Le Foyer et les Champs/Les Cailloux de Mousny en Ardennes

Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 59-61).

Les cailloux de Mousny (en Ardennes).

légende.

Blanches pierres, qui dans la lande,
D’après la naïve légende,
Formiez un troupeau vagabond
Dont le vent secouait la laine,
Qui donc cherchez-vous dans la plaine
En regardant du haut du mont ?

C’était à l’heure où le jour tombe,
Quand le soleil cherche une tombe
Dans le nuage étincelant.
Le chien guidé par la houlette
Rassemblait la troupe complète
Autour du berger vigilant.


Soudain un vieillard qui trébuche
Au berger demande sa cruche
Tant il a soif d’un long chemin.
À l’épaule, près de la manche,
Il porte la coquille blanche
Et tient un bourdon dans la main.

C’est un pèlerin qui l’implore :
Marchant dès les feux de l’aurore
Il use ses genoux tremblants.
Pareille à la fleur épuisée
Que n’affermit pas la rosée
Penche sa tête à cheveux blancs.

Hélas ! le berger dans la plaine
Vide en jurant la cruche pleine ;
Sans s’arrêter à cet affront
Il laisse le troupeau qui broute
Et jette au vieillard sur la route
Un caillou qui l’atteint au front.

Alors le pèlerin se dresse,
Et levant sa main vengeresse,
Il crie au berger endurci
Qui s’en allait vers sa chaumière :
« Meurs ! puisque ton cœur est de pierre
Que ton troupeau le soit aussi ! »


À l’instant où sa clameur passe,
Comme un tonnerre dans l’espace,
Berger, moutons, tombent roidis !
Les genêts perdent leurs ramures,
Et le lieu s’emplit de murmures
Comme un sépulcre de maudits !…

Car le passant au sombre oracle
Qui fit ce sinistre miracle
Était le Seigneur Jésus-Christ
Qui s’en allait, mélancolique,
Baiser en priant la relique
Du moine Thibaut qu’il chérit.

Et depuis ce jour, dans la lande,
Éternisé par la légende,
Vous cherchez, troupeau vagabond
Dont la mort a tondu la laine,
Le vieux pèlerin dans la plaine
En regardant du haut du mont !…