Le Foyer/Acte II
ACTE DEUXIÈME
Scène première
Non, monsieur Lerible… Ce n’est pas encore le baron…
C’est bien ennuyeux… bien ennuyeux… Et je vous tiens là… (Geste de Dufrère.) Alors ?… vraiment ? vous ne savez pas pourquoi M. le baron m’a fait demander ? (Geste évasif de Dufrère.) Pour Le Foyer ? (Même geste de Dufrère.) Oui !… (Avec navrement.) Cela va très mal au Foyer…
Vous me l’apprenez !
Hé !… L’on en parle… l’on en parle beaucoup…
Potins, monsieur Lerible… potins !…
Bien sûr… bien sûr !… (Un petit silence.) Vous êtes discret, monsieur Dufrère… vous avez raison… Hier, M. Biron que j’ai vu…
Vous avez raison… Hier, M. Biron ?
Oui !… Oh ! En passant… (Devant l’œil interrogateur de Dufrère.) Rien… rien !… (Regardant la pendule.) Deux heures, déjà !… C’est que… voyez-vous… j’ai un rendez-vous obligatoire… C’est bien ennuyeux !
Mais le baron va rentrer d’un instant à l’autre…
Lerible marche, ou plutôt glisse dans la pièce, touchant aux meubles, palpant les bibelots.
Bien ennuyeux… (Petit silence. Regardant toujours autour de lui.) Ça ferait une belle vente ici… Mâtin ! (Sur un mouvement de Dufrère, il tourne sur lui-même, et reprend.) Oh ! je dis ça… pour exprimer mon admiration… (Il va jusqu’au canapé, qu’il caresse du revers de la main.) Une vieille connaissance… Oui… oui !… ça vient de la faillite Pamard ?
Je crois…
Mon Dieu ! tout m’intéresse… Ce pauvre M. Pamard !… Je le lui avais bien dit. Il a été trop vite !… (Il reprend sa marche glissée.) Qu’est-ce qu’on m’a raconté ! Il paraît que M. le baron a eu une grande déception, l’autre jour…
Ah !
Oui… Cette visite de la duchesse de Saragosse au Foyer…
Eh bien ?
… n’a rien donné… rien donné… (Levant les bras.) Cinq cents francs.
Racontars !
Bien sûr… bien sûr !… (Levant les bras.) La charité devient un métier si difficile ! aujourd’hui… (Regardant la pendule.) Non, monsieur Dufrère, je ne puis plus attendre… Vous présenterez toutes mes excuses à M. le baron… (Il se dispose à partir.) C’est bien ennuyeux.
La Bourse, hein ?
C’est que… je ne vais jamais à la Bourse… La Bourse, monsieur Dufrère, c’est pour les grands messieurs… Et puis, je vais vous dire, j’ai peur des juifs… Ils vont trop vite…
Alors, vous ne jouez jamais ?… Quelle blague !
Jamais… jamais… C’est-à-dire… j’achète bien… par-ci… par-là… des titres bon marché… quelques petits titres, très bon marché… et…
Allez donc… Et ?…
Et j’attends !…
Alors ?… vraiment ?
Non… non… Je ne peux pas… M. le baron me fera savoir, n’est-ce pas ?…
Il sort suivi de Dufrère. Thérèse a entr’ouvert la porte de gauche. Voyant la scène vide, elle entre, se promène avec agitation et se retourne au bruit que fait Dufrère en rentrant par la droite.
Scène II
Eh bien, monsieur Dufrère ?
Non, madame, le baron n’est pas rentré.
Vous êtes sûr ?
Sûr.
Et quelle heure est-il ?
Deux heures dix…
Deux heures dix.
Il arrive au baron de ne pas rentrer déjeuner ?
Jamais sans prévenir.
Je vous assure, madame, qu’il n’y a aucune raison de vous inquiéter. Le baron a été retenu au Foyer… voilà tout. Vous comprenez qu’après tout ce qu’on a dit sur la mort de cette petite… cette lettre anonyme reçue ce matin…
La pauvre petite, d’abord, est morte d’une maladie de cœur… C’est établi… Il n’y a de la faute de personne… Mlle Rambert n’a même pas voulu renvoyer la surveillante… Je trouve qu’elle a eu raison… Du moment que les médecins…
Mais il ne s’agit pas de la petite Mézy… Il s’agit d’une certaine Louisette Lapar…
Le fouet ? Les brutalités ?… Je sais… C’est absurde !… Ces fillettes… ces femmes… tout ce monde a le goût du romanesque… Comme au couvent.
En tout cas, cette lettre a singulièrement inquiété le baron… Il aura voulu faire une enquête…
Monsieur Dufrère… moi, c’est bien autre chose qui me préoccupe… Depuis quelque temps, je vois si souvent le baron soucieux, absorbé… Avec son caractère, vous conviendrez qu’il y a de quoi s’émouvoir… Enfin, il a beaucoup changé… (Aimablement.) Je connais la confiance qu’il a en vous et que vous méritez…
Madame…
Madame la baronne, c’est le Bon Marché.
Dufrère se détourne insensiblement et considère une bonbonnière qu’il a prise sur le guéridon voisin du canapé.
Dites qu’il y a beaucoup de rendus.
Mais, madame la baronne…
Que je passerai…
Mais, madame la baronne, c’est un inspecteur.
Eh bien, ma petite Julie, faites-le attendre. (Poussant Julie jusqu’à la porte.) Je suis sortie… le baron est sorti… il va rentrer… Ce que vous voudrez. (Julie sort.) Ah !… Je voudrais bien qu’il rentre !…
Il va rentrer…
Je comprends, monsieur Dufrère, que vous ne trahissiez pas le baron. Mais vous avez bien le droit de m’avertir si quelque malheur nous menace.
Il n’en est pas question.
Alors d’où viennent les soucis qu’il a ? J’ai peur de l’interroger. Je n’ose plus lui demander d’argent… Il est positivement gêné… Pourquoi ?
Pour toutes sortes de raisons… madame, excusez-moi…
Allez donc… (Changeant de ton.) Pourtant, nous faisons des économies… Il y a bien des choses…
N’empêche… la maison est encore très lourde.
Je croyais le baron heureux à la Bourse… bien renseigné…
Justement non, madame. Une fois ou deux, ces temps-ci… il a suivi les conseils de M. Biron.
De M. Biron ?
Oui, c’est toujours M. Biron…
Je suis bête… naturellement… Eh bien ?
Eh bien ! Il s’en est mal trouvé…
Très mal ?
Nous avons en ce moment mille Chemins de fer du Pacifique… Cent quarante francs de baisse… On nous reporte depuis quatre mois…
Oh ! ça !… C’est inutile !… Je n’y comprends jamais rien… (Se lamentant.) Pourquoi le baron achète-t-il des chemins de fer en Amérique ? Pourquoi faire ?
Ce sont des papiers…
Papiers ou chemins de fer… Ce sont des inventions de Biron pour lui faire perdre de l’argent…
M. Biron nous a donné de très bons conseils… autrefois…
Autrefois !… (Se tournant vers Dufrère.) Enfin, pourquoi ne rentre-t-il pas ? C’est agaçant !… (Un temps.) Et le Foyer ?
Je ne connais pas bien la comptabilité du Foyer. Le baron se la réserve. Je suppose que là… aussi…
Et ce Lerible… qui devait tout réorganiser ?
