raille parfois
Et parfois nous attire…
Et, libre, aller par de nouveaux chemins
Sous le joyeux Soleil !… Pouvoir plonger les mains
Dans l’eau glacée
Et boire ! Et sentir sa pensée
Se dissoudre enfin dans cette eau !…
Mais j’ai soif et la source est chaude…
Je ne puis m’échapper ! Et j’entendrai bientôt
Frôlant ces mousses d’émeraude
Où des fleurs s’ouvrent sous ses pas,
L’Amour qui vient cueillir et tresser l’herbe amère…
Mais à quoi bon rester ? Je sais que la Chimère
Ne viendra pas…