Flammarion (Théâtre IIIp. 9-81).
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ACTE PREMIER


La scène représente le cabinet de travail du baron J.-G. Courtin. Ameublement Empire.
Sur le devant de la scène, à gauche, un divan moderne au-dessous d’un portrait de l’impératrice Joséphine, qui paraît être de Prudhon ; à droite, une table à thé de fabrication anglaise, où sont placés, au lever du rideau, le café, des liqueurs. Le milieu de la pièce est occupé par une grande table-bureau ornée de beaucoup de bronzes. Cette table est chargée de dossiers, de papiers. Devant la table, un grand canapé environné de sièges. À gauche de la table, une cheminée ne portant que le buste de Napoléon Ier, de Canova, en marbre. À droite, une bibliothèque tapisse de livres tout le panneau. Sur un guéridon, des bibelots. Par les deux fenêtres du fond, on aperçoit les arbres du jardin. Dans l’écartement des fenêtres, un beau meuble. Portes à droite, à gauche ; à gauche, au fond, porte du billard, élevée sur des degrés ; au premier plan, une porte dans le mur. Une banquette au tout premier plan.



Scène Première

THÉRÈSE, BIRON, UN VALET DE PIED
Au lever du rideau, Thérèse est debout devant la table à thé. Biron à distance.
Thérèse

Biron, de la fine Champagne ?… de la chartreuse ?… quoi ?…

Biron, se rapprochant.

De la fine Champagne… de la fine Champagne… Dans un grand verre, voulez-vous ?

Thérèse

Tenez.

Biron

Merci… (Reniflant son verre.) Toujours la fameuse eau-de-vie de 1822 ?

Thérèse

Toujours.

Biron, brandissant son verre en s’éloignant.

Voilà l’inimitable eau-de-vie de France !

Thérèse, au valet de pied.

Portez ces liqueurs au billard… (Le valet prend le plateau.)

Attendez !… Vous oubliez la glace pilée pour le kummel de M. d’Auberval.

Biron s’est retourné. Le valet de pied sort, emportant le plateau.



Scène II

Les Mêmes, moins LE VALET DE PIED
Biron

Il a de la chance… (Se rapprochant.) Il a de la chance.

Thérèse, toujours à la petite table, le dos tourné à Biron.

Qui ?

Biron

Le jeune homme dont vous n’oubliez pas la glace pilée.

Thérèse, même jeu.

Voulez-vous du cognac ?

Biron

Hein ?… Vous venez de m’en donner.

Thérèse

Oh ! pardon !

Elle rit.
Biron, après un temps, désignant le billard, son verre à la main.

Quel âge a-t-il ?

Thérèse

Le cognac ?

Biron

Vous vous moquez de moi… non, pas le cognac… le petit jeune homme… le petit d’Auberval.

Thérèse, rectifiant.

M. d’Auberval.

Biron, buvant.

Ououin.

Thérèse, allant vers le canapé.

Je ne sais pas… ça vous intéresse !

Biron

Mon Dieu… (Un temps. Mollement.) Il est gentil… assez gentil… (Un temps.) Vingt-trois ans ?

Thérèse, se retournant.

Vous êtes fou !… Au moins vingt-six.

Biron, amèrement galant.

Vous ne les portez pas…

Thérèse

Vous pouvez fumer, vous savez…

Biron, regardant vers le billard.

C’est lui, maintenant, qui joue au billard avec Courtin… et qui perd… naturellement… Il a de la chance…

Thérèse, faisant sa place sur le canapé.

Biron, vous êtes idiot… et si vous saviez combien ridicule !

Biron

Je sais… je sais… Oui, moi, je retarde un peu, comme vous disiez à déjeuner… Tiens !… Tout le monde ne peut pas jouer les jeunes millionnaires anarchistes… Millionnaire ? Oui, enfin !

Thérèse, s’installant sur le canapé.

Cet été… que comptez-vous faire ?

Biron, tendant un coussin.

Eh bien, voilà… vous voir, vous voir et vous revoir ?

Thérèse

Joli programme.

Biron

N’est-ce pas ?

Thérèse

Et puis ?

Biron

Et puis, vous voir… vous voir… et vous revoir… Ah !

Il se rassied.
Thérèse

Un peu monotone… C’est tout ?

Biron, de plus près.

Vous dire, aussi souvent que je pourrai…

Thérèse, interrompant.

Vous ne fumez pas ?

Elle désigne une boîte de cigares.
Biron

Merci !… (Après une hésitation, il tire un énorme cigare d’un étui.) Même d’aussi près… (Il tire une trousse de sa poche.) la fumée ne vous incommode pas ?

Il tire de sa poche un coupe-cigares.
Thérèse

Vous n’êtes pas forcé de rester aussi près.

Biron, regardant Thérèse qui sourit, et coupant rageusement son cigare.

L’êtes-vous assez, méchante, avec moi !… Par exemple, ce qui est extraordinaire, c’est que vos rosseries, au lieu de me refroidir… (Il allume son cigare.) Dites-moi ?… Il fume donc beaucoup, M. d’Auberval ?

Thérèse, sèchement.

Je n’ai pas remarqué.

Biron va jeter son allumette à la cheminée.
Biron, narquois.

Vous n’avez pas remarqué qu’autrefois vous n’aimiez pas la fumée, du moins, vous n’aimiez pas ma fumée ?… C’est curieux. Comme on change !

Il se rassied.
Thérèse

Oui… (Un temps.) Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous comptiez faire cet été ?

Biron, souriant.

Vous voir…

Thérèse, en même temps.

Sérieusement…

Biron

Cet été… mon Dieu !… comme tous les étés… sans doute Deauville, et puis Dieppe… peut-être Aix aussi…

Thérèse

Aix ?… Pour vos douleurs ?

Biron, rageur, et se levant péniblement.

Pour mes douleurs… parfaitement… Vous ne ratez pas une occasion de me dire des choses désagréables.

Thérèse, conciliante.

Je vous assure que j’ai dit ça…

Biron, appuyant.

Et si mes douleurs me le permettent…

Thérèse, même ton.

Allons, Biron… voyons.

Biron, même ton.

Si mes douleurs me le permettent…

Thérèse

Comme vous êtes susceptible !

Biron

J’irai en Engadine… Ah !… (Un temps.) Irez-vous en Engadine ?

Thérèse

Je ne sais pas du tout… Je ne sais rien. Le baron a fort à faire, cette année…

Biron, levant les bras.

Booouh !…

Thérèse

À l’Académie, son rapport sur les prix de vertu.

Biron

Peuh !

Thérèse

Au Sénat, la discussion de la loi sur l’enseignement primaire… Ah !… la Commission de la réforme du mariage.

Biron, haussant les épaules.

Ça !

Thérèse

Et puis Le Foyer… Le Foyer surtout.

Biron, intéressé.

Quoi, Le Foyer ? Des embêtements ? toujours ? Des embêtements d’argent ?

Thérèse

D’argent… oui… peut-être… je ne suis pas très au courant… enfin des ennuis. Et les autres œuvres… Et les brochures… les brochures !

Biron

Courtin est fou…

Il s’assied sur un fauteuil.
Thérèse

Ah ! la charité est encore plus absorbante que les affaires.

Biron, soupirant.

Dans ces conditions… je crains bien que jusqu’à l’automne…

Thérèse

Mais non… mais non… les choses s’arrangent… Je suis bien sûre que nous nous verrons à Deauville… que nous nous verrons à Dieppe… C’est quelque chose.

Biron, soupirant.

C’était quelque chose… Aujourd’hui ce n’est plus rien.

Thérèse

Biron, si vous voulez que nous restions amis…

Biron, se levant.

Mais qu’est-ce que j’ai dit ?… Je n’ai même plus le droit de rien dire… C’est épatant !

Thérèse

Allons… revenez vous asseoir… (Regardant vers le billard.) Et puis, ne criez pas comme ça !

Biron, se rasseyant et plus bas.

C’est vrai aussi… Deauville… L’Engadine… ça ne vous rappelle donc rien ? Les femmes ont un talent pour oublier…

Thérèse, jouant avec sa robe.

J’aime mieux ne pas me rappeler… Il y a trop longtemps !…

Biron

Trop longtemps !… La première année de Deauville, il n’y a pas dix ans… et Aix !… (Mélancolique.) Ma parole, je ne sais pas comment j’ai le courage d’y retourner. Thérèse…

Thérèse, un doigt sur les lèvres.

Chut !

Biron

Soyez bonne… Qu’est-ce que cela peut bien vous faire que je vous appelle encore Thérèse… de temps en temps ?

Thérèse

Vous m’aviez promis…

Biron

Bon !… Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Et moi ?… Oh ! depuis dix ans, quand je vois revenir l’été… (À mesure qu’il se rapproche, Thérèse recule.) Thérèse… cette après-midi… à Aix… sur le lac…

Thérèse

Je vous en prie… ne nous attendrissons pas…

Biron, s’exaltant.

Comme vous étiez belle… Une robe de toile blanche qui craquait… (Il se penche, risque un geste.) Vous portiez des bas à jour…

Thérèse, retirant la main de Biron.

Eh bien !… Eh bien !…

Biron, ému et bredouillant.

Des bas à jour… des bas mordorés… (Thérèse rit, Biron se lève péniblement et marche.) Riez… riez… Moi, j’ai de la peine…

Thérèse

Mon ami, je n’ai pas voulu vous chagriner… mais aussi pourquoi ?… Il avait été convenu…

Biron, énergique.

