A. et C. Black (p. 7-14).


PRÉFACE
par jean aicard, de l’académie française

« Faire un beau voyage, » quelle émotion soulevaient ces simples mots dans notre cœur d’enfant ! Quel trouble délicieux ils y éveillent encore !

Espérer, c’est vivre. Nous ne vivons vraiment que par l’attente d’on ne sait quoi d’heureux qui va probablement nous arriver tout à l’heure… ce soir… demain… ou l’année prochaine. Alors, n’est-ce pas ? tout sera changé ; les conditions de notre vie seront transformées ; nous aurons vaincu telle ou telle difficulté ; triomphé de l’obstacle qui s’oppose à notre bonheur, à la réalisation de nos désirs d’ambition ou d’amour. L’enfance, puis l’adolescence, se passent ainsi à appeler l’avenir inconnu, à le rêver resplendissant de couleurs magiques. Être jeune, c’est espérer, sans motif raisonné, malgré soi, à l’infini — c’est-à-dire voyager en esprit vers des horizons toujours nouveaux — courir allègrement au-devant de toutes les joies.

La plupart des hommes, rivés aux mêmes lieux par la nécessité, s’habituent à ne plus rien attendre. Ils ont appris plus ou moins vite que demain sera pour eux tout semblable à hier ; la ville ou le village ou les champs qu’ils habitent ne leur apprendront jamais rien de plus que ce qu’ils savent.

Dès qu’ils en sont sûrs, c’est qu’ils ont vieilli, vraiment vieilli — de la mauvaise manière ; mais, même alors, il arrive que ces mots enchantés, « faire un beau voyage, » raniment en eux la force d’espérer, de rêver, de vouloir et d’agir. L’illusion féconde, dont parle le poète, rentre dans leur cœur. Et dès qu’ils se mettent en route, ils se persuadent qu’à chaque détour du chemin ils vont, comme le héros de Cervantès, voir apparaître l’Aventure, la chose nouvelle, l’événement exquis que les sédentaires (ils le croient du moins) ne sauraient rencontrer.

Et c’est là proprement le charme du voyage ; il est dans le renouvellement indéfini de notre faculté d’attendre avec joie. Voyager, c’est espérer ; voilà pourquoi le voyage est parfois un remède efficace aux grands chagrins. Il nous force à espérer encore. Un désir de voyage est essentiellement un désir de nouveau et d’amusant, d’inédit, de romanesque ou de féerique — en tous cas, de non-encore-vu.

L’avènement de l’exotisme en littérature a été un rajeunissement.

Le personnage de Robinson Crusoë incarne le voyage même, et il semble bien que jamais livre n’obtint succès plus grand et plus durable.

L’apparition de Paul et Virginie fut un enchantement. C’étaient Adam et Ève tout enfants, dans un Éden tout nouveau. Le voyage avait rajeuni l’innocence et l’amour même.

La curiosité et l’espoir se sentirent vivifiés avec Chateaubriand, puis avec Pierre Loti.

Nous autres, écoliers du XIXe siècle, n’avons-nous pas lu un moment, avec avidité, derrière un rempart de dictionnaires, de médiocres histoires de chasses en Amérique, d’Apaches et de Comanches — et sans images. Quant à la vraie géographie, à l’ethnographie scientifiques, avant les Reclus, elles se présentaient à nous sans ornement, sans pittoresque, sans couleur — dans des livres un peu ennuyeux et qui, en effet, nous rebutaient souvent.

On a compris aujourd’hui que les livres « d’instruction » destinés aux enfants doivent s’adresser à leur sensibilité, se faire aimer d’eux, exciter en eux « l’espérance, » la bonne curiosité, c’est-à-dire la joie de vivre.

Les éditeurs des « Arts Graphiques » ont le projet de publier des ouvrages dont les illustrations, vivantes et colorées, documents précis, seront à la fois destinés aux jeunes écoliers et aux hommes, ouvrages d’éducation et d’amusement pour les uns, albums de souvenirs pour les autres.

Les six premiers volumes sont consacrés à l’Espagne, au Maroc, à l’Égypte, aux Indes, à la Chine et au Japon.