Oh !…
Est-ce que ce n’est pas un ami de M. Biron ?
Un ami !… M. Lerible n’est guère reluisant… Non, ils sont en relations d’affaires.
Ça doit être du propre !… (Très agitée.) Ah ! il y a des moments où tout va mal… (Un valet de pied entre. Thérèse prend et lit la carte qu’il apporte.) Bah ! Et puis des moments où tout va bien. (Au valet.) Priez M. d’Auberval de monter…
Madame…
En tout cas, mon cher monsieur Dufrère, je vous remercie beaucoup… Nous reprendrons cette conversation.
Dufrère sort. Thérèse s’installe dans la bergère, un livre à la main, un miroir de l’autre. Entre Julie.
Scène III
Quoi encore ?
Madame la baronne, c’est toujours ce monsieur.
Quel monsieur ?
L’inspecteur.
Eh bien ? Que voulez-vous que j’y fasse ?
Mais, madame la baronne…
Qu’on me laisse tranquille !… C’est insupportable, à la fin. (Julie va pour sortir.) Dites donc, ma petite Julie, il me semble que je suis toute décoiffée.
Madame la baronne est tout à fait jolie.
Julie sort. Thérèse ne quitte des yeux son miroir pour le livre que quand le valet de pied introduit d’Auberval.
Scène IV
Bonjour, lâcheur !
Pourquoi, lâcheur ?
Parce que vous n’êtes pas venu aux Français, hier soir.
Vous n’avez donc pas eu mon mot ?
Non.
Comment, non ?
Non.
Inouï !
Eh bien… vous me dites dans votre mot…
Dans le livre que vous lisez ! Oh ! (Avec un gai reproche.) Vous savez mentir !
Malheureusement pas… seulement pour rire… Ce n’est pas comme vous… Êtes-vous prêt ?
À quoi ?
À mentir… (Mettant un doigt sur le billet.) Vous m’annoncez là… que je saurai l’emploi de votre soirée… (Un petit silence.) Eh bien ?
Je venais vous le dire.
Comme vous êtes drôle, tout d’un coup !… Allons, où étiez-vous ?
Au cercle…
Est-ce que votre cercle est brune ou rousse ?
Ne plaisantez pas… Je suis si malheureux !
Pauvre ami !… Mais je ne savais pas. Et pourquoi ?
Pourquoi ne m’avez-vous jamais parlé de la situation où vous êtes ?
Hein ?
Pourquoi ne m’avoir jamais dit la vérité ?… Je ne suis donc rien pour vous ?
Quelle situation ?… Quelle vérité ?
Je vous en prie… ne dissimulez pas… Je sais… je sais tous vos grands ennuis… Et moi qui ne voyais rien. (S’exaltant.) Je ne veux pas que vous soyez malheureuse… qu’il y ait rien de changé à votre vie… Tout ce que j’ai est a vous… Oh ! que n’ai-je une fortune !… Une fortune !
Je vous remercie de l’intention… mais de quel droit venez-vous ? Vous ai-je donné des droits pour me parler ainsi ?… (Sèche.) Quand j’ai besoin d’argent, j’en demande à mon mari. Quand il n’en a pas… je m’en passe !
Pardon… pardon… Je vous ai blessée ?
Vous m’avez fait de la peine…
Oui… je n’aurais pas dû… Pardon !
Ce n’est pas bien… (Le fixant.) On vous a dit du mal de moi. Non ?… Vous avez entendu dire du mal de moi ?… Enfin, vous avez entendu parler de moi, au cercle, hier soir ?
C’est vrai…
Par qui ?
Que vous importe ?
Il m’importe beaucoup, au contraire. Dites… dites…
Il y avait là le général Fain…
Puuut !
D’Auberive… Le Veneur… Steiner… d’Epiais.
C’est tout ?
Oui…
Des gens que je ne reçois pas… que je ne connais pas… ou à peine… Et ils disaient du mal de moi ?
Non… On parlait même gentiment de vous… mais…
Mais ?
On parlait de vous comme on parle des autres femmes.
Pourquoi ne voulez-vous pas que je sois, pour tout le monde, une femme comme les autres ? (Elle lui abandonne sa main qu’il baise.) À propos de quoi cette conversation ?
Vous allez vous fâcher de nouveau… (Geste de Thérèse.) À propos des embarras financiers du baron… On a bien peur qu’il soit ruiné… On vous plaignait…
Ils ont de la pitié de reste… Je ne suis pas à plaindre… (Un temps.) Vous ne dites pas tout.
Eh bien, non… (Extrêmement gêné.) Ce qui m’a rendu le plus malheureux, c’est d’entendre trop souvent répéter… en même temps que le vôtre… le nom de…
Biron.
Oh !
Croyez-vous que, depuis dix ans, ce soit la première fois que cette calomnie ? (Elle regarde bien en face d’Auberval ahuri.) Oui… je sais… j’aurais dû fermer ma porte à Biron… C’est mon mari qui m’en a empêchée… Il a bien fait, après tout… Biron est ce qu’il est… Mais c’est un excellent ami, à qui nous devons beaucoup… Et puis, qu’on dise ce qu’on voudra… Je m’en moque… Non, vraiment, les gens sont trop bêtes !
Trop méchants !…
Mais enfin, si j’étais la…
Taisez-vous… taisez-vous !…
C’est trop bête !… Vous ne savez pas ?
Dites… dites…
Je regrette que tout ce que l’on vous a raconté de notre ruine ne soit pas vrai !… (Geste de d’Auberval.) Le luxe ! Croyez-vous donc que j’y tienne ? Dieu non ! Je m’y sens… comment dire ?… en prison… (Gaiement.) Tenez, je rêve quelquefois d’habiter un sixième… Oui… un sixième… sur une cour… ou bien au bout du monde… un tout petit coin… où on me laisserait tranquille et où je pourrais recevoir…
Qui ?
Vous…
Là aussi vous me résisteriez…
On n’a de force pour résister qu’à ceux… qu’on aime…
Qu’on aime ?
Plus que son bonheur…
Jamais… je ne me pardonnerai… Je voudrais m’agenouiller à vos pieds.
Mon pauvre ami !… Ne me croyez pas pour cela meilleure que je ne suis… Savez-vous que vous me faites peur ?… Je suis une femme comme les autres… une pauvre femme… (Entre un valet de pied. Thérèse prend la carte qu’il apporte, la lit, la lui laisse.) Faites attendre au petit salon… (Le valet de pied sort.) Il faut vous en aller, mon ami…
Je pourrais bien… jusqu’à ce que la personne…
Allez-vous-en… Non ?… Ah ! voilà ce que c’est… Maintenant, vous abusez.
Pardon… je m’en vais… Je suis fou… J’embrasse encore quatre fois votre poignet… Et puis je m’en vais !… (Embrassant le poignet.) Une…
Enfant !
Deux !
Enfant !
Trois !
Allez-vous-en !…
Quatre !… (Il regarde Thérèse qui ne dit plus rien.) Je m’en vais… (Se dirigeant vers la porte de droite.) Il y a dans Paris une dame que j’adore de toutes mes forces…
Si je la rencontre… je lui dirai…
Sera-t-elle contente ?