Ah ! Il me faut au moins mes souvenirs… (De très près.) Voilà six mois, songez-y… si vous ne me laissez même pas mes souvenirs…

Il s’assied.
Thérèse, très gentille, presque câline.

Voyons !… voyons !… Bien que vous soyez, mon cher Biron, un être souvent grossier, égoïste, assez brutal, très mal élevé… (Biron proteste.) Si, si, vous le savez bien… vous avez des qualités.

Biron, en même temps.

Tout de même !

Thérèse, poursuivant.

Que j’ai aimées beaucoup… Je les aime toujours… Je vous aime toujours… mais autrement… (Biron veut parler.) Laissez… Ce n’est ni de votre faute, ni de la mienne. (Biron veut encore parler, elle lui ferme la bouche.) Plus un mot, je vous en prie… Cela m’est pénible… Et vous ne changeriez rien à ce qui est.

Elle se lève.
Biron, éclatant.

Eh bien, moi, je ne peux pas m’y faire… Je ne peux pas m’y faire… d’abord parce que je ne peux pas m’y faire… c’est très simple… Jamais !… jamais je ne vous ai tant désirée… C’est fou !… Je ne pense qu’à vous !… Je n’en peux plus !

Thérèse, qui a regardé une fois ou deux du côté du billard dont Biron s’est rapproché.

Ne criez pas comme ça !

Elle va s’asseoir sur le divan.
Biron

Ces six mois ont été six mois d’enfer… Je suis à bout… à bout !…

Thérèse

Ne criez donc pas comme ça… Venez ici. Oh ! si vous pouviez au moins perdre cette détestable habitude de crier.

Biron, un peu plus bas.

C’est affreux aussi… Je suis malheureux, moi !

Thérèse

Vous ne pouvez donc pas parler comme tout le monde ! Asseyez-vous !

Elle lui indique un siège près du divan.
Biron, s’asseyant et très bas.

Si malheureux, ma petite Thérèse, si malheureux !…

Thérèse

À la bonne heure… j’aime mieux ça…

Biron, même ton.

Avoir passé tant d’années à se donner, l’un par l’autre, toutes les joies… toutes les joies permises…

Thérèse

Biron !…

Biron, souriant.

Et même pas mal de joies défendues !

Thérèse

Biron !… Biron !…

Biron

Mais en quoi êtes-vous faite ? il n’y a donc pas moyen de vous reconquérir, de vous réchauffer ?

Thérèse

Vous avez de ces mots !

Elle rit.
Biron, très excité.

Cette bouche !… Peuh !… Et ces dents !… ces dents !…

Thérèse, très sèche.

Je vais me fâcher tout à fait.

Biron

Vous êtes méchante… eh bien… soyez méchante… J’adore ça, moi… Vos yeux, vos beaux yeux colère… Ah ! ils me rappellent des choses admirables… Vous savez bien, quand vous êtes… oui, enfin… quand vous devenez tout à fait… méchante… (Secouant la tête.) Haaouah ! Une chatte en colère… (Thérèse sourit et s’étire un peu.) La jolie chatte !… Ah ! c’est que je vous connais… Je vous connais si bien…

Thérèse

Vous êtes bête !

Biron, dégagé, s’animant.

N’empêche !… Il y a entre nous des années, des années… des choses… des choses… Il y a entre nous des liens… On ne les brise pas comme ça… (Très tendrement à son oreille.) J’ai été gentil avec vous, moi… (Elle le repousse un peu.) Toutes vos fantaisies… toutes vos curiosités…

Thérèse, sans trop se fâcher.

Taisez-vous !

Biron

Ce jour d’été, ici… où il faisait si chaud… les volets clos…

Thérèse, qui s’est levée, va s’asseoir à la table-bureau.
Thérèse

Vous êtes odieux… (La tête dans ses mains.) Vous êtes odieux.

Biron

Moi ?… En quoi suis-je odieux ?… En quoi ?

Thérèse

Vous cherchez je ne sais quelle joie honteuse à me faire rougir.

Biron, debout.

Oh !

Thérèse

Si… Si… C’est abominable… C’est abominable.

Biron, s’approchant.

Je ne vous dirai plus rien… là… plus rien… Je vous demande pardon…

Il cherche la main de Thérèse.
Thérèse

Puisque vous n’êtes pas plus raisonnable…

Elle s’éloigne.
Biron, la suivant.

Je vous demande pardon…

Thérèse

Il n’y a plus qu’un moyen…

Biron

Puisque je vous demande pardon…

Thérèse, décidée.

Qu’un moyen… ne plus vous voir du tout…

Biron, s’éloignant.

Ça y est… Je l’attendais, le moyen… Il est gai… Allez ! Allez !

Thérèse, s’asseyant.

Voyagez !…

Biron

C’est ça… l’Égypte… le Japon… l’Amérique… Allez !… Allez !

Thérèse

Votre yacht s’ennuie à Marseille… L’Argo… Cette bonne Argo !… Faites une croisière sur l’Argo.

Biron

Oh ! sans vous !… (Un temps. Tout à coup.) Voulez-vous ?

Thérèse

Je n’aime plus la mer.

Biron, bourru.

Vous n’aimez plus rien. (Brusquement, revenant à elle.) Tenez, ne parlons plus de moi… mais de vous…

Thérèse

Pourquoi faire ?

Biron, énergique.

Si… une bonne fois… (Un temps.) Jeudi… rue de la Paix… je vous ai vue… je vous ai vue en fiacre…

Thérèse

Eh bien ?

Biron, s’appuyant à la table.

Vous en fiacre !

Thérèse

Mon Dieu ! Vous me faites peur.

Biron

Mais vous n’avez pas le droit. C’est une absurdité !

Thérèse

Vous êtes vraiment drôle !

Biron

Et d’une maladresse !… Vous ne pouvez pas mieux afficher notre rupture… Crier à tout le monde le changement…

Thérèse, interrompant.

Biron !… À la fin !

Biron

Non… laissez-moi dire… Je ne plaisante plus… Nous ne sommes pas des enfants, que diable !… Je vous jure que c’est un scandale…

Thérèse

Non !

Biron

Si… Pour vous… pour moi… pour le monde… pour Courtin… J’aime Courtin… moi. Mais oui ! C’est un homme de mérite. Il a des ennuis. (Considérant le buste de l’empereur.) Avec ça… les chances d’une restauration de l’Empire ! (Tournant le dos au buste.) Fuut ! Beaucoup d’ennuis… Il n’a pas que Le Foyer.

Thérèse

Ça le regarde.

Biron

Ah ! cet entêtement !… ça vous regarde aussi… ça vous regarde, vous surtout… Et puis vous n’êtes pas faite pour aller en fiacre. (Geste de Thérèse.) Non. Une vie plate, médiocre… vous ? ça n’a pas de sens ! Il vous faut le luxe, toutes les choses chères… Je m’étais fait un devoir, moi… une joie…

Thérèse, se levant pour aller s’asseoir sur le canapé.

Jetez-moi maintenant vos générosités à la tête…

Biron

Il n’est pas question de ça !

Thérèse

C’est bien vous !

Biron

Il n’est pas question de moi… Voyons… réfléchissez une minute… de sang-froid… (Thérèse, qui a croisé ses jambes, fait aller son pied.) Depuis que vous n’acceptez plus rien de moi… tout ce qui se passe ici, c’est lamentable… à pleurer… L’écurie vendue… la livrée diminuée… vous recevez beaucoup moins… Des bibelots disparaissent tous les jours… Vos bijoux…

Thérèse, jouant avec une longue chaîne de cou garnie de très grosses perles.

Mes bijoux ?… Qu’est-ce que vous chantez ?

Biron

Oui… oui… J’en ai trop acheté dans ma vie… On ne me la fait pas… Moi aussi je sais comment ça s’imite… Vos toilettes…

Thérèse

Tenez… ça c’est idiot… Je dépense beaucoup moins, je veux bien… Mais il y a longtemps que je n’ai eu un ensemble de choses aussi réussies que ce printemps…

Biron

Oui… Enfin. C’est possible… Vous savez admirablement vous arranger… mais, moi, je sais ce que je dis. (Croisant les bras.) Et le Fragonard du salon ?

Thérèse

Quoi ?

Biron

Le Fragonard ?

Thérèse, bâillant.

Qu’est-ce que cela vous fait ? Parce que vous me l’avez donné ?

Biron

Pas du tout.

Thérèse

Alors ?

Biron

Parce que vous ne l’avez plus. (Geste de Thérèse.) Naturellement.

Thérèse, très agacée.

Vous m’horripilez… Je n’ai pas de comptes à vous rendre. Enfin, vous m’horripilez !

Biron

Où tout cela vous mènera-t-il ?

Thérèse

Je n’y pense pas.

Biron

Mais c’est le désastre… le désastre prochain.

Thérèse

Va pour le désastre… Je me sens parfaitement heureuse ainsi…

Biron

Heureuse ?… Et moi ?… Ah ! vous les trouvez les mots qui consolent ! (Thérèse rit.) Riez… Riez… inconsciente ! (Il marche et tout à coup revient à Thérèse.) Il est donc bien riche M. d’Auberval ?

Thérèse, interrompant, furieuse.

Qu’est-ce que vous dites ?

Biron

Rien. (Il se remet en marche.) Je ne dis rien… je ne dis rien… Je ne dis rien !

Thérèse, le suivant.

Vous serez donc toujours le même… avec de l’argent plein la bouche ?… Quel homme ! Ah ! vous me faites cruellement repentir de ne pas vous avoir fermé ma porte… Je l’aurais dû…

Biron, se retournant.

Ne vous fâchez pas… voyons, ne vous fâchez pas !

