Charles Rozez (p. 42-58).

VII. — Contes et Fables.

840. Dans beaucoup de localités s’est conservé l’usage d’aller l’hiver à la veillée, a l’sîz (Liége), a l’chîch (Namur et Luxembourg), a skrèn (Nivelles), et de s’y raconter des fables et des contes, fâf (Liège), fôf (Namur), flôw (Luxembourg), dans le genre de ceus qui suiveni[1].

842.

La licorne.

Twèn Ichtó astou in courdani d’ Ronkyèr ; i dalou a l’ chas’ avé lé Rwè.

« [An]toine Ichetau était uncordonnier de Ronquières ; il allait à la chasse avec le Roi.

In djoû, lé Rwè, 'i stou djalou dè l’ vîr mèyeu tireu k’li, l’invit’ a l’trak din-n in bo, yu s’ k’ i-l avou ’n’ likorn.

Un jour, le Roi, qui était jalous de le voir meilleur tireur que lui, l’invite à la traque dans un bois où ce qu’il y avait une licorne.

O mè Twèn yu s’ ké l’likorn avou l’abitût’ dè passé, pinsan bî k’i-l arou sté infilé par yèl. Mê Twèn, in l’ vîyan arivé, s’a mi pa dyèr èn tchap dè só ki stou fôs’.

On met Toine où ce que la licorne avait l’habitude de passer, pensant bien qu’il aurait été enfilé par elle. Mais Toine, en la voyant arriver, s’a mis par derrière une souche de saule qui était fausse.

Èl likorn a infilé l’ tchap, si bî ké l’ koun a passé du kosté yu s’ ké Twèn astou. Twèn, ki avou s’ martya d’ kourdanî a s’ poch, l’a radmin atrapé è a kouminchî a rivé l’ koun.

La licorne a enfilé la souche, si bien que la corne a passé du côté ou ce que Toine était. Toine, qui avait son mare teau de cordonnier à sa poche, l’a rapidement attrapé et a commencé à river la corne.

I-l a kriyí ô Rwè dè vni vîr, èyé lè Rwè a sté télmin binêch dè vîr ké Twèn avou tan d’èspri, ki lî-z-a doné s’fîy en maryâtch.

Il a crié au Roi de venir voir, et le Roi a été tellement bien-aise de voir que Toine avait tant d’esprit, qu’il lui a donné sa fille en mariage. »

843.

Marie-Madeleine.

Il [y] avait un coup Marie-Madeleine qui s’en allait tout droit le chemin devant elle, parce que le pays brûlait par derrière elle.

Dedans son chemin, elle rencontre un coq.

— Et où est-ce que vous allez donc, Marie-Madeleine ? dit-il le coq.

— Oh ! mon fils, dit-elle, je vais le chemin tout droit devant moi, parce que le pays brûle par derrière moi.

— Kokorikoke ! je me vais avec, dil-il le coq.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un chat.

— Et où est-ce que vous allez donc, Marie-Madeleine, avec votre coq ? dit-il le chat.

— Nous allons le chemin tout droit devant nous, parce que le pays brûle par derrière nous.

— Myâw ! myâw ! je me vais avec, dit-il le chat.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un cochon.

— Et où est-ce que vous allez donc Marie-Madeleine, avec votre coq et votre chat ? dit-il le cochon.

— Nous allons, etc.

— Nyeuh ! nyeuh ! je me vais avec, dit-il le cochon.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un chien.

— Et où est-ce, etc.

— Waw ! Waw ! je me vais avec, dit-il le chien.

Arrivés un peu plus loin, ils rencontrent un bœuf.

— Et où est-ce, etc.

— Mânw ! mânw ! je me vais avec, dit-il le bœuf.

Ça fait, comme ils partaient tous ensemble, ils ont attrapé la nuit ; ils ont commencé à dire à Marie-Madeleine :

— Comment est-ce que nous allons faire pour nous coucher ?

— Je suis aussi embarrassée que vous autres, dit-elle Marie-Madeleine ; mais cela ne fait rien, le bon Dieu pourvoira.

Tout d’un coup, elle commence à dire : Ha ! ha ! dit-elle : [voi]là là-bas une maison ; nous voyons la lumière d’ici.

Tant qu’a la fin, les voilà arrivés près de la maison, qui était au coin d’un bois.

Marie-Madeleine est [partie] en voie pour aller frapper. La porte était tout au large [ouverte]. Ça fait qu’ils sont entrés dans la maison ; mais c’était une maison de voleurs. Marie-Madeleine a eu beau crier, il n’[y] a jamais personne qui a répondu.