Beaucoup trop…
Alors, je m’en vais…
Vous ne savez plus ?
Ce n’est pas le chemin qui m’embarrasse.
Tenez… J’aime mieux tout vous dire… Je ne sais pas ce que vous imagineriez… C’est Mme Durand d’Avranches… là !
Poupette ?
Poupette… Elle nous a déjà rencontrés au Bois samedi… avant-hier au Salon…
Je suis une brute… Je me sauve…
Il sort par la porte du billard. Thérèse sonne, va à la fenêtre dont elle écarte les rideaux. Biron est introduit.
Scène V
Au moment, où il est entré, Thérèse, ne s’est pas retournée. Biron la considère un instant.
Alors ? Vous ne pouvez pas me laisser tranquille ?… Je ne serai jamais plus tranquille ?… Après ce que je vous ai dit hier au théâtre, vous voilà du nouveau ?… Vous voulez un éclat ?… C’est un scandale que vous cherchez ?… Qu’est-ce que vous venez faire ?… Qu’est-ce que vous voulez ?… Qu’est-ce que vous voulez ?
Vous parler un instant, de bonne amitié.
Vous n’êtes pas mon ami… vous me persécutez…
Je ne pense qu’à vous ! Je ne peux plus vivre sans vous !… (Thérèse se retourne pour dire quelque chose, se tait, continue de descendre.) Je suis prêt à faire n’importe quoi pour vous… Dites ?… que faut-il que je fasse ?
Me laisser tranquille… (Changeant de ton, presque en larmes.) Mon petit Biron, laissez-moi tranquille, je vous en supplie !… Laissez-moi tranquille.
Allons ! Bon ! Vous pleurez !
Non… je rage…
Écoutez-moi…
Non… non… Vous voyez l’état où je suis… toute crispée… hors de moi… mais c’est bête… Pour vous-même… Laissez-moi un peu !… Je changerai peut-être… mais je vous en prie, laissez-moi !… (Nerveuse.) Allez-vous-en… (Plus nerveuse.) Que je ne vous voie plus. (Encore plus nerveuse.) Que je ne vous voie plus dans toutes les maisons où je dîne… dans tous les théâtres où je vais… au Bois… dans les rues… dans les magasins… partout. Je ne sais pas comment vous faites… Je vous vois partout !
Je m’arrange… vous savez comme je suis !…
Oh ! oui…
Au lieu de vous fâcher, celle insistance devrait vous attendrir… Qu’est-ce qu’il faut donc pour vous toucher ?
Faire ce que je vous demande… Vous en aller d’ici… de partout… de ma vie…
Je ne peux pas me passer de vous voir…
Ça ne vous mènera à rien…
Tant pis !… Je ne peux pas me passer de vous voir…
Vous voulez donc que ce soit moi qui m’en aille ?… (Biron fait un geste.) Vous voulez que je me tue ?
Vous me délestez donc bien ?… (Diérèse s’arrête, considère Biron. Un silence.) Vous ne voulez pas que nous nous asseyions ?
Pourquoi faire ?… Si… c’est stupide de tourner comme ça… Asseyez-vous !
Vous ne voulez pas vous asseoir ?
Asseyez-vous !…
Vous ne voulez pas vous asseoir.
J’avais juré que je ne vous recevrais plus… jamais… Mais vous avez raison… Il faut en finir une bonne fois ! (Tapant sur le canapé.) Il faut en finir !
Allons !… voyons… ne vous emportez pas… Nous pouvons bien causer… Et d’abord, je suis votre ami, pas autre chose. Ah !…
Je la connais, votre amitié !… Vous ne comprenez même pas… Je ne suis pas bien…
Vous êtes souffrante ?
Oui… c’est-à-dire… j’aurais besoin de repos… d’être seule… d’être à moi.
Pauvre amie !
Vous aussi, vous allez me plaindre ?
Je ne comprends pas…
Peu importe… (S’adossant.) Enfin, j’ai toutes sortes d’ennuis.
Vous voyez… Ce serait impardonnable de vous priver d’un ami tel que moi !
Parce que vous êtes riche ?
Il ne s’agit pas de ça.
Je n’accepterai plus jamais rien de vous… Alors ?
Me croyez-vous incapable de me mettre à votre disposition ?
Oh ! je sais…
Non… pour rien… pour vous voir heureuse…
Pendant huit jours… oui… Après, je vous trouverai partout, sur mon chemin, à attendre…
Vous serez bien libre.
Mais non… je ne serai pas libre… D’ailleurs, je ne veux rien de vous, rien de personne… Est-ce net ?
Et comment ferez-vous ?
Je changerai ma vie.
On ne change pas sa vie.
Je changerai ma vie.
Une femme comme vous !… On ne change pas sa vie.
Vous verrez… vous verrez.
À votre âge…
Alors je suis vieille ?
Vous êtes folle, Thérèse… Je vous adore !
Si j’étais vieille, vous ne m’aimeriez pas… On peut m’aimer… on peut m’aimer… Vous ne savez pas la jeunesse qui est en moi… la force qui est en moi !…
Et la folie qui est en vous… si… si… je sais… (Un temps.) Et je sais aussi que vous me reviendrez…
Ça… c’est imbécile ! Vous me faites pitié !
Vous me reviendrez… Oh ! parbleu ! On dit des choses… on dit des choses… on rêve… Des bêtises… des bêtises… (Lentement.) Vous me reviendrez… d’abord parce que vous ne pourrez pas faire autrement. Ah !
Vous croyez ?
J’en suis sûr. Et puis parce que je vous aime… (Éclats de rire de Thérèse.) parce que je vous veux… comme je n’ai jamais rien voulu dans ma vie, et qu’à cette volonté-là…
Attendez !… Je connais ces mots… je les reconnais… Je crois vous entendre… il y a tant d’années…
C’est possible.
Les mêmes mots… les mêmes gestes… Pourtant vous m’avez perdue !
Non.
Je n’ai pas repris ma liberté ?
Non.
Non ?
Pas pour longtemps… Riez… riez… pas pour longtemps… (Se levant.) Tout ce que j’ai voulu ardemment, je l’ai eu…
Tout ce qui s’achète… Je ne me vends plus.
Oh !… Nous verrons…
Vous me feriez devenir folle… Je suis bonne aussi de vous écouler… (De très près.) Allez-vous-en !… Vous n’entendez pas ?… Allez-vous-en !… (Biron recule, Thérèse le suit.) Vous voyez bien que je vous chasse !
Je vous laisse… Oh ! je vous laisse.
Je ne veux plus vous voir, jamais… Je ne vous recevrai plus jamais… Vos lettres, je ne les lirai pas.
C’est de la démence.
Scène VI
Monsieur… je vous demande pardon… je vous demande bien pardon !
Laissez… Laissez donc !
Madame, le baron est de retour… Il a été retenu, en bas, par un journaliste… mais il me suit…
Oh ! non… Je ne suis pas en état de le voir… Plus tard… (Courant jusqu’à la petite porte de gauche.) Je suis sortie… je rentrerai…
Scène VII
Courtin entre, suivi d’un valet de pied qui prend son pardessus, sa canne, son chapeau et sort.
Comment ?… Elle n’est pas là ?
J’apprends que la baronne vient de sortir.
Vous la disiez inquiète ?… pressée de me voir ?