Thérèse, s’éloignant.

Taisez-vous… puisque vous ne savez dire que des sottises ou des inconvenances.

Biron

Thérèse…

Thérèse

Laissez-moi.

Biron

Je ne voulais pas vous froisser.

Thérèse

Laissez-moi, je vous prie. (Se retournant vers lui, très énergique.) Mais, dorénavant, je vous défends… (Avec un geste qui semble rejeter quelque chose.) Du reste, qu’est-ce que cela me fait ? (Elle le toise.) Vous ne pouvez pas comprendre.

Biron

Je vous assure.

Thérèse

Ne parlons plus, voulez-vous ?

Elle se dirige vers le billard dont elle monte les degrés.
Biron, qui s’arrête et fait des gestes pour la retenir.

Thérèse… Thérèse ?

Thérèse, sans l’écouter, ouvrant la porte.

Vous n’êtes pas gentils !… Ah ! vous jouez encore !

Biron, continuant de gesticuler.

C’est malin… c’est malin !…

Thérèse

Laissez votre partie.



Scène III

Les Mêmes, D’AUBERVAL, COURTIN
Courtin, de la coulisse.

Nous finissons.

Thérèse, descendant les degrés.

Ah ! si on n’avait pas été vous chercher ?

D’Auberval, paraissant à la porte et suivant Thérèse.

Vous ne voulez pas faire une partie ?… Si, si, venez !

Il la maintient par le bras, sur le degré.
Thérèse

Jamais de la vie !

D’Auberval

Vous n’aimez pas ?

Thérèse

J’ai horreur de ce jeu-là… de tous les jeux, d’ailleurs.

D’Auberval

Est-ce que le billard est un jeu ou un sport ?

Thérèse

Je ne sais pas.

D’Auberval, à Biron, dont il s’est approché, et qui est à califourchon sur une chaise.

Un jeu ou un sport ?

Biron, désignant Courtin qui vient de paraître.

Consultez l’Académie.

Courtin

L’Académie ignore le sport… Elle ne connaît que les jeux.

D’Auberval

Et les ris…

Courtin

Que les jeux et les exercices.

D’Auberval

Alors, le billard ?

Courtin

Il tient sans doute un peu des deux…

Biron, interrompant.

Qui a gagné ?

D’Auberval

J’ai perdu… les deux parties.

Biron

J’en étais sûr… Jeune homme, vous n’êtes pas de force. (Se levant et tapant sur l’épaule de Courtin.) Voilà notre maître à tous.

Courtin

Comme vous êtes aimable !

Thérèse

Mon ami, il est en veine d’amabilité.

Elle s’éloigne. D’Auberval la suit en causant.
Courtin, redescendant, à Biron.

Tout de même, d’Auberval fait des progrès.

Biron, se retournant, regardant Thérèse et d’Auberval par-dessus l’épaule de Courtin.

Oui… Oui…

Courtin

Il arriverait à vous battre que cela ne m’étonnerait pas.

Biron, même attitude.

Nous verrons… nous verrons…

Ils remontent en continuant de causer.
Thérèse, qui redescend, bas à d’Auberval.

Avez-vous parlé avec le baron de l’emploi de l’été ?

D’Auberval, bas.

Impossible de placer un mot… La charité tout le temps… la charité sans arrêter… la charité sans pitié…

Thérèse

Pourquoi vous obstinez-vous à lui tenir tête ?

Biron, à Courtin, poursuivant une conversation.

Vraiment ?… vous le trouvez intelligent ?… Vous m’étonnez !

Courtin

Je vous assure… Un peu paradoxal, un peu gamin… mais doué…

Biron

C’est-à-dire qu’il lit des feuilles avancées, et, dans les salons, ça lui donne une altitude. Un socialiste en gilet à fleurs… Un farceur.

Courtin

Plus convaincu que vous ne pensez… Ce qui me fait peur, justement, dans le socialisme, c’est qu’il séduit tous les jeunes gens. Mon cher Biron, je ne sais pas, en vérité, quel avenir nous préparent nos impitoyables cadets.

Biron

Bah ! ils feront comme nous : ils vieilliront.

D’Auberval, qui était en vive conversation avec Thérèse.

N’est-ce pas, baron, que Le Foyer aura bientôt dix ans d’existence ?

Courtin

Pas tout à fait… nous sommes dans le huitième exercice… Tout de même, il y aura neuf ans en octobre prochain.

D’Auberval, à Thérèse.

Vous voyez que j’avais raison…

Thérèse

Je n’aurais pas cru…

D’Auberval

Je suis d’un ferré sur Le Foyer !…

Courtin

Rappelez-vous, ma chère amie, que c’est à notre premier été…

Biron, s’approchant.

Mais oui… rappelez-vous, à Deauville…

Thérèse

C’est bon…

Courtin

À Deauville, que nous cherchions un nom…

Biron, à Thérèse.

Et c’est vous qui l’avez trouvé.

Thérèse

Vous avez une mémoire, vous !

Biron, balançant la tête.

J’ai une bonne mémoire.

Thérèse

Une mémoire impitoyable !

D’Auberval, à Thérèse.

Mais alors, l’idée du Foyer est de vous ? Vous êtes une fanfaronne de l’indifférence ?

Thérèse

Le nom, peut-être. L’idée est bien du baron.

Courtin

C’est vrai, je la revendique.

Biron

Vous ne pourriez pas la renier… (À d’Auberval.) Courtin a fait là-dessus des volumes… des volumes… Mais vous ne connaissez pas cette littérature-là… Vous devez préférer quelque chose de plus léger… de plus croustillant…

Courtin, reprenant.

…illeux… croustilleux.

Biron hausse les épaules.
D’Auberval

Moi ?

Biron

Ne vous en défendez pas… C’est de votre âge.

D’Auberval

Pardon… la littérature légère, si elle plaît, c’est surtout aux vieux messieurs… (Thérèse rit. Biron s’éloigne.) Moi, ce qui me passionne, c’est la sociologie.

Biron, levant les bras au plafond.

La sociologie ! Poseur ! (Revenant.) Alors, comment ignorez-vous les livres du baron ?

D’Auberval

Pardon ! Pardon ! Ils sont classiques ! (Récitant.) Baron J.-G. Courtin : Napoléon Ier charitable ; Perrin, 1888 ; 1 volume in-16. Baron J.-G. Courtin : La Charité sous le Consulat ; Perrin, 1890 ; 1 volume in-16. Baron J.-G. Courtin : La Question ouvrière ; Perrin, 1894 ; 2 volumes in-18. Baron J.-G. Courtin : La Charité ordonnée ; Perrin, 1896 ; 1 volume in-8. Baron J.-G. Courtin (insistant et saluant.), de l’Académie française : La Rue et l’Atelier ; Perrin, 1898. Baron J.-G. Courtin : Une Paria ; 1901. Baron J.-G. Courtin : Féminisme ouvrier, 1903.

Courtin, souriant.

C’est qu’il n’en oublie pas.

Biron

Oui, oui… (À Thérèse.) Il a une bonne mémoire. (À Courtin.) Il sait les titres.

D’Auberval

Et les idées… (À Biron.) Voulez-vous ?…

Biron, vivement.

Non… oh ! non !…

Courtin, réjoui.

On n’en dira jamais assez, mon cher enfant, sur notre petite ouvrière parisienne. (Biron se verse un verre de cognac et va s’asseoir à droite.) On n’en fera jamais assez pour réparer la plus choquante des injustices. Nulle part, la charité ne trouve plus l’occasion de s’exercer.

Thérèse offre une cigarette à d’Auberval assis près d’elle.
D’Auberval, allumant sa cigarette, bas à Thérèse.

Le voilà reparti.

Thérèse, bas.

Allons… Taisez-vous !

Courtin

Au Parlement… dans les journaux… il n’est question que des ouvriers… toujours les ouvriers… Tout pour les ouvriers… Moi, depuis longtemps, c’est le sort de l’ouvrière qui m’intéressait… et, plus encore que de l’ouvrière mariée, le sort si périlleux de la jeune fille…

Biron

La midinette ! La midinette !

Courtin

Les cousettes, Biron… les cousettes…

D’Auberval, à Thérèse.

Cousettes ? (Thérèse fait en souriant le geste de coudre.) Ah ! oui ! Charmant !

Courtin

Vous trouverez le mot dans d’Aurevilly… dans Balzac… (Grave.) Les pauvres filles de seize ans, de dix-huit ans…

Biron

… ou de treize ans…

Courtin

Celles-là aussi… toutes celles qui sont à l’âge où il faut défendre la jeune fille contre la femme qui naît en elle, la préserver des tentations de la rue, des suggestions de la misère, et souvent, ce qui est plus triste, de l’exemple des parents en lui créant un intérieur, un abri…

Biron

… un foyer… voilà !… Le Foyer. (Déposant son verre.) Une façon de détourner les mineures…

Il rit.
Thérèse

Oh !

Biron, levant un doigt.

Du vice… du vice…

Thérèse

Vous êtes insupportable !…

Courtin

Ma chère amie, la plaisanterie de Biron est cruelle… mais assez heureuse…

Biron, se carrant.

Vous voyez…

Courtin

Sans doute. Au début, quand nous allions chercher nos pupilles à la porte des ateliers, des magasins, nous n’étions pas seuls à les attendre… Les temps difficiles sont passés… Nous avons à présent nos ateliers à nous, et plus de pensionnaires que nous n’en pouvons héberger… (S’approchant de Biron.) C’est plutôt l’argent qui manque…

Biron, s’éloignant.

