Le Japon (Gautier)/Ses origines

A. et C. Black (p. 15-17).

LE JAPON

ses origines

Les lettrés Japonais sont obligés de confesser leur ignorance de l’origine de leur nation. Sur ce point, l’histoire en défaut doit céder le pas à la légende. Nombreuses sont les hypothèses qui veulent jeter quelque lumière sur ces commencements obscurs ; mais nous n’en retiendrons qu’une, la plus séduisante.

Vers le VIIe siècle avant J. C. régnait, en Chine, le terrible Si Kouo, véritable Néron de l’Empire Céleste, dont les fantaisies cruelles et coûteuses appauvrissaient ses sujets et les jetaient dans une épouvante continuelle.

Un jour, il imagina de faire creuser un lac qu’il fit remplir de vin, au lieu d’eau, et il s’y promena en barque avec toute sa cour.

Une autre fois, il éleva un palais de dimensions considérables et commanda que les planches fussent d’or et d’argent. L’histoire des Chinois qui note ces faits dit que lorsque, plus tard, pendant une guerre civile, ce palais fut incendié, les cendres mirent trois mois entiers à refroidir.

Pour suffire à ces dépenses, point n’est besoin de dire que les impôts étaient fort onéreux. Nul ne savait si le lendemain son champ lui appartiendrait encore ou s’il le verrait dévasté, voire même confisqué par le bon plaisir du prince. Ceux qui l’approchaient journellement étaient les plus anxieux : un tyran qui se jouait de la vie humaine, et qui, pour un léger manquement, ou même sans raison aucune, faisait rouler les têtes à ses pieds était fait pour inspirer la terreur. Mais il était haï autant que craint. Lui, cependant, n’en avait cure ; en quoi les sentiments de son peuple pouvaient-ils l’atteindre ? Et en cela il pensait juste, puisque les Chinois résignés, ne songèrent pas à secouer son joug en le détrônant.

Mais cet empereur si superbe, dont le caprice était la loi, ne vivait pas des jours tranquilles. Un ver rongeur lui gâtait toute jouissance, le souci de son trépas inévitable empoisonnait sa vie. Renoncer à l’Empire, céder à l’inévitable, abandonner les plaisirs, lui, l’autocrate superbe et voluptueux. Ces pensées l’accablaient et pour leur échapper, il se prit à espérer qu’un remède précieux le dispenserait du tribut que tout homme doit payer. Il fit donc publier qu’une riche récompense serait le partage de celui qui découvrirait un préservatif contre la mort. Son premier médecin, que l’inquiétude rendait malin, l’alla trouver, et lui dit : « Sire, votre Majesté en a justement auguré. Il existe, en effet, une plante dont le suc bienfaisant recule, à l’infini, les bornes de la vie, mais elle ne croît qu’au loin, dans les îles du Japon. Seules, des mains pures doivent la toucher. Ordonnez donc que trois cents jeunes hommes et autant de jeunes filles vierges de corps et d’esprit m’accompagnent. Je les guiderai dans leurs recherches et avec leur aide, je vous rapporterai le remède souverain. »

Le monarque, confiant en cette belle promesse, lui donna les six cents adolescents, et les équipa richement.

On ne les revit jamais, car ayant abordé dans l’île lointaine, ils apportèrent aux sauvages qui l’habitaient, leurs richesses, leurs arts, leurs sciences, leurs lettres, en un mot, toute l’antique civilisation chinoise.

Les Japonais ont conservé le souvenir de cette migration, et montrent encore près de la côte, des grosses pierres, ruines du temple qu’on éleva jadis par reconnaissance à Sion-Fou, l’habile médecin.