Ça fait qu’elle a dit à toutes ses bêtes :

— Quand personne ne répont, c’est nous qui est maître ici. À cette heure, dit-elle, vous allez jouer chaque votre rôle que je vais vous commander : vous, coq, vous irez vous mettre au sommet de la cheminée et quand les voleurs viendront, vous chanterez un bon coup et vous leur chierez un bon brin dans les yeus. Vous, chat, vous vous mettrez là dans les cendres de bois et quand ils viendront pour prendre du feu, vous aurez soin de miauler à grands coups en battant des pattes et vous leur jetterez des poussières des cendres dans les yeus. Vous, cochon, vous irez vous mettre au sommet des escaliers du grenier qui est là ; il [y] a là deus sacs tout pleins et à ce qu’ils monteront les escaliers, vous grognerez et vous leur ferez tomber les sacs sur leur dos. Vous, chien, vous irez vous mettre dans la cour, et quand ils arriveront pour se sauver, dans la cour, vous aurez soin d’aboyer à grands coups et de les prendre par les jambes. Vous, bœuf, vous irez vous mettre dans la grange, et quand ils arriveront pour se sauver dans la grange, vous aurez soin de rebeugler comme il faut et de les prendre par vos cornes et de les clacher d’un mur à l’autre.

À cette heure, dit-elle, quand ils ont eu été tous placés, je me vais éteindre la lampe et vous aurez soin de demeurer tous tranquilles. Je me vais fermer la porte ; je garantis qu’ils ne tarderont plus sans revenir.

Elle n’avait pas encore dit son dernier mot, que voilà les voleurs qui entrent. Ça fait que les deus voleurs, en étant dans la maison  :

Sacré mantin, Louis ! dit-il Pierre, on a venu dans la maison ; on a éteint la lampe. Les ceus qui sont dedans vont passer un laid quart d’heure.

— Allez chercher une allumette de bois à la cheminée, dit-il Pierre à Louis : je suis sûr qu’il [y] a encore du feu dans les cendres.

Louis va pour aller chercher une allumette. À ce qu’il va pour prendre l’allumette, le coq qui chante kokorikoke et fait ce que Marie-Madeleine lui-z-avait commandé.

Sacré mantin ! dit-il Louis, j’ai quelque chose dans les yeus. Tenez, [voi]là l’allumette, dit-il à Pierre.

Pierre va pour aller gratter aus cendres : [voi]là le chat qui commence à miauler et [à] frapper des pattes.

Sacré mantin ! dit-il Pierre, je suis arrivé comme vous : j’en ai tout plein les yeus aussi. Nous sommes ensorcelés, dit-il. Nous n’avons plus qu’une affaire à faire : c’est de nous sauver au grenier.

Arrivés sur les escaliers, le cochon commence à grogner et les sacs leur tombent en même temps sur le dos.

Ils boutent pour se sauver dans la cour ; ils n’ont pas été mieus reçus par là : le chien a commencé à aboyer et à les prendre par les jambes.

Arrivés dans la grange, le bœuf commence par rebeugler, les attrape avec ses cornes et les clache d’un mur à l’autre…

Quand j’ai eu vu cela, j’ai fait faire des souliers de papier et je suis revenu sur la queue du chien.

(Traduction littérale faite par M. Georges Willame, d’un conte qui lui a été dit par M. Joseph Rimé, de Nivelles, âgé de 56 ans, qui le tient de sa grand’mère.)

844.

La pierre qui flotte.

J’étais à Liège, sur le pont des Arches[2] et je vis flotter sur le fleuve une meule de moulin, sur laquelle il y avait quatre hommes. Le premier avait perdu les deus yeus ; le second, les deus bras ; le troizième, les deus jambes ; le quatrième, ses habits. Un oiseau passa au-dessus d’eus. L’aveugle le vit ; le cul-de-jatte courut après ; l’homme sans bras le saisit et l’homme nu le mit dans sa poche.

(Traduction d’une « suite de mensonges » recueillie par l’auteur à La Reid, près de Spa.)

845.

Les trois paresseus.

Trois grands paresseus étaient couchés sous un prunier. Les prunes étaient si appétissantes que le premier ne put s’empêcher de soupirer :

— Kèl-è bèl·è bilok !

« — Quelles belles bilok[3] ! »

Une heure après, le second les implora :

— Tom, bilok, è m’ bok.