C’est toujours ce qui manque…

Courtin

Heureusement, ces dames, la baronne en tête, ont su imposer nos produits aux grands magasins… à tous leurs fournisseurs…

Un domestique entre, emporte les liqueurs, le café, et sort.
D’Auberval, à Thérèse.

Très malin… Décidément, fanfaronne de l’indifférence…

Thérèse

Vous tombez mal… c’est encore une idée du baron…

Courtin

Vous nous avez beaucoup aidés… Il faut dire que nos enfants travaillent à merveille… La mode des paillettes, des dentelles, surtout, a été un bonheur pour les chères petites… Depuis qu’on porte tant de cols en broderie, nous ne suffisons pas aux commandes…

D’Auberval

Gare à leurs yeux !

Courtin

On a de bons yeux à quinze ans…

D’Auberval

On les use…

Thérèse

Pauvres petites !

Courtin

Mais, n’est-il pas charmant, cet échange de bons procédés entre les pauvres enfants et leurs bienfaitrices ?… Vous les secourez et elles vous parent…

Thérèse

L’échange n’est guère équitable…

Biron

Comme tous les échanges… Dans un échange, il y a toujours quelqu’un qui est roulé…

Il rit.
Thérèse

Oh ! Biron !

Biron

Celui-là est tout à fait gracieux… La charité et les rubans !… Et puis… Quoi ?… C’est la vie… Elles ne sont pas au Foyer pour faire la fête, ces petites… pas encore !… Le Foyer, c’est toujours deux cents malheureuses, qui, au lieu de mourir de faim…

D’Auberval

… se tuent à travailler…

Courtin, choqué.

Oh !…

Biron

Que voulez-vous, jeune sociologue ?… Il faut des pauvres et des riches.

D’Auberval

Dites qu’il faut des pauvres aux riches…

Biron

Eh bien… moi… le socialisme ne me fait pas peur, ah ! et je dis hardiment qu’il faut des riches aux pauvres…

Courtin, à d’Auberval.

Écoutez-le… (À Biron.) J’ajouterai seulement : de bons riches… Voyez Biron, notre grand remueur d’affaires… il gagne beaucoup d’argent…

Biron, modeste.

Oh !… oh ?…

Courtin

Il en donne aussi beaucoup.

Biron, bonhomme.

C’est un fait… On me tape… Je suis excessivement tapé…

D’Auberval

Et à quoi aboutissez-vous avec tous ces dons… et tous ces tapages ?… À peine une miette de sucre pour sucrer l’Océan…

Courtin

J’avoue que nous ne faisons pas tout… On ne peut pas tout faire…

Il va à son bureau.
Biron

Pas tout faire, à la fois… (Il s’assied sur le canapé.) C’est évident.

Courtin

Mais on fait quelque chose.

D’Auberval

Au petit bonheur… Toujours la tombola.

Il s’assied près de Thérèse.
Courtin

Il est bien certain que le hasard… que la chance gouverne tout en ce bas monde…

D’Auberval

Et la Justice ?

Biron hausse les épaules.
Courtin

Mon cher enfant, on s’expose à de graves déceptions quand on ne compte que sur la Justice… Vous êtes jeune, enthousiaste… vous rêvez… Mais vous reconnaîtrez vous-même, bientôt, que nous ne sommes pas mûrs pour le règne de la Justice… (S’appuyant à son bureau) Heureusement, pour compléter l’effort de la charité, il y a mieux… il y a la résignation…

Entre Dufrère, un papier à la main.



Scène IV

Les mêmes, CHARLES DUFRÈRE
Courtin, poursuivant sans faire attention à Dufrère.

La résignation… l’admirable vertu des déshérités… Oui, par bonheur, les pauvres ont la résignation…

Biron

C’est leur force.

D’Auberval

Croyez-vous, monsieur le baron, que les pauvres ne finiront point par se révolter un jour, contre cette charité qui entretient leur misère, pour sauvegarder les richesses des riches ?…

Biron, éclatant.

C’est inouï !… Mais, éminent sociologue, les pauvres sont justement les pauvres, parce qu’ils sont incapables de se révolter… Ils n’ont même pas le temps d’y songer… Le travail, la misère, ça abrutit…

Thérèse

C’est ignoble ce que vous dites là…

Biron, gaiement.

Ah ! ah ! ah !

Courtin, à Biron.

Prenez garde… Si les pauvres manquent de loisirs, d’autres en ont qui pensent pour eux… et les mènent… Et c’est bien là le danger…

Thérèse, désignant Dufrère qui attend.

Mon ami…

Courtin, poursuivant.

Eh ! c’est bien là le crime… (Ouvrant un dossier.) Tenez, voilà le dossier des Prix de vertu que m’a remis l’Académie. (Mettant son lorgnon.) À mesure que je l’étudie, je suis émerveillé… Je voudrais vous faire toucher du doigt tous ces trésors d’abnégation, de sacrifice… Mais les pauvres sont contents de leur sort… ils ne demandent rien…

Biron

Évidemment.

Courtin

Et savez-vous ce qui m’émeut le plus… ce qui, en même temps, me fortifie le plus dans mes idées ?… C’est que ce sont les êtres les plus humbles, les plus dénués, les plus ignorants… disons le mot… les illettrés…

Biron

Écoutez ça d’Auberval !

Courtin

Qui accomplissent les plus belles actions…

Biron

Braves gens !…

Courtin

Voilà ce que je voudrais faire comprendre… non pas aux socialistes… ils sont trop fous… mais aux radicaux-socialistes, qu’on peut faire réfléchir… Beaucoup sont riches…

Biron

Trop riches !

Courtin

On en dit trop aux pauvres… On les instruit trop… (Geste oratoire.) Vous prétendez, messieurs, qu’il y a trop peu d’écoles, moi, j’ose affirmer qu’il y en a trop…

Biron, applaudissant.

Bravo ! Bravo !

Courtin, après un clin d’œil sur Dufrère.

Il n’est pas désirable que l’instruction s’étende davantage… Car l’instruction est un commencement d’aisance, et l’aisance n’est pas à la portée de tout le monde…

Biron

Je propose l’affichage… (Changeant de ton.) On ne vous écoutera pas.

Courtin

Du moins, j’aurai crié : « Casse-cou ! » (Se tournant vers Dufrère.) Qu’est-ce qu’il y a, Dufrère ?

Il prend le papier que lui tend Dufrère et le parcourt.
Thérèse, à Dufrère.

Vous voudriez bien que nous vous rendions le baron ?

Dufrère

Madame, même mon cabinet est plein et j’ai dû faire entrer des visiteurs au salon…

Biron

Nous parlons… nous parlons… (À d’Auberval qui baise la main de Thérèse.) Jeune homme, j’ai mon auto, et si vos opinions vous permettent d’aller en auto, je vous emmène.

D’Auberval, à Thérèse.

À demain, madame.

Courtin

Ah ! messieurs, ne manquez pas d’être exacts ?… Il faut être au Foyer avant deux heures…

Thérèse

Monsieur d’Auberval… 184, rue de la Chapelle.

D’Auberval

Je sais… Je sais…

Courtin

Personne ne doit arriver après la duchesse.

Biron

La duchesse ?

Courtin

La duchesse de Saragosse.

D’Auberval sort.
Biron, à Thérèse, qui se laisse baiser la main de mauvaise grâce, et désignant d’Auberval.

Vingt-six ans ?

Thérèse hausse les épaules. Biron sort.



Scène V

Les Mêmes, moins BIRON et D’AUBERVAL, puis UN VALET DE PIED
Courtin, à Dufrère, à qui il a parlé bas, plusieurs fois, à la fin de la scène précédente en lui montrant le papier.

Ainsi, d’abord, ce M. Ludovic Belair.

Dufrère

Je l’introduis ?

Courtin

Oui… il est assommant… Il faut que je m’en débarrasse…

Thérèse prend un livre sur le guéridon et sort par la porte de gauche, tandis que Dufrère sort par la porte de droite.
Un valet de pied, entrant et annonçant.

M. Ludovic Belair !



Scène VI

COURTIN, LUDOVIC BELAIR, puis CHARLES DUFRÈRE
Belair, à qui Courtin a serré la main, avant de s’asseoir dans le fauteuil qu’on lui désigne.

Mon cher maître, tout à l’heure, dans votre antichambre…

Courtin

Excusez-moi, mon cher confrère, de vous avoir fait attendre…

Belair

Ce n’est pas à vous à vous excuser, mon cher maître, mais à moi qui viens accaparer un temps précieux, et que le malheur réclame… (S’asseyant.) Dans ce beau salon, assis entre deux bonnes sœurs et un vieillard, au milieu des enfants, des nourrices, de pauvres femmes, je ne pouvais m’empêcher de songer à quelqu’un dont vous avez écrit la vie, dans votre admirable livre : La Charité ordonnée… Je songeais à saint Vincent de Paul…

Courtin

Monsieur…

Belair

Et je rougissais de l’objet de ma visite, qui va déranger de si nobles occupations…

Courtin

Mais, monsieur… je me dois à tout le monde.

Belair

Je n’oublie pas, mon cher maître, que je suis devant l’homme dont on a pu dire qu’il administrait la compassion de ses contemporains…

Courtin, souriant.

Oui… Oui… Une phrase d’Anatole France, mais du temps où il commençait déjà à se moquer de nous…

Belair

Anatole France !… Oh !… Je n’en crois rien.

Courtin

Laissons cela… Je disais… Ah ! nous n’avons le droit de nous soustraire à aucun de nos devoirs… J’ajoute, je me hâte d’ajouter que je n’en connais pas de plus agréable que celui de signaler le mérite au suffrage de l’Académie.

