Librairie Hachette et Cie (p. 15-21).

IV

Les végétaux et les animaux.

Nous avons parlé à plusieurs reprises de la merveilleuse végétation du Japon. En effet, d’après les récits des voyageurs, il semble que bien peu de pays au monde soient plus favorisés à cet égard par la nature. « On a tort, dit M. Bousquet, de prétendre qu’il y a beaucoup de forêts dans l’île d’Yéso ; il n’y en a qu’une, mais elle la couvre tout entière. » Dans le Niphon, toutes les montagnes, comme nous l’avons dit, sont couvertes d’arbres magnifiques. Les plaines sont occupées par de riches cultures. La plupart des autres îles présentent un aspect aussi riant.

Les principales essences qui constituent ces forêts, admirées par tous ceux qui les ont vues, sont le pin, le sapin, le chêne, le cèdre, l’érable. On ne compte pas moins de quarante espèces de pins au Japon ; les variétés du sapin y sont également fort nombreuses. Le chêne y atteint une hauteur prodigieuse. Une magnifique espèce de cèdre, qu’on appelle le Cryptomeria, y est fréquemment employée à border les routes et les avenues des temples. Un arbre importé depuis longtemps en France, où il devient fort beau, est le vernis (Rhus vernix). Les Japonais en tirent une résine qui leur rend les plus grands services, car elle sert à fabriquer la laque dont ils recouvrent un nombre immense d’objets de toute nature. Le vernis leur donne deux récoltes par an pendant treize années.

Les vergers qui entourent les temples, les « maisons de thé » et la plupart des maisons particulières en dehors des villes, sont remplis de cerisiers, de pruniers, de poiriers et de pêchers ; mais ce qui nous semble assez étonnant, à nous autres Européens, c’est que souvent ces arbres ne sont cultivés que comme plantes d’ornement. Les horticulteurs japonais s’efforcent de les amener à produire des fleurs doubles qui sont d’un effet charmant, mais qui ne donnent pas de fruits. L’un des plus vifs plaisirs des bourgeois de Yédo et des autres villes du Niphon est d’aller au printemps admirer dans les faubourgs et dans les campagnes voisines l’aspect délicieux de ces vergers remplis d’arbustes couverts de fleurs blanches et roses. Dans leurs demeures et dans les temples, ils ont des vases de bronze ou de porcelaine au col étroit dans lesquels ils mettent non des bouquets, comme nous aimons à le faire, mais une seule branche de pommier, de pêcher ou de cerisier bien fleurie.

On voit encore dans ces charmants jardins des bosquets de bambous, des citronniers, des orangers et des cyprès ; des camélias et des azalées qui, au lieu d’être comme dans nos serres de modestes arbustes, sont de grands arbres tout couverts de fleurs éblouissantes ; des magnolias aux énormes fleurs d’un blanc d’ivoire ou d’une belle couleur de pourpre, des paulonias et divers autres arbres d’une grande beauté. On trouve aussi dans quelques bonzeries des palmiers et des bananiers ; mais ils semblent n’y croître qu’avec un peu de peine, et pour ainsi dire malgré eux, comme ceux que nous pouvons voir chez nous à Hyères et à Nice.

Il n’est pas besoin de dire que le lotus abonde au Japon, car c’est la plante sacrée qui semble inséparable de l’image de Bouddha.

De toutes les plantes que nous venons de nommer, le bambou est, avec les arbres dont on extrait la laque, celle qui rend le plus de services aux Japonais. Les tiges, très hautes et très droites, à la fois solides et légères, leur servent à fabriquer les objets les plus divers, et ils se trouveraient dans le plus cruel embarras du monde si le bambou venait tout à coup à disparaître de leur pays.

Tout le monde sait qu’en Chine comme au Japon le blé est inconnu et que les habitants de ces deux pays ne mangent pas de pain. C’est le riz qui le remplace ; aussi, dans le Niphon et dans toutes les parties de l’empire qui sont assez chaudes pour que la précieuse graminée y puisse pousser, la culture du riz occupe la plus grande partie des terres basses, là du moins où l’on a assez d’eau pour inonder le sol pendant une partie de l’année.

Le vin est aussi inconnu que le pain dans l’extrême Orient ; les Japonais, comme les Chinois, ne connaissent guère d’autre boisson que le thé ; aussi le thé occupe-t-il une grande place dans la liste des plantes cultivées au Japon.

