Le Foyer et les Champs/Devant une tête de mort

Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 75-76).

Devant une tête de Mort.

Tu n’es plus maintenant qu’un vide
pour moi, une chose odieuse.
Byron.


Ô crâne ! face morne ! ô néant, ô mystère !
Je voudrais te parler, et ne puis que me taire
En contemplant l’horreur de tes os vermoulus,
Épave que le temps brisa dans son reflux !
Tes yeux vides de pleurs sont comme des abîmes.
Ton front n’a plus un seul de ces éclairs sublimes
Que la pensée humaine y jetait autrefois !
Tu n’as plus de regard et tu n’as plus de voix
Mais tu sembles pourtant me fixer et me dire,
De ta bouche rongée, ouverte pour maudire,
Que l’implacable mort m’aura bientôt jeté
Dans ce moule où pour tous règne l’égalité !…


Mais qui donc étais-tu ? — Joyeuse fille brune
Aux grands yeux noirs, chantant le soir au clair de lune ?
Femme blonde, cachée à l’ombre d’un couvent ?
Guerrier au teint bronzé que la mort prit vivant
Sous son drapeau, linceul qu’avaient coupé les glaives ?
Artiste, poursuivant un fol essaim de rêves ?…
Travailleur attaché, jusqu’aux sombres lueurs
Du couchant, au sol dur qu’engraissaient ses sueurs ?

Qui le sait ? le sourire ou les larmes amères
Ont passé, sans laisser leurs traces éphémères
Sur ce crâne blanchi !… Voit-on dans le miroir
Quand la main l’a brisé ? Distingue-t-on le soir,
Sur l’étang, le reflet des clartés de l’aurore ?
Quand la fleur est flétrie embaume-t-elle encore ?

N’importe ! en te scrutant, crâne vide et béant,
Je sais bien que la mort n’ouvre pas le néant,
Et j’ai foi dans la vie éternelle et dans l’âme ;
La lampe éteinte sert à me prouver la flamme !…