Belair

Je sais, mon cher maître, je sais, par Mme  Labellevigne, toute l’indulgente bienveillance que vous avez pour mon petit volume… et je viens vous en remercier… Il est certain qu’il dépend de vous que mon travail soit couronné, et je voudrais, si vous le permettez, insister encore…

Courtin

Outre le mérite réel de votre livre, je n’ignore aucun des titres que vous avez à faire valoir. Beaucoup m’en ont instruit… Vous comptez, monsieur, — et je vous en félicite — tant d’amis.

Belair, un peu gêné.

Croyez bien…

Courtin

Si je n’oublie aucune des personnes qui s’intéressent à vous… (Feuilletant un dossier.) dans le monde, dans les journaux, au Sénat, à l’Institut, jusque dans le gouvernement, et jusque dans mon département, j’aurai, si vous obtenez le prix Cornard-Cabasson, une centaine de lettres à écrire, pour l’annoncer…

Belair, même jeu.

Mon cher maître, je suis confus…

Courtin

Quoi donc ? Monsieur, on a les amis qu’on mérite…

Un petit silence.
Belair

Alors c’est le prix Cornard-Cabasson ?

Courtin

Il ne vous plaît pas.

Belair, vivement.

Au contraire, mon cher maître… Un très beau prix… Je n’aurais pas osé…

Courtin

En réalité, si vous l’obtenez, laissez-moi vous dire que ce n’est pas seulement par égard pour le nombre de vos amis, ni uniquement en considération de votre talent. (Belair s’incline.) Non… Il m’est agréable de voir couronner en vous le jeune défenseur des idées qui sont chères à tous les vieux amis de l’ordre…

Belair, vivement.

Oh ! sous ce rapport !…

Il met la main sur sa poitrine.
Courtin

Je le sais… Aussi, connaissant vos idées, je tiens beaucoup à vous mettre en garde contre un penchant qui vous entraînerait, peut-être, plus loin que vous ne pensez.

Belair, très humble.

C’est vrai, mon cher maître, on m’a reproché… certaines hardiesses… dans la peinture des choses de l’amour.

Courtin

Elles ne me choquent pas… Elles ont de la grâce… Non… Je voulais parler du penchant que vous avez pour la satire, on ne se défie jamais assez du penchant pour la satire… À force de décrier les mœurs du temps, on fraie son chemin à la Révolution.

Belair

Dieu m’en garde !

Courtin

Je savais qu’il suffirait de vous avertir… Retenez bien ceci… Rien n’est capital, pour le maintien de l’ordre, comme de taire le mal… Il est beaucoup moins important de faire le bien que de taire le mal… Taire le mal… taire le mal… l’empêcher, si l’on peut… mais, surtout, le taire…

Belair, un peu étonné.

Voilà une maxime que je n’aurai garde d’oublier.

Courtin

Elle vaut d’être méditée.

Il se lève.
Belair, se levant aussi.

Alors, mon cher maître, vous me permettez de compter sur votre appui ?…

Courtin

Vous pouvez y compter absolument.

Il lui tend la main.
Belair

Merci, mon cher maître… (Il se dirige vers la porte, reconduit par Courtin.) Si je ne craignais pas d’abuser, je vous demanderais la permission de vous mettre à contribution, pour une série… (Il s’arrête.) pour une série sensationnelle que je prépare au Figaro, sur ce que j’appelle le « Personnel de la Charité »… les « Salons charitables »…

Courtin

Mais c’est fort délicat !…

Belair

Oh !… Ce n’est pas pour tout de suite… Pour l’entrée de l’hiver… La charité ne redevient d’actualité qu’aux premiers froids…

Il reprend sa direction vers la porte.
Courtin

Eh bien… nous verrons à la rentrée…

À la porte.
Belair

Merci, mon cher maître… merci encore…

Courtin

Taire le mal… taire le mal… taire le mal…

Belair approuve en saluant profondément. Il serre la main de Dufrère qui paraît à la porte.



Scène VII

COURTIN, CHARLES DUFRÈRE
Courtin

Vous le connaissez ?

Dufrère

Je crois bien… C’est une conquête du parti conservateur.

Courtin

Ce petit bonhomme ?

Dufrère

Oh !… Une toute petite victoire bonapartiste.

Courtin

Comment ?

Dufrère

Il a débuté avec moi à la Revue Libertaire.

Courtin

Mon cher ami, vous vous moquez de tout… Mais c’est un très bon signe que ces évolutions.

Dufrère

Oh ! il ne s’en tiendra pas là… (Montrant la liste.) L’ordre est de nouveau dérangé. Il y a là les dames quêteuses du Vestiaire de Saint-Martin, de L’Obole, du Bol de soupe et du Foyer… Voulez-vous les voir, ou faut-il que je les expédie ? Il y a tant de monde !

Courtin

Non… Voilà trois semaines que je les ajourne… Faites-les entrer.


Dufrère sort et introduit les quatre dames. Elle entrent une à une, hésitant, curieuses, vont serrer la main que leur présente Courtin, et, après beaucoup de salutations, s’assoient de chaque côté du bureau.



Scène VIII

COURTIN, MADAME PIGEON, MADAME PIVIN, MADAME RATURE, MADAME TUPIN, puis DUFRÈRE
Courtin

Eh bien, mesdames ?

Madame Pigeon

Nous avons remis à M. Dufrère nos livres et les sommes recueillies, cette semaine… (Mines désolées des dames quêteuses.) C’est malheureusement trop peu de chose, monsieur le président.

Courtin

Tant pis, mesdames, tant pis ?

Madame Rature

On a pourtant bien du mal, monsieur le président.

Assentiment général.
Madame Tupin

Les gens ne veulent plus donner qu’aux œuvres de leur quartier.

Madame Pigeon

C’est vrai qu’il y a trop de concurrence… Tous les jours une œuvre nouvelle !…

Madame Pivin

Une volerie la plupart du temps !… Il faudrait une loi, monsieur le sénateur.

Madame Pigeon

Les automobiles qui nous font un tort !

Madame Pivin

Les loteries, donc !

Madame Rature

Les souscriptions pour les mineurs…

Madame Pivin

Pour les volcans de l’étranger…

Courtin

Personne ne sait mieux que moi, mesdames, combien votre tâche est pénible… et aussi combien elle est méritoire… Ne vous laissez pas aller au découragement… Il faut vous ingénier à découvrir de nouveaux moyens…

Madame Pigeon, soupirant.

Il faudrait découvrir tous les jours, monsieur le président… Nos petits moyens ne nous servent pas longtemps… J’en avais un qui m’avait d’abord réussi, les femmes de chambre… je leur apportais des rubans, des bouts de dentelle.

Madame Tupin

Moi, des romans… des romans un peu lestes… Il fallait bien.

Madame Pigeon

Mais ce ne sont pas elles qui donnent.

Madame Rature

Quand je pense que dans des appartements de vingt mille francs, on trouve des gens qui osent vous donner deux sous.

Madame Pivin

On trouve… on trouve… Vous avez de la chance… Moi, ils sont toujours sortis.

Madame Rature

C’est étonnant ce que les gens sortent à Paris… On a beau venir à l’heure des repas.

Madame Pivin, indignée.

Ils ne mangent même plus chez eux, monsieur le président.

Madame Tupin, triste.

Et puis, il y a des concierges qui sont terribles…

Madame Pigeon

Je voulais vous dire, monsieur le président… Au Petit sou des Faubourgs, ils ont une nouveauté dont ils paraissent très contents… Ils confient aux mamans des tirelires à faire remplir par les bébés… Les chers mignons s’habituent ainsi de bonne heure à la charité, à l’économie aussi… Et en même temps, ça leur sert de joujoux… (Elle se lève.) J’ai apporté un modèle, monsieur le président… (Elle remet le modèle à Courtin qui l’examine.) Vous voyez… Il représente le cœur de Jésus… C’est en porcelaine…

Madame Tupin

Oh ! que c’est joli !…

Elles se sont levées et regardent le modèle à leur tour.
Courtin

Les enfants ? Je n’y avais pas songé… Oui, c’est assez heureux.

Madame Pigeon

Il y a aussi des zouaves… des moutons… des poupées…

Le modèle passe de main en main ; les dames reprennent leurs places en chuchotant.

Courtin

Mesdames, rappelez-vous mon système… Faites-vous renseigner dans les mairies, sur les naissances, les mariages, les enterrements… (Les dames font des signes d’approbation.) la première communion.

Madame Tupin, extatique.

La première communion… Oh !…

Madame Pigeon

Les enterrements… je ne dis pas… monsieur le président… mais les gens heureux !…

Elle soupire en levant les bras.
Courtin

Mon Dieu, mesdames… Il en est de la charité comme de la cuisine… Il y a le tour de main… (Approbation.) Faire passer votre carte, c’est bien, mais c’est trop simple… Il faut voir les gens, leur parler…

Madame Pivin

Leur parler ? Nous ne demandons que ça… Mais où ? Quand ?

Courtin

Il faut bien vous dire, mesdames, que la charité est un art… Il y a l’art de donner… (Dénégation de Mme Pivin.) Il y a aussi l’art de se faire donner… Tenez… par exemple… si vous connaissez certains secrets… (Elles écoutent, le col tendu, approuvant çà et là, par des gestes, des mouvements de tête.) quelque trait piquant ou mystérieux, dans la vie de ceux que vous sollicitez… Il ne vous est pas défendu… d’y faire allusion… discrètement…

Madame Rature et Madame Tupin

Oui… Oui…

Courtin

Adroitement.