Elle l’était, je vous assure. Elle ne peut tarder à rentrer.
C’est ennuyeux !… Mlle Rambert va venir… J’aurais voulu voir la baronne avant… Souvent elle est de bon conseil…
Mlle Rambert ?… Je vous croyais au Foyer ?
J’en viens… j’y suis depuis ce matin, mais pas de Mlle Rambert…Où est-elle ? Où est-elle ?… Je l’ai attendue jusqu’à trois heures… J’ai laissé un mot lui intimant l’ordre de me rejoindre ici… un mot bref !
Je m’en rapporte à vous…
Ah ! cette journée !… Mon cher, ce que j’ai appris est inouï !… Je le prévoyais d’ailleurs… La lettre de ce matin avait un accent de sincérité…
Alors ?… Ces scènes… de flagellation ?…
Flagellation… flagellation ! (Changeant de ton.) Le fait est qu’on les fouettait… Et puis, je sais des histoires, mon cher !…
L’abbé Laroze s’est donc décidé à violer le secret de la confession ?
Non… non… Oh ! non !… (Changeant de ton.) C’est-à-dire qu’il m’a désigné celles que je devais interroger… et soufflé les questions… Il y a des détails… (Dufrère s’approche.) pas à répéter… En tout cas, on les fouettait un peu rudement.
Nues ?
Très peu vêtues… très peu vêtues…
Les témoins ?
Malheureusement exact… de témoins ou alors… c’était bien pire !
Ah !… Et Louisette Lapar ?… ses blessures ?
Elle est couchée… elle est blessée… Il n’y a pas à dire… très blessée… de grandes raies sanglantes sur les épaules, le dos… Oui, enfin… Et de la fièvre… du délire… Elle m’inquiète… Ah !
Ces histoires de nourriture ?…
Ça !… quand elles se sont mises à se plaindre… toute la kyrielle, naturellement… « Les ateliers sont infects… On travaille trop… On les éreinte… Il n’y a pas d’air… » C’est le cas de tous les ateliers…
Le fait est…
« Les dortoirs dégoûtants… pas de place entre les lits, pas moyen de se laver… » Est-ce que je sais ?… Il est vrai que les dortoirs… Mais qu’y faire ?… Tous les établissements de charité en sont là… Quand on a passé, comme moi, sa vie dans les établissements de charité… on se blase un peu… (Allant et venant.) Qu’on me donne de l’argent !… Qu’on me donne de l’argent !
Et qu’est-ce, au juste, que cet incident des conserves ?
Fâcheux… assez fâcheux.
Enfin, quoi ?… tous les jours, au régiment…
C’est vrai.
… des soldats sont empoisonnés…
Naturellement… Mais dans le monde, mon cher, dans le monde !
Il n’y a pas de plainte ?
Non… non… aucune plainte déposée… du moins pas encore… Depuis la mort de cette petite Mézy… vous pensez… on a fait des ragots, dans le quartier… Mais de là à exhumer le corps… à pratiquer l’autopsie… J’ai tenu, cependant, à rendre visite au commissaire de police… Et je m’en félicite…
Ah !…
Un homme charmant… Vous concevez qu’il s’est mis en frais pour moi… de l’esprit…
On ne cherche pas à vous atteindre ?
Rien du tout… Le mot d’ordre, m’a-t-il dit, c’est : « Pas d’affaire… pas d’affaires !… pour toutes les affaires ! »
Ils sont d’ailleurs couverts par le certificat du médecin : « Tempérament cardiaque… Crise cardiaque. » Le docteur est formel.
Ah ! c’est qu’on le suspecte un peu.
Comme médecin de l’établissement ?
Non… à cause de ses opinions politiques. « Il est très mal noté », m’a dit le commissaire. C’est ennuyeux.
En somme, pas de mauvaises intentions contre vous ? Vous n’êtes pas visé ?
J’ai sondé mon homme… Il est fin… Il m’a compris à demi-mot… « Monsieur le sénateur, m’a-t-il dit, j’ai connu un temps où nous dépendions du ministère de l’Intérieur… Aujourd’hui, nous ne dépendons plus que des journaux… Si vous avez une bonne presse… je ne mettrai même pas les pieds au Foyer… Mais avec une mauvaise presse ! »… Aussi, le ton de ce petit journaliste, tout à l’heure…
Vous avez été peut-être un peu nerveux, un peu dur avec lui ?
Non… Il faut impressionner ces gens-là… Je l’ai reçu dans la galerie, exprès… à cause des colonnes… Mon chapeau, ma canne… exprès… Il se forçait pour être impertinent, ce gamin !…
Il ne voulait pas paraître intimidé. C’est un bon garçon… je le connais… Il croit un peu trop que la révolution est arrivée : un débutant !
Il m’a choqué tout de suite avec son mot « d’entreprise de charité »… Une entreprise de charité, le Foyer !
Son journal n’est lu par personne.
Mais il fait la loi à tout le monde (Un temps.) Et cette Rambert ! Oh ! elle peut se vanter !… Une femme infernale !
Est-ce que l’abbé n’est pas un peu porté à exagérer ?
Mon cher… vous n’avez pas l’air de vous douter de la responsabilité que j’ai.
Enfin, que comptez-vous faire ?
Je n’en sais rien… L’abbé Laroze, lui, parbleu !… tout cela ne le gêne pas. Il n’y a que Mlle Rambert de coupable… Il n’y a qu’à renvoyer Mlle Rambert… Le bouc émissaire…
C’est un système qui a toujours réussi au clergé, depuis le grand prêtre d’Israël.
Il y a du bon… (Changeant de ton.) Mais cette Rambert… vous ne savez pas quelle femme c’est…
Vous êtes le maître.
On dit ça… vous verrez… vous verrez !…
Scène VIII
Eh bien ?… Renvoyée ?
Pas même encore arrivée…
Ah !… Extraordinaire !… Quelle coquine !… ( Changeant de ton.) Est-il venu des journalistes ?… Depuis ce mot du commissaire…
Dufrère en a vu deux, ce matin… Moi-même, à l’instant…
Il faut s’attendre à quelque attaque…
On oserait s’attaquer à la charité !… Mais voyons, la charité est sympathique à tout le monde… La charité a toujours une bonne presse…
Détrompez-vous, l’abbé… Si vous aviez entendu ce galopin !… Ils n’en veulent plus… Ils la suppriment.
Supprimer la charité !… Ce sont des fous… Il faut les enfermer… (Croisant les bras.) Par quoi veulent-ils donc la remplacer ?
Par rien… Ils réclament la justice… voilà…
La justice ! La justice !… Mais la justice n’est pas de ce monde.
Il ne faut pas trop le leur dire…
C’est déjà bien beau de l’espérer dans l’autre.
Il paraît que ça ne leur suffit plus.
Bon !… Mais les pauvres ?… Qu’est-ce qu’ils en font ?
Ils les suppriment aussi…
Plus de pauvres !… Plus de pauvres ! Mais c’est la fin du monde ! (Changement de ton.) Oh ! monsieur le baron, je vous en supplie… n’hésitez plus… il faut vous débarrasser de Mlle Rambert… vous en débarrasser sur-le-champ !… Écrivez… écrivez à tous les journaux que Mlle Rambert est partie du Foyer… partie… partie… Voilà ce que j’appelle une bonne presse.
