Librairie Hachette et Cie (p. 151-154).

II

Les bonzes et les funérailles. — La crémation et l’inhumation. — Les cimetières. — La fête des morts à Nagasaki.

Les shogouns craignaient presque autant les prêtres de leur religion que ceux d’une religion étrangère : ils ont tenu à ce que la plupart des grands actes de la vie pussent s’accomplir sans l’intervention des ministres d’aucun culte.

Il n’y a de cérémonie religieuse ni pour le moment où l’enfant atteint sa majorité, ni pour les fiançailles, ni pour les mariages.

Les bonzes n’interviennent que pour donner un nom au nouveau-né le trentième jour après sa naissance, et pour rendre aux morts les derniers devoirs.

Ce sont eux qui viennent prier auprès du cadavre, qui accomplissent les cérémonies religieuses au moment de l’ensevelissement, et célèbrent les dernières cérémonies autour du corps porté dans le temple.

Dans les temps anciens, les funérailles des grands personnages étaient accompagnées de sacrifices barbares. Afin de leur donner toutes leurs aises pour le grand voyage, on immolait sur leurs tombes quelques-uns de leurs serviteurs, et leur cheval favori ; puis, les mœurs devenant plus douces, on se contenta d’enterrer avec leur cadavre une image représentant un cheval de grandeur naturelle.

D’après ce que nous avons dit ailleurs, on a déjà pu voir que les Japonais ont conservé le culte des morts, et rendent aux tombeaux de leurs parents et de leurs ancêtres de pieux hommages. Dans certaines villes il existe une coutume étrange et touchante. Le mort, avant d’être déposé dans sa dernière demeure, est conduit successivement dans chacun des cimetières de la ville. Veut-on le présenter à ces morts parmi lesquels il va prendre place ? Veut-on lui faire dire un dernier adieu à ceux qu’il a connus pendant sa vie et qui l’ont précédé dans la tombe ?

Tous les étrangers qui voyagent en France sont frappés des hommages dont les vivants entourent les monuments où les êtres qu’ils ont aimés dorment de leur dernier sommeil. Les tombes depuis longtemps fermées, et pourtant toujours soigneusement entretenues, souvent parées de fleurs fraîches et de couronnes, étonnent, charment et édifient les touristes venus chez nous du reste de l’Europe.

Sur ce point les Japonais sont bien vraiment les Français de l’extrême Orient. Les cimetières y sont fréquemment visités par les parents des trépassés, mais on dirait que les Japonais cherchent plus encore à distraire le mort qu’à l’honorer, et les champs du repos éternel sont des jardins remplis des fleurs les plus gaies.

On célèbre tous les ans, au mois d’août, à Nagasaki, une fête qui rappelle notre fête des Morts, Seulement, chez nous, la foule qui, dans la journée du 2 novembre, se répand dans les cimetières, est grave, recueillie, presque silencieuse. À Nagasaki, pendant trois nuits de suite, on honore ceux qui ne sont plus par des illuminations sur leurs tombes et des feux d’artifice tirés sur toutes les terrasses funéraires qui entourent et dominent la ville. Les éclats d’une gaîté étourdissante retentissent de terrasse en terrasse, et le saki (eau-de-vie de riz), qui se consomme dans ces trois nuits ne contribue pas peu à en augmenter l’animation. Il faut bien égayer un peu ces pauvres défunts qui aimaient tant à s’amuser de leur vivant.

Beaucoup de tombes, au lieu de contenir des cadavres, ne renferment que des cendres. Au Japon, certaines sectes ont


CÉRÉMONIES FUNÈBRES — SERVICE MORTUAIRE.

l’usage de brûler les corps, comme le faisaient les anciens Romains, et la crémation[1], un instant interdite dans ces dernières années, a bientôt été de nouveau autorisée. Parmi les sectes qui enterrent leurs morts, quelques-unes, en petit nombre, les couchent tout de leur long dans la bière ; la plupart des autres les placent dans des boîtes de forme cubique, accroupis sur les talons, dans la position affectionnée par les Japonais, qui, comme nous l’avons dît, n’ont ni fauteuils, ni chaises, ni sièges d’aucun genre.

Ainsi la religion au Japon s’occupe de l’homme quand il vient au monde et après sa mort ; mais dans tout le cours de sa vie il n’y a pas une seule heure où elle doive nécessairement intervenir. Il n’est pas étonnant dès lors que les Japonais se soient désintéressés de cultes avec lesquels leurs relations étaient si rares. Les shogouns ont atteint le but qu’ils s’étaient proposé ; mais ils n’y ont pas beaucoup gagné, puisque, au lieu d’être renversés par les bonzes, ils l’ont été par les daïmios.

  1. L’inhumation est l’acte de déposer dans la terre les corps des défunts ; la crémation est l’acte de les brûler.