Madame Pigeon

Adroitement… bien sûr…

Madame Pivin, expression méchante.

Oh ! moi… je connais une dame !…

Elle fait un geste de menace.
Courtin

Il ne faut pas compter que sur la vanité.

Entre Dufrère.

Dufrère

Mlle Rambert est là…

Les quatre dames, chuchotant.

La directrice du Foyer… la directrice du Foyer…

Dufrère

Elle n’a que peu de temps…

Courtin

Eh bien… nous sommes en famille… (Sur le geste de Courtin, Dufrère sort.) Donc, mesdames, agissez de votre mieux… On peut tout faire au nom de la charité…

Elles approuvent. Entre Mlle Rambert.



Scène IX

Les Mêmes, MADEMOISELLE RAMBERT, puis CHARLES DUFRÈRE
Mademoiselle Rambert

Monsieur le président… (Elle salue rapidement les dames quêteuses qui s’inclinent et, ensuite, vont, à pas glissés, former un groupe au fond de la scène.) Monsieur le président, je venais prendre vos dernières instructions…

Courtin

Mon Dieu, madame la directrice, je crois que je n’ai plus rien à vous dire… Voyons… (L’amenant sur le devant de la scène.) L’établissement est nettoyé ?

Mademoiselle Rambert

À fond, monsieur le président.

Courtin

Nos enfants sont bien propres ?… Ces bains ?…

Mademoiselle Rambert

Tout sera terminé ce soir, avant le coucher !

Mme Tupin montre aux autres le buste de Napoléon.
Courtin

Parfait ! parfait !

Mademoiselle Rambert

Ce n’aura pas été une petite affaire… Pensez que nous n’avons que trois mauvaises baignoires, dont une tout à fait hors d’usage…

Courtin, l’interrompant.

Et la révérence ?… Tout le monde sait la révérence à faire à la duchesse ?

Mademoiselle Rambert

Tout le monde… Demain matin, on répétera encore, après la messe… Quelques-unes sont gauches et lourdes… mais il y en a, je vous assure, monsieur le président, qui sont délicieuses… Et nous en avons une, une gamine, qui, malheureusement, portera plus de chapeaux qu’elle n’en confectionnera…

Courtin, interrompant.

Ont-elles appris à parler comme il faut ?

Mademoiselle Rambert

Très bien.

Courtin

Ah !… la coiffure !… La baronne me disait encore combien ces cheveux trop tirés sont laids…

Mademoiselle Rambert

Mme la baronne peut se rassurer. J’ai tenu compte de ses observations.

Le chuchotement des dames quêteuses, qui n’a pas cessé, augmente. Courtin, en se retournant, les fait taire.

Courtin

Je n’ai pas besoin de vous répéter combien j’attache d’importance à ce que l’impression soit bonne… Pas seulement à cause de la duchesse…

Mademoiselle Rambert, interrompant.

Monsieur le président…

Courtin, poursuivant.

Mais le comité sera au grand complet… la Presse sera représentée…

Mademoiselle Rambert

Soyez tranquille, monsieur le président, rien ne clochera… rien ne clochera !

Courtin

Je sais que vous êtes une femme de tête…

Mademoiselle Rambert, bas à Courtin.

Monsieur le président… (Son regard va des dames quêteuses à Couriin.) Si vous pouviez éloigner ces dames un moment ?…

Courtin

Ah !… (Se retournant vers les dames quêteuses.) Mesdames, je ne veux pas vous retenir davantage. (Déception des dames quêteuses qui commencent à prendre congé.) D’ailleurs, nous comptons sur vous, demain, à deux heure ?…

Elles s’inclinent.
Madame Pigeon

Et le petit cœur de Jésus, monsieur le président ?

Courtin

Nous verrons tout cela samedi prochain… (Elles s’inclinent de nouveau.) Au revoir, mesdames, au revoir !

Elles sortent lentement, une à une.



Scène X

MADEMOISELLE RAMBERT, COURTIN
Courtin, revenant s’asseoir devant la table, un peu inquiet.

Vous avez quelque chose de grave à me dire ?

Mademoiselle Rambert, embarrassée.

De grave… d’ennuyeux, oui… Nous avons, monsieur le président, un ennui au Foyer !

Courtin, vivement.

Ah !

Mademoiselle Rambert

Un gros ennui…

Courtin, même ton.

Quoi donc ?

Mademoiselle Rambert

Une de nos surveillantes… Mlle Barandon… a oublié dans un placard, une petite qu’elle avait enfermée…

Courtin, stupéfait.

Comment ?

Mademoiselle Rambert

Elle l’y a laissée tout un jour… et toute une nuit !…

Courtin

C’est fou !… alors ?

Mademoiselle Rambert

Quand on l’a retirée, ce matin… on l’a retirée dès que Mlle Barandon s’est rappelée… naturellement, la petite était sans connaissance…

Courtin se lève.
Courtin

Mais c’est effrayant !…

Mademoiselle Rambert

Malgré nos soins, elle est morte…

Courtin, épouvanté.

Morte ?

Mademoiselle Rambert

Morte !… oui… à midi…

Courtin

C’est effrayant, ce que vous dites là !… c’est effrayant !…

Il se promène en se tenant la tête. Mlle Rambert le suit du regard.

Mademoiselle Rambert

Par bonheur, j’ai pu la faire transporter dans la chambre de Mlle Barandon… sans que personne la voie…

Courtin, s’arrêtant et se retournant.

Vous êtes sûr que personne…

Mademoiselle Rambert, vivement.

Personne, monsieur le président… personne… C’est Mme Antoinette… la concierge… qui la veille… D’elle, au moins, je suis sûre…

Courtin, reprenant sa marche.

Laisser une enfant tout un jour… et toute une nuit… dans un placard !… (Levant les bras.) Je n’ai jamais vu ça !… On n’a jamais vu ça !… Eh bien, c’est du joli… du joli !… (S’arrêtant devant Mlle Rambert.) Qui est cette petite ?… Comment s’appelle-t-elle ?

Mademoiselle Rambert

Caroline Mezy !

Courtin

Caroline Mézy ?… (Il fait un geste exprimant qu’il ne la connaît pas.) A-t-elle des parents ?

Mademoiselle Rambert

Sa mère…

Courtin

À Paris ?

Mademoiselle Rambert

Elle était placée à Paris… Une coureuse… Elle est partie en province… je ne sais où…

Courtin

Personne ne vient la voir ?

Mademoiselle Rambert

Jamais… heureusement…

Courtin, allant et venant.

Enfin… Comment peut-on oublier une enfant dans un placard ? C’est inimaginable !… On nous traitera de bourreaux…

Mademoiselle Rambert, calme.

Monsieur le président, c’est une punition réglementaire…

Courtin

Joli règlement !…

Mademoiselle Rambert

Approuvé par le comité… Deux heures de placard…

Courtin

Deux heures !… quatre heures de placard !… Bien… Mais vingt-quatre heures !

Mademoiselle Rambert

Un accident… Il arrive des accidents… Il n’y a pas qu’au Foyer…

Courtin

Un accident ! Un accident !… (Changeant de ton.) Évidemment… (Changeant de ton.) Mais nous avons une responsabilité terrible…

Mademoiselle Rambert

Oh ! Cette petite Mézy avait eu, une fois ou deux, des troubles au cœur. Le docteur ne voudra pas nous créer des embarras.

Courtin, hochant la tête.

Ne voudra pas… C’est très grave. (Très vite.) Et l’abbé Laroze ? Que dit-il ?

Mademoiselle Rambert, très vite.

Mais il ne sait rien, monsieur le président… Ah ! bien, merci ! Ce serait le bouquet !

Courtin

Il ne l’a donc pas confessée ?

Mademoiselle Rambert

Elle était sans connaissance.

Courtin

Enfin… on ne lui a pas administré les derniers sacrements ?

Mademoiselle Rambert, très simplement.

À quoi bon ?

Courtin

Une mort pareille ? sans les secours de la religion ? au Foyer ? Songez donc. Et dans ma situation !

Mademoiselle Rambert

Vous ne savez pas en quel état est notre pauvre aumônier. Agité, nerveux, incohérent, comme il est…

Courtin

N’importe… n’importe…

Mademoiselle Rambert

Mais, monsieur le président, il eût ameuté la maison, tout le quartier… Il eût fait une cérémonie…

Courtin, marchant.

C’est effrayant !… c’est effrayant !… (S’arrêtant.) Et demain ?… La réception de demain ? Qu’allons-nous faire ?

Mademoiselle Rambert

J’ai pris mes dispositions… Tout se passera très bien… (Un temps.) Seulement… permettez-moi…

Courtin

Dites… dites…

Mademoiselle Rambert, timidement.

De vous demander… un petit peu d’argent…

Courtin

D’argent ? Encore ? Je ne sais pas comment vous faites… Je vous en ai remis samedi dernier.

Mademoiselle Rambert

Oh !… trois cents francs !

Courtin, désagréable.

C’est bon… nous verrons lundi…

Mademoiselle Rambert

C’est que… j’en ai absolument besoin pour demain matin… au moins quinze cents francs ! (Courtin lève les bras au plafond.) Vous savez bien que… toute la semaine… (Très ferme.) j’ai dû payer sur ma bourse à moi.

Courtin

Bon… Bon…

Mademoiselle Rambert, rogue.

Ce n’est pas pourtant qu’on ne me doive rien…

Courtin

Eh bien… C’est entendu… demain matin… (il marche et lève les bras.) Dans un placard !… Une petite dans un placard…

La figure de l’abbé Laroze apparaît dans l’entrebâillement de la porte de droite.