Mlle Rambert demande…
Courtin fait un geste pour qu’on introduise Mlle Rambert et se tourne vers l’abbé qui se frotte les mains.
Vous allez voir comme ce sera commode !… (À Dufrère.) Informez-vous donc si la baronne est rentrée… Et qu’elle vienne.
Pas de sentiment, monsieur le baron. Pas d’explications non plus… Vous êtes édifié… Soyez ferme.
Scène IX
Ah ! vous voilà !
J’attends depuis un bon moment, monsieur le président.
Et moi, mademoiselle… je vous attends depuis ce matin.
Il fallait me prévenir… Vous savez que tous les mercredis… (Geste de Courtin ; haussement d’épaules de l’abbé.) En tout cas, monsieur l’abbé le sait, lui !
Oh ! moi, mademoiselle… je ne m’occupe que de mes affaires… que de mes affaires…
Vous devez savoir pourquoi je vous ai convoquée ?
Aucunement…
L’abbé rioche, se frotte les mains, Mlle Rambert le regarde, hausse les épaules.
Savez-vous, mademoiselle, quelle distance il y a entre les lits ?… dans les dortoirs ?
Quoi ?
Vingt centimètres, mademoiselle… à peine vingt centimètres… et savez-vous combien de baignoires ?
Ce n’est pas d’aujourd’hui… (Regardant Courtin avec surprise.) Je ne comprends pas.
C’est vrai… Je m’arrête à des vétilles… quand j’ai à vous reprocher des choses si graves… si scandaleuses.
Si abominables !…
J’ai vu Louisette Lapar…
Mademoiselle ne niera pas…
Qui vous dit que je veuille rien nier ? Je revendique, au contraire, la responsabilité de mes actes.
De tous ?
De tous…
Même de l’escamotage des obsèques… (Levant les bras.) Oh ! de la pauvre petite Mézy…
Est-ce à propos de la petite Mézy ?
Il ne s’agit pas de la petite Mézy… Un malheur est un malheur… Mais toutes les autres qu’on brutalise, qu’on martyrise ?
Monsieur le baron, vous le savez, j’ai élevé de grandes dames… Vous n’ignoriez pas non plus comment j’entendais élever des filles pauvres…
C’étaient des théories…
On n’élève pas, comme des enfants de millionnaires, comme des filles de marquises, des petites malheureuses condamnées à rester, toute leur vie, ouvrières ou domestiques. Il faut les préparer à la misère qui les attend.
Le fouet à la main ?
On n’a pas toujours le choix des moyens quand on doit mater les créatures que tous les démons travaillent.
Et les témoins ?… Les autres… qui regardaient ?
L’exemplarité… Les punitions et les récompenses… avec l’exemplarité… toutes les religions, toutes les morales, toute la vie repose là-dessus… depuis le catéchisme avec l’Enfer, et le Paradis, jusqu’à la loi avec les prisons, les médailles, la Légion d’honneur.
Et la guillotine ?… (Changeant de ton.) C’est un système.
C’est le mien.
Eh bien, mademoiselle, vous trouverez bon que je vous prie d’aller l’appliquer ailleurs.
Mais je ne demande pas mieux…
À la bonne heure !
Avec l’existence qui m’est faite… les soucis… les reproches… (Regardant l’abbé qui hausse les épaules et ricane.) la jalousie… l’espionnage… j’en ai assez.
Mademoiselle…
Je suis à bout de forces et aidée… il faut voir… Presque plus de personnel… pas d’argent… jamais d’argent… Aucun n’est payé. Les fournisseurs viennent me faire des scènes tous les jours… on me menace… on m’insulte… en plein vestibule du Foyer… devant les petites… On me traite de voleuse jusque dans la rue…
Mais, mademoiselle… vous vous méprenez. Il n’est pas question…
La semaine dernière, vous m’aviez promis quinze cents francs… Je ne les ai pas eus, naturellement.
Vous savez bien…
Voilà plus d’un mois que vous m’annoncez une somme, sur l’allocation des cent mille francs du Pari mutuel… je ne l’ai pas eue davantage… Parbleu !
Mais, mademoiselle, vous savez bien que j’ai dû payer les entrepreneurs…
Six mille francs, oui !… (Un petit silence). Non, non… Je n’aspire qu’à m’en aller…
Je tiens à vous dire que, si je puis vous aider…
Je vous remercie.
Et qu’en raison de la précipitation de votre départ…
Si, en effet, comme vous le disiez, je crois, mademoiselle… vous vouliez bien partir aussitôt… demain…
Eh là ! monsieur l’abbé… Demain ?… comme vous y allez !… Personne n’a dit demain… Je ne suis pas une criminelle… (Regardant Courtin avec insistance.) ni une voleuse.
L’abbé entendait très prochainement…
Pas même, monsieur le baron… pas même !… Tout dépend.
Mais de quoi donc, mademoiselle ?
Je ne veux pas… je ne supporterai pas… qu’on puisse dire que je ne m’en vais point du Foyer les mains nettes.
Nous différons d’avis sur l’application de certaines méthodes pédagogiques… Cela n’entache en rien votre probité, à laquelle je ne saurais trop rendre hommage.
Oh ! mais… pardon !… Ces sortes de certificats… ne me suffisent pas… Je veux bien m’en aller… je le désire même, mais le jour seulement où la comptabilité du Foyer… (S’arrêtant et regardant Courtin bien en face.) vous seul, monsieur le baron, savez combien elle est embrouillée… le jour seulement où cette comptabilité sera remise en ordre parfait… Si non, je ne m’en irai pas.
Vous ne vous en irez pas ?
Non, monsieur l’abbé.
Des menaces ?
Nullement… Des conditions.
Vous vous permettez ?… Prenez garde !… Après tout ce que vous avez fait… ne m’obligez pas à déposer contre vous une plainte au Parquet… une plainte que la pitié seule…
Oh ! monsieur le baron… je vous en prie… Pour vous plus que pour moi… n’appelez jamais la justice au Foyer !
Qu’est-ce que vous dites ?… Qu’est-ce que vous avez osé dire !
Je vous en prie… je vous en prie !… (À Mlle Rambert.) Où prenez-vous, mademoiselle, que les dettes ne seront pas payées… que tout ne sera pas remis en règle… et bientôt ?
Ça ne la regarde pas… Les questions d’argent ne la regardent pas.
Je vois avec plaisir que monsieur l’abbé, en homme d’affaires, me comprend très bien, lui… (Détachant les mots.) Une fois les dettes payées… la comptabilité à jour… votre servante.
Elle fait la révérence et sort sans saluer l’abbé. Courtin, qui n’a pas répondu à son salut, la regarde quelque temps, et, quand elle est sortie, tombe lourdement sur le divan.
Scène X
Elle ne m’a même pas dit adieu… Mais elle s’en va… c’est l’essentiel.
Elle n’est pas encore partie.
Allons donc ! Mais si… de gré ou de force…
Vous avez eu tort de la brusquer… Elle peut nous causer énormément d’ennuis… Elle sait bien ce qu’elle dit, la canaille !
Alors, mettez-vous en règle.
Du jour au lendemain, c’est impossible.
Qu’elle reste seulement huit jours… c’est tous les journaux qui seront pleins de nos affaires… Il faut payer.