« — Tombe, bilok, dans ma bouche ! »

Le soir venu, le troizième dit d’une vois mourante :

— Dji n’ sé kmin k’on pou tant djâzé.

« — Je ne comprens pas comment on peut tant parler. »

(Recueilli par M. O. Colson à Herstal.)
Potais et Frasais.

846. Potais et Frasais étaient deus frères. Ils allaient aus fraises.

Lorsqu’ils furent dans le bois, Frasais en ramassa plus que Potais. Quand son pot fut plein, il lui dit :

— Je m’en vais ; voulez-vous revenir, Potais ?

— Non, je ne retourne pas, si je n’en ai plein mon pot.

— Eh bien ! je vais dire au loup qu’il vienne vous étrangler : Loup ! venez un peu étrangler Potais ; Potais est allé aus fraises et il ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au chien qu’il vienne vous aboyer : Chien, venez un peu aboyer le loup. Le loup ne veut pas étrangler Potais. Potais est allé aus fraises et il ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au bâton qu’il vienne vous bâtonner : Bâton ! venez un peu bâtonner le chien ; le chien ne veut pas aboyer le loup ; le loup ne veut pas étrangler Potais ; Potais est allé aus fraises et ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au feu qu’il vienne vous brûler : Feu ! venez un peu brûler le bâton. Le bâton ne veut pas bâtonner le chien ; le chien ne veut pas… etc.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire à l’eau qu’elle vienne vous éteindre : Eau ! venez un peu éteindre le feu ; le feu ne veut pas brûler le bâton ; le bâton ne veut pas… etc.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au bœuf, qu’il vienne vous boire : Bœuf ! venez un peu boire l’eau ; l’eau ne veut pas éteindre le feu ; le feu ne veut pas… etc.

— Oh ! c’est bien mon trop grand camarade !

— Eh bien ! je vais dire au boucher qu’il vienne vous tuer : Bouclier ! venez un peu tuer le bœuf ; le bœuf ne veut pas boire l’eau : l’eau ne veut pas éteindre le feu ; le feu ne veut pas brûler le bâton ; le bâton ne veut pas bâtonner le chien ; le chien ne veut pas aboyer le loup ; le loup ne veut pas étrangler Potais ; Potais est allé aus fraises et il ne veut pas revenir, s’il n’en a plein son pot.

— Attendez ! je vais aiguiser mon couteau.

Pendant qu’il était en allé aiguiser son couteau, le bœuf en était allé boire l’eau ; l’eau avait éteint le feu ; le feu avait brûlé le bâton ; le bâton avait bâtonné le chien ; le chien avait aboyé le loup et le loup était en allé pour étrangler Potais.

Mais Potais avait ramassé des fraises plein son pot et était revenu avant Frasais.

(Traduction littérale d’un conte dit à M. Ernest Mahaim par son grand père, feu M. Squelard, natif de Forges, près Chimay.)

La belle et la laide.

848.

I gn’avè on kó o-n fèm k’ avè deu koumèr, o-n bèl è o-n lêt’. Sa fé ku l’ bèl avè on bonami è l’ lêt ènn’avè pon.

« Il y avait un coup une femme qui avait deus commères, une belle et une laide. Ça fait que la belle avait un bon-ami et la laide n’en avait point.

È lu mèr s’è fâchéy ku l’ lêt’ n'avè pon d’ bonami è èl s’ a mètu on djoû o li, è èl di kom sa a s’ bèl koumèr, k’èl lî-y alîch kèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon po l’ ruguèri.

Et la mère s’est fâchée que la laide n’avait point de bon-ami et elle s’a ms un jour au lit, et elle [a] dit comme ça à sa belle commère, qu’elle lui aille quérir de l’eau de la fontaine aus trois lions pour la reguérir.

Sa fê ku vla l’ bèl pôrtîy. A s’ tchumin fézan, èl raskontur o-n vîy fèy ki lî dmant’ :

Ça fait que voilè la belle partie. À son chemin faisant, elle rencontre une vieille fée qui lui demande :

— Dou vas’ ?

— Où vas-tu ?

— Dju m’ va kèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon, po rguèri m’ mèr k’ è malôt’.

— Je me vais quérir de l’eau de la fontaine aus trois lions, pour reguérir ma mère qui est malade.

— I fé bin malôjîy d’avèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon. Lè liyon t’ von mougnè. Vin on pó m’ grètè din m’ do ; d’j’ê tan dè peu ki m’ mougnan.

