Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire de Marie-José (Joseph)

Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 216-223).

XVIII

HISTOIRE DE MARIE-JOSÉ (JOSEPH)

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Il y avait une fois un bonhomme si vieux, si vieux, que personne ne pouvait savoir quel âge il avait.

Un jour que Marie-José était allé pêcher des tectecs au bas de la rivière, il rencontre le vieux bonhomme qui pêchait des bigorneaux. Marie-José lui dit : « Bonjour, grand-papa, comment vous portez-vous ? » Le bonhomme le regarde bien et lui dit : « Parions, mon camarade, que tu ne peux pas me dire quel est mon âge ? »

— Je ne sais pas ; mais vous avez l’air bien vieux.

— Tu vois ces bigorneaux, ces crabes, ces anguilles ? Si dans deux jours tu ne peux me dire mon âge, je ferai de toi une anguille, un crabe ou un bigorneau !

Marie-José a peur ; il veut entortiller le bon homme, il commence à l’amadouer avec de belles paroles. Mais le vieux était un malin ; il lui dit bonjour et s’en va.

Voilà Marie-José assez triste. Il revient chez lui et ne peut manger. Sa femme lui demande pourquoi il ne mange pas, ce qu’il a. Marie-José ne répond rien et baisse la tête. Sa femme le cajole tant et tant qu’il lui dit : « Eh bien, tu sauras que j’ai rencontré un vieux vieux bonhomme qui pêchait des bigorneaux au bas de la rivière. Il m’a dit que si dans deux jours je ne pouvais pas lui dire son âge, il me tuerait. » Sa femme lui dit : « N’aie pas de chagrin ! mange ! je te dirai comment t’y prendre pour savoir l’âge de ce bonhomme-là. »

Lorsque Marie-José eut fini de manger, sa femme lui dit : « Demain, tu iras m’acheter un sac de duvet, deux longs bambous et une jarre de gros sirop. » Le lendemain, de bon matin, Marie-José va au bazar et achète ce que sa femme lui a demandé. Quand il est de retour, sa femme lui fait tirer tous ses habits, enduit tout son corps de sirop et le roule dans le duvet. Puis elle prend les deux bambous et lui en fait une queue : Marie-José ressemble à un tigre un jour de ghoûn. Alors sa femme lui dit : « À midi juste, ce vieux bonhomme-là se couche pour faire un somme sur une roche au bord de la rivière ; approche-toi doucement et saute sur lui. » Marie-José est si content, vous dis-je, qu’il embrasse sa femme.

Arrivé au bord de la rivière, il trouve le vieux bonhomme endormi. Son cœur bat, il s’élance sur le vieillard. Le bonhomme se réveille en sursaut ; il ouvre de grands yeux pour mieux voir Marie-José, et s’écrie : « Voilà mille ans que j’existe, mais jamais je n’avais vu un homme avec des plumes et une queue ! » Marie-José part à la course, rentre chez lui, prend sa femme à pleins bras, l’embrasse encore et lui dit : « Merci, merci, ma femme ! tu m’as sauvé la vie, Dieu te bénira ! » Les voilà tous les deux bien heureux.

Le lendemain, Marie-José s’habille ; il va à la rivière ; le vieux bonhomme l’attendait et lui dit :

— Bonjour, mon garçon ! Eh bien ! tu sais mon âge ?

— Bonjour, grand-papa ! Vous allez bien ? Mais, vous ne vous êtes donc jamais taillé la barbe ?

Mais le vieux saute sur Marie-José.

— De belles paroles sauvent leur homme, mais pas avec moi, mon petit ! Quel est mon âge ? Réponds, j’écoute.

— Vous avez mille ans, grand-papa.

Le vieux est abasourdi et reste muet. Puis : « Mais comment donc as-tu fait pour savoir mon âge ? »

Marie-José lui raconte ce que sa femme lui a fait faire.

Le soir le vieux bonhomme donna un grand dîner dans la case de Marie-José…

« Eh vous, enfants ! il est temps d’aller se coucher, oui ! Prenez garde qu’il ne vous pousse des cornes ! »[1]


  1. Elle nous vient de notre voisine, l’île de la Réunion, Mais certains détails sont mauriciens.