Mais le moyen ? Ce n’est pas d’aujourd’hui que je cherche.
Tenez ! Monsieur le baron… quand je devrais supplier tous nos amis… supplier les bons Pères… me jeter aux genoux du nonce…
Il vous donnera sa bénédiction… (En marchant il s’arrête devant la petite porte de gauche, l’ouvre, regarde, appelle.) Thérèse ! Thérèse ! (Refermant la porte.) Ah ! je ne comprends pas que la baronne ne soit pas encore rentrée !
Écoutez, monsieur le baron… Il faut prendre les grands moyens… les moyens révolutionnaires… Tant pis !… Si vous voulez consentir à enlever la vice-présidence du comité à la baronne Schomberg… je me fais fort…
Parce qu’elle est protestante ?
Hé ! oui !
Vous êtes fou !… C’est tout un monde qu’on se ferme… Je regrette assez d’avoir, au moment de l’affaire, laissé mettre dehors Mme Salomon Lévi. (S’animant.) C’est curieux ! vous vous entêtez à faire de moi un ultra.. ! Mais non… Je suis un impérialiste… un libéral… Ah ! Et puis, tenez, vous êtes assommant. Vous me voyez inquiet, énervé, et au lieu de me calmer… de me dire des choses sensées… vous êtes là à me raconter des histoires…
C’est bien ! C’est bien ! Si vous ne voulez même pas que je tente quelque chose !…
Mon pauvre ami !
Scène XI
La baronne ?
Non… C’est M. Arnaud Tripier…
Arnaud Tripier !… Ah ! mais ! Ah !… mais !… Vous êtes sûr ? Arnaud Tripier ?
J.-B. Arnaud Tripier… ancien député.
Il passe la carte à Courtin qui, après y avoir jeté les yeux, la déchire.
Encore des ennuis ?
Mais… il n’est jamais venu ici ?
Que je sache…
Cet Arnaud Tripier, à présent !… il ne manquait plus que ça !
Peut-on savoir ?… Qu’est-ce que c’est ?
Un de ces hommes qui rôdent au Parlement les jours de crise. (Insistant.) Un homme dont le gouvernement se sert pour des négociations louches… Comprenez-vous ?… Est-ce que le gouvernement va mettre, lui aussi, son nez au Foyer ?
M. le baron… il ne s’agit peut-être pas du Foyer… Pourquoi voulez-vous qu’il s’agisse du Foyer !
Alors ? pourquoi viendrait-il 7
Avec un gouvernement pareil !… Est-ce qu’on sait ?
C’est impossible !… C’est impossible !… Ils n’oseraient pas.
Ils n’oseraient pas ?… Avec ça ! Ils ne respectent plus rien…
Mais taisez-vous donc, vous ! (Il marche. À Dufrère.) Que voulez-vous ?… Il faut le recevoir. (Dufrère sort. L’abbé Laroze prend son chapeau.) Quoi ? vous partez aussi ?
Oh ! un homme du gouvernement !
Vous me laissez… tout seul ?
Monsieur le baron… ma robe ne ferait que l’exciter…
Scène XII
Resté seul, Courtin va à la glace, lisse nerveusement ses cheveux et ses favoris, considère le buste de Napoléon.
M. Arnaud Tripier.
Monsieur le Sénateur… (Il serre avec effusion la main que Courtin lui tend.) Monsieur le sénateur, j’ai eu le bonheur de vous donner, parfois, des renseignements utiles. (Courtin incline légèrement la tête.) Je viens aujourd’hui vous en apporter un qui peut avoir son prix. (Courtin lui indique un siège.) Merci ! (S’asseyant et ôtant des gants douteux.) L’ordre du jour, au Sénat, va être complètement modifié, nos amis veulent faire venir tout de suite la discussion de la loi sur l’enseignement.
Ah !
Oui, vous concevez… On approche de la fin de la session… et le gouvernement désire…
Oh ! que je prenne la parole un peu plus tôt, un peu plus tard…
Comment ? Vous allez prendre la parole ? Bah ! et moi qui… Oh ! ça, c’est admirable ! À la bonne heure, voilà qui est crâne !
Que voyez-vous là d’extraordinaire ?
Je vois… Je vois… Vous ne voulez pas nous priver d’un beau discours. Tant mieux.
Si je monte à la tribune, monsieur, ce n’est pas pour y chercher un vain applaudissement… c’est pour y apporter la juste protestation d’une minorité qui ne s’illusionne pas sur ses forces, mais qui garde intact le respect de ses convictions et de ce qu’elle croit être la véritable tradition du libéralisme français… (Plus simple.) Et pourquoi, je vous prie, ne prendrais-je pas la parole ?
Sans doute, sans doute… (Un temps.) Ah ! quel malheur qu’un gouvernement — ceci entre nous, n’est-ce pas ? — qu’un gouvernement comme celui que nous avons soit incapable de comprendre un caractère tel que vous.
Oh !
Que voulez-vous ? Pas un homme d’esprit au gouvernement, pas un qui ait vraiment le pied parisien. Le président du Conseil peut-être ? et encore. Mais le reste ?… Des avocats de leur province, des médecins de leur canton… Ah ! (Un temps.) Attacher de l’importance à des histoires de petites filles fouettées…
Ah ! ah !
À de prétendus scandales ? Bah !… Bah !… Ils feraient bien mieux de surveiller leurs instituteurs… Et parce qu’il y en a une de morte, ils poussent des cris ! Des provinciaux ! des sectaires ! Est-ce qu’on fait une omelette sans casser des œufs !
Mais, monsieur.
La Patrie a ses martyrs, la religion a ses martyrs… (Un sourire.) Pourquoi la charité n’aurait-elle pas ses martyrs ? Eh oui !
Vous allez un peu loin. D’ailleurs, je ne comprends pas bien. Expliquez-moi quel rapport il peut y avoir entre des fautes, mettons des fautes qui auraient pu être commises, et la discussion de la loi sur l’enseignement.
Aucun, évidemment. (Un temps.) Mais parce qu’il dépend du gouvernement que l’affaire ait ou non des suites… il s’imaginait déjà que vous n’auriez pu lui tenir tête.
Quelle affaire ?
Mais l’affaire du Foyer.
Oh ! oh ! Le calcul est trop simple… la manœuvre un peu lourde.
Des lourdauds, je vous dis. Ah ! ces mœurs nouvelles de la démocratie !… Leur politique ? Peuh ! Pour un rien ils vous mettent le marché à la main… Ils viennent vous dire : « Renoncez à nous créer des difficultés et nous étouffons l’affaire… » Car aujourd’hui dans toutes les affaires il y a toujours une sale affaire, hélas !
Je ne demande ni grâce, ni faveur… Qu’ils fassent ce qu’ils veulent… Tant pis pour ceux qui auront suscité le scandale !
Évidemment, évidemment… (Sans avoir l’air d’y toucher.) Au surplus, s’ils viennent vous demander l’emploi des sommes importantes qu’ils vous ont données, des derniers 100.000 francs du Pari mutuel
Ah ! pardon !… pardon !… Dieu merci, aucun de nos établissements n’est soumis au contrôle du gouvernement. Ce n’est pas que j’aie rien à redouter, je serais le premier à réclamer la lumière, toute la lumière. Mais il y a là une question de principe : le gouvernement n’a pas le droit de demander leurs comptes aux établissements de charité… Alors ils s’imaginent que je vais la voter, leur abominable loi ?