— Il fait bien malaisé d’avoir de l’eau de la fontaine aus trois lions. Les lions te vont manger. Viens un peu me gratter dans mon dos ; j’ai tant des pous qui me mangent.

Èl a sti grètè din s’ do ; èl lî-y-a di :

Elle a été gratter dans son dos ; elle lui a dit :

— S’è dè rôz è dè vyolèt’.

— Ce sont des roses et des violettes.

È l’ vîy féy lî-y-a di :

Et la vieille fée lui a dit :

— Kan tu vérè prè dol fontin-n o twa liyon, tu bouchrè twa kó avou o-n bagèt’. Lè liyon tumran mwâr, onk d’on kostè, onk du l’ôt, è pu t’ poujrè d’ l’èw ; è tu rvêrè.

— Quand tu viendras près de la fontaine aus trois lions, tu frapperas trois coups avec une baguette. Les lions tomberont morts, un d’un côté, un de l’autre, et puis tu puiseras de l’eau et tu reviendras.

È vla k’èl a bouchè twa kó a l’uch, lè liyon on tumè mwâr, onk d’on kostè, onk du l’ôt ; èl a poujè d’ l’êw ; èl a rvènu.

Et voilà qu’elle a frappé trois coups à l’huis ; les lions ont tombé morts, un d’un côté, un de l’autre ; elle a puisé de l’eau ; elle a revenu.

A l’ min-m plas’ dou k’èl avè trovu l’ vîy féy, èl l’a ko trovu ; sa fé k’èl lî-y a di :

À la même place où qu’elle avait trouvé la vieille fée, elle l’a encore trouvée ; ça fait qu’elle lui a dit :

— As’ du l’êw, mi-y èfan ? dis-st èl.

— As-tu de l’eau, mon enfant ? dit-elle.

Èl a rèspondu k’ây.

Elle a répondu qu’oui.

— Tin, voila o-n pow è o-n plum. Prin ôt’ a twè du n’ nin lèyî tumè t’ pom è du n’ nin lèyî volè t’ plum. Dju rati-n è dj’ dusti-n ku, pa l’ fwè du m’ baguèt’, tu soy ko san kó pu bèl k’oparavan, è to lè kó ku t’ kózrè, k’i t’ sôrt’ on bê dyaman foû dol boutch.

— Tiens, voilà une pomme et une plume. Prens garde à toi de ne pas laisser tomber ta pomme et de ne pas laisser voler ta plume. Je ratine et je destine[4] que, par la foi de ma baguette, tu sois encore cent coups plus belle qu’auparavant et tous les coups que tu causeras, qu’il te sorte un beau diamant hors de la bouche.

È pu, kan èl a arivè adlé l’uch, èl a lèyi tumè s’ pow, èl a lèyî volè s’ plum, a pu èl a spôrdu s’-t-êw. L’êw, s’èstè o-n ètan; è l’plum, s’èstè on parokè so l’ôp. Èl a rintrè adlé s’ mér. Èl lî-y-a dmandè :

Et puis, quand elle a arrivé près de l’huis, elle a laissé tomber sa pomme, elle a laissé voler sa plume, et puis elle a répandu son eau. L’eau, c’était [est devenue] un étang ; et la plume, c’était un perroquet sur l’arbre[5]. Elle a rentré près de sa mère. Elle lui a demandé :

— As’ du l’êw, mu bèl Róz ?

— As-tu de l’eau, ma belle Rose ?

È lèy, to dswit’, èl a tapè on dyaman foû du s’ boutch, an kózan.

Et elle, tout de suite, elle a jeté un diamant hors de sa bouche, en causant.

— K’è-s ku t’a vèyu a t’ tchumin fêzan, ku t’è ko san kó pu bèl ku t’ n’èstè óparavan ?

— Qu’est-ce que tu as vu à ton chemin faisant, que tu es encore cent coups plus belle que tu n’étais auparavant !

— Dj’ê raskontré o-n vîy féy ki m’a di ku dj’ srè ko san kó pu bèl k’óparavan.

— J’ai rencontré une vieille fée qui m’a dit que je serais encore cent coups plus belle qu’auparavant.

Èl a oukè l’ lêt’.

Elle a appelé la laide.

— Pusku d’ seûr è duvnuw si bèl, t’îrè ossi.

— Puisque ta sœur est devenue si belle, tu iras aussi.