Une grande partie des paysans du Niphon ayant pour principale ressource l’élève des vers à soie, il est inutile de dire que le mûrier est l’un des arbres les plus soigneusement cultivés dans le pays.

Le châtaignier pousse en assez grande abondance dans les montagnes, mais il ne semble pas que la châtaigne entre pour une part appréciable dans l’alimentation des sujets du mikado.

La faune du Japon semble être beaucoup moins riche que sa flore[1]. Le tigre et le lion y sont inconnus. L’ours abonde à Yédo. Le sanglier se trouve dans toutes les grandes îles. Parmi les animaux sauvages du pays, celui qui occupe le plus de place dans les contes populaires, dans les légendes, c’est le renard, qui est considéré comme une sorte d’être malin, de sorcier ou de démon, qui souvent se change en femme pour jouer de mauvais tours aux malheureux humains. Cela suffit pour prouver que le renard est très abondant au Japon et qu’il y fait beaucoup de tort aux paysans. Le blaireau a presque aussi mauvaise réputation que le renard. Il ne semble pas que le loup existe dans le Niphon ni dans les îles


CROQUIS DE BLAIREAU.


voisines ; du moins, les voyageurs n’en parlent pas ; et cet ennemi de nos troupeaux qui joue un si grand rôle dans les fables de la Fontaine et dans les veillées de nos campagnards, n’en joue aucun dans les contes des nourrices de Yédo.


BOSQUETS DE BAMBOUS.

Jusqu’à ces derniers temps, les croyances religieuses des Japonais leur interdisaient de manger la chair du bœuf et de boire le lait de la vache. La race bovine n’en est pas moins bien représentée au Japon, par la bonne raison qu’elle est nécessaire pour cultiver les rizières. Seulement, le bœuf n’y est encore qu’un animal de trait ; bien que l’ancienne religion du pays perde chaque jour un peu de son antique influence, il faudra sans doute bien du temps avant que les usages, les habitudes et les répugnances qu’elle avait créés soient abandonnés. Le canard abonde au Japon ; il y a été très longtemps protégé par des lois sévères qui interdisaient de le tuer sous peine de mort. Le faisan, qui n’y a jamais joui d’une semblable protection, s’y trouve en grande quantité ; c’est surtout à lui que les chasseurs indigènes font une guerre redoutable, bien que leurs fusils de chasse soient des armes tout à fait primitives. On élève quelques volailles, des poules surtout, car les Japonais consomment beaucoup d’œufs.

La base de leur nourriture, avec le riz, est le poisson.

Les mers qui baignent les côtes de leurs innombrables îles et les rivières qui arrosent et fertilisent leur sol leur en fournissent en abondance. Nous ne chercherons pas à donner les noms de tous ceux dont nous parlent les voyageurs. Nous citerons seulement les énormes esturgeons qui se pêchent sur toutes les côtes du pays, les saumons qui se prennent en nombre prodigieux dans les rivières d’Yédo, les carpes qu’on élève avec amour et intelligence, et qui deviennent aisément aussi grosses que nos célèbres carpes du palais de Fontainebleau. Elles forment dans diverses rivières de véritables troupeaux, que leurs maîtres dirigent comme chez nous les bergers mènent leurs moutons. Le soir, ces pasteurs de poissons longent le cours de l’eau en frappant dans leurs mains ; à ce signal connu, les carpes se réunissent et rentrent docilement dans le réservoir où on les tient la nuit à l’abri des poissons de proie et des oiseaux pêcheurs ; le matin on leur rend leur liberté. La plupart des maisons de thé qui sont établies le long d’un cours d’eau ont un vivier auquel on recourt à l’arrivée de voyageurs à jeun.

Les baleines et les requins dont on peut s’emparer sont vendus aux marchands de comestibles des grandes villes, et trouvent, à ce que dit M. Humbert, de nombreux amateurs. Ce sont là des régals inconnus aux gourmets européens. Les crustacés abondent dans les rochers dont les côtes sont hérissées, et les Japonais font une grande consommation de homards et de langoustes. De nombreuses espèces de coquillages sont ramassés également sur les bords de la mer et forment une partie importante de la nourriture du peuple. Certaines algues épaisses et gélatineuses sont aussi recueillies et préparées comme aliments.

  1. On appelle flore d’un pays l’ensemble des plantes qu’il produit, et faune l’ensemble des animaux qui y vivent.