Librairie Hachette et Cie (p. 12-15).

III

Les eaux. — Fleuves, rivières et lacs.

Les montagnes du Japon ne sont pas assez hautes pour avoir des neiges éternelles et des glaciers. Les plaines qui s’étendent à leur pied ont peu de largeur et sont coupées de distance en distance par des chaînes de montagnes secondaires. Il ne peut donc y avoir de grands fleuves dans un pays ainsi disposé. En effet, les cours d’eau y sont très nombreux, mais aucun d’eux n’a son embouchure assez éloignée de sa source pour recueillir sur sa route des affluents importants par leur nombre et par la masse de leurs eaux. Beaucoup ont, comme cela se voit d’habitude dans les pays de montagne, des lits fort larges ; mais aucun n’est assez profond pour que les navires européens puissent y pénétrer. Les jonques japonaises destinées à naviguer sur la mer n’y entrent guère plus facilement, et l’on construit de longs bateaux plats exprès pour cette navigation intérieure.

Le cours d’eau le plus long de l’empire des mikados arrose l’île d’Yéso. C’est l’Ishikari Gaoua, qui prend sa source dans une haute montagne du massif central de l’île, l’Ishikari Yama. Un voyageur anglais, le capitaine Bridgefort, qui, à travers mille difficultés, est parvenu à remonter ce fleuve jusqu’à son origine, a fait connaître à la Société asiatique du Japon les résultats de cette exploration. D’après lui, la longueur de l’Ishikari Gaoua ne serait pas moindre de 112 lieues. Sur une grande partie de son parcours, c’est un torrent qui roule à travers des gorges étroites et profondes, souvent entre de hautes parois de basalte presque perpendiculaires. Il franchit un grand nombre de barrages naturels et de rapides infranchissables même pour les légers canots des indigènes. Dans la dernière partie de son cours il prend des allures pacifiques, et s’il est trop peu profond pour que des navires européens puissent y pénétrer, il est du moins navigable pour les jonques. Sa largeur est de 250 mètres à son embouchure. Nous aurons l’occasion de parler de deux ou trois cours d’eau importants du Niphon en parlant des grandes villes qu’ils traversent.

Les lacs sont assez nombreux au Japon. Un seul présente de vastes dimensions. C’est le lac Bioua[1], situé vers le 35e degré de latitude dans le Niphon, qu’il partage presque en deux îles, car, d’après la carte que nous trouvons dans le livre de M. Bousquet, il communique à la fois du côté du nord avec la mer du Japon par un canal assez large, et du côté du sud avec la Mer intérieure par l’Oudji Gaoua, tributaire du Yodo Gaoua.

Le mot Bioua désigne en japonais une sorte de grosse guitare à quatre cordes. Le lac doit ce nom à sa forme. Le manche de l’instrument est formé par la rivière qui coule vers le sud. Cette « guitare » a 25 lieues de long sur 10 de large. Le lac de Genève n’a qu’une vingtaine de lieues de long sur une largeur maximum de trois à quatre lieues. Le Bioua est donc notablement plus vaste que le plus grand des lacs de la Suisse. Il est encadré presque de tous côtés par des montagnes couvertes d’une luxuriante végétation, et il offre quelques-uns des plus beaux sites du monde.

Cependant, après avoir lu les descriptions de M. G. Bousquet, on se demande si le Bioua n’est pas inférieur en beauté au lac Sououa (ou Suwa). Celui-ci est beaucoup plus petit ; mais il est situé au milieu de grandes montagnes où abondent les vues merveilleuses, ainsi qu’on peut en juger par ces lignes enthousiastes de l’auteur du Japon de nos jours : « Malgré tous les charmes de ce site ravissant, il fallait songer à continuer notre route, et le soir nous repartions à cheval.... En nous retournant en arrière, nous contemplons un spectacle grandiose. Au delà du lac que nous enfilons dans toute sa longueur, les montagnes s’évasent, et, dans l’intervalle qu’elles laissent entre elles, comme un pistil géant au milieu de sa corolle, se dresse rose et vaporeux le tout-puissant, divin, éternel Fousi Yama. Pour détailler ses impressions, pour dire les beautés incessamment variées de la montagne, que la plume seule ne peut peindre, il faudrait des volumes et des mois ; mais la mémoire conserve le charme de ces souvenirs, comme un vase celui des parfums qu’on y a mis. »

Ce lac merveilleux est situé à dix lieues environ au sud de l’Asama Varna et à quinze ou vingt lieues au nord-ouest du Fousi Yama. Il est élevé de 900 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ses eaux sont si peu profondes que les bateaux qui le traversent y naviguent à la perche. Aussi sont-elles à peu près à la température de l’air, et le touriste européen qui arrive sur ses bords par une journée brûlante y cherche en vain cette fraîcheur bienfaisante qu’il a trouvée dans les eaux des lacs suisses.

  1. Ou Biwa, appelé aussi lac d’Oitz ou d’Oumi, du nom de deux villes qui se trouvant sur ses bords.