Émile-Paul (p. 151-182).

CHAPITRE  SEPTIÈME

la pédagogie de bérénice

Mon enfant, donne-moi ton cœur.
(Proverbe)

Dès lors, je vins souvent d’Arles à Aigues-Mortes visiter ma chère Bérénice. Jusqu’à quel point son contact m’était délicieux, on ne le comprendra que si l’on imagine la fatigue, la poussière des complications électorales d’où je m’échappais pour me rafraîchir dans la petite maison des étangs.

Bérénice ne parlait guère, mais son sourire et la ligne de son corps avaient une façon si mélancolique et si fine, avec un naturel parfait ! Il y avait en elle l’étrangeté délicate de cette renaissance bourguignonne du quinzième siècle qui fut la moins académique des tentatives. C’est au milieu des rares vestiges de cet art, qui poursuivit passionnément l’expression, parfois aux dépens de la beauté, que s’était ouverte sa première jeunesse. Elle avait de ces images leur finesse un peu souffrante, mais sans raideur gothique, plutôt mouillée de grâce. Il me semblait parfois que les faiblesses sensuelles de son âme avaient transpiré sur tout son jeune corps, en baignaient les contours.

Au bord de ces eaux pleines de rêves, son élégance froissée par aucun contact et son ignorance prodigieuse de toute intrigue faisaient d’elle le plus précieux des repos. Eûtes-vous jamais un sentiment plus ardent des arbres verts et des eaux fraîches que dans la paperasse des bureaux ? jamais plus le goût d’une passion vive qu’au soir d’une journée de confus débats ? Cette petite fille contentait le besoin de sincérité et de désintéressement qui grandissait en moi, tandis que je me soumettais aux conditions de ma réussite électorale. Les heures passées auprès d’elle m’étaient un jardin fermé.

Notre ordinaire, dans mes séjours d’Aigues-Mortes, était de marcher dans cette campagne divine et de ne tolérer sur nos âmes que des sentiments analogues à ceux qui flottent sur ses étangs ou végètent sur sa lande. Notre conversation eût paru desséchée, comme paraît cette terre : c’est qu’en étaient bannies toutes banalités ; nous n’admettions rien entre nous que de personnel et de parfaitement sincère. Nous avions nos longs silences, comme cette terre a ses landes pelées, et peut-être n’est-elle jamais plus noble que dans ces friches semées de sel et balayées du vent de la mer.

Nous réservions pour nos soins privés les instants grossiers du milieu du jour, ces après-midi où l’épaisse congestion nous prive tout à la fois de frivolité et de profondeur, mais la fraîcheur du réveil et la lassitude du soir favorisaient également notre délicieux commerce d’abstractions.


Un matin, à travers les marais salants, nous allâmes visiter le bourg du Grau-du-Roi, qui est le port d’Aigues-Mortes. Un vent léger rafraîchissait le front, les yeux, la bouche de mon amie Bérénice et découvrait sa nuque énergique de petite bête. Elle franchit avec aisance ces trois kilomètres, sans daigner regarder ce paysage plus qu’un jeune bouleau ne s’inquiète de la noble tristesse des horizons du Nord dont il est un des caractères. Pour moi, étranger dans cette vie harmonieuse, j’en prenais une conscience intense.

Le Grau-du-Roi, groupe de maisons basses bordant un canal jusqu’à la mer qui s’espace à l’infini, porta mon imagination en pleine Venise, comme une note donnée par hasard nous jette dans la cavatine fameuse de quelque opéra italien… C’était vers les dix heures, par un tendre soleil, et la brise emportait au large toutes nos rêveries, symbolisées sur l’horizon par des voiles déployées. Au Grau-du-Roi, les maisons des pêcheurs sont teintes de rose pâle, de jaune et de vert délayé. Aucun bruit que le long bruissement qui vient de la mer ne froissa mes nerfs suprasensibles, tandis qu’assis auprès d’elle, qui représente pour moi la force mystérieuse, l’impulsion du monde, je goûtais dans le parfum léger de son corps de jeune femme toute la saveur de la passion et de la mort. Or, comparant mes agitations d’esprit et la sérénité de sa fonction, qui est de pousser à l’état de vie tout ce qui tombe en elle, je fus écœuré de cette surcharge d’émotions sans unité dont je défaille, et je songeai avec amertume qu’il est sur la terre mille paradis étroits, analogues à celui-ci, où, pour être heureux, il suffirait d’être, comme mon amie, une belle végétation et de me chercher des racines, ces assises morales qu’elle avait trouvées en pleurant dans les bras de M. de Transe.

