Le Foyer et les Champs/Fête de village

Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 44-46).

Fête de Village.

À mon excellent ami E. V.


C’est l’été. Le village est en pleine kermesse :
Dès l’aube, chacun va pour entendre la messe ;
Les garçons villageois ont mis leurs beaux habits ;
Les femmes ont des fleurs en place de rubis,
De coquets bonnets blancs, et de fraîches guipures ;
La prière palpite au bord des lèvres pures ;
Puis quand la messe est dite et les cierges éteints,
La foule disparait le long des murs déteints,
Et le pâle vieillard, les roses jeunes filles
S’en vont, lui, dans la ferme ; elles, sous les charmilles,
Et la fête commence, et l’amour et les chants.

Le soleil qui se mire aux clairs ruisseaux des champs
— Tel qu’un ami qui vient, se sachant nécessaire —
Préside en souriant la fête anniversaire.
À peine un blanc nuage étend-t-il son lambeau,
Comme une aile d’insecte à l’entour d’un flambeau,

Dans la limpidité sereine de la voûte.
On a jeté des fleurs au bord de chaque route,
Les portes ont leur seuil jonché de rameaux verts ;
Les volets au soleil sont largement ouverts,
Et des maisons, ainsi que des nids pleins de mousse,
Sort une bienveillance universelle et douce.
Dans les fermes, ayant la gaîté des châteaux.
Groupés en cercle, on boit, on mange des gâteaux,
On devise, on badine, on s’embrasse, on folâtre,
Tandis que sur la bûche éclatante de l’âtre
La bouilloire gaîment fume et fait chanter l’eau.

Oh ! la tendre harmonie et le joyeux tableau !

Le soir les paysans s’en vont rire à l’auberge,
Voir jouer les forains que la grand’place, héberge,
Mettre aux chevaux de bois leurs petits enfants blonds,
Danser sur la pelouse au son des violons !

Les amoureux tout seuls quittent la multitude,
Car l’amour vit de l’ombre et de la solitude.
Cherchant, près des buissons, les plus étroits chemins,
Ainsi que des enfants, ils se tiennent les mains,
Timides, et comme eux leur voix tremble et bégaie ;
Car elle est difficile, à l’ombre d’une haie,
Cette langue, ayant pour alphabet des aveux !…
Aux lèvres des baisers, des bleuets aux cheveux
Ils rêvent… et la nuit, levant ses sombres voiles,
Pour partager leur joie, ouvre ses yeux d’étoiles.


Cependant au hameau, sur des bancs vermoulus,
Souriant aux ébats des gais enfants joufflus
Qui courent dans l’herbe ou se cachent près des meules,
Calmes sont les vieillards assis près des aïeules :
Et parfois dans leur œil on voit perler des pleurs
Quand ils songent, parmi ces chansons et ces fleurs,
Que le trépas approche, et qu’aux fêtes prochaines
Ils dormiront peut-être à l’ombre des grands chênes !