On n’attend pas ici une critique de textes, dus


à Monsieur Friedel, Bibliothécaire au Musée Pédagogique, auteur du volume sur l’Espagne ;
à Monsieur le Commandant Haillot, détaché à Casablanca, auteur du volume sur le Maroc ;
à Monsieur Jean Bayet, attaché au Ministère de l’Instruction Publique, auteur du volume sur l’Égypte ;
à Monsieur le Capitaine Marcel Pionnier, Chargé de Missions par le Gouvernement, auteur du volume sur les Indes ;

Et enfin à Madame Judith Gautier, Membre de l’Académie Goncourt, auteur des volumes sur la Chine et le Japon.

On trouvera, parmi les signataires des six volumes qui suivront, des noms des plus connus :

Monsieur Brieux, de l’Académie Française, auteur du volume sur l’Algérie ;
Monsieur de Noussanne, auteur du volume sur la Russie, etc. etc.

Avec de tels noms d’auteurs, l’ensemble de ces ouvrages se présente assez heureusement de soi-même au grand public ; mais ce qu’on peut tout particulièrement lui signaler, c’est l’intérêt que présentent les jolies planches en couleurs dont ces livres sont enrichis. La valeur documentaire positive en fait le premier mérite ; il est décuplé, pour la plupart de ces planches, par l’attrait que leur donne le ton à la fois juste et aimable des coloris.

J’imagine que beaucoup de ces illustrations sont des photographies en couleurs prises d’après nature ; telles autres sont des aquarelles, assurément exécutées d’après nature ; et toutes ces images sont des « portraits de pays » ressemblants et vivants.

Commenté par de pareilles images, le texte parlera aux yeux des enfants, fixera leur attention ; et, après les avoir vues, ils n’oublieront plus le pays où ils croiront avoir réellement voyagé.

En chaque série se résument les caractères généraux, très différents — des grandes contrées qu’elles mettent sous nos yeux.


portique sacré.

Certes, la photographie de nos jours nous présente partout et à toute heure des documents aussi précis, mais non pas avec cette variété et cette gaîté de couleurs qui, pour les petits et les grands, est un attrait des plus vifs… qu’on se rappelle l’influence de l’ancienne et naïve imagerie d’Épinal sur nos cerveaux enfantins. Heureux les enfants d’aujourd’hui !

Comment, avec des mots, à moins d’être Pierre Loti, donnerez-vous au lecteur l’idée de ce que peut être un prince hindou, un maharadja en grand costume ? Et que vous en dirait la photographie sans la couleur ? Comment saurez-vous que l’éléphant qui porte ce prince est vêtu d’un brocart d’or ? que le char sans roue, le trône, qu’on voit sur le dos de l’énorme animal est, comme le prince, un ruissellement de dorure ? L’image coloriée peut seule le dire ; à elle seule elle est un conte féerique ; et voilà une façon gaie d’apprendre aux bambins ce qu’est un maharadja et dans quelles somptuosités il parade parfois, sous un parasol d’or, et sur un éléphant recouvert d’or flamboyant et de pierreries rutilantes.

Le texte des deux volumes sur la Chine et le Japon a été demandé à Madame Judith Gautier.

Personne ne pouvait mieux qu’elle parler de cette Chine « qui a inventé tout ou presque tout, à une époque des plus reculées. »

Lorsque cette série de douze beaux voyages s’achèvera par un voyage en Alsace-Lorraine signé d’un nom aimé et respecté, elle aura vraiment une signification éducatrice complète. Après avoir fait aimer aux esprits les moins aventureux le voyage d’agrément ou l’utile voyage d’exploration et de colonisation, elle affirmera que notre patrie aussi est belle — et semble plus belle encore, lorsqu’on la compare.

N’oublions pas que, parce qu’elle est belle et riche, la patrie française est, pour d’autres hommes, un objet de rêve et parfois de mauvaise envie. Un des fruits les plus savoureux des beaux voyages est l’estime nouvelle, l’amour renouvelé qu’ils nous inspirent à l’heure du retour, pour les mérites, pour les beautés de la terre française, pour « l’enchantement du ciel de France. »

Dès que le Français s’est éloigné un temps de notre mère-patrie, il s’aperçoit mieux que jamais qu’elle a des vertus et des charmes incomparables. Plus qu’ailleurs, en France, l’homme trouve sécurité et liberté, on ne sait quelle façon d’aimer les autres hommes, que tout l’univers connaît bien — et qui fait dire quelquefois aux gitanes, ces sans-patrie : « C’est encore en France qu’on est le plus libre, et le moins malheureux. »

Ceci est le mot authentique d’un bohémien dont le voyage fut la vie même.

JEAN AICARD

Saint-Raphaël,

Août 1911