Èl li-y a rinpli o-n sèrvyèt’ du viyant’ po tapè o liyon, du peu k’lè liyon nu l’ mougninch.

Elle lui a rempli une serviette de viande pour jeter aus lions, de peur que les lions ne la mangent.

A s’ tchumin fézan, èl a raskontrè o-n vîy féy ki lî-y-a dmandè :

À son chemin faisant, elle a rencontré une vieille fée qui lui a demandé :

— Dou vas’ mu fay ?

— Où vas-tu, ma fille ?

— Dju m’ va kèr du l’êw dol fontin-n o twa liyon po rguèri m’ mèr k’è bin malôt’.

— Je me vais quérir de l’eau de la fontaine aux trois lions pour reguérir ma mère qui est bien malade.

— Vin on pó grètè din m’ do ; d’jê tan dè róz è dè vyolèt ki m’ mougnan.

— Viens un peu gratter dans mon dos ; j’ai tant des roses et des violettes qui me mangent.

— Tês-tu, vîy sorsîr, t’a dè gro peu.

— Tais-toi, vieille sorcière, tu as des gros pous.

È pu, èl a sti a l’ fontin-n dè twa liyon, èl a tapè s’ sèrvyèt’. Tin k’lè liyon on mougnè l’viyant’, èl a poujè d’ l’êw, èl a rvènu, è, a s’ tchuin fêzan, èl a ko raskontrè l’ vîy féy ki li-y-a di :

Et puis, elle a été à la fontaine des trois lions ; elle a jeté sa serviette. Du temps que les lions ont mangé la viande, elle a puisé de l’eau, elle a revenu, et, à son chemin faisant, elle a encore rencontré la vieille fée qui lui a dit :

— È-s’ ku t’a d’ l’éw, mi-y èfan ?

— Est-ce que tu as de l’eau, mon enfant ?

— Sa n’ tu fou d’rin, vîy sorsír.

— Ça ne te fout de rien, vieille sorcière.

— Dju rati-n è dj’ dusti-n ku t’ soy ko san kó pu lêt’ k’óparavan è to lè kó ku t’ kózrè, k’i t’ sôrt’ on gro krapó foû dol boutch.

— Je ratine et je destine que tu sois encore cent coups plus laide qu’auparavant, et tous les coups que tu causeras, qu’il te sorte un gros crapaud hors de la bouche.

Èl è rvôy adlé s’ mèr avou l’êw. Èl dumant’ :

Elle est retournée en voie près de sa mère avec l’eau. Elle demande :

— K’è-s’ ku t’a vèyu a t’ tchumin fézan ?

— Qu’est-ce que tu as vu à ton chemin faisant ?

— Dj’ê raskotrè o-n vîy sorsîr ki m’a di k’dju srè ko san kó pu lêt’ ku dvan è k’to lè kó ku dj’kózrè, k’i m’ sôrtirè on gro krapó foû dol boutch.

— J’ai rencontré une vieille sorcière qui m’a dit que je serais encore cent coups plus laide que devant et que tous les coups que je causerais, qu’il me sortirait un grous crapaud hors de la bouche.

[En disant ces paroles, elle vomit un crapaud.]

Lu mér èstè si mwêch, k’on bê djou… su bèl Róz èstè akoûtchéy, lu mér l’a fê oukè foû du s’ li è po n’ nin dèzèbèyi s’ mér, èl i-y a sti. Èl li-y a tchókè o-n kouro-n du spi-n so l’tyès’.

La mère était si mauvaise (fâchée), qu’un beau jour… sa belle Rose était accouchée, la mère l’a fait appeler hors de son lit et pour ne pas désobéir [à] sa mère, elle y a été. Elle lui a fourré une couronne d’épines sur la tête.

[Cela la transforme en biche errante dans le bois.]

A mê ! la st’om ki rvin a l’ nut’. S’èstè l’ valè d’on prins’ è i-l alè a l’ tchès. I va adlé s’ bèl mér è i di k’i-l a vèyu o-n bich, mê k’i n’avè seu tirè tso.

Ah mais ! [voi]là son homme qui revient au soir[6]. C’était le fils d’un prince et il allait à la chasse. Il va près de sa belle-mère et il luit it qu’il a vu une biche, mais qu’il n’avait su tirer dessus.

Lu bèl mér li di k’i falè kèri dè trakeu po l’ print’.

La belle-mère lui dit qu’il fallait quérir des traqueurs pour la prendre.