Mademoiselle Rambert, l’apercevant, à Courtin, bas.

Surtout monsieur le président, je vous en prie… pas un mot, pas un mot à M. l’abbé… Tout serait perdu… Je ne sais pas comment nous ferions demain !

Courtin

Soyez tranquille… mademoiselle…

Il se remet peu à peu en voyant s’avancer l’abbé.



Scène XI

Les Mêmes, L’ABBÉ
L’Abbé

Monsieur le baron !… (Courtin lui tend la main.) Ah ! mademoiselle Rambert !

Il la regarde de loin, sans bienveillance.

Courtin

Voilà le grand jour arrivé, mon cher abbé… Je gage que vous seriez ravi d’être à après-demain…

L’Abbé, regardant Mlle Rambert qui s’éloigne un peu.

Ma foi, monsieur le baron, je ne dis pas non… Je ne dis pas non !… Je redoute un peu cette inspection.

Mademoiselle Rambert

Inspection ?…

Courtin

Une visite… une visite auguste, c’est vrai, mais une simple visite…

L’Abbé

Je ne tiens pas au mot… N’empêche que c’est une visite… en quelque sorte officielle… Je suis ému… je suis ému… je ne m’en défends pas…

Courtin

Mon cher abbé… soyez sûr que tout se passera le mieux du monde.

L’Abbé

C’est ce que Mme la directrice assure… oui… Mais je pense qu’on ne saurait trop veiller à tout…

Mademoiselle Rambert

Vous avez raison, monsieur l’aumônier… et, justement, je disais tout à l’heure, à M. le président, combien vous preniez soin…

L’Abbé, lui coupant la parole, ironique.

Je vous remercie, madame la directrice… vous êtes trop bonne… Par exemple, prenez garde de blesser ma modestie. Ménagez-la, mademoiselle, ménagez-la… Mais laissons, s’il vous plaît, ma pauvre personne… Ce qui fait que je ne suis pas tranquille…

Mademoiselle Rambert

Eh là !… monsieur l’aumônier… on ne vous mangera pas.

L’Abbé

Je n’en sais rien… mademoiselle… je n’en sais rien…

Courtin

Nous n’avons pas affaire à des malveillants.

L’Abbé

On dit ça… On dit Ça… (Profitant d’un moment où Mlle Rambert détourne la tête.) J’ai à vous parler.

Il se dirige au fond de la scène, vers la fenêtre.

Courtin, à Mlle Rambert.

Madame la directrice, je me ferais scrupule, vraiment, d’abuser de votre temps, si précieux aujourd’hui…

Mademoiselle Rambert

Mais pas du tout, monsieur le président…

Courtin

Vous n’avez plus rien à me dire ?

Mademoiselle Rambert

Plus rien, monsieur le président… (À l’abbé Laroze.) Monsieur l’aumônier… (Il détourne seulement la tête.) Si vous rentrez au Foyer… je puis vous emmener… j’ai une voiture…

L’Abbé

Je vous remercie infiniment, mademoiselle… une petite course à faire encore.

Mademoiselle Rambert

Je pourrais peut-être…

L’Abbé, très vite.

Ce n’est pas du tout votre chemin.

Mademoiselle Rambert

Je n’insiste pas… (L’abbé s’est remis complètement de dos.) Au moins, vous rentrerez souper, monsieur l’aumônier ?

L’Abbé, sans se retourner.

Assurément, madame la directrice, assurément.

Mademoiselle Rambert

Monsieur le président…

Courtin, lui tendant la main.

À demain.

Sort Mlle Rambert.



Scène XII

Les Mêmes, moins MADEMOISELLE RAMBERT
L’Abbé

Enfin !… Elle a horreur de me laisser seul avec vous… Ah ! monsieur le baron, je ne suis pas fâché de pouvoir vous parler un instant, tête à tête…

Courtin

Ni moi.

L’Abbé

J’ai hâte de libérer ma conscience…

Courtin

Oh ! oh ! Il est donc arrivé quelque chose de bien grave ?

L’Abbé, s’asseyant sur le fauteuil qu’on lui indique.

Il n’est rien arrivé du tout, monsieur le baron…

Courtin, s’asseyant à son bureau.

Alors ?

L’Abbé, s’agitant.

Il n’est rien arrivé… et pourtant, rien ne va comme il faudrait… Je m’en veux de troubler votre sérénité… mais je vous assure qu’il y a beaucoup à reprendre au Foyer, beaucoup… beaucoup trop.

Courtin, nonchalamment.

Naturellement… mais pourquoi vous tracasser ?… Ce n’est pas à la veille du jour où le succès…

L’Abbé, l’interrompant.

Justement… (Changeant de ton.) D’abord, ce succès…

Il lève les bras au plafond.
Courtin

Comme vous vous tourmentez !

L’Abbé

Avec raison… monsieur le baron… avec raison… Voyez-vous, la gestion de Mlle Rambert n’est pas bonne… elle est même mauvaise… très mauvaise. Pas la moindre économie… des dettes… des dettes criardes. C’est un désordre !… (Joignant les mains.) L’infirmerie, monsieur le baron… les cuisines !… Et tout !… tout !

Courtin

Hélas !… Je le sais… La faute n’est pas à Mlle Rambert… Elle n’est pas responsable de la crise que nous traversons… Nous avons au Foyer beaucoup de dépenses, et, malheureusement, le zèle de nos amis se refroidit.

L’Abbé

Bon !… bon !… Si ce n’était que cela !

Courtin

Qu’est-ce qu’il y a encore ?

L’Abbé

Il y a… il y a… que Mlle Rambert est versatile au possible… Tantôt, elle est beaucoup trop indulgente… d’une indulgence, d’une familiarité, qui finissent par paraître déplacées, suspectes… (Sur un mouvement de Courtin.) Eh bien, oui, là !… (Changeant de ton.) Je vous assure que je n’en fais pas une question de personne…

Courtin

Je sais… Je sais…

L’Abbé, de plus en plus agité.

Mais la partialité de Mlle Rambert est choquante… Elle est choquante… Il y en a qu’elle câline… qu’elle cajole… qui sont vraiment trop gâtées…

Courtin

Il y en a de si malheureuses !

L’Abbé

Oh ! ce n’est pas ce qui l’émeut… Non… Ces caresses… ces préférences… que les enfants remarquent…

Courtin

Petites jalousies, mon cher abbé… Souvent les rapporteuses ne valent pas cher…

L’Abbé

Je vous prie de croire que je vois par mes propres yeux… Et ce que je vois me fait trembler… Il arrive aussi à la directrice d’être inexplicablement sévère !

Courtin

Il y en a de si insupportables !

L’Abbé

Ce n’est pas une raison pour les battre…

Courtin

On a des mouvements d’impatience.

L’Abbé

J’en ai entendu crier… J’en entends crier tous les jours. C’est désagréable ! Et puis, comment vous expliquer ?… Il y a toutes sortes de pénitences mystérieuses… et aussi je ne sais quelles récompenses… qui se distribuent le soir… beaucoup trop tard…

Courtin

Que voulez-vous dire ?

L’Abbé, grave.

Ici, monsieur le baron, je suis lié par le secret de la confession…

Un petit silence.
Courtin, regardant vaguement au plafond.

Mlle Rambert a des bizarreries… je le reconnais… mais, enfin, les enfants ne se plaignent pas…

L’Abbé, hochant la tête.

Oh !

Courtin

Ou si peu… Il faut la laisser faire… Ces petites misères, ces petites jalousies de fillettes… j’ai autre chose en tête… Ce dont je me préoccupe, c’est de nous trouver des ressources…

L’Abbé

Sans tarder, alors, monsieur le baron, sans tarder…

Courtin

Je compte, demain, sur un don considérable de la duchesse… et puis, j’ai des projets…

L’Abbé

Ah !… serait-il permis de vous demander où vous en êtes, avec ce monsieur dont nous avons eu la visite, au commencement de l’hiver ?… Voyons… (il cherche.) Monsieur…

Courtin

Lerible ! Célestin Lerible !

L’Abbé

C’est ça… Je n’ai plus de mémoire… M. Lerible… Il a l’air d’un bien excellent homme ?

Courtin

Ne vous y fiez pas… (Changeant de ton.) J’attends toujours.

L’Abbé

Puissiez-vous réussir, monsieur le baron, réussir avant qu’il soit trop tard !

Courtin

Vous parlez comme si tout était perdu !…

L’Abbé

Non… non… Mais permettez-moi de vous le dire respectueusement… peut-être avez-vous le tort de vous fermer les yeux comme exprès… Vous aimez tant à vous persuader que tout est pour le mieux !…

Courtin

Mais tout est pour le mieux, l’abbé… tout est pour le mieux.

L’Abbé

Dieu vous entende, monsieur le baron… Pourtant, ne lui laissez pas tout à faire…

Thérèse a ouvert la porte du billard, et s’arrête sur le seuil… Elle a son chapeau, un tour de cou, une ombrelle.



Scène XIII

Les Mêmes, THÉRÈSE
Thérèse

Pardon !

L’abbé lève les bras au plafond, s’incline et s’avance vers Thérèse.

L’Abbé

Madame la baronne, votre humble serviteur !

Thérèse, tendant la main à l’abbé.

Je suis bien aise de vous voir, monsieur l’abbé. Voilà plusieurs fois que je vais au Foyer, sans avoir le plaisir de vous rencontrer.

L’Abbé, retenant, malgré Thérèse, ses mains et les caressant.