Parfois, le soir, après le repas, quand je sentais, dans un soupir de Bérénice un peu affaissée, que notre manie allait la lasser, je la laissais à sa futile camarade, Bougie-Rose, à sa domestique, de qui sa bonne grâce avait su tirer une humble amie, et je gagnais Aigues-Mortes par le sentier des étangs.

Seuls les saints la connurent, mon hystérie de méditation et cette violente variété d’abstractions, où je me plongeais, tout en côtoyant ces marais lunaires vers l’ombre gigantesque des murailles amplifiées par la nuit ! Puis sur le large trottoir de la petite place où veille un saint Louis héroïque de Pradier, apercevant dans une demi-obscurité la rude église du douzième siècle, je m’enorgueillissais que ce pays ne fût utile qu’à mon éducation et que Bérénice, non plus, n’eut d’autre mission, enfant chargée de voluptés qu’elle laisse non cueillies se faner royalement sur elle-même.

Cela est certain qu’elle ne se serait pas refusée, mais cette assurance que j’en prenais dans ses yeux de petit animal, au moment même où elle pleurait M. de Transe, le seul ami dont elle eût jamais frissonné, suffisait à ne pas irriter mon désir.

Visiblement, je lui plaisais, et comme il convient pour que le sentiment soit vrai, d’instinct physique et de confiance. Parfois, dans nos promenades, tandis que je m’enivrais sans jamais m’en lasser de cette tristesse épanouie à tous les plis de son beau visage, elle me disait, avec l’éclatant sourire dont ses années de libertinage lui firent connaître l’irrésistible empire : « Venez plus près de moi, » et elle m’attirait au fond de la voiture contre son jeune corps. « À quoi pensez-vous ? » interrogeait-elle, un peu mal à l’aise de ce compagnon, de qui, aujourd’hui comme jadis, les mobiles lui échappaient. Mais que je fusse distrait, ce lui était un suffisant motif de me goûter davantage, pour mon originalité, disait-elle, bien à contre-sens, car je n’étais qu’un esprit compréhensif, enveloppé, et conquis par l’abondante végétation qu’elle projette comme une plante vigoureuse.

« À quoi pensez-vous, Philippe ? » et je songeais qu’il est sur la terre bien des femmes dont le sein cache un beau trésor de douceur et de haute sagesse selon la nature, et qu’aucun n’aimera avec désintéressement parce que leurs corps voluptueux troublent de désir qui les approche.

Elles-mêmes, si délicates pourtant, sollicitent ces grossiers hommages. Mais ma Bérénice, qui sur ses lèvres pâles et contre ses dents éclatantes garde encore la saveur des baisers de M. de Transe, ne sera pas déçue si je ne lui apporte qu’un amour en apparence brillant et froid, une tendresse clairvoyante. Car le jeune homme qui n’est plus lui a laissé de passion ce qu’en peut contenir un cœur de femme, et cette passion, loin de s’évaporer avec le temps, se concentre dans la souffrance. La mort, qui a clos les yeux aimés où se penchait Bérénice, seule aussi pourra dissiper le vertige que cette enfant y prit. Ainsi, remplie d’un grand amour, elle ne demande à mon amitié d’autre passion, d’autre caresse qu’une tendre curiosité pour le bonheur qu’elle pleure.