[Il faut comprendre que la mère dit qu’elle doit manger de la biche pour se guérir et que la laide, après l’enchantement, s’est fait passer pour sa sœur aus yeus du fils du prince.]

I vin a l’nut’ on pôf ki vin dmandè a lodjè. Lu vîy mér nu vlè nin l’lodjè, mê lu fi do prins’ dûzè k’i falè lodjè s’ pôf maleureu-la, k’i-l îrè koutchè dzo lè-z èskalyé avou lè tchin.

Il vient à la nuit un pauvre qui vient demander à loger. La vieille mère ne voulait pas le loger, mais le fils du prince disait qu’il fallait loger ce pauvre malheureus-, qu’il irait coucher dessous les escaliers avec les chiens.

Mê, a doz eûr dol nut’, lu vî mandyan a atindu o-n vwè ki vnè a l’uch è ki vnè krîr :

Mais à douze heures de la nuit, le vieus mendiant a entendu une vois qui venait à l’huis et qui venait crier :

— Parokè, dou s’k’è l’ klè ?

— Perroquet, où ce qu’est la clé ?

— Volsi, dam, di-st i l’ parokè.

— La voici, dame, dit-il, le perroquet.

È pu èl intrè, èl su vnè mèt’ duzo l’ bèrs’ è èl vènè dnè l’ tèt’ a st’èfan. È kan èl è ralè, èl dûzè :

Et pus elle entrait, elle se venait mettre dessus la berce et elle venait denner la tette à son enfant. Et quand elle (s’) en rallait, elle disait :

— Vola l’ klè

— Voilà la clé.

— Wi, dam.

— Oui, dame.

Lu vi mandyan, i ouk lu prins’ duso l’kostè è li kont’ k’i-l avè vèyu, a doz eûr dol nut’, o-n bich ki dmandè o parokè :

Le vieus mendiant, il appelle le prince sur le côté et lui conte qu’il avait vu, à douze heures de la nuit, une biche qui demandait au perroquet :

— Dou s’k’è l’ klè ?

— Ou ce qu’est la clé ?

È l’ parokè li dzè :

Et le perroquet lui disait :

— Volsi, dam.

— La voici, dame.

È pu èl su vnè mèt’ duzo l’ bèrs’, èl dunè l’ tèt’ a st’èfan.

Et puis elle se venait mettre dessus la berce, elle donnait la tette à son enfant.

È i di :

Et il dit :

— Tu rvêrè ko dmwin dmandè a lodjè ; mu mér nu vôrè nin ; mê dju m’ fé fwâr du t’ lodjè avou mi dzo lè-z èskalyé.

— Tu reviendras encore demain demander à loger. ma mère ne voudra pas, mais je me fais fort de te loger avec moi dessous les escaliers.

Lu landmwin, la l’pôf vî-y om ki vin ko dmandè a lodjè è lu vîy mér nu vlè nin ko l’ lodjè. Èl dûzè k’ s’èstè on vî riboteu ki duspinsè to st’ ardjin è k’i-l alè mandyè. Mê l’ prins’ l’a fé lodjè.

Le lendemain, [voi]là le pauvre vieus homme qui vient encore demander à loger, et la vieille mère ne voulait pas encore le loger. Elle disait que c’était un vieus riboteur qui dépensait tout son argent, et qu’il allait mendier. Mais le prince l’a fait loger.

È pu, a l’ nut’, i-z on sti koutchè dzo lè-z èskalyé. È a doz eûr, lu bich a ko vnu a l’uch, è a ko vnu dmandè :

Et puis, au soir, ils ont été coucher dessous les escaliers. Et à douze heures, la biche a encore venu à l’huis, elle a encore venu demander :

— Parokè, dou-s’ k’è l’ klè ?

— Perroquet, ou ce qu’est la clé ?

È i-l a rèspondu :

Et il a répondu :

— Volsi, dam.

— La voici, dame !

È èl a ko sti dnè l’ têt’ a l’èfan, è l’ prins’ s’a lansé dusor liy ; i lî-y a araché l’ kouro-n du spi-n k’èl avè so l’ tyès’, è i-l a di k’ s’èstè s’ fêm. È i lî-y dmandè ki l-y avè fê sa, è èl a di k’ s’èstè s’ mér.

Et elle a encore été donner la tette à l’enfant et le prince s’a lancé de-sur elle, il lui a arraché la couronne d’épines qu’elle avait sur la tête et il a dit que c’était sa femme. Et il lui a demandé qui lui avait fait cela et elle a dit que c’était sa mère.