Oh ! ils n’exigent pas tant !… Vous renonceriez seulement à votre tour de parole, je suppose.
Vraiment ?
On peut être forcé de faire un voyage. On peut être malade. On a bien le droit d’être malade.
Mais pas le droit de se déshonorer. Quand on porte le nom que je porte… qu’on est membre de l’Académie française… qu’on a l’honneur de représenter un département français… et le devoir de porter la parole au nom des intérêts les plus sacrés de la France !… Ah ! il faut qu’on me croie tombé bien bas pour oser me proposer un pareil marché.
Monsieur le sénateur… Rappelez-vous Leverrier… le pauvre Leverrier.
Leverrier ! Leverrier !… un escroc !… un escroc ! C’était un escroc !
En êtes-vous bien sûr ? C’était un homme puissant, lui aussi.
Allons donc !
Un député… un ancien ministre… (Insistant.) un des leurs !… eh bien, ils l’ont exécuté sans pitié… exécuté…
C’était justice !… Un escroc, je vous dis…
Oh ! monsieur le baron, quand on veut perdre un homme !
Je ne suis pas un Leverrier… Je ne suis pas Leverrier… Vous m’insultez !… je ne suis pas Leverrier.
Excusez-moi ! Mais ce pauvre Leverrier était un ami. Tenez, j’ai déjeuné avec lui la veille de son arrestation, oui, la veille de son arrestation. (Un temps.) Trois semaines après il passait en correctionnelle…
Vous êtes fou ! Vous êtes fou ! Vous ne savez pas ce que vous dites.
Malgré ses efforts, il chancelle un peu et se retient au dossier d’un fauteuil.
Monsieur le baron.
Ce n’est rien ! une faiblesse !… J’ai eu une journée fatigante. Je n’ai pas déjeuné. Je suis fatigué, très fatigué. Laissez-moi, allez-vous-en.
Je vous demande pardon… bien pardon… Je ne croyais pas… je m’en vais.
Allez-vous-en.
Je m’en vais. (Tout près de lui.) Croyez-moi pourtant, ces gens-là sont féroces… À votre place, j’irais les voir. Tenez, monsieur le président du Conseil ?… Il fait grand cas de vous… Aujourd’hui vous pouvez encore causer… (Il touche l’épaule de Courtin qui frissonne.) Mais demain !…
Scène XIII
Oh ! pardon !… Vous m’avez fait demander ?
Un mot à vous dire… (Présentant.) M. Arnaud Tripier…
J’ai déjà eu l’honneur, madame la baronne, de vous être présenté.
Je vous demande pardon, monsieur.
Cet hiver… à l’ambassade d’Italie…
En effet.
Quelle charmante femme que la marquise Reversi !
Tout à fait charmante.
Savez-vous que sa grand’tante eût servi de modèle à Stendhal pour sa comtesse Pietranera, de la Chartreuse ?
Ah !
Comme c’est curieux, n’est-ce pas ?
Très curieux.
Madame la baronne… mon cher sénateur… (Il remonte suivi de Courtin.) Retenez seulement que je n’ambitionne pas d’honneur plus grand que de vous servir.
Scène XIV
Qu’est-ce qu’il y a ? Vous êtes tout bouleversé… On me dit que vous m’avez fait demander jusqu’à quatre fois ?… Enfin, que se passe-t-il ?
Des choses très graves…
Où ? Quoi ?
Au Foyer… ici aussi… pour vous… pour moi, un scandale… (Il se met à marcher.) un scandale et la ruine.
Qu’est-ce que vous me dites ?… Depuis ce matin ?… C’est cette lettre anonyme qui vous met dans cet état ? Je ne vous reconnais plus.
Cette lettre anonyme ?… Mais vous tairez-vous ?… Me laisserez-vous parler ?
Quel ton !
Je n’ai pas le loisir de chercher mes mots… Cela presse… Vous savez, Dufrère vous a dit que j’ai passé toute la matinée au Foyer.
Oui.
Ce que j’ai recueilli… vous ne pouvez l’imaginer… Mais ce n’est pas ça !
Alors ?
Je rentre tout à l’heure… et je trouve une espèce de petit journaliste qui sait tout déjà, le prend de haut, me fait la leçon, avec qui j’ai la stupidité… la stupidité de discuter.
Mais enfin, mon ami… ce n’est pas vous qui avez enfermé cette pauvre enfant dans un placard.
Il s’agit bien de ce placard…
Ce n’est pas vous qui avez donné le fouet.
Il s’agit bien du fouet… Je ne sais pas pourquoi vous me parlez de ces bêtises… Asseyez-vous… En deux mots, on me menace d’une enquête… Vous avez vu cet Arnaud Tripier ?
Quelle tête sinistre ! Il se teint, vous savez ?
Ah ! je vous en prie !… Et savez-vous ce qu’on découvrira, au Foyer, si on va au fond des choses, et même si on ne va pas très au fond ?… Le savez-vous ?
Mais non… C’est agaçant, dites ?
On découvrira que nous n’avons plus rien… et des dettes… C’est effrayant !…
Eh bien… il n’y a qu’à trouver de l’argent… On trouve de l’argent pour les œuvres de charité… Et si on n’en trouve pas… mon Dieu !…
Vous êtes inouïe ! On ne trouvera rien… rien… Vous êtes comme l’abbé Laroze… Le pauvre homme ne voulait-il pas s’adresser à la nonciature ?… Et il y croit… Il croit au miracle… aux saints… à la pitié de l’Église ! Ces calotins !
Oh !
C’est vrai aussi… il finit par m’exaspérer, avec toutes ses histoires de Jésuites.
Les Jésuites… le fouet… la nonciature… Arnaud Tripier… je m’y perds. Mais si le Foyer ne va plus… si le Foyer ne peut plus aller… on le fermera, voilà tout !
Voilà tout.
Naturellement… Il n’y a pas que le Foyer, dans la vie… vous avez votre situation, votre rôle politique… l’Académie. Dieu merci ! assez d’occupations et assez d’honneurs… (Changeant de ton.) Ne me regardez pas comme ça, vous m’affolez… dites-moi où est le scandale ?
C’est que vous ne savez rien encore.
Alors… dites-le moi.
Il n’y a plus de Sénat… plus d’Académie… il y a des comptes à rendre… (Changeant de ton.) C’est difficile à vous expliquer… vous ne comprenez rien aux affaires… Il s’agit d’affaires… de comptes… Enfin… mettez que l’argent qui manque au Foyer… existe… qu’il y en ait… qu’il y en ait même beaucoup…
Et ?
Et que ce soit moi qui le doive… que j’en sois responsable… mais que je ne l’aie plus à ma disposition… que je ne puisse pas le réaliser… comprenez-vous ?
Oui… oui… je comprends… J’y suis.
C’est heureux ! (Il soupire.) Que voulez-vous ?… J’ai eu deux années très dures… de grosses pertes à la Bourse… j’ai cru à la chance… j’ai…
Mon ami… ce n’est pas moi qui vous demande des explications. Ce ne serait pas à moi… vous n’êtes pas le seul coupable… Et vous ne me faites pas de reproches !… Gabriel, c’est très généreux… très généreux. Mais, pourquoi ne m’avoir pas avertie… prévenue ? (Se dégageant, résolue.) Maintenant, il ne s’agit plus de tout ça ! Il faut trouver la somme ! Voyons.
