Le Japon mort et vif/Avant-propos


« TOUTE LA TERRE »
Présentation par
MAURICE DEKOBRA




La Terre ?… Cette vieille planète qui danse dans l’espace la valse de l’Oubli ?… Pauvre Terre ! Si jeune sur l’État-Civil de l’Univers et pourtant déjà ridée… Elle tourne, elle tourne, cette petite folle, pour mieux nous entraîner vers l’Éther qui dirige, invisible, le jazz des électrons. Mais « Toute la Terre » ? Qu’est-ce que c’est, en somme ? Un petit globe dont on fait maintenant le tour en sept semaines ? Que les aéroplanes de l’avenir boucleront en douze jours ? Dont nous capterons, en l’an 2100, la radio-activité à notre profit ?

« Toute la Terre », pour l’astronome, qu’est-ce ? Pas grand’chose. Une boule de gomme tombée de l’éventaire où l’apothicaire Sidéral époussète ses étoiles et les débarrasse des toiles d’araignées que tissent les nébuleuses. Mais, pour le sédentaire, pour le monsieur bien sage qui n’a pas voyagé, pour la belle petite Madame qui n’a connu que le soleil de Biarritz ou les nuées de Paris-Plage, c’est un monde.

C’est un monde passionnant ; c’est un théâtre aux mille actes divers, avec un magasin d’accessoires inépuisable : des forêts vierges, des îles de rêve, des pics arides, des déserts hallucinants, des baies paradisiaques, des fleuves sans fin et des lacs innombrables. Des hommes s'agitent dans ce décor sans cesse renouvelé ; des acteurs maquillés par la Nature ; les blancs y jouent les raisonneurs et les jaunes y excellent dans les rôles de traîtres… Les noirs puérils leur donnent la réplique et les rouges astucieux retardent l’épilogue.

Quand vous évoquez dans votre boudoir, dans le calme lénitif de la petite cité provinciale ou le tohu-bohu de la capitale qui s’agite, quand vous évoquez toute la terre, vous entrevoyez ces choses lointaines et ces hommes inconnus. Ils vous arrachent pour un temps aux cent préoccupations de votre vie de civilisés excessifs.

Le thé de cinq heures vous a paru soudain d’une banalité extrême. Ces charmantes amies qui brodaient des potins sur le canevas de la médisance n’étaient pas très spirituelles. Vous auriez peut-être donné une perle de votre collier pour être transportée tout à coup sous les ombrages parfumés d’Honolulu et pour voir le soleil plonger son orange éblouissante dans le vert jade du Pacifique dormant sous la brise du soir.

Vous, Monsieur, vous êtes las parfois de voir une cheminée d’usine qui fume, d’entendre la mitrailleuse d’enfant qui tape, à côté, des salutations distinguées ; d’entendre au téléphone que le Rio baisse et que les caoutchoucs sont fermes… Bureau standard… Taxis… Rendez-vous… Télégrammes… Conseil d’administration… Échéances… Poisons de l’Occidental dans la gehenne… Rites de l’Inquisition du xxe siècle, orchestrés par Dame Business… Vous, Monsieur, vous rêvez aussi d’espaces libres et de ciels nouveaux, de banquises où l’on gèle et d’antipodes où l’on s’amuse.

C’est pour vous tous que nous commençons cette collection.

Toute la Terre vous emmènera de latitude en longitude, d’un pôle à l’autre, à l’Est et à l’Ouest du méridien de Greenwhich. Vous ferez avec nous le tour du monde. Des voyageurs de talent qui n’ont pas pérégriné autour de leur chambre, mais qui ont vraiment exploré notre Terre, vous en décriront avec élégance les aspects et les humeurs, les sourires et les colères.

Et vous leur saurez gré de vous faire oublier vos sites trop familiers, de vous montrer, comme en un kaléidoscope, la tapisserie bariolée que la Nature a composée pour l’homme ; de vous initier enfin aux mystères de l’Asie, aux outrances du Nouveau Monde et aux secrets du Continent noir.

Maurice Dekobra.