LE GULF-STREAM

(Suite. Voy. p. 154.)

Après avoir fait le tour du golfe du Mexique et passé entre Cuba et la pointe de la Floride, le Gulf-Stream pénètre dans ie canal de Bahama, et, grossi par les eaux du grand courant équatorial, coule d’abord directement au nord, puis s’infléchit graduellement vers l’est, suivant la courbe du littoral américain et obéissant à l’action de la rotation terrestre. On sait qu’en conséquence du mouvement diurne du globe et de la différence de vitesse de rotation sur les divers parallèles, les courants dirigés vers le pôle dans notre hémisphère ont une déviation vers l’est, et les couvants dirigés vers l’équateur une déviation inverse.

Par le travers du cap Hatteras, le Gulf-Slream est deux fois plus large qu’à la sortie du détroit de Bemini, mais sa profondeur n’est plus que de 200 mètres environ, et sa vitesse ne dépasse pas 5 kilomètres à l’heure, À la hauteur de New-York et du cap Cod, il cesse de suivre les côtes d’Amérique, et s’élance i à travers l’Atlantique, déviant à l’est jusqu’au banc de Terre-Neuve, où, comme nous l’avons dit, il rencontre le courant polaire. Il se partage alors en deux branches distinctes, d’une énorme largeur, dont l’une, passant au nord de l’Irlande et de l’Angleterre, se prolonge en divers rameaux jusqu’au Spitaberg et à la Nouvelle-Zemble, tandis que l’autre, coulant vers le sud, va rejoindre le courant équatorial. Un des rameaux de cette dernière branche contourne le golfe de Gascogne où il forme le courant de Bennell, qui longe nos côtes océaniques, traverse la Manche et rentre dans le Gulf-Streain par le travers de l’Irlande. Le rameau qui continue à couler au sud-est suit les côtes d’Espagne et de Portugal, la côte, d’Afrique jusqu’aux îles du cap Vert, où il se réunit et se confond avec le grand courant équatorial qui traverse l’Atlantique de l’est à l’ouest. Ainsi s’achève l’immense mouvement circulaire des eaux de l’Océan, au centre duquel, dans une région isolée de l’action des courants, se trouve la mer de Sargasse, vaste amas d’herbes marines, de vareolis flottants, qui s’étend de l’espace triangulaire compris entre les Açores, les Canaries et les îles du cap Vert, jusqu’à l’archipel des Antilles, et du 17e au 38e degré de latitude nord, en deux masses séparées. M. Leps, capitaine de frégate, dans sa description de Ja mer de Sargasse[1], a prouvé que la plupart des plantes marines qui la forment peuvent se propager à la surface de l’eau. Il reste à savoir si ces plantes, comme le croyait Maury, ne proviennent pas en grande partie du golfe du Mexique, des écueils des Antilles et de la Floride, et ont été entraînées par le Gulf-Stream dans le remous où elles tournent sous l’influence des vents et des courants. Le prodigieux


développement de la mer de Sargasse, l’abondance et l’épaisseur des masses d’herbes flottantes, surtout dans la partie qui se rapprocha des côtes d’Afrique, doivent, faire regarder comme probable leur formation sur place, dans des eaux relativement calmes, sans exclure l’apport dû au Gulf-Stream, constaté d’ailleurs par Agassiz dans l’expédition scientifique du Hassler, en 1871.

Dans une des très-instructives et utiles publications[2] qui résument les études du Comité météorologique de Londres, la carte générale des courants de l’Atlantique nord montre la direction des courants de surface, ainsi que leur vitesse moyenne pour chaque mois de l’année, en mêmo temps que la température moyenne de l’eau à la surface de la mer pour la même période. Cette carte, que consulteront avec fruit les navigateurs et les savants, donne d’intéressants détails, que nous ne pouvons ici qu’indiquer, sur les variations de vitesse, de direction et de température du Gulf-Stream, ainsi que des autres grands courants de l’Atlantique nord, aux différentes époques de l’année. C’est par de semblables études que pourra s’établir une théorie générale des courants océaniques, déterminant les rapports du Gulf-Stream avec ces courants.

Les belles recherches du major Rennell, cité par Maury, ont montré l’influence exercée eu certaines années par les variations des courants océaniques sur le climat des régions que ces courants baignent ou avoisinent. Ainsi le développement inaccoutumé du Gulf-Stream dû à une plus grande vitesse initiale, dont les ci uses ne sont pas encore bien connues, produit en France et dans le sud de l’Angleterre des hivers singulièrement chauds, pendant lesquels les vents d’ouest et de sud-ouest se succèdent presque sans intervalle, amenant des pluies excessives. Si les études plus complètes qui sont aujourd’hui poursuivies confirment cette observation, on arrivera probablement à constater l’accroissement de vitesse du Gulf-Stream lorsqu’il débouche du canal de la Floride. Or, comme le remarque justement Maury, le phénomène observé devant précéder de plusieurs semaines les modifications de climat produites par le développement exceptionnel du courant, dont les eaux, à partir de la Floride, ont 3, 000 milles à parcourir avant d’atteindre nos côtes, on pourrait être prévenu de ces modifications assez à l’avance pour profiter de l’avertissement.

Les vitesses et les dimensions anormales des courants de la mer ont été observées dans d’autres parties du globe. Maury considère ces phénomènes comme des sortes d’efforts au moyen desquels l’Océan rentre au besoin dans ses conditions habituelles d’équilibre. Les soudaines débâcles de glaces, citées par les voyageurs des mers polaires, sont, très-probablement, la conséquence immédiate d’un phéno

mène de ce genre, comme peut l’être aussi, dans certaines latitudes, l’apparition éventuelle d’immenses ice-bergs.

En pénétrant dans les mers polaires, les branches du Gulf-Stream se changent quelquefois en courants sous-marins, dont on a constaté l’existence dans la mer de Baffin, à l’ouest du Groënland. Les navigateurs y ont rencontré des ice-bergs remontant du sud au nord, dans une direction contraire à celle du courant de surface. On sait que ces masses énormes de glace plongent à une grande profondeur dans l’eau, et doivent par suite y subir l’impulsion des conlre-courants. Les observations faites sur la direction du courant polaire, de la Nouvelle-Zemble à l’Islande, indiquent également un cours sous-marin du Gulf-Stream dans ces parages.

« Les causes de formation du Gulf-Stream, a dit Maury, ont toujours embarrassé les savants, et, quoique les recherches et les observations modernes aient apporté quelques lumières sur ce sujet, riendohieii clair n’a encore été trouvé. » Aujourd’hui la somme de renseignements que l’on possède, grâce surtout aux études des officiers de marine et des hydrographes de l’Amérique et de l’Angleterre, ont permis de proposer des théories nouvelles et plus complètes des courants océaniques, mais aucune n’a encore été entièrement acceptée.

E. Mahcollé.

— La Suite prochainement. —



  1. Annales hydrographiques. 1857.
  2. Currents and surface temperature of the North Atlantic Ocean, from the equator to latitude 40° N. for each month of the year, with a general current chart — Londres, 1872.