Or moi-même, dans ma dispersion d’âme, je ne puis mieux me servir qu’en me faisant le collaborateur de ces sentiments de nature. Cette sympathie trouble de Bérénice pour sa race, pour l’univers, me sera une forte médication. Nulle ne fut dans de meilleures conditions que cette petite fille, toute ramassée dans l’amour d’un mort, pour avoir une grande unité de vie intérieure ; je désirai y participer.

Précisément il était aisé d’y progresser à cause de son éducation particulière. Comme elle était habituée à faire voir son jeune corps sans voiles, elle laissa aussi mes mains se promener sur son âme passionnée.

Voici les principes de vie que m’inspira la mélancolie de son visage, les voici tels que durant nos longs colloques je les lui formulai : pour son usage, disais-je, mais aussi pour le mien. Ils peuvent se ramener à trois points que je vais indiquer brièvement. S’il m’arrive de systématiser des notions qui prenaient plus de mouvement des circonstances mêmes où elles naissaient, du moins suis-je assuré de n’en pas fausser le caractère.

1o la méthode de bérénice

Ce qui me frappe dès l’abord en vous, Bérénice, lui disais-je, c’est que vous avez le recueillement, la vie intérieure et cette sève abondante qui élança chez quelques-uns de si admirables ascétismes.

Non pas qu’ayant fermé les yeux vous soyez arrivée à comprendre la loi du monde, comme font les Marc-Aurèle et les Spinoza, par la force logique de votre esprit, mais une passion dont tressaille votre petit corps vous a fait vivre parallèlement à l’univers. Vous n’avez pas mis dans une formule, comme ces sublimes raisonneurs, l’âme du monde, mais on voit s’agiter en vous la force même qui conduit le monde. Et vos inquiétudes passionnelles, qui précisément ne vous laissent pas prendre conscience de l’univers, m’aident à entendre la réclamation des simples fleurs, des pauvres animaux qui souffrent, comme vous, pour avoir entrevu un état plus heureux, et comme vous, comme nous tous, veulent monter dans la nature.

Ton rôle, ma Bérénice, est de faire songer aux mystères de la reproduction et de la mort, ou, plus exactement, il faut qu’en toi tout crie l’instinct et que tu sois l’image la plus complète que nous puissions concevoir des forces de la nature. Rien de plus, mais quelle tâche délicate !

N’essaie pas d’être nature, c’est souvent être artificiel. Une Espagnole à qui je reprochais un jour, de ne pas ressembler assez à un Goya, me répondit très justement : « Chez nous, ce ne sont plus que les femmes du peuple qui portent des mantilles ; je ne serais pas une vraie Espagnole d’aujourd’hui, si je m’habillais ainsi. » Parole très fine ! Elle eût paru déguisée en Espagnole. Ainsi, ma chère amie, pour me donner l’image de l’instinct, ne t’avise pas de chercher la simplicité ! sois subtile, si ça t’est plus commode.

Ta méthode, tu le conçois bien, ne doit être en rien d’expliquer la vérité. Je dirais même que tu dois éviter la moindre explication, tu n’y réussirais pas (as-tu seulement le vocabulaire abstrait convenable ?), mais sans que tu le saches, chacun des mouvements de ton âme me révèle le sens de la nature et ses lois.

2o les plaisirs de bérénice

Ton plaisir, ma chère Bérénice, c’est d’être enveloppée par la caresse, l’effusion et l’enseignement d’Aigues-Mortes, de sa campagne et de la tour Constance. « C’est là seulement que je me plais, » me dis-tu. Elles te tiennent des discours dont tu peux te demander si ce n’est pas toi qui les leur a confiés. Tu te mêles à Aigues-Mortes ; tes sensations, tu les as répandues sur toutes ces pierres, sur cette lande desséchée, c’est toi-même que te restitue la brise qui souffle de la mer contre ta petite maison, c’est ta propre fièvre qui te monte le soir de ces étangs.