Elle est énorme.
Qu’est-ce que cela fait ?… Il faut la trouver… il n’y a qu’à la trouver.
Je te dis qu’elle est énorme… Peut-être trois cent mille francs !
Ça ne fait rien… Il n’y a qu’à la trouver… Dieu merci, tu n’es pas le premier venu… nous avons des amis…
Mais le temps ? Le temps de réunir une somme pareille ! Les amis ? Qui ? Qui ? Et cette Rambert qui sait tout et me fait chanter !
Ça ! nous allons voir.
Elle m’a mis le marché en main… Et le gouvernement ! Les canailles ! ils seraient trop contents de me déshonorer…
Mais non… Un gouvernement cherche toujours à éviter le scandale.
Est-ce que ceux-là sont des hommes de gouvernement ?… Pour un rien, ils perdent la tête… Un article de journal… et ils seraient bien capables de me faire arrêter.
Tu es fou ! (Le regardant, s’effarant.) Alors, raison de plus… (Criant.) Il n’y a qu’à trouver la somme… la trouver… Voyons… Et puis, calme-toi…
Je t’admire, tiens !
Écoute-moi un peu. La marquise d’Ormailles ? Enfin, c’est votre tante… Elle n’a pas d’enfants… Elle vous aime beaucoup… Elle s’intéresse au Foyer.
J’y ai pensé. Pour elle, la somme est trop forte.
Le baron Glanez ?
Celui-là… il faudrait lui expliquer… Peut-être qu’avec du temps ? Mais je ne peux pas courir le risque d’un refus. Je me serais compromis pour rien.
Robert ?
Il est en Amérique.
C’est vrai ! Diable ! Diable. Les Ponvalier ?… Je suis bête… Mme d’Avranches ?
Trois cent mille francs !… Nous ne trouverons personne… rien… rien… J’ai cherché, va !
Le moyen de l’abbé ?
Un roman du Petit Journal.
Lerible ?
J’ai pensé à tout… et tout, tout est impossible !
Alors ?… Mais ne marchez donc pas comme ça… arrêtez-vous !
Vous n’avez pas compris ?
Mais non… j’ai horreur des charades.
Il nous faut quelqu’un à qui on puisse parler ouvertement… Vous sentez la difficulté d’expliquer même à Robert… même à mon frère…
Que voulez-vous dire ?
Il nous faut un ami… un ami éprouvé.
Biron ?
Eh bien ?
Moi ? (Courtin se tait.) Jamais de la vie !
Vous êtes une enfant… Cent fois vous avez eu recours à lui… pour des bêtises… des notes ennuyeuses… Il s’agit, à présent, de toute notre situation qui peut être irrémédiablement compromise… qui l’est… Et vous hésitez ?
Jamais… non… jamais…
Mais c’est fou ! C’est fou ! Vous ne réfléchissez pas… vous ne comprenez pas… Réfléchissez… Vous avez bien confiance en moi ?… C’est la fin… je vous dis que c’est la fin.
Jamais !
Faut-il que je vous en prie ? Thérèse… voyons… vous n’êtes pas sotte… ni méchante ?…
Je vous l’ai dit… je vous le répète… Jamais.. ! Jamais…
Pourquoi ? Mais pourquoi ? Pourquoi ? pourquoi ? mule que vous êtes !
Ne vous emportez pas… Restons calmes… (Elle crible son chapeau de coups d’épingle.) Vous vous énervez… c’est vous qui devriez comprendre… Il y a des choses qui sont possibles… il y en a d’impossibles ! Ne me demandez pas l’impossible… ne me demandez pas la seule chose… Mais comprenez donc !
Ce sont des bêtises qui vous arrêtent… je sais bien… des bêtises.
Nous ne pouvons plus parler… C’est affreux !… Nous ne pouvons plus en dire davantage. (Le regardant.) Tenez.!. voulez-vous ?… nous allons partir… laisser tout là…
Ce serait l’aveu… Je ne peux pas… Et puis, c’est absurde…
Je vous en prie ! Vous travaillerez… vous reprendrez vos livres… votre Histoire de l’impératrice Joséphine… je l’aimais tant !
Tout cela est trop loin de moi.
Ne dites pas ça… ne dites pas ça… Avec un peu de courage… vous referez votre vie.
En prison !
En prison ! en prison !… Mon Dieu ! Alors, partons… partons tout de suite… partons très loin.
Oui… avec le petit d’Auberval ?
Ah ! il ne fallait pas prendre l’argent qui ne vous appartenait point.
L’argent appartient à tout le monde… On s’en sert, voilà tout.
Ça, c’est du Biron… On s’en sert… et puis, on ne veut ni le rendre ni aller en prison.
Un baron Courtin ne va pas en prison pour des affaires d’argent.
Un baron Courtin peut tout faire… escroquer, voler… consentir à toutes les ignominies, à toutes les saletés… mais il ne veut pas aller en prison… C’est trop commode.
Par un entêtement stupide… des scrupules d’idiote… vous me condamnez… vous ne savez pas à quoi vous me condamnez… Je vous ai pourtant laissé vivre à votre guise… (Perdant la tête.) Cent fois j’aurais pu… j’aurais dû vous jeter à la porte de chez moi…
Ah ! parlez-en !
Je ne l’ai pas fait… Et maintenant… Tenez… ah ! tenez… vous n’êtes qu’une…
J’ai entendu !… (Un petit silence.) Soit ! ça m’est égal… tout m’est égal… Mais vous aurez beau prier, menacer, vous ne me forcerez pas d’aller chez un amant dont je ne veux plus… dont je ne veux plus… gagner l’argent qu’il vous faut !
Misérable ! Tais-toi !… tais-toi !… (Il va frapper. Thérèse se préserve le visage avec les mains. Les mains de Courtin retombent.) C’est bien ! Vous pouvez retirer vos mains… Je ne vous toucherai pas… Faites ce que vous voudrez.
Il va lentement, comme à bout de forces, tomber sur le divan, la tête dans ses mains. Long silence.
Mon ami… mon ami… c’est abominable !…
Abominable ! C’est moi qui suis abominable ! Ma pauvre amie ?… (Thérèse va vers Courtin.) Pourquoi faut-il que je vous aie dit… tout ce que je viens de vous dire ? Jamais vous ne l’oublierez ! C’est cette avalanche aussi ! Je ne vois plus devant moi que des gens qui courent… qui me repoussent… que je n’ai plus la force, que je n’aurai jamais plus la force… de rejoindre. On me laisse là… tout seul… Je suis perdu… je suis perdu… J’ai honte… Je suis perdu…
Ne tourne pas la tête… regarde-moi… Nous pouvons bien nous regarder, va ! (Elle se rapproche encore.) Laisse… laisse… Nous sommes deux pauvres malheureux !
Qu’est-ce que j’ai fait ?… Mon Dieu !… Qu’est-ce que nous allons devenir ?
J’irai…
Non… non… je ne veux pas… je ne veux pas…
J’irai… il nous sauvera !… (Exaltée.) Par bonté de cœur… par pure bonté… J’en jure ma vie !