Je suis peu fortuné, vraiment… Vous qui n’y venez plus que si rarement, cette année.

Thérèse, vite, et parvenant à dégager ses mains.

J’ai été prise… tout cet hiver… très prise… Je ne vous dérange pas, au moins ?

L’Abbé, empressé.

Nous déranger !… (Changeant de ton.) J’exposais à monsieur le baron…

Courtin, lui coupant la parole.

Nous nous entretenions de la réception de demain… (Se frottant les mains.) Tout ira bien…

L’Abbé, soucieux.

Tout ira bien ?… (Sur un geste impératif de Courtin.) Tout ira très bien… Oui !… D’ailleurs, j’allais prendre congé… Je bénis le ciel de m’être attardé, madame la baronne… Pouvons-nous espérer que vous nous reviendrez… que, de nouveau, nous aurons, au Foyer, la maman, la chère maman qu’on y réclame ?

Thérèse, sèchement.

Certainement… Certainement !…

Elle s’éloigne.
L’Abbé

Vous êtes mille fois aimable et bonne… Je pars sur cette excellente promesse… Madame la baronne, votre humble serviteur… Ne vous dérangez pas, monsieur le baron…

Il s’incline plusieurs fois et sort.



Scène XIV

THÉRÈSE, COURTIN, puis UN VALET DE PIED
Courtin

Je ne vous reconnais pas… Vous, toujours si aimable…

Thérèse

J’ai été très aimable.

Courtin

Intérieurement, alors… Il ne vous a rien fait, le pauvre homme… lui qui vous admire tant !

Thérèse

Ce n’est pas son affaire…

Elle se dirige vers la porte du billard.
Courtin

Vous êtes dure…

Thérèse, se retournant.

Cette habitude de retenir mes mains dans les siennes… J’ai horreur de ça… Je ne sais pas… C’est indécent !

Elle ouvre la porte.
Courtin

Vous sortez tout de suite ?

Thérèse

Oui… (Elle ferme la porte et redescend.) Vous avez quelque chose à me dire ?

Courtin

Mon Dieu !

Thérèse

Oh ! Je ne tiens pas tant à sortir. Je n’ai pu rester dehors, ce matin… Il souffle dans les rues un vent chaud qui m’affole… qui donne envie de pleurer… (Elle s’assied sur le divan.) Votre samedi est très chargé ?

Courtin

Comme tous mes samedis.

Thérèse

Je vous envie, de vous intéresser à tant de choses… Moi, je m’ennuie… je m’ennuie…

Courtin

Qui vous empêche… ?

Thérèse

Quoi ?… De faire comme vous ?

Courtin, se rapprochant.

De donner aux malheureux ce temps dont vous ne faites rien… Je n’en parle, remarquez, qu’au point de vue de votre santé… La charité, rien de plus hygiénique…

Thérèse

Si l’on pouvait distribuer de la joie… vraiment de la joie… à pleines mains !… Mais toutes vos œuvres, elles ne m’intéressent pas…

Courtin

Dites qu’elles ne vous intéressent plus… Vous, à qui j’ai connu une si belle ardeur, autrefois…

Thérèse

Dans ce temps-là, je ne pensais à rien… Je prenais du plaisir à tout… Il ne faut pas réfléchir à ce qu’on fait quand on tient à son bonheur…

Courtin

Comme vous avez raison !… Vous réfléchissez beaucoup trop… Laissez-vous vivre. (Un petit temps.) Le petit d’Auberval est ridicule, avec ses théories, son pessimisme… Il y a un peu de sa faute… sa société ne vous vaut rien.

Thérèse

Je ne sais ce que vous allez chercher… Je m’étonne que vous ne me proposiez pas la gaieté d’Armand Biron…

Courtin

Justement… Biron…

Thérèse, agressive.

Et puis, ne dites donc pas toujours « le petit d’Auberval ». Il s’appelle d’Auberval… Robert d’Auberval…

Courtin

Ma chère amie, c’est de Biron, justement…

Thérèse

En voilà un qui m’agace !… Dieu ! Qu’il m’agace !…

Courtin

Depuis quand ?

Thérèse

Depuis qu’il m’agace !…

Courtin

D’Auberval lui fait tort… d’Auberval a trente ans de moins et s’habille à ravir…

Thérèse

Ça… oui !

Courtin

La belle affaire ! Biron a pour lui des qualités plus sérieuses, et son intelligence…

Thérèse

Je ne demande pas qu’un homme soit trop occupé de sa toilette, mais ce n’est pas une raison pour être mis comme Biron. (Se levant pour aller s’asseoir à la table-bureau.) Ce qui fait ma joie, ce sont ses pantalons… Avez-vous remarqué ses pantalons ?

Courtin

Oui… Eh bien ?

Thérèse

Ils sont toujours trop courts… (Elle rit.) Je ne sais pas comment il fait, ils sont toujours trop courts… (Elle pouffe de rire.) Avec ça, il a des prétentions à l’élégance.

Courtin

Eh bien, moi, je lui sais gré…

Thérèse

Parbleu ! Il vous singe !

Un valet de pied est entré, apportant une carte sur un plateau.

Courtin

Je vous assure que ses efforts pour atteindre à la noblesse…

Thérèse, riant et tombant dans le fauteuil.

Pouff !…

Courtin

Ne riez pas, ma chère amie… Moi, je ne trouve pas le bourgeois gentilhomme si ridicule !… C’est un bel hommage que ces gens-là… Et puis, tenez, Biron… j’ai remarqué souvent ce qu’on peut tirer de lui, en faisant appel à des sentiments de générosité, aux belles manières.

Thérèse, se levant et marchant.

Je ne suis pas chargée de son éducation.

Courtin

Sans doute…

Thérèse

Son optimisme aussi… son optimisme entêté d’homme heureux m’est intolérable…

Courtin

Laissez-moi préférer cet excès-là… Laissez-moi vous dire aussi — et c’est sur quoi je voulais attirer votre attention — qu’il m’est pénible de voir comment on en vient à traiter Biron, parfois.

Thérèse

Par exemple ?

Courtin

Oui… tenez… à la table, tout à l’heure… après déjeuner aussi… Il arrive trop souvent à d’Auberval de manquer de tact… Il est bien jeune… Et je n’aime pas… quand on vient d’être admis dans une maison…

Thérèse, interrompant sèchement.

Faites-lui vos observations…

Courtin

Je ne dis pas… Si je vous en parle à vous, ma chère amie, c’est que, peut-être, sans vous rendre compte, votre manière d’être autorise ou semble autoriser les saillies de d’Auberval… (Thérèse sourit.) Mais oui, votre façon de rire à tout ce qu’il dit…

Thérèse

Pourquoi Biron ne comprend-il pas qu’il vient trop souvent ?… Cela devrait se voir quand on déplaît !…

Courtin

Sérieusement… détestez-vous si fort le pauvre Biron ?

Thérèse

Je serais ravie d’avoir une occasion de me brouiller avec lui.

Courtin

C’est un vieil ami…

Thérèse, agressive.

Lui auriez-vous encore demandé un service, qu’il redevient impertinent ?

Courtin

Pas le moins du monde… Mais non, il y a tout simplement que vous avez moins d’indulgence pour ses défauts, depuis que vous n’aimez plus ses qualités… vous vantiez naguère sa bonne humeur…

Thérèse

Il rit trop et trop haut.

Courtin

Vous ne l’entendez que parce que vous ne riez plus avec lui.

Thérèse

Mettons… quel mal voyez-vous à ce que nous nous brouillions avec Biron ?

Courtin

Ce serait au moins une maladresse. Il faut se croire bien sûr de soi, pour se brouiller avec ses amis puissants. Il ne manque pas de gens, de par le monde, envers qui la sévérité ne coûte rien…

Thérèse

À l’entendre, nous serions menacés de je ne sais quel malheur !

Courtin

Je cherche ce qu’il a bien pu dire…

Thérèse

Rien de précis… Une des affaires où il vous a introduit serait-elle particulièrement louche ?

Courtin

Je n’ai pas accepté d’être d’un conseil d’administration dont il ne fût pas membre.

Thérèse

Excellente précaution… où je reconnais toute votre prudence… Enfin, vous n’avez pas quelque autre chose à craindre ?

Courtin

Rien… ma chère amie, absolument rien… Que voulez-vous que j’aie à craindre ?

Thérèse

Est-ce que je sais ?… C’est ce Biron avec ses insinuations.

Courtin

Tranquillisez-vous… (Avec humeur.) Ma situation, sinon ma fortune, n’a rien à envier aux millions d’Armand Biron… Ces parvenus sont extraordinaires !… Une de ses manies, à celui-là, c’est de croire ruinés tous ceux qui n’ont pas, comme lui, sept ou huit cent mille francs de revenus…

Thérèse

C’est vrai… Avec lui, on est déshonoré quand on prend un fiacre !…

Courtin

Comment ?

Thérèse

Rien… Je dis ça…

Courtin, redevenu bienveillant.

Après tout, Biron n’est pas un vilain homme… Croyez-moi, ne le…

Un valet de pied est entré, apportant une carte sur un plateau.
Courtin, regardant la carte, au valet de pied.

Oh !… Et il attend !… Annoncez… annoncez tout de suite !… (À Thérèse, pendant que le valet sort.) Ma chère amie…

Thérèse

Je décampe !…

Elle sort presque en courant par la petite porte de gauche. Courtin jette dans un tiroir le tour de cou, et s’avance vers la porte, souriant, épanoui.

Le Valet de pied, annonçant.

M. le directeur de l’Assistance publique !