Charles Rozez (p. 111-114).

XII. — Blason populaire.

On désigne sous le nom de blason les produits de la verve satirique des enfants et du peuple.

1495. Les enfants répètent la formulette suivante pour taquiner ceus qui portent le prénom de Henri :

Hinri,
Tchawsori,
Ki tchès’ lè rin-n’ amon Dèri,
Avou ’n pitit’ korîh di fi.

« Henri,
Chauvesouris,
Qui chasse les grenouilles chez Deriz,
Avec un petit fouet de fil. »

1498. Les petits garçons crient aus fillettes qui portent pour la première fois les cheveus en tresse :

Ta, tî, ta, ta,
Kow di ra,
Tral lala,

« Ta, tî, ta, ta,
Queue de rat,
Tral lala. »

1499. En guise de satire contre les maigres, les enfants crient :

Mati L’ohé,
Kwat’ bos’, kwat’ ohê.

« Mathieu L’os,
Quatre bosses, quatre os. »

1502. Quand on parle des avares, on ne manque pas, à Liége, de rappeler ce petit dialogue wallon :

— Dwèrmé-v, wèzèn ?
— Po kwè, wèzèn ?
— S’è po vos’ tèn.
— O bin, dji dwèm !…

— « Dormez-vous, voisine ?
— Pourquoi, voisine ?
— C’est pour [emprunter] votre cuveau.
— Oh bien, je dors ! »

1503.

On taquine les écoliers en récitant la formulette suivante :

Lè skoli,
Lè barbotî[1],
On lè hap po lè deu d’ pî,
On lè tap djisk’â plantchî.

« Les écoliers,
Les grognons,
On les saisit par les doigts de pied,
On les lance jusqu’au plafond. »

1504. On flétrit de l’épithète : magneu d’ tât’ â-z èfan « mangeur de tartines aus enfants » tous ceus qui abusent de leur force ou de leur autorité pour s’emparer de ce qui revient à de plus faibles.

1507. On dit à Liége contre les villageois :

Payîzan d’ mâleûr,
Kwat’ è kwat’, t’è-st on voleûr.

« Paysan de malheur,
Quatre et quatre, tu es un voleur. »

1508. Par contre, les riverains de la Meuse sont flétris par les campagnards du nom de hit’-è-Moûs « (qui) chie-dans-la-Meuse ».

Sobriquets de communautés.

1513. Les Nivellois sont appelés Aklo. Ce sobriquet est expliqué de la manière suivante : « Les portes de la ville étaient jadis si mal entretenues que les gonds et les verrous ne tenaient plus. Une troupe ennemie s’étant montrée dans le voisinage, on voulut, mais en vain, les fermer, et voilà nos bourgeois qui parcourent la ville en criant à tue-tête : Aclaus ! A claus ! [ â klô ! « aus clous ! » ]. » (Tarlier et Wauters Dict. des communes belges 168.)

1514. Les gens de Lodelinsart sont appelés les « veaus » et l’on raconte à ce sujet l’histoire suivante : Un jour, pour choisir le maïeur, on décide de faire courir les candidats dans une prairie et de nommer celui qui arrivera premier. Un veau qui paissait là s’effraye, et, en quelques bonds, arrive au but avant tous les candidats.

1515. On appèle rètchon d’flamin « crachat de flamand » un trou rond bien visible à l’un des vêtements de dessus, surtout si l’on voit au travers la peau comme une tache rose.

1516. Une grosse figure glabre, pleine et sanguine, s’appèle en différents lieus « visage de flamand ».

1517. À Malmédy, on dit contre les Allemands :

Alman,
Dè brigan.
Ki n’a nin do pan,
Po noûri sè pti-z èfan.

« Allemands,
Des brigands,
Qui n’a pas de pain,
Pour nourrir ses petits enfants. »

On fait des habitants de certaines localités comme Malmedy et Dinant les héros d’histoires plaisantes. Ce sont les Dinantais qui, sous le nom de kopér, ont le plus à souffrir de ces contes de blason.

1521. Le copère et les petits chats.

I gn’ aveu in djoû deu kopér di Dinan ki ’nn alun tayî ó bo acheun’. In’alun jamé ni ri-vnun yun san l’ót’ è i gn aveu yun ki dmèreu èn miyèt’ pu lon ki s’ kamarât’. In djoû i pas’. On-n aveu fé dèl situvéy ó chou routch è li kopér ki dmèreu a s’môjo-n la, s’aveu lavè s’ vizâtch avou li purûr dè chou.

« Il y avait un jour deus copères de Dinant qui allaient tailler au bois ensemble. Ils n’allaient jamais ni ne revenaient l’un sans l’autre et il y en avait un qui demeurait un peu plus loin que son camarade. Un jour il passe. On avait fait de l’étuvée aus chous rouges et le copère qui demeurait dans cette maison-là, s’était lavé le visage avec l’eau des chous.

Vla s’ kamarât’ki pas’ pou l’alé kwé, è an vèyan m’n’ om tou routch a s’vizâtch, i lî dmant’ :

Voilà son camarade qui passe pour l’aller chercher, et en voyant mon homme tout rouge au visage, il lui demande :

— K’ès’ ki t’a, on, kopér, ki t’è si routch ? T’è malât’, va, dandjureu. Wét’-tu in pó ó murwè, don, ti vyèra bin ki t’è malât’.

— Qu’est-ce que tu as donc, copère, que tu es si rouge ? Tu es malade, va, sans doute. Regarde-toi un peu au miroir, donc, tu verras bien que tu es malade.

Kan i s’a yeu wéti ó murwè :

Après s’être regardé au miroir :

— Oyi, va, t’a rèzon dèl dîr ki dj’ seu malât’ ; dji m’è rva m’ koutchî.

— Oui, va, tu as raison de le dire que je suis malade ; je m’en retourne me coucher.

È su l’antrœfèt’ di sa, li tcha a stî s’ koutchî dlé l’ kopér è i-l a fé sè djô-n ; è kan s’ kamarât’ a rpassè po-z alé vôy komin i ’nn’ aleûf, i lî a rèspondu :

Et dans l’entretemps de cela, le chat s’est couché près du copère et il a fait ses jeunes ; et quand son camarade a repassé pour aller voir comment il allait, il lui a répondu :

— T’aveu bin rèzon dèl dîr, va, ki dj’ èsteu malât’ ; dj’é tchètlè.

— Tu avais bien raison de le dire, va, que j’étais malade ; j’ai accouché de jeunes chats. »

Recueilli par M. Jules Simon, à Morialmé (entre Sambre-et-Meuse).


  1. Plus exactement barboteu, transformé ici dans un but d’assonance ; barboté « barboter » qui ne se dit en français que du canard, s’emploie en wallon dans le sens de « gronder, trouver à redire sur tout, sermonner ».