Librairie Hachette et Cie (p. 119-123).

II

La majorité. — Le mariage. — La femme ; sa position ; le divorce. — Les droits du père de famille. — Le droit d’ainesse. — L’adoption. — L’expulsion.

C’est à quinze ans, comme nous venons de le dire, que l’enfant devient majeur. Dès ce moment, il prend la vie au sérieux et commence à exercer la profession ou le métier manuel auquel il se destine. S’il a de quoi nourrir une femme, il se marie d’ordinaire peu de temps après avoir atteint sa majorité.

Il arrive souvent que des enfants soient dès leurs premières années fiancés l’un à l’autre par leurs parents ; parfois ces futurs époux arrivent à leur majorité sans s’être jamais vus. Si les fiançailles ont été faites d’une façon solennelle, c’est-à-dire par écrit, avec l’accomplissement de certains rites, elles ont presque autant de valeur qu’en a chez nous la célébration du mariage lui-même. Si le fiancé ne se soucie pas de tenir l’engagement pris en son nom, il peut y être contraint par les juges, à moins qu’il ne parvienne à trouver un bon parti pour la fiancée qu’il dédaigne.

Ce sont les parents qui marient leurs enfants, mais leur ordre ou leur consentement ne suffit pas. Il faut encore obtenir l’autorisation du maire de la ville ou du village pour les gens du peuple, celle du gouverneur (autrefois celle du daïmio) pour les samouraïs, et celle du mikado (autrefois celle du shogoun) pour les daïmios.

Le mariage est un contrat purement civil dans lequel les bonzes ne sont pas appelés à intervenir. Le seul personnage qui y ait un rôle important en dehors des deux époux est l’intermédiaire qui a décidé leurs parents à les unir. Il se rend dans la maison de l’époux où la mariée s’est rendue de son côté ; il se place entre eux deux, et prend successivement trois coupes remplies de saki (eau-de-vie de riz), qu’il offre tour à tour à la jeune fille et au jeune homme. Quand chacune des trois coupes a été offerte et reçue trois fois, l’union est déclarée conclue. La nouvelle mariée rejette alors son voile et va avec son mari rejoindre leurs deux familles, qui les attendent pour célébrer joyeusement le repas de noces.

Le mari n’est pas dans son ménage un roi constitutionnel ; c’est un maître absolu dont rien ne tempère le pouvoir. Il peut répudier sa femme pour une foule de causes : si elle n’a pas d’enfants ; si elle montre une jalousie exagérée ; si elle parle « comme un perroquet » ; si elle manque de respect aux parents de son mari ; si elle dirige mal sa maison et ses enfants. La femme répudiée rentre dans sa famille, et a le droit de se remarier ; mais elle en trouve, paraît-il, rarement l’occasion.

On pourrait croire, d’après ce que nous venons de dire, que les sujets du mikado sont les hommes du monde qui divorcent le plus fréquemment ; mais, chez eux, les mœurs valent mieux que les lois : aussi le divorce n’y est-il pas, à ce qu’on dit, beaucoup plus commun que ne l’est en France la séparation de corps.

Au Japon, comme dans presque toutes les contrées placées en dehors de la civilisation chrétienne, la femme a dans la famille une position tout à fait infime. Légalement, elle y est plutôt l’esclave que la compagne de son mari ; mais elle y est en fait relativement heureuse, grâce à la douceur du caractère japonais.


MARIAGE JAPONAIS.

L’éducation des femmes est moins négligée dans l’empire du Soleil levant que dans la plupart des autres pays. Presque toutes apprennent à lire et à écrire ; on leur fait étudier de petits traités élémentaires destinés à leur enseigner la morale, l’art de tenir leur ménage, et les devoirs qu’elles auront à remplir pour faire convenablement les honneurs de leur maison.

En somme, les Japonaises sont mieux élevées et plus heureuses, ou, pour parler plus exactement, moins malheureuses que les femmes de tous les pays bouddhistes ou musulmans. Celles des pays chrétiens sont les seules dont elles auraient le droit d’envier la condition.

De même que le mikado est maître absolu dans l’empire, le chef de famille est maître absolu dans sa maison. S’il peut répudier sa femme pour les causes les plus futiles, son pouvoir sur ses enfants est encore plus étendu, car il a sur eux droit de vie et de mort, et l’on cite, dit M. Bousquet, plus d’un exemple d’exécutions faites ou ordonnées par de nouveaux Brutus.

Le père n’a pas, il est vrai, le droit de laisser sa fortune ou une partie de sa fortune à ses filles, alors même qu’il n’a pas d’héritier mâle, mais il peut adopter son gendre ou un de ses gendres, qui acquiert tous les droits d’un fils.

Quand un homme qui a plusieurs fils meurt sans avoir disposé de ses biens, c’est l’aîné qui hérite seul ; mais l’ainé peut être déshérité par son père au profit d’un de ses cadets. L’héritier désigné, quel qu’il soit, ne peut refuser la succession et est tenu d’en accepter toutes les charges.

D’après les idées religieuses du Japon, il est nécessaire que chacun laisse après soi un représentant de la famille chargé d’accomplir certaines cérémonies, d’honorer ses ancêtres par des libations, d’entretenir leurs tombeaux et d’y aller prier à certaines époques. Aussi, à défaut de fils ou de gendres, tout Japonais se croit tenu d’adopter un enfant qui héritera de ses biens et qui s’acquittera des devoirs que nous venons d’indiquer. Très souvent dans une famille, s’il y a plusieurs fils, tous, à l’exception de l’aîné, entrent par adoption dans d’autres maisons moins heureuses. L’enfant adopté a dès lors deux familles, et ses nouveaux devoirs envers ses parents adoptifs ne le déchargent pas de ceux que lui avaient imposés la nature et la loi à l’égard de ses vrais parents.

Le chef de famille n’a pas seulement le droit d’adopter un étranger ; il peut aussi, en certains cas, chasser son vrai fils de chez lui. Cette expulsion fait sortir de la famille non pas seulement en fait mais encore légalement le membre qui, par ses crimes, par ses vices, ou même simplement par sa prodigalité, s’est rendu indigne d’y conserver sa place.

Elle ne peut être prononcée que contre un enfant majeur, quand son père et sa mère sont d’accord pour la demander au magistrat, et celui-ci ne l’accorde que quand les faits imputés au fils coupable lui semblent suffisamment établis et suffisamment graves.

Ajoutons que ce droit d’expulsion n’existe que dans le peuple et dans la bourgeoisie ; dans la noblesse, c’est-à-dire chez les samouraïs, le père, au lieu de s’adresser à un juge pour obtenir un arrêt d’expulsion, ordonnait lui-même à son fils de s’ouvrir le ventre. C’est probablement en ce sens qu’il faut entendre ce que disent les voyageurs au sujet du droit de vie et de mort attribué au père sur ses enfants.