Sa fê ku l’ prins’ a fê vnu lè tchèrtî do viyâtch po ramassè do bwè è i-l a fê on gran feu ; i-l a brûlè l’ mér è l’ lêt’.

Ça fait que le prince a fait venir les charretiers du village pour ramasser du bois et il a fait un grand feu, il a brûlé la mère et la laide.

Sa fê ku l’ prins’ a dmorè bin trankil avou s’ fêm è avou l’ vî pôf.

Ça fait que le prince a demeuré bien tranquille avec sa femme et avec le vieus pauvre.

Vla l’ flôw foû,
Vo mougnré lu skôf è mi l’oû.
Voilà la fable hors,
Vous mangerez l’écale et moi l’œuf.

(Conté à M. Paul Marchot par Mme Titeux, agée de 65 ans, à Saint-Hubert.)

Les trois chèvres.

849.

Treu gat’ alî a mès’. Li prumîr si louméf Blankèt’ ; li deuzin-m, Neurèt’ è l’treuzin-m, Pèlèy.

Trois chèvres allaient à la messe. La première s’appelait Blanquette ; la seconde, Noirette et la troisième Pelée.

Èl rèskonktrè l’ leu.

Elles rencontrent le loup.

— Fâ k’dji t’ tow, Blankèt’, di-st i.

— (Il) faut que je te tue, Blanquette, dit-il.

—Tow li sis’ k’è podrî mi.

— Tue celle qui est derrière moi.

— Fâ k’dji t’ tow, Neurèt’, di-st i l’ leu.

— Il faut que je te tue, Noirette, dit-il le loup.

— Tow li sis’ k’è podrî mi.

— Tue celle qui est derrière moi.

S’èsteu-st â toûr da… kimin don ? Dj’ roûvî s’no.

C’était le tour de… comment donc ? J’ai oublié son nom.

— Pèlèy.

— Pelée (dit l’auditeur naïf).

Hèréé vos’ né è m’kou, djusk’a k’èl seûy raplouméy.

— Mettez votre nez…, jusqu’à ce qu’elle soit replumée.

(Conte-attrape recueilli à Louveigné ; dans une variante recueillie à Laroche par M. F., le conte se termine par se dialogue entre la dernière chèvre et le loup :)

— Fâ k’dji t’ tow, Pèlèy.

— Il faut que je te tue, Pelée.

— Bin, baj li kou dol ratrossèy è dol dyèrin-n maryèy.

— [Eh] bien, . . . . . . de la retroussée et de la dernière mariée.

È èl bizè tot’ lè treu è vôy.

Et elles s’enfuient toutes les trois en voie.

Misère et pauvreté.

850.

Misère et Pauvreté étaient un forgeron et son chien qui vivaient dans le plus complet dénûment. Un jour, le diable vint tenter le forgeron et fit si bien que, pour une grosse somme d’argent, il lui acheta son âme. Il devait venir s’en emparer dans dis ans.

Le forgeron se mit à vivre dans l’abondance avec l’argent ainsi gagné.

Un jour saint Pierre et le bon Dieu qui passaient par là, s’arrêtèrent chez lui pour faire ferrer leur âne. Misère se mit à l’œuvre et ferra l’âne avec un fer d’argent. Les deus voyageurs étaient enchantés et pour récompenser l’artisan, ils lui dirent de formuler trois souhaits. Quelque extravagants qu’ils soient, dirent-ils, ils ne laisseront pas de se réaliser. Misère se mit à réfléchir et demanda une bourse qui ne laisserait s’échapper ce qu’elle contiendrait, un fauteuil qui ne laisserait se lever son occupant, un cerisier dont, une fois monté dessus, on ne pourrait descendre qu’avec son autorisation. Durant tout ce temps, saint Pierre l’avait exhorté tout bas à demander le paradis, mais Misère ne voulut rien entendre. Les voyageurs partirent et les souhaits du bonhomme se réalisèrent. Un soir, les dis ans révolus, le diable vint pour s’emparer de l’âme de Misère. Vous êtes fatigué, lui dit celui-ci. Asseyez-vous dans ce fauteuil, pendant que je fais mes préparatifs. L’autre l’écouta. Misère alla faire rougir au feu une barre de fer. Il rentra et engagea le diable à partir. Celui-ci fit de vains efforts pour se lever. Misère lui administra une volée de coups avec sa barre de fer et ne le laissa aller qu’après avoir obtenu un répit de dis ans.