Et pourtant, cette rêverie où vous vous abandonnez, Aigues-Mortes et toi, ne te suffit pas. Ton âme dispersée sur cette terre, ta souffrance émiettée, tu aurais plaisir à les resserrer, à t’y recueillir, à en déguster chaque détail. Aigues-Mortes reste trop dans les généralités : tu as besoin d’un confident plus intime et aussi plus explicatif. Ta petite âme suave, si frémissante à toutes les solidarités de la nature, précisément parce qu’elle est neuve, obscure, a peu conscience d’elle-même ; toi qui t’accordes profondément avec cette contrée, tu t’inquiètes pourtant, tu te crois isolée ; tu aspires à rentrer dans le personnel. C’est pourquoi je projette que tu jouisses, que nous jouissions ensemble des voluptés de la confession.

En te révélant à moi, tu oublieras ta solitude ; tu t’épancheras, et donneras ainsi la gaieté des eaux vives aux douleurs qui croupissent en toi.

Par la méditation et l’examen de conscience en commun, on pénètre bien plus finement en soi-même. C’est une méthode que j’ai expérimentée avec mon ami Simon, — charmant garçon que j’ai un peu perdu de vue, mais que je veux te faire connaître. Je suis arrivé à faire en sa société quelques excursions sur des points tout à fait nouveaux de moi-même.

Enfin, étant ton confesseur, je serai en même temps ton directeur de conscience, et dans les commentaires que je veux faire sur ton âme, j’aurai soin de te la présenter sous le jour le plus favorable, en sorte que tu ressentes de la quiétude et une grande paix.

La volupté de l’épanchement, le bien-être de la pleine lumière et le calme du pardon, voilà ce que tu trouveras dans la confession, qui est véritablement le seul plaisir digne de Bérénice.

3o les devoirs de bérénice

Tu as des devoirs, Bérénice. Il ne suffit pas que tu sois une petite bête à la peau tiède, aux gestes fins, et une enfant qui se confesse avec naïveté : tu dois être mélancolique.

Que ton visage m’offre le plus souvent cette touchante gravité qu’il prend quand tu songes à M. de Transe et même à rien du tout. Le pli de ta bouche, la nuance de tes yeux, ton silence me remplissent de tristesse et d’amour ; c’est dans nos tristesses que nous désirons le plus posséder la vérité, pour qu’elle nous soit un refuge, et c’est par l’amour que nous la trouvons, car elle n’est pas chose qui se démontre.

Aussi je vous dirai : louez votre souffrance, n’en prenez pas de découragement. Votre mélancolie est plus noble et plus utile qu’aucune alacrité. Quelle que soit votre répugnance à l’admettre, croyez bien que jamais vous n’avez rien éprouvé d’aussi précieux que vos grandes tristesses de jeune veuve amoureuse. Jamais votre sentiment ne fut aussi épuré de vulgarité, aussi proche d’un sentiment religieux. Non, rien ne vous pouvait être plus fécond que votre deuil, sinon peut-être les profondes amertumes que vous eussiez connues au soir de vos jours d’amour, si vos désirs avaient été mêlés de jalousie.

Les jouissances de l’amour n’augmentent guère l’individu ; le plus net d’elles profite à l’espèce. Peut-être l’amour heureux s’épanouit-il en vertus physiques et morales chez les descendants, mais les amants n’en gardent que le vague souvenir d’un incident peu qualifié. Les souffrances d’amour, au contraire, marquent ceux qui les supportent, au point que quelques-uns en sortent méconnaissables ; elles décantent nos sentiments, fécondent des cellules jusqu’alors stériles de notre moelle, et nous poussent aux émotions religieuses.

Tes lèvres pâlies de chagrin dans ton visage incliné, la désolation de ton regard, tandis que tu soutiens entre tes douces mains, — entre ces mains qui participèrent à tant de caresses, — le corps de M. de Transe, toute cette image que j’ai de toi sous mes paupières, me sont, ô ma chère madone, un plus enivrant spectacle que tu ne lui fus jamais quand tu te pâmais dans ses bras. Et ce jeune homme même, qui n’était qu’un oisif élégant, par sa mort devient un admirable appui à notre exaltation ; la beauté et la noblesse sans ombre ne vêtirent jamais un vivant, mais qui les contesterait à celui qui repose ayant pour oreiller ton cœur !

