Le Foyer et les Champs/Devant les ruines du château de Laroche

Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 41-43).

Devant les ruines du Château de Laroche.

.  .  .  Je m’égare rêvant
Le brillant moyen-âge et la chevalerie.
Th. Gautier.


Je t’aime, vieux château couché sur la colline
Avec tes murs croulants que la vieillesse incline
Sous un linceul de lierre, ainsi que des tombeaux.
J’aime tes corridors et tes morues tourelles
Abritant sous leur ombre et leurs ramures grêles
Autrefois les guerriers, aujourd’hui les corbeaux !

J’aime aller rêver seul dans tes salles muettes,
Au bord de l’escalier qui mène aux oubliettes,
Gouffre où l’on croit ouïr des bruits mystérieux !
J’aime voir s’écrouler dans l’Ourthe tes murailles,
Noir donjon ! comme on voit s’échapper les entrailles
D’un aigle que la foudre a frappé dans les cieux !


Mais je t’aime surtout, quand le soleil s’exile,
— Roi vaincu — demandant à la nuit un asile,
Drapé dans le haillon des nuages salis ;
Quand les étoiles d’or luisent dans les ténèbres
Comme autour d’un cercueil de longs cierges funèbres,
Et que l’ombre suspend aux humbles toits ses plis.

Où sont-ils tes soldats bardés de fer, tes gardes
Faisant luire sur toi l’éclair des hallebardes ?
Où sont les palefrois piaffant des chevaliers,
Les rendez-vous de chasse au sommet de ta roche,
Les assauts, les tournois, les comtes de Laroche
Ouvrant à tout seigneur leurs seuils hospitaliers.

Où sont les troubadours charmant les châtelaines,
Leurs ballades, de grâce et d’amour toutes pleines ?
Où sont les pèlerins décrivant les Saints-Lieux,
Les aïeules parlant aux pages blonds de fées,
À l’entour du feu rouge éclairant les trophées
Qui couvrent sur le mur les glaives des aïeux ?

Où sont les ducs fameux et les grands capitaines
Dont l’orgueil jalousa tes murailles hautaines ?
Le cor faisant appel à tes bouillants vassaux ;
Où sont ces jours de gloire et ces jours de défaite ?
Car c’était une ivresse et c’était une fête
Pour toi, de tressaillir au milieu des assauts !


Où sont-ils les Pépins rendant justice haute,
Godefroid de Bouillon voulant être ton hôte
Avant que le désert admire sa fierté ?
Louis le Grand, vainqueur, qui foule ta poussière,
L’emportant au talon de sa botte princière
Dans les chemins ardus de l’immortalité !…

Hélas ! ta gloire tombe avec ta vaste enceinte ;
Et les clameurs de guerre ont fait place à la plainte
Que murmure le vent en frôlant tes débris.
Tu dors, dans une morne et funèbre attitude,
Et rien n’arrive plus troubler ta solitude
Que les sanglots profonds des sapins rabougris !…

Écarte, vieux château, cette foule profane
Qui vient sur ton tombeau muet, et le profane,
Joyeuse, sans mouiller de pleurs tes ossements.
Mais laisse les enfants venir avec leurs chèvres,
Car les douces chansons, qui tombent de leurs lèvres,
Rendront un peu de vie à tes vieux murs dormants !…

Laisse aussi le poëte errer dans tes ruines.
Il aime, lui, tous ceux qui portent des épines,
Et trouve en toi l’écho de ses propres douleurs.
C’est pourquoi, quand la lune à tes murs se reflète,
Dans ses vers il embaume, en rêvant, ton squelette
Qu’il lave de ses pleurs !…