Ce laps de temps écoulé, toute une troupe de diables se présente chez lui pour emporter son âme. Comme on était en été et qu’il faisait très chaud, Misère les invite à monter sur son cerisier pour se désaltérer. S’en étant rendu maître de cette façon, il obtint un nouveau sursis de dis ans et les laissa partir.

Dis ans après, nouvelle invasion d’une troupe de diables chez le bonhomme Misère. Cette fois, il se met en route avec eus. Après avoir fait de compagnie un bout de chemin, Misère leur demanda s’ils n’étaient pas fatigués. Ils dirent que oui. — Entrez dans ma bourse, dit-il, je vous porterai pendant quelque temps. Les diables y entrèrent sans soupçon et Misère les tint de nouveau à sa merci. Il ne leur rendit la liberté que moyennant un nouveau sursis de dis ans.

Entretemps, le bonhomme mourut, ainsi que son chien. Tous deus arrivèrent à la porte du paradis. Saint Pierre vint leur ouvrir ; mais il ne les eut pas plutôt vus, que reconnaissant ce bonhomme qui l’avait froissé en refusant obstinément le paradis, il lui ferma la porte au nez.

Toujours avec son chien, Misère se présenta à la porte de l’enfer. Un diable vint leur ouvrir. C’était justement celui qui, assis dans le fauteuil, avait reçu une si dure volée de coups. Tout effrayé, il rentra précipitamment et ferma la porte au verrou.

Ainsi, nulle part, on n’avait voulu recevoir Misère et Pauvreté. Ils se sont décidés à rester sur terre, où ils errent sans trêve.

(Traduction résumée faite par M. Paul Marchot, aussitôt après le récit du conteur, M. Defrance, sabotier, âgé de 25 ans, à Lorcy, près St-Hubert, qui a appris ce conte à Nassogne dans une réunion de jeunes gens. La rédaction de ce texte ne paraît

pas vraiment populaire. Elle peut venir d’une image d’Épinal.)
Le renard et l’écureuil.

851.

In rnó avè prin in bya spirou ; i dalè l’kroké kan li spirou, sintan s’déré momin arivé, di :

Un renard avait pris un bel ecureuil ; il allait le croquer quand l’écureuil, sentant son dernier moment arrivé, dit :

— Dj’ê todi ètindu dîr ki dvan d’ mindji, ô fê l’ sign’ dèl kwè.

— J’ai toujours entendu dire que, devant de manger, on fait le signe de la crois.

Ossi rat’, li rnó tîr ès’ pat’ pou fé l’ sign’ dè l’ kwè è vwè li spirou ki fou l’ kan.

Auissi vite, le renard tire sa patte pour faire le signe de la crois et voit l’écureuil qui fiche le camp.

(Recueilli à Laroche, près Court St-Étienne, par M. Sinéchal.)

Le Diable et le paysan.

31.

Le diable aida un jour un paysan à défricher un terrain à la condition qu’il choisirait une partie de la récolte.

L’homme sema du blé. Le diable choisit ce qui viendrait au-dessous du sol et il n’eut que des chaumes.

L’année suivante, l’homme sema des carottes ; le diable, se croyant très fin, choisit ce qui viendrait au-dessus de la terre et il n’eut que des feuilles.

Furieus de ces deus mésaventures, il proposa alors au paysan de mesurer leurs forces.

— Faisons au plus gros fagot, dit-il.

L’homme monta sur un chêne et se mit à tordre une des plus hautes branches comme s’il allait se servir de l’arbre entier pour en faire le lien de son fagot.

Le diable, craignant d’être encore trompé, prit la fuite.

(Traduction résumée d’un conte recueilli à Louveigné.)


  1. Je mès en italique dans les textes en romain, les mots et expressions calqués sur le wallon, et entre crochets tout ce qui est ajouté pour l’intelligence d’un mot ou d’une phrase.
  2. Nom du plus ancien pont de Liége.
  3. Bilok, nom donné à Liége à une espèce de prune
  4. Destiner dans le sens de prophétiser est dans le Chevalier au lion ; rati-n est une forme réduplicative faite sur le modèle de dusti-n, ra représentant re latin. Dus dans dusti-n pouvait, en effet, s’interpréter comme de latin et faire croire à un simple tiner, de même que l’on a loyè, dus-loyè, et ra-loyè, « lier, délier et relier. »
  5. Cet arbre est une transformation de la pomme.
  6. Il l’a sans doute épousée à cause du don qu’elle possède.