Cet enseignement de la méthode, des plaisirs et des devoirs de Bérénice, je le dessèche pour l’exposer selon les procédés scolastiques, mais il se mêlait vivant et épars à tous les circuits de nos longues promenades. Que goûtiez-vous, dira-t-on, sur cette terre sèche avec de si sèches idéologies ? La plus prodigieuse exaltation d’esprit.

Ne la preniez-vous jamais dans vos bras ? Vulgaire imagination ! D’ordinaire, les hommes sont si peu capables de donner une solution à notre haut problème de méthode (concilier la complexité des sentiments et leur unité) qu’ils n’entendent même pas que l’ardeur des sens et l’amour sont des passions distinctes, fort séparables. Elles sont réunies au plus bas de la série des êtres ; d’accord ! mais c’est que chez les plantes et chez les pauvres animaux des premières étapes toutes les fonctions sont mal différenciées. Comment l’homme affiné s’entêterait-il dans cette grossière simplification ? Très souvent, c’est l’empêchement où nous sommes de changer notre train de maison qui nous force à demander ces satisfactions à un même objet. Mais pour ces fonctions délicates, peut-on trouver un bon Maître Jacques ! Que d’autres procèdent par élaguement ; qu’ils satisfassent leurs sens et suppriment l’amour ; je me chéris trop pour me priver d’aucun plaisir. Seulement, à Bérénice, ce que je demande, ce n’est pas le petit corps, d’ailleurs fort élégant, qu’on lui voit, mais sa puissance de se concentrer, son sentiment du passé, tout ce misérable et charmant instinct qui m’avertit mieux qu’aucun naturaliste des véritables lois de la vie.

Le meilleur usage que je pus tirer d’elle, c’était bien nos heures de pédagogie, alors que je raisonnais, en les élargissant, tous les mouvements de cette petite âme qui ne peut rien dissimuler.

« Quel sentiment avez-vous pour moi ? » me demanda-t-elle un jour, avec son sourire un peu triste, dont elle avait assurément remarqué qu’il accompagnait toujours avec avantage ce genre de question. « De l’inclination, » lui répondis-je, étonné moi-même de trouver sans hésitation le mot exact, celui qui convient tout à fait au sentiment qui m’incline sur elle, pour y saisir les lois mystérieuses de la vie, la bonne méthode.

Admirable soirée, celle où je lui dis ce mot ! Comme elle résume dans mon souvenir toute cette phase de ma vie ! La plaine était désolée et sèche sous le soleil couchant et nous la traversions après une longue conversation aride et fièvreuse. Pourtant notre discours, pas un instant n’avait été sans grâce ; le genre de Bérénice, qui tout de même est Petite-Secousse, ne permet pas que notre pédagogie glisse jamais à la pédanterie. Et la terre avait aussi son charme, car ces doux hivers du Midi mettent des mollesses de Bretagne sous le ciel abaissé d’Aigues-Mortes. Telle était cette lande et tel notre débat qu’il me semblait que nous revenions d’une promenade sur l’emplacement de la forêt des Ardennes défrichée.

À petits pas nous rentrions à Rosemonde ; elle n’avait pas de fleurs dans ses mains, et moi, de notre course, je ne rapportais non plus aucune notion. Mais au sang de ses veines s’était mêlé plus de soleil, plus de sel marin, plus du parfum des fleurs, et en moi s’était rafraîchi l’instinct, la force vive qui produit les hommes.

Et si, dans ce couchant, elle se chagrinait légèrement que je ne ressentisse pour elle que de l’inclination, elle n’en goûtait que plus de volupté à caresser le souvenir de M. de Transe. Dès lors je l’aimais davantage, cette chère petite veuve, puisque c’est en cette piété que nous nous rejoignons ; et elle-même, à se sentir si dépourvue, eût voulu se serrer plus fortement contre moi, car n’est-ce pas son isolement qui la fait se complaire sous ma tendre direction ?

Sa chère tristesse, ses douces mains vides, voilà mon précieux trésor.