Le Japon mort et vif/Préface

LETTRE-PRÉFACE
DE PAUL CLAUDEL




Quand j’ai quitté le Japon, — il y a quelques mois, il y a une heure, il y a un siècle — il a fallu d’abord dire adieu à ma petite maison de bois, à mes serviteurs, à mon jardin avec ses lanternes de pierre et ses vieux arbres en qui bientôt va disparaître le dernier vestige de l’antique « Pont-des-Faisans » ; puis à Tokio, avec son bouillonnement d’humanité intense ; puis je vis les longues côtes bleues du Japon dominées par le dôme splendide du Fujiyama s’effacer derrière la houle du Pacifique ; et, maintenant, le Japon n’est plus pour moi qu’un nom et un certain dessin sur la carte. La relation, la matière, la forme se sont effacées l’une après l’autre et il ne reste plus que l’intelligence. Au sentiment du particulier est venu se substituer l’appréciation du général. Pour voir ou plutôt pour évaluer le Japon, il m’a fallu en sortir.

C’est cette vision générale, cet assemblage d’un système de faits, cette constatation complète d’un certain moment dans la vie continue d’une nation, que votre livre procurera à ses lecteurs. Sur le Japon, nous avons eu déjà beaucoup, — trop, — de recueils d’impressions pittoresques et sommaires. Je vous félicite d’avoir voulu faire autre chose qu’un album de croquis et une collection de cartes postales. Vous avez voulu non seulement regarder mais comprendre et faire comprendre, montrer ce que ce mot « le Japon » comporte de faits, de réalité actuelle, de conditions, de problèmes, de dangers, de devoirs et de moyens. Il a, à la fois le caractère d’un résumé et d’une préface, d’un mémorandum et d’une introduction. Il donnera à ses lecteurs la vraie physionomie d’un peuple fin et réservé dont la connaissance, comme la sympathie, doit être méritée. Dans le chaos de l’Extrême-Orient, le Japon, fidèle à son Empereur et à sa vocation, représente l’espérance et si, dans les devoirs qui s’imposent à lui, il y en a qui soient supérieurs à ses ressources, il n’en est pas qui le soient à ses destinées.

Paul CLAUDEL.