Le Foyer et les Champs/Vérité éternelle

Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 36-40).

Vérité Éternelle.

Ils n’ont de foi que dans la matière et
la mort ; et ils sont déjà insensibles
comme l’une et glacés comme l’autre.
Chateaubriand.


I.

Les hommes ne voient plus dans leur néant qu’eux-mêmes ;
Ils ont craché sur Dieu la bave des blasphèmes
Et ri devant le ciel profond ;
Se flattant de pouvoir propager l’imposture,
Et d’étouffer la voix de la grande nature,
Avec le peu de bruit qu’ils font !

Ils avaient dans leur âme une ardente prunelle
Qui perçait l’infini de la voûte éternelle,
Et cet œil fixe ils l’ont crevé ;
Puis voyant l’ombre vaine emplir leur cicatrice
Ils ont refait le monde, au gré de leur caprice
Et du moule qu’ils ont rêvé !


Ils s’en vont maintenant, invisibles atomes,
Promener sous le ciel l’ombre de leurs fantômes
Qui s’allonge aux feux du soleil,
Jusqu’à ce que la mort, broyant leurs têtes blanches
Les jette, ricanant, dans un cercueil de planches
Pour y dormir le grand sommeil !

Ils se disent : « Pourquoi, si Dieu vraiment existe
L’humanité va-t-elle agonisante et triste
N’ayant pour flambeau que l’éclair ?
Pourquoi lorsqu’elle marche au milieu des ténèbres
Présenter à ses pieds tant de tertres funèbres
Rien à ses bras levés en l’air ?

« Pourquoi la vague noire au lieu des blanches voiles ?
Pourquoi le diadème éclatant des étoiles
Si le front demeure caché ?
Pourquoi sous le manteau du nuage un squelette,
Pourquoi le soleil d’or que l’océan reflète
Sans la main qui l’a rattaché ?

« Pourquoi ternir de sang l’éclat joyeux des armes,
Faire pleurer l’aurore, et mettre un flot de larmes
Dans le cœur de l’homme et des fleurs ?
Pourquoi sur le haut chêne amasser le tonnerre
Et dénoncer au bec du vautour sanguinaire
Le nid des moineaux querelleurs ?


« Pourquoi dans la douleur faut-il que l’homme naisse,
Qu’il voie au choc des ans s’envoler sa jeunesse,
Ses illusions se flétrir,
Qu’il travaille en suant pour aider sa misère,
Et qu’à chaque nouvelle aurore, se resserre
Le nœud qui le fera mourir !…

« Pourquoi ne pas donner du pain aux jeunes femmes
Et les laisser tenter dans leurs taudis infâmes
Par l’or qu’on offre à leurs haillons ?
Pourquoi faire envier ainsi tout ce qui brille,
Pourquoi le ver de terre et pourquoi la chenille
Veulent-ils être papillons !

« Pourquoi dans le printemps la pluie et la rafale,
Dans les flancs de la mer le sanglot et le râle,
Dans les feuilles le tremblement ?
Dieu, pourquoi si tu vis dans ton ciel solitaire
Ne laisser répéter aux échos de la terre
Qu’un immense gémissement ? »
 
II.

Blasphémateurs ! Dieu règne et le ciel n’est pas vide !
Vainement vous voudrez, de votre main avide,
Effacer son grand nom vainqueur,
Qu’a gravé le tonnerre au front des roches grises,
Que la nuit chante au jour, que l’aigle chante aux brises,
Et que l’âme redit au cœur !


N’avez-vous donc jamais contemplé les nuées,
N’avez-vous jamais eu de fibres remuées
Devant l’éclat du ciel en feu ?…
N’avez-vous pas senti la puissante harmonie
Qui forme entre chaque être une chaîne infinie
Et les rattache tous à Dieu ?

Le néant ! il répugne et ment à la nature !…
Quoi ! le but de la vie est d’être la pâture
Des vers rongeurs dans le tombeau ?
La pitié, la candeur et les vertus vaillantes
Pour seul salaire auront les lueurs vacillantes
Que jette un funèbre flambeau ?

Nous aurons donc en vain quitté la fête humaine,
Fui les chemins de fleurs où la volupté mène,
Pour les sentiers pleins de cailloux ?
La mort unira tout, les vertus et les vices,
Comme l’eau des ruisseaux et l’eau des précipices
Coulent dans les mêmes égouts ?

Quoi ! celui dont la main de sang vif est rougie,
Celui qui prit de l’or, qui para dans l’orgie
Son front des roses du printemps ;
Et celui qui porta la couronne d’épines,
Pauvre, désespéré, marchant dans les ruines
Plié sous des fardeaux pesants ;


Quoi ! la femme adultère à la face ternie,
Et la nonne éclairant les chevets d’agonie,
Le cénobite et le bandit,
Auront la même paix au fond de l’herbe verte
Sans que rien ne sépare à la fosse entr’ouverte
Ici l’ange, là le maudit !…

Non ! Dieu doit exister, car la Justice existe !
L’âme humaine le sait et vainement résiste
Devant son destin immortel.
C’est pour pouvoir jouir qu’elle doute ou renie,
Mais elle sent le juge au fond de l’agonie :
La tombe